Temps - Définition

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Le moteur du temps

La vision moderne du temps est donc paradoxalement à la fois plus anthropocentrique et plus distante de l’homme que celle qui prévalait jusqu’à Newton. Il fallait, des Anciens grecs jusqu’à Kant, décider si le temps était dans ou hors de nous, mais toujours de notre point de vue : voilà que la science propose un temps existant pour lui-même ! Mais ce temps-là est dépendant d’autres réalités, au premier rang desquelles l’espace et la matière – et nous vivons précisément dans l’espace, par la matière. Le temps nous est donc viscéralement acquis mais en partie masqué. Par les exemples de flèches du temps, on réalise également plus aisément pourquoi notre compréhension intuitive du temps est orientée, du passé au futur. Toutefois, là où la science a fait du temps un élément créateur, l’homme continue de subir le temps et son ambiguïté, en victime malheureuse du solipsisme.

De fait, d’anthropocentrique le temps dérive dans la pensée de certains modernes sur le terrain de l’anthropomorphisme. L’Homme a définitivement une vision schématique du temps, entre passé, présent et avenir : les raisons en sont maintenant connues. Mais si on comprend pourquoi notre conscience nous dicte une telle représentation face à l’expérience, il est plus crucial de se demander pourquoi le temps se présente à nous sous le jour de la flèche du temps. Lorsque nous donnons au temps l’image d’une droite fléchée, c’est son cours que nous représentons. En barrant cette droite d’une perpendiculaire pour marquer l’instant présent, cloisonnant passé et futur dans deux compartiments psychologiquement hermétiques, nous représentons le devenir. Pourtant, le présent est fixe, par définition. L’instant présent n’appelle rien d’autre que lui-même, mais le voilà déjà chassé par un autre moment, qui le remplace aussitôt. Sur la droite fléchée du temps, la barre du présent se déplace malgré elle : quel est ce moteur du temps ? Une approche parmi d’autres, qui vient en contradiction des plus récentes conclusions d’origines scientifiques (du champ de la science Physique, au moins), place l’Homme comme machiniste involontaire de la chronologie. Si on considère que le temps est le cadre ultime de la réalité, pré-existant à toutes choses, alors nous nous faisons en effet une fausse idée de lui, en lui attribuant notre propre mouvement historique. Immuable, « rampant en lui » pour rattraper un avenir déjà écrit, nous sommes les consciences malmenées d’un déterminisme complet. Étrangement, cette vision se rapproche de celle d’Eddington, qui introduisit en 1928 le terme de « flèche du temps » – c’est qu’il présenta l’idée sous un jour bien différent de son acception actuelle, et peut-être, dans une certaine confusion conceptuelle entre cours et flèche du temps.

On peut tout aussi bien prendre le contre-pied de cette doctrine, en prétextant que rien n’indique que le temps « pur » doive se penser en termes de présent, que le passé et l’avenir ne sont tels que du point de vue de l'homme, non de celui de l'absolu. En effet, explique Henri Bergson, si le temps en soi est une sorte d’éventail déployé, de film dont les images successives sont en réalité juxtaposées sur la bobine, ce n’est plus le temps, c’est l’espace. Et si je rampe vers l’avenir, je suis quant à moi dans le temps. Le temps existe bien, au moins en moi, il n’est pas qu’une illusion. Ou bien faut-il supposer que je passe d’un état éternel de moi-même à un autre, tout en ayant l’illusion que sous le pont Mirabeau tout s’écoule et je demeure ? Mais quel est ce Je mystérieux qui transite ainsi d’un état de moi-même à un autre ? Ou encore, pourquoi celui que j’étais hier, s’il existe toujours dans le passé spatialisé, n’est-il pas encore moi ? Comment le relais s’est-il fait de l’un à l’autre, sinon dans la durée, ce temps vécu rebelle selon Bergson à la spatialisation ? Pourquoi ne pas admettre alors que le cosmos soit porté par le même mouvement ? Il est vrai qu’en procédant ainsi, on attribue au temps une marche en avant qui n’est peut-être qu’un développement cognitif propre à l’humain et à sa finitude. Il serait donc présomptueux de vouloir trancher ici la question de la nature du temps. Sur la base de l’« Histoire » informelle du temps, chaque conscience peut décider de se ranger à l’une ou l’autre des représentations du monde, ou prolonger la réflexion sur l’ambiguïté toujours renouvelée du concept du temps.

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