Théorème spectral - Définition

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Formalisation algébrique

Karl Weierstrass propose la formulation algébrique de la propriété des quadriques, souvent connu sous le nom de théorème spectral.

L'approche rigoureuse de la propriété de l'article se formalise mieux dans un contexte algébrique. C'est tout d'abord celui qui finit par prévaloir historiquement. Les démonstrations de Cauchy sont plus longues et surtout moins exhaustives (même s'il est possible de retrouver l'intégralité des propriétés). Les énoncées sont plus concis et enfin, la formalisation algébrique s'adapte mieux aux multiples applications dans des domaines si diverses.

Un formalisme contemporain modifie peu l'expression du théorème de Weierstrass, qui prend le nom de théorème spectral. Ce théorème possède de nombreuses généralisations en dimension infinie sans pour autant voir son nom modifié. Cette formulation possède un corollaire immédiat : toute forme Ψ quadratique ou hermitienne possède une base orthogonale B telle que l'image de tout élément de B par Ψ est égale à 1, -1 ou 0 (ou même simplement 1 ou 0 dans le cas hermitien).

Théorème spectral en dimension finie, pour les formes —  Soient E un espace vectoriel de dimension finie sur le corps des réels (resp. des complexes) et Φ, Ψ deux formes bilinéaires symétriques (resp. sesquilinéaires hermitiennes) de E telles que Φ soit définie positive. Alors il existe une base B de E orthonormale pour Φ et orthogonale pour Ψ. Dans cette base, les coefficients de la matrice associée à Ψ sont tous réels.

Ce résultat se déduit de l'un ou l'autre des deux suivants :

Théorème spectral en dimension finie, pour les endomorphismes —  Tout endomorphisme auto-adjoint d'un espace euclidien ou hermitien est diagonalisable dans une base orthonormale et ses valeurs propres sont toutes réelles.

Ce théorème se généralise partiellement dans le cas hermitien : il n'est pas nécessaire que l'endomorphisme soit auto-adjoint pour qu'il soit diagonalisable, il suffit qu'il soit normal, c'est-à-dire qu'il commute avec son adjoint. En revanche, un endomorphisme normal d'un espace euclidien (par exemple : une rotation plane) n'est en général pas diagonalisable.

Tout théorème sur les endomorphismes possède son équivalent en termes de matrices car les deux structures sont isomorphes. Le théorème suivant est une transcription en termes matriciels.

Théorème spectral pour les matrices —  Soit A une matrice symétrique réelle (resp. hermitienne complexe), alors il existe une matrice P orthogonale (resp. unitaire) et une matrice D diagonale dont tous les coefficients sont réels, telles que la matrice A est égale à P.D.P-1 .

Pour des démonstrations de ces théorèmes, voir l'article Endomorphisme autoadjoint (et plus accessoirement, les articles Endomorphisme normal et Orthogonalisation simultanée).

Histoire

Origine mécanique

Jean le Rond d'Alembert comprend l'utilité de la transformation, que l'on appellera plus tard la diagonalisation d'une matrice.

Plus d'un siècle avant la démonstration du théorème, apparaît ce qui, plus tard, sera considéré comme une matrice symétrique. Jean le Rond d'Alembert cherche à connaitre le mouvement d'une corde vibrante. Il modélise le phénomène par un élastique dont la masse est rassemblée en des points régulièrement espacés. Le problème mathématique correspond à une équation différentielle linéaire. Si les variations sont suffisamment petites, les coefficients associés sont constants. Leonhard Euler propose une méthode dite des coefficients indéterminées pour expliciter la solution. Contrairement aux prévisions de Daniel Bernoulli , une approche analytique permet de trouver une solution conforme à ses expériences : Je me contenterai de dire que l’on remarque aisément dans les valeurs de x & de y trouvées ci-dessus, la double oscillation que M. Bernouilli a observée dans le mouvement du pendule dont il s’agit. Néanmoins, les prétentions à la généralité de d'Alembert s'avèrent inexactes. Les coefficients indéterminés permettent uniquement de résoudre les cas où seules deux ou trois masses sont présentes.

Pour traiter le cas d'un nombre de masses plus important, Joseph-Louis Lagrange développe une nouvelle approche. Il utilise une pratique polynomiale spécifique s'affranchissant de la méthode des coefficients indéterminés. Grâce au fait que les coefficients sont en miroir, ce qui, en terme moderne se traduit par le fait que l'endomorphisme est auto-adjoint, il utilise une astucieuse méthode sur les primes et les indices. Le polynôme trouvé correspond à ce qui est maintenant nommé le polynôme caractéristique.

La méthode utilisée est relativement générique. Elle correspond à une approximation linéaire tangente, à ce titre elle fait partie d'une vaste théorie dite des perturbations. Elle suppose aussi que l'endomorphisme associé est symétrique. Enfin, elle ne fonctionne que si les racines du polynôme caractéristique, maintenant appelé valeurs propres, sont toutes distinctes, enfin le cas des racines imaginaires fait peur. Les savants de l'époque en ont bien conscience : d’où l’on voit que le système est susceptible d’autant de différents mouvements isochrones que l’équation P=0 a de racines réelles négatives et inégales.

Développement astronomique

Joseph-Louis Lagrange étudie les perturbations des trajectoires des planètes engendrées par les autres masses que le soleil. La méthode proposée met en évidence des perturbations séculaires, phénomène qui s'avère être un moteur essentiel de la théorie pendant tout le XIXe siècle.

Une autre situation entre dans le domaine de validité de la méthode : celle de la trajectoire des planètes. En plus de l'attraction solaire, les planètes s'attirent entre elles et engendrent de petites perturbations. Lagrange les décrit de la manière suivante :

« Ces variations sont de deux espèces : les unes périodiques et qui ne dépendent que de la configuration des Planètes entre elles ; celles-ci sont les plus sensibles, et le calcul en a déjà été donné par différents Auteurs ; les autres séculaires et qui paraissent aller toujours en augmentant, ce sont les plus difficiles à déterminer tant par les observations que par la Théorie. ... Ces dernières altèrent les éléments mêmes de l’orbite, c'est-à-dire la position et la dimension de l’ellipse décrite par la planète ; et quoique leur effet soit insensible dans un court espace de temps, il peut néanmoins devenir à la longue très considérable. »

Les variations séculaires fascinent, la stabilité du système solaire est menacée. Cet aspect s'avère un moteur théorique essentiel pour la compréhension du sujet de cet article. S'il existe une méthode numérique opérationnelle, elle ne peut garantir un résultat théorique tant que deux questions ne sont pas résolues. Que se passe-t-il s'il existe une valeur propre multiple ? Et sont elles toutes réelles ?

« ... il peut néanmoins arriver qu’il y en ait d’égales ou d’imaginaires ; mais il est facile de résoudre ces cas par les méthodes connues : nous observerons seulement que, dans le cas des racines égales, les valeurs de s, s1, s2,…, u, u1, u2,… contiendront des arcs de cercle, et que dans celui des racines imaginaires ces valeurs contiendront des exponentielles ordinaires ; de sorte que, dans l’un et l’autre cas, les quantités dont il s’agit croîtront à mesure que t croît ; par conséquent la solution précédente cessera d’être exacte au bout d’un certain temps ; mais heureusement ces cas ne paraissent pas avoir lieu dans le Système du monde. »

La stabilité des perturbations du premier ordre, celles traitées par la méthode de Lagrange fait couler beaucoup d'encre. La réponse qu'il propose est celle du calcul effectif. Il suppose qu'une planète n'est en interaction qu'avec quatre autres et développe une méthode de substitution sur les polynômes pour en extraire les racines, qui s'avère soixante ans plus tard le point de départ de la théorie de Galois. Il en déduit :

« Cependant il ne parait pas impossible de parvenir, par quelque artifice particulier, à décider cette question d’une manière générale ; et comme c’est un objet également intéressant pour l’analyse et pour l’Astronomie physique, je me propose de m’en occuper. En attendant, je me contenterai de remarquer que, dans le cas présent, les racines trouvées sont trop différentes entre elles pour qu’un petit changement dans les masses adoptées puisse les rendre égales, et encore moins imaginaires »

Pierre-Simon Laplace , ne se contente pas de la réponse numérique de Lagrange. Elle n'offre pas à son goût de garantie suffisamment solide de stabilité, que se passe-t-il avec la prise en compte de plus de planètes? Il démontre que la disposition en miroir des coefficients ainsi que la nature de leur valeur imposent une convergence si seul les effets du premier ordre sont pris en compte. Sa méthode néanmoins ne possède aucun caractère générique et ne fait pas avancer les mathématiques. L'avenir montrera de plus que la convergence des perturbations d'ordre un ne garantit en rien la stabilité recherchée.

Géométrie analytique

Augustin Louis Cauchy donne une dimension géométrique au problème.

Quand, dans les années 1820, Augustin Louis Cauchy s'attelle à cette question. Il n'est pas un novice en algèbre, son traité sur les déterminants fait autorité. Son approche, si elle reste analytique, diffère radicalement de celle de Lagrange, qui se décrit ainsi :

« Les méthodes que j'y expose ne demandent ni constructions ni raisonnements géométriques ou mécaniques, mais seulement des opérations algébriques assujetties à une marche régulière et uniforme. »

Cauchy découvre la dimension géométrique de la question. Il axe son analyse sur l'étude des quadriques. Elles sont définies de manière analytique par une forme quadratique, qu'il exprime comme un polynôme homogène du deuxième degré. Il remarque que, dans le cas de la dimension trois, il existe trois plans, définis par le choix de deux vecteurs pris parmi trois, qui divisent la quadrique en deux parties symétriques. Ces trois vecteurs sont orthogonaux et peuvent être choisis de longueur un. Pour trouver ces vecteurs, Cauchy analyse les extrema de la surface à l'aide des dérivées partielles. Il établit la correspondance entre ces axes et les vecteurs propres de l'application linéaire associé. Un calcul de déterminant, fondé sur les techniques qu'il a développées dans le passé lui permettent d'expliciter les valeurs propres, il correspond maintenant à ce qui est appelé le polynôme caractéristique, le même qu'avait trouvé, par des méthodes différentes, Lagrange.

Cauchy voit ainsi la question sous trois angles : trouver les valeurs propres et les vecteurs propres d'une application linéaire, étudier les formes quadratiques et classifier les quadriques. Il applique cette triple approche à trois situation : la classification de nombreuses surfaces du second degré dans un espace de dimension quelconque, l'étude des axes d'inertie d'un solide en rotation et les variations séculaires. Cauchy présente un mémoire.

Cette méthode possède deux faiblesses, toujours les mêmes. Si le polynôme caractéristique possède une racine multiple, alors il est impossible de déterminer les vecteurs propres et la nature réelle ou complexe des valeurs propres reste un inconnue. Dans le cas des axes d'inerties d'un solide, un artifice particulier, associé à son aspect tridimensionnel permet de résoudre la question, le cas général reste un mystère :

« D’après ce qui a été dit ci-dessus, il ne peut rester de doutes sur l’exactitude du théorème I, si ce n’est dans le cas où quelques valeurs de s vérifieraient à la fois les deux équations (36) S = 0, R = 0, Q = 0, … prises consécutivement. »

La révolution de 1830, ainsi que la position politique de Cauchy (il est légitimiste) lui impose l'exil et l'arrêt de ses travaux. Une décennie plus tard, il revient sur ces questions pour mieux comprendre la propagation des ondes lumineuses ou d'origine élastique. Ces travaux donnent lieu à la création de l'expression polynôme caractéristique, ou plus précisément dans les textes de Cauchy d' équation caractéristique.et. Les travaux de Cauchy sur la stabilité du système solaire se traduisent in fine par un apport opposé à celui de Laplace : une importante avancée théorique associé à une absence de résultat concret.

Arithmétique et algèbre

Avec l'arithmétique, Carl Friedrich Gauss introduit en Allemagne une approche purement algébrique pour l'étude des formes quadratiques.

Le problème des variations séculaires peut aussi être mis en relation avec un vieux problème d'arithmétique soulevé par Pierre de Fermat maintenant appelé théorème des deux carrés. La question posée est celle des nombres premiers s'exprimant sous la forme de deux carrés d'entiers. D'une manière plus générale cette question est reliée aux valeurs que peut prendre la forme quadratique x2 + y2 si x et y prennent des valeurs entières. Un regard encore plus général est celui des valeurs que peut prendre une forme quadratique quelconque sur les entiers. Il amène aux théorème des trois et des quatre carrés.

Un élément de réponse pour cette question correspond à la classification des formes quadratiques, en classes d'équivalences. Deux formes quadratiques Φ et Ψ sur un Z module M sont dites équivalentes s'il existe un endomorphisme bijectif f de M tel que Φ soit égal à la composée de Ψ et de f. Autrement dit si les formes quadratiques représentent le même objet dans deux bases différentes. Les formes ont la même image, il suffit donc de connaitre l'image d'une unique forme dans chaque classe pour résoudre une large famille d'équations diophantiennes. Cette classification arithmétique des formes quadratiques est initiée par Adrien-Marie Legendre en 1798 et rapidement poursuivi par Carl Friedrich Gauss en 1801. Cette démarche, éminemment linéaire, est à l'origine par Gauss de la première utilisation du terme déterminant.

La connaissance des formes quadratiques ne manquent pas d'avoir des applications. Un nouvel exemple est rapidement fourni, encore par l'astronomie. Les données associées à la trajectoire d'un corps céleste sont à la fois nombreuses et toutes entachées de petites erreurs. Utiliser la méthode des moindres carrés pour estimer précisément la trajectoire est fructueux et permet à Gauss de retrouver l'astéroïde Cérès (les détails sont données dans l'article sur la méthode des moindres carrés). Cette méthode consiste à trouver le minimum d'une forme quadratique, soit encore le vecteur propre de la plus petite valeur propre associée. Legendre est le premier à publier ce résultat, cependant Gauss ne lui reconnait pas la paternité de cette découverte. La réaction de Legendre est brutale : Cette impudence excessive est incroyable chez un homme au mérite personnel suffisant pour ne pas avoir besoin de s'approprier les découvertes d'autrui.

Charles Gustave Jacob Jacobi démontre que toute forme quadratique possède une base orthogonale.

Dans le cas d'un espace vectoriel réel de dimension finie, la réduction d'une forme quadratique est réalisée par Charles Gustave Jacob Jacobi . Il montre qu'elles sont toutes équivalentes à une combinaison linéaire de carrés dont le coefficient est égal soit à 1 soit à -1. Ce résultat est redécouvert par James Joseph Sylvester et appliqué au principe de l'inertie des solides. Il porte maintenant son nom. La distance entre le théorème de l'article et le savoir de l'époque devient ténue. Le résultat de Jacobi exprime que toute forme quadratique possède une base orthogonale. Il suffit d'en adjoindre une autre, définie positive pour conclure, ce que fait Weierstrass en 1858. Les techniques utilisées, comparables à celles des démonstrations données dans cet article, sont infiniment plus simples que celles de Cauchy.

Cette approche algébrique, dont l'Allemagne est probablement le plus riche contributeur avec Gauss, Jacobi, Ferdinand Eisenstein ou Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet est la solution, non seulement d'un problème d'algèbre, mais aussi des questions que se posent les français depuis longtemps. L'auteur en a parfaitement conscience :

« [Le problème] a été complètement résolu par Cauchy, Jacobi etc. pour le cas où l’on ne trouve aucune grandeur égale parmi s1, s2, ..., sn. Il n'est pas encore résolu en revanche dans les circonstances exceptionnelles où les racines de l’équation f(s)= 0 ne sont pas différentes l’une de l’autre, la difficulté qui se présente alors aurait déjà du être éclaircie et je propose de l'examiner attentivement plus en détail. Je ne pensais pas initialement qu'une solution serait possible sans des discussions spécifiques aux nombreux cas différents qui peuvent se produire. Il me fallait espérer que la résolution du problème soit susceptible d’une méthode indifférente à la multiplicité des grandeurs 1, s1, ..., sn. »

Le théorème de Weierstrass éclaire la question des variations séculaires sous un autre angle, l'auteur du théorème conclut :

« Après avoir indiqué et énoncé la forme des intégrales, Lagrange a conclu que, comme les oscillations x1, dx1/dt restent toujours petites si elles le sont à l'origine, l’équation ne peut pas avoir de racines égales car les intégrales pourraient devenir arbitrairement grandes avec le temps. La même affirmation se trouve répétée chez Laplace lorsqu’il traite dans la Mécanique céleste des variations séculaires des planètes. Beaucoup d’autres auteurs, comme, par exemple, Poisson, mentionnent cette même conclusion. Mais cette conclusion n'est pas fondée […] et, si la fonction Ψ reste négative et de déterminant non nul, on peut énoncer le même résultat, que les racines de l’équation f(s)=0 soient ou non toutes distinctes ; l'homogénéité de cette conclusion n'a pu être découverte dans la passé car on a toujours envisagé ce cas [des racines multiples] par des approches particulières. »

S'il est définitivement établi que les variations du premier ordre ne peuvent en aucun cas déstabiliser le système solaire, la question reste néanmoins ouverte : l'astronome Urbain Le Verrier montre que les termes d'ordre deux ne peuvent être négligés. Il faut attendre le siècle suivant et le talent de Henri Poincaré pour conclure positivement.

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