Sigmund Freud - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Introduction

Sigmund Freud
Sigmund Freud LIFE.jpg
Biographie
Naissance : 6 mai 1856
à Freiberg, Moravie,
Drapeau: Empire d'Autriche Empire d’Autriche
Décès : 23 septembre 1939 (à 83 ans)
à Londres, Royaume-Uni Royaume-Uni
Nationalité : autrichienne
Vie universitaire
Formation : Médecine (neurologie)
Titres : Professeur,
Privatdozent (1885),
Professeur Extraordinarius (1896),
prix Goethe (1930)
Approche disciplinaire : Psychanalytique
Principaux travaux
Psychanalyse - Cure psychanalytique - Sexualité infantile - Inconscient - Transfert

Sigmund Freud (prononciation allemande : ˈsiːkmʊnt ˈfʁɔʏt), né Sigismund Schlomo Freud le 6 mai 1856 à Freiberg, Moravie (Autriche, aujourd'hui Příbor en République tchèque) et mort le 23 septembre 1939 à Londres (Royaume-Uni), est un médecin neurologue et psychiatre autrichien, fondateur de la psychanalyse.

Médecin viennois d'appartenance juive, Freud fait la rencontre de plusieurs personnalités importantes pour le développement de la psychanalyse, dont il sera le principal théoricien. Son amitié avec Wilhelm Fliess, sa collaboration avec Joseph Breuer, l'influence de son maître Jean-Martin Charcot et des théories sur l'hypnose de l'École de la Salpêtrière vont le conduire peu à peu à penser autrement les processus et instances psychiques , et en premier lieu l'inconscient, le rêve et la névrose le tout se traduisant en une technique de thérapie psychique originale, la cure psychanalytique.

D'abord seul, Freud regroupe ensuite autour de lui une nouvelle génération de psychothérapeutes, qui peu à peu élaborent ce que sera la psychanalyse, d'abord en Autriche, en Suisse, à Berlin, puis à Paris, Londres et aux États-Unis. En dépit des scissions internes et des critiques émanant de la psychiatrie académique notamment, et malgré les années de guerre, la psychanalyse s'installe comme une nouvelle discipline des sciences humaines dès 1920. Freud, menacé par le régime nazi, quitte ensuite Vienne, pour s'exiler à Londres, où il meurt en 1939.

Le philosophe Paul Ricœur le situe aux côtés de Karl Marx et de Friedrich Nietzsche comme étant l'un des trois grands « maîtres du soupçon », de ceux qui ont induit le doute dans la conception philosophique classique du sujet. La « psychanalyse », dont le terme apparaît en 1896, repose sur plusieurs hypothèses et concepts élaborés par Freud. D'abord, l'hypothèse de l'inconscient révolutionne la représentation du psychisme. La technique de la cure, dès 1898 et d'abord sous la forme de la méthode cathartique avec Joseph Breuer puis le développement de la cure type, est le principal apport de la psychanalyse. Des concepts, comme ceux de refoulement, de censure, de narcissisme, de moi et d'idéal du moi, ou davantage métapsychologiques comme les pulsions, la première topique et la seconde topique, le complexe d'Œdipe ou le complexe de castration entre autres, vont peu à peu développer et complexifier la théorie psychanalytique, à la fois « science de l'inconscient » selon Paul-Laurent Assoun et savoir sur les processus psychiques et thérapeutiques.

Biographie

Les biographes de Freud

L'histoire de la vie de Freud et celle, concomitante, de la création de la psychanalyse, a fait l'objet de centaines d'articles et de quelques dizaines de biographies, dont la plus connue est la monumentale biographie consacrée par Ernest Jones, proche contemporain de Freud, qui est devenue une référence incontournable bien que critiquée pour ses aspects hagiographiques. Le premier biographe fut cependant Fritz Wittels, qui publie en 1924 Freud. L'homme, la doctrine, l'école. L'écrivain Stefan Zweig a lui aussi écrit une biographie enthousiaste de son ami Freud. Selon Elisabeth Roudinesco, historienne lacanienne de la psychanalyse, c'est sans doute Stefan Zweig qui brosse le portrait de Freud le plus réaliste. Le médecin de Freud, Max Schur, a également narré le rapport de Freud à la mort et à la maladie qui devait l'emporter en 1939. De nombreux contemporains de Freud lui ont également consacré une biographie, souvent hagiographique tels Lou Andreas-Salomé, Thomas Mann, Siegfried Bernfield, Ola Andersson, Kurt Robert Eissler, Carl Schorske. Didier Anzieu a, lui, publié une biographie très détaillée de l'auto-analyse de Freud et du processus créatif qui en a découlé. Marthe Robert est l'auteur d'une biographie davantage littéraire. Plus récemment, c'est Henri F. Ellenberger qui a consacré une partie de son livre à Freud en enquêtant notamment sur le devenir de certains des patients de Joseph Breuer et de Freud dans Histoire de la découverte de l'inconscient. Frank Sulloway de son côté a développé une thèse qui soutient qu'avec la psychanalyse, Freud a produit un modèle « cryptobiologique ». Ces dernières années des ouvrages plus polémiques, parfois sous forme de réquisitoires ont été édités, notamment celui de Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani, ou de Bénesteau entre autres. Alain de Mijolla, enfin, a publié un écrit sur Freud et la France qui analyse les relations complexes entre Freud, la psychanalyse et la France jusqu'en 1945.

Enfance et études (1856-1882)

Sigmund Freud naît le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie, dans l'Empire austro-hongrois. Les antécédents familiaux des Freud, famille originaire de Galicie sont cependant peu connus. Troisième fils de Kalamon Jakob Freud, modeste négociant, certainement marchand de laine et d'Amalia Nathanson (1836-1931), il est le premier enfant de son dernier mariage. Freud est l'aîné de sa fratrie, composée de cinq sœurs (Anna, Rosa, Mitzi, Dolfi et Paula) et d'un frère, Alexander.

La maison natale de Freud, à Příbor.

Selon Henri F. Ellenberger, « la vie de Freud offre l'exemple d'une ascension sociale progressive depuis la classe moyenne inférieure jusqu'à la plus haute bourgeoisie ». La famille Freud suit ainsi la tendance à l'assimilation qui est celle de la plupart des Juifs de Vienne ; en effet le jeune Sigmund n'est pas élevé dans le strict respect de l'orthodoxie juive. Bien que circoncis à la naissance, son éducation n'est pas traditionaliste et est ouverte à la philosophie des Lumières. Il ne parle que l'allemand et un dialecte mêlé d'hébreu alors couramment employé dans la communauté sépharade de Vienne mais la langue sacrée du Judaïsme lui demeure inconnue.

Il passe à Freiberg ses trois premières années puis les Freud s'installent à Leipzig pour s'établir définitivement en février 1860 ensuite dans le quartier juif de Vienne, ancien ghetto de la capitale autrichienne. Freud y réside jusqu'à son exil forcé, après l'invasion nazie de 1938. De 1860 à 1865, son père change toutefois à plusieurs reprises d'appartements, pour s'installer enfin dans la Pfeffergasse, dans le quartier juif de la Leopoldstadt.

Le jeune Sigmund fréquente les écoles élémentaires juives du voisinage, puis, de 1866 à 1873, l'école secondaire. Brillant élève, il est le premier de sa classe pendant ses sept dernières années de scolarité secondaire au lycée communal (Sperlgymnasium). Il a pour professeurs le naturaliste Alois Pokorny, l'historien Annaka et le politicien Victor von Kraus. À l'âge de 8 ans, Freud lit Shakespeare, Homère, Schiller ou Goethe. Il apprend également l'espagnol, certainement aux côtés d'Eduard Silberstein, son ami d'enfance, et avec qui il entretient par la suite une riche correspondance. Freud quitte le lycée en été 1873 et il se montre intéressé par la carrière de zoologue. C'est en effet la lecture par Carl Brühl d'un poème intitulé Nature, attribué à Goethe, lors d'une conférence publique qui le fait opter pour cette carrière. Cependant, il choisit la médecine et commence ses études à la rentrée d'hiver 1873. Il se passionne pour la biologie darwinienne qui sert de modèle à tous ses travaux.

Il obtient son diplôme le 31 mars 1881, soit huit années après son entrée à l'université, au lieu des cinq attendues. La raison est que le jeune Freud profite de sa liberté académique en tant qu'étudiant de l'Université de Vienne pour effectuer deux séjours durant l'année 1876 dans la station de zoologie marine expérimentale de Trieste, sous la responsabilité de Carl Claus, puis pour travailler de 1876 à 1882 auprès d'Ernst Wilhelm von Brücke, dont les théories rigoureusement physiologiques l'influencent beaucoup. À l'institut de Brücke (le Physiologisches Institut), où il entre en octobre 1876, en qualité de jeune physiologiste-assistant, Freud fait la connaissance des docteurs Sigmund Exner et de Fleischl von Marxow, et surtout du docteur Joseph Breuer, « collègue stimulant » pour lui et qui aiguise sa curiosité avec le cas d'une jeune hystérique connue plus tard sous le pseudonyme d'Anna O.. Chez Ernst Brücke, Freud concentre ses travaux sur deux domaines à l'importance reconnue peu après : les neurones (dont certaines assertions sont reprises dans « Esquisse d'une psychologie scientifique ») et la cocaïne. Selon Alain de Mijolla, Freud découvre à ce moment les théories positivistes d'Emil du Bois-Reymond, dont il devient un adepte, et qui expliquent la biologie par des forces physico-chimiques dont les effets sont liés à un déterminisme rigoureux.

Son service militaire, de 1879 à 1880, retarde également la fin de son cursus universitaire. Il en profite pour traduire les Collected Works du philosophe John Stuart Mill. Il s'intéresse aussi très tôt aux théories de Charles Darwin. Il assiste aux cours de Franz Brentano et lit avec avidité Les Penseurs de la Grèce de Theordor Gomperz et surtout les volumes de l’Histoire de la civilisation grecque de Jacob Burckhardt. Il passe ensuite ses deux premiers rigorosa en juin 1880 et le troisième en mars 1881 et obtient son diplôme le 31 mars 1881. Il est alors à titre temporaire préparateur dans le laboratoire de Brücke puis travaille deux semestres dans le laboratoire de chimie du professeur Ludwig. Parallèlement, il poursuit ses recherches histologiques.

En juin 1882, Freud quitte le laboratoire d'Ernst Brücke pour embrasser une carrière de médecin praticien, sans grand enthousiasme toutefois. Deux explications existent sur ce point. Selon Freud lui-même, Brücke lui a conseillé de commencer à pratiquer en hôpital pour se faire une situation alors que pour Siegfried Bernfeld et Ernest Jones, ses biographes, c'est son projet de mariage qui l'oblige à renoncer au plaisir de la recherche en laboratoire. Sigmund Freud a en effet rencontré Martha Bernays (1861-1951), de famille juive et commerçante, en juin 1882, et, très tôt les conventions familiales alors en vigueur obligent les deux fiancés à se marier, d'autant plus que Freud est dans une situation financière très précaire. Néanmoins, le jeune couple ne se marie qu'en 1886, Freud ayant conditionné son alliance avec Martha Bernays à l'obtention de son cabinet de consultation. En octobre 1882, Freud entre donc dans le service de chirurgie du célèbre hôpital de Vienne, alors un des centres les plus réputés du monde, puis, après deux mois, il travaille comme aspirant, sous la responsabilité du médecin Nothnagel et ce jusqu'en avril 1883. Il est nommé le 1er mai 1883 sekundararzt au service de psychiatrie de Theodor Meynert dans lequel il poursuit des études histologiques sur la moelle épinière, jusqu'en 1886.

Information icon.svg

De l'hystérie à la méthode cathartique (1883-1893)

Après avoir passé cinq années dans le service de Meynert, Freud entre en septembre 1883 dans la quatrième division du docteur Scholtz. Il y acquiert une expérience clinique auprès de malades nerveux. En décembre de la même année, suite à la lecture d'un article du docteur Aschenbrandt, il se livre à des expériences sur la cocaïne et en déduit qu'elle a une efficacité sur la fatigue et les symptômes de la neurasthénie. Dans son article de juillet 1884, « Über Coca », il conseille son usage pour de multiples troubles. Bien qu'il l'ait nié publiquement à de nombreuses reprises, il en fut lui-même un grand consommateur entre 1884 et 1887, comme en atteste sa correspondance. Il travaille sur sa découverte avec Carl Köller, qui mène alors des recherches sur un moyen d'anesthésier l'œil en vue de pratiquer des opérations peu invasives. Celui-ci informe ensuite Leopold Königstein qui applique cette méthode à la chirurgie. Tous deux communiquent leur découverte lors de la Société des médecins de Vienne en 1884, sans mentionner la primauté des travaux de Freud.

Le jeune médecin est ensuite affecté au service d'ophtalmologie de mars à mai 1884, puis dans celui de dermatologie. Il y rédige un article sur le nerf auditif qui reçoit un accueil favorable ; en juin, il passe l'examen oral pour le poste de Privatdozent, et y présente son dernier article. Il est nommé le 18 juillet 1885 et, voyant sa demande de bourse de voyage acceptée, décide d'aller étudier à Paris, auprès de Jean-Martin Charcot. Après six semaines de vacances auprès de sa fiancée, Freud s'installe donc dans cette ville. Admirateur du neurologue français, qu'il rencontre la première fois le 20 octobre 1885, il se propose de traduire ses écrits en langue allemande. Dès lors, le Français le remarque et l'invite à ses somptueuses soirées du faubourg Saint-Germain. Cependant, il semble que Freud n'ait pas passé autant de temps qu'il le dit auprès de Charcot, puisqu'il quitte Paris le 28 février 1886 ; il en retire néanmoins toujours de la fierté et fait de ce séjour à Paris un moment clé de son existence. Il reste en outre en contact épistolaire avec le Français.

La demeure de Freud, à Vienne.

En mars 1886 Freud étudie la pédiatrie à Berlin, avec Baginsky, et revient finalement à Vienne en avril. Il rédige son rapport sur l'hypnotisme tel qu'il est pratiqué à la Salpêtrière devant les membres du Club de physiologie et devant ceux de la Société de psychiatrie, tout en organisant les préparatifs de son mariage. Un article d'Albrecht Erlenmeyer le critique vivement quant aux dangers de l'usage de la cocaïne. Freud, pour se constituer un peu plus de pécule, finit de traduire un volume des leçons de Charcot, qui paraît en juillet 1896, avec une préface de sa main. Après quelques mois de service militaire à Olmütz comme médecin de bataillon, Freud épouse Martha Bernays le 13 octobre 1886, à Wandsbek ; ils passent leur voyage de noce sur la mer Baltique. Dès son retour à Vienne, Freud aménage son cabinet dans le kaiserliches Stiftunghaus et travaille parallèlement avec l'Institut Kassowitz, un hôpital pédiatrique privé où il est affecté au service neurologique.

Le 15 octobre 1886, devant la Société des médecins de Vienne, Freud fait une allocution concernant l'hystérie masculine, discours demeuré célèbre dans la littérature psychanalytique sous le titre de Beiträge zur kasuistik der Hysterie I. Ce sujet était alors polémique, d'autant plus que la conception classique de Charcot opposait l'hystérie post-traumatique à une hystérie dite simulée. S'appuyant sur la distinction entre « grande hystérie » (caractérisée par des convulsions et une hémianesthésie) et la « petite hystérie », et sur un cas pratique examiné à la Salpêtrière, Freud explique que l'hystérie masculine est plus fréquente que ce que les spécialistes observent habituellement. Pour Freud, la névrose traumatique appartient au champ de l'hystérie masculine. La Société s'insurge contre cette opinion qui est, de plus, déjà connue des neurologues viennois. Selon Ellenberger, l'idéalisme de Freud pour Charcot lui vaut l'irritation de la Société, agacée par son attitude hautaine. Blessé, Freud présente alors à la Société un cas d'hystérie masculine afin d'étayer sa théorie. La Société l'entend de nouveau mais l’éconduit. Contrairement à une certaine légende autour de cet événement, Freud ne se retire pas de la Société ; il en devient même membre le 18 mars 1887.

Cette année-là, il fait la rencontre de Wilhelm Fliess, un médecin de Berlin qui poursuit de vastes recherches sur la physiologie et la bisexualité, avec lequel il entretient une abondante correspondance scientifique et amicale. Par ailleurs, la famille Freud accumule les dettes, le cabinet médical n'attirant pas en effet une abondante clientèle. De plus, Meynert se brouille avec Freud en 1889, à propos de la théorie de Charcot défendue par Freud. Dès 1889, celui-ci est très seul ; il ne peut communiquer réellement qu'avec son ami Josef Breuer. Ainsi il écrit « J'étais totalement isolé. À Vienne on m'évitait, à l'étranger on ne s'intéressait pas à moi » . Sa famille, nombreuse, l'aide également à surmonter cette période d'isolement professionnel. Dès cette année, la pensée de Freud évolue. D'abord son intérêt pour Hippolyte Bernheim (dont il traduit le principal ouvrage De la suggestion et des applications thérapeutiques) lui fait aborder la technique de l'hypnose. Il se rend à Nancy, à l'école de Bernheim et Ambroise-Auguste Liébeault en 1889 pour confirmer son opinion sur l'hypnose. Il y apprend que les hystériques conservent une forme de lucidité envers leurs symptômes, savoir qui peut être mobilisé par l'intervention d'un tiers, idée qu'il reprend ultérieurement dans sa conception de l'inconscient mais il conclut que l'hypnose n'a que peu d'efficacité dans le traitement général des cas pathologiques. Freud pressent que le passé du patient doit jouer un rôle dans la compréhension des symptômes. Il décide de préférer à l’hypnose la « cure par la parole » de son ami Breuer. Après cette visite, il participe, en juillet, au Congrès international de psychologie de Paris.

Jean Martin Charcot.

En 1891, Freud publie son travail sur les paralysies cérébrales unilatérales chez les enfants, en collaboration avec Oscar Rie, puis son étude critique des théories sur l'aphasie Contribution à la conception des aphasies. Sa distance avec la pensée de Charcot y est maximale ; il y esquisse un « appareil de langage » (sprachtapparat) permettant de rendre compte des troubles de la fonction langagière. Ce modèle préfigure l'« appareil psychique » de sa première topique. Freud lie ainsi l'inconscient au langage. En 1892, il édite sa traduction de l'ouvrage de Bernheim sous le titre Neue Studien über Hypnotismus, Suggestion und Psychotherapie. La même année, il expose devant le Club médical viennois une conception proche du Français.

En 1893, Freud publie plusieurs articles sur l'hystérie en collaboration avec Joseph Breuer et en particulier l'essai « Le Mécanisme psychique des phénomènes hystériques » (« Uber den psychischen Mechanismus hysterichen Phänomene »). Il y défend la conception névrotique de l'hystérie, tout en proposant « une méthode thérapeutique fondée sur les notions de catharsis et d'abréaction ». En 1894, avec son article « Névro-psychoses de défense » (« Die Abwehr-Neuropsychosen », Freud se focalise sur la phobie. Il souffre par ailleurs de symptômes cardiaques et cesse de fumer. S'occupant de l'hystérie d'une patiente, Emma, Freud, influencé par la théorie de la bisexualité de Fliess, demande à cet ami d’opérer Emma du nez, car il pense que sa névrose y est liée. Mais Fliess commet une erreur médicale en oubliant la gaze iodoformée dans le nez de la patiente. Freud fait ensuite un rêve marquant (le rêve dit de l'« injection faite à Irma ») dans la nuit du 23 au 24 juillet 1895 sur cet accident et entreprend d'en analyser le sens au moyen de la méthode des associations libres ; « cette étude devait devenir, [note Ellenberger], le prototype de toute analyse des rêves ».

L'invention de la psychanalyse (1893-1905) : de l'hypnose, la suggestion à la cure psychanalytique

En 1895, Breuer et Freud publient leur Études sur l'hystérie qui regroupent les cas traités depuis 1893, dont celui d'Anna O. (de son vrai nom Bertha Pappenheim). Anna O. est la patiente de Breuer, qui est présentée comme un exemple type de cure cathartique. Avant de devenir la cure psychanalytique au sens strict, Freud a en effet dû abandonner la suggestion et l'hypnose, puis la méthode cathartique de Breuer, et prendre en compte le transfert, c'est-à-dire les sentiments du patients projetés sur l'analyste. C'est en effet le transfert qui met Freud sur la voie d'une nouvelle approche, cette projection informant sur la nature du conflit psychique dans lequel le patient est pris. En 1896, considérant que sa théorie a droit de cité en psychologie, Freud la baptise du nom de « psychanalyse », mais le facteur sexuel n'est pas encore prédominant dans celle-ci. Composé du grec ana (qui désigne la remontée vers l'originaire, l'élémentaire), et de lysis (la dissolution, l'analyse), le terme désigne dès le départ la recherche des souvenirs archaïques en lien avec les symptômes. Dès lors Freud rompt avec Breuer, demeuré fidèle à la cure cathartique, et rédige un essai laissé inédit : « Esquisse d'une psychologie scientifique ». C'est pourtant dans un autre article « L'hérédité et l'étiologie des névroses », de 1896, que Freud explicite sa nouvelle conception pour la première fois.

Après la mort de son père, le 23 octobre 1896, Freud est abattu par la douleur physique. Il s'intéresse alors exclusivement à l'analyse de ses rêves et se livre à un « travail de fouille dans son passé ». Nourrissant de la culpabilité pour son père décédé, il entreprend une auto-analyse qui l'absorbe de plus en plus. Il dit tenter d'analyser sa « petite hystérie » et ambitionne de percer à jour la nature de l'appareil psychologique et de la névrose. Lors de cette auto-analyse, et après avoir abandonné sa théorie de l'hystérie, ses souvenirs d'enfance affluent. Sa nourrice lui permet de développer la notion de « souvenir écran » par exemple alors qu'il voit dans les sentiments amoureux pour sa mère et dans sa jalousie pour son père une structure universelle qu'il rattache à l'histoire d'Œdipe et d'Hamlet. Ses analyses de patients lui apportent également des arguments dans l'édification d'une nouvelle conception, qui lui permet de revoir et l'hystérie et les obsessions. Seule la correspondance avec Fliess témoigne de cette évolution de sa pensée ; c'est notamment dans une lettre du 15 octobre 1897 que Freud évoque pour la première fois le complexe d'Œdipe. Le neurologue viennois explique ainsi : « J’ai trouvé en moi comme partout ailleurs des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont, je pense, communs à tous les jeunes enfants ».

Information icon.svg

Le 2 mai 1896, devant la Société de psychiatrie, présidée par Hermann Nothnagel et Krafft-Ebing, sa conception ne soulève guère d'enthousiasme, même si on lui délivre le titre d’Extraordinarius. Lors du Congrès international de psychologie à Munich en août 1896, le nom de Freud est cité parmi les autorités les plus compétentes dans le domaine alors qu'en 1897 Van Renterghem le cite comme l'une des figures de l'École de Nancy.
En novembre de la même année, Freud se préoccupe des phases infantiles à dominante sexuelle. Il annonce à Fliess, au début de l'année 1898, qu'il compte publier un ouvrage sur l'analyse des rêves, et, après une période de dépression brutale, il édite en 1899 L'Interprétation des rêves (Traumdeutung). Il s'agit d'un ouvrage autobiographique dans la mesure où il se base sur le matériel de ses propres rêves. Cette période d'auto-analyse mêlée de névrose est, selon Henri F. Ellenberger, caractéristique de la « maladie créatrice », phase de dépression et de travail intense qui a permis à Freud d'élaborer la psychanalyse en dépassant ses problèmes personnels.

Sa situation, tant sociale que financière, s'améliore. De 1899 à 1900, il exerce les fonctions d'assesseur de l'Association impériale-royale pour la psychiatrie et la neurologie (Jahrbuch für Psychiatrie und Neurologie). Par ailleurs, il travaille intensément à ses recherches et se dépeint comme un « conquistador ». Il jouit en effet d'une clientèle lucrative et est reconnu par la société viennoise. En septembre 1901, il se sent capable de visiter Rome, en compagnie de son frère Alexander. La « Ville Éternelle » l'a toujours fasciné et Freud, en raison de sa phobie des voyages, a toujours remis à plus tard sa visite de l'Italie. À Rome, il est surtout impressionné par la statue du Moïse de Michel-Ange. Quelques années après, en 1914, Freud publie anonymement, dans la revue Imago, un essai intitulé « Le Moïse de Michel-Ange », dans lequel il oppose les deux figures, celle historique et celle mythique, du libérateur du peuple juif.

Lors d'un passage à Dubrovnik (alors Raguse), Freud a l'intuition du mécanisme psychique du lapsus comme révélateur d'un complexe inconscient. La même année, deux psychiatres suisses, Carl Gustav Jung et Ludwig Binswanger de Zurich, se rallient à la psychanalyse naissante et, grâce à l'« école de Zurich », le mouvement s'amplifie en Europe et aux États-Unis. Auparavant, en 1901, Eugen Bleuler (avec qui Freud commence une correspondance), extrêmement impressionné par L'Interprétation des rêves de Freud, a en effet demandé à son second, Jung, de présenter l'ouvrage à l'équipe psychiatrique du Burghölzi. La Suisse devient ainsi un allié de poids dans le développement du mouvement psychanalytique.

De retour à Vienne, se sentant davantage autonome par rapport à Fliess, Freud rompt tout échange avec ce dernier en 1902. Puis, il présente ses opinions scientifiques au cours de plusieurs conférences, devant le Doktorenkollegium de Vienne, puis devant le B'nai B'rith (un cercle de juifs laïcs) ; elles sont bien accueillies.

En automne 1902, sur l’initiative de Stekel, Freud réunit autour de lui un petit groupe d'intéressés, qui prend le nom de Psychologische Mittwoch Gesellschaft (« Société psychologique du mercredi ») et qui, chaque mercredi, discute de psychanalyse. Selon Ellenberger, à partir de cette date, la vie de Freud se confond avec l'histoire du mouvement psychanalytique. Les travaux de Freud sont mentionnés lors du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de Grenoble la même année.

En 1904, il publie Psychopathologie de la vie quotidienne. En septembre, il se rapproche d'Eugen Bleuler, de Zurich, et commence une correspondance scientifique avec lui. Les thérapies engagées par Freud sur la base de ces hypothèses le conduisent alors à découvrir que tous ses patients n’ont pas subi de réels traumatismes sexuels dans leurs enfances : ils évoquent des fantasmes et racontent un « roman familial », auxquels ils croient. Simultanément, il découvre que certains patients ne souhaitent pas vraiment guérir. Ils résistent et transposent des sentiments anciens vers leur thérapeute : c’est ce que Freud appelle le transfert.

En septembre 1909, lors de la série de conférences faites à la Clark University, à Worcester, Massachusetts. De gauche à droite, au premier rang Sigmund Freud, Stanley Hall, C. G. Jung ; au second : Abraham A. Brill, Ernest Jones, Sandor Ferenczi.

Freud parle de la psychanalyse pour la première fois publiquement en 1904, lors d'une série de conférences à l'université Clark à Worcester, Massachusetts, invité par son président Stanley Hall, en compagnie de Carl Gustav Jung, Ernest Jones et Sandor Ferenczi. Freud et Jung se voient honorés du titre de LL. D. (docteur des deux droits). C'est à ce moment qu'il désigne explicitement Jung comme son « successeur et prince héritier ». En témoignage de reconnaissance, il y déclare que le mérite de l'invention de la psychanalyse revient à Joseph Breuer. Plus tard, il précise que, bien qu'il soit lui-même réellement l'inventeur de la psychanalyse, il considère que le « procédé cathartique » de Breuer constitue une phase préliminaire à son invention.

L'institution psychanalytique (1905-1920)

En 1905, paraissent trois ouvrages : Trois essais sur la théorie sexuelle, qui rassemble les hypothèses de Freud sur la place de la sexualité et son devenir dans le développement de la personnalité, Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient et Fragment d'une analyse d'hystérie: Dora. Ce dernier est le compte-rendu du cas d'Ida Bauer, qui illustre le concept de transfert psychanalytique. Ce transfert, par lequel le patient crée une névrose (la « névrose de transfert ») dans la relation établie avec son thérapeute, en quelque sorte « expérimentale », est en effet à analyser dans le cadre de la cure car il en détermine l'issue. Contrairement à une idée largement répandue, l'œuvre de Freud ne soulève pas de vives critiques et des indignations de la part de la communauté médicale, au contraire, soulignent Ilse Bry et Alfred H. Rifkin. Le succès de la psychanalyse est d'ailleurs immédiat dès les années 1900 et les premières traductions, russes, datent de 1905. Les premiers travaux des disciples de Freud apparaissent ; Otto Rank, âgé de 21 ans, lui remet en effet le manuscrit d'un essai psychanalytique qui s'intitule « L'artiste ».

En 1906, Freud s'intéresse à une nouvelle de l'écrivain allemand Wilhelm Jensen, La Gradiva qu'il analyse au moyen de sa méthode d'investigation. L'analogie de la remontée des souvenirs avec l'archéologie est au centre de son étude ; il en tire un ouvrage, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de Wilhelm Jensen. Par ailleurs Freud se brouille définitivement avec son ami, Wilhelm Fliess, qui rédige par la suite un pamphlet, Pour ma propre cause, dans lequel il accuse Freud de vol d'idées.

En mars 1907, l'isolement de Freud cesse définitivement. Le groupe naissant de psychanalystes tente de créer une collection intitulée les « Schriften zür angewandten Seelenkunde » (« Écrits de psychologie appliquée ») aux éditions Deuticke. Directeur de la publication, Freud y publie le premier La Gradiva. En 1908, le petit groupe autour de Freud devient la Société viennoise de psychanalyse et, en août Karl Abraham fonde la société psychanalytique de Berlin. L'année suivante, la première revue psychanalytique est fondée (le Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen ou Annales de recherches psychanalytiques et psychopathologiques), avec Bleuler et Freud comme directeurs et Jung comme rédacteur en chef. Freud inaugure cette revue avec la publication du cas du petit Hans.

Le 26 avril, le premier Congrès international de psychanalyse à Salzbourg réunit 42 membres de six pays (Autriche, Allemagne, Hongrie, Suisse, Angleterre et États-Unis). Freud y présente ses « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle ». En 1909 parait les Cinq leçons sur la psychanalyse. Freud s'interroge par la suite sur la nature de la pratique psychanalytique dans un essai, À propos de la psychanalyse dite sauvage.

L'année 1910 marque un sommet dans l'histoire de la psychanalyse et dans la vie de Freud. Lors du second Congrès international à Nuremberg organisé par Jung, les 30 et 31 mars, est créée l'Association Internationale de Psychanalyse (« IPA ») (International Psychoanalytical Association|Internationale Psychoanalytische Vereinigung), dont le premier président est Carl Gustav Jung, ainsi qu'une deuxième revue, la Zentralblatt für Psychoanalyse, Medizinische Monatsschrift für Seelenkunde. L'IPA rassemble sous son égide les groupes locaux (Ortsgruppen), ceux de Zurich (qui en est le siège), Vienne et Berlin. Une patiente de Jung avec qui il était passé à l'acte, Sabina Spielrein, le met sur la voie de la théorisation du transfert amoureux envers l'analyste, qu'il nomme le contre-transfert.

Lors de ses vacances aux Pays-Bas, Freud analyse le compositeur Gustav Mahler, lors d'un après-midi de promenade à travers la ville. Freud voyage ensuite à Paris, Rome et Naples, en compagnie de Ferenczi. La psychanalyse naissante se heurte à sa première opposition d'importance. En octobre 1910, répondant à l'appel d'Oppenheim, lors du Congrès de neurologie de Berlin, les médecins allemands d'Hambourg mettent à l'index la pratique psychanalytique au sein des sanatoriums locaux.

Information icon.svg

Alors que Freud publie Un Souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, dans lequel apparaissent pour la première fois les concepts de narcissisme, de sublimation et de la créativité, la psychanalyse reçoit de nouvelles critiques émanant de certains milieux médicaux. Par ailleurs, les premiers schismes en son sein se font jour. Son opposition théorique à la théorie de Jung, qui deviendra en 1914, la « psychologie analytique », l'occupe en effet ces années-là.

En 1911, Freud écrit un texte connu sous le titre de Président Schreber mais originairement intitulé Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (Dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographique. Freud y retrace l'analyse du juriste et homme politique Daniel Paul Schreber. Il publie aussi un court texte métapsychologique : « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques » dans lequel il décrit le principe de plaisir et le principe de réalité. L'année suivante, il complète sa théorie en ajoutant deux types de pulsions : la pulsion de vie (l'Éros) et la pulsion de mort (qu'il se retiendra toujours de nommer Thanatos).

La direction des revues et des travaux théoriques de l'International Psychoanalytical Association, celle des séminaires, occupent considérablement Freud à cette période, d’autant que parmi ceux qui travaillent avec lui, des rivalités se font jour ainsi que des dissensions théoriques qu'il combat lorsqu'elles remettent notamment en question les rôles de la sexualité infantile et du complexe d'Œdipe comme le font celles, toujours plus intenses, de Jung, Adler, Rank, et d’autres. Il va intègrer, en cohérence avec ses théories, certaines d’entre elles dans ses hypothèses, des années après. Ainsi, il refuse la mise en avant de l’agressivité par Alfred Adler, car il considère que cette introduction se fait au prix de la réduction de l’importance de la sexualité. Il refuse également la mise en avant de l’inconscient collectif au détriment des pulsions du moi et de l’inconscient individuel, et la non-exclusivité des pulsions sexuelles dans la libido que propose Carl Gustav Jung. En juin 1911, Alfred Adler quitte Freud le premier, pour fonder sa propre technique et sa théorie. L'année suivante c'est au tour de Wilhelm Stekel, alors qu'en 1913, en septembre, Freud se brouille avec Carl Gustav Jung.

Le congrès international de psychanalyse de 1911, à Nuremberg
Photographie de groupe lors du congrès international de psychanalyse de 1911 organisé à Nuremberg.

En 1913, Totem et tabou permet à Freud de démontrer la portée sociale de la psychanalyse. Secrètement, depuis 1912, sur l'idée d'Ernest Jones, Freud a réuni autour de lui un petit comité de fidèles partisans (Karl Abraham, Hans Sachs, Otto Rank, Sandor Ferenczi, Ernest Jones, Anton von Freund et Max Eitingon) sous le nom de Die Sache (la « Cause ») et ce jusqu'en 1929, afin de sauver la psychanalyse de ses différents schismes. Chaque membre reçoit de Freud une intaille grecque de sa collection privée, qu'il porte sur un anneau d'or.

Pendant la guerre, Freud n'exerce que peu. Il est surtout concentré sur la rédaction de ses cours universitaires, rassemblés sous le titre de Cours d'introduction à la psychanalyse édité en français sous le titre Introduction à la psychanalyse en 1916. Le sort de ses fils le préoccupe sans cesse. La guerre paralyse par ailleurs l'extension du mouvement psychanalytique ; en effet le congrès de Dresde, prévu en 1914 n'a pas lieu. En 1915, il se lance dans la rédaction d’une nouvelle description de l’appareil psychique dont il ne conserve cependant que quelques chapitres. Ce qu’il prépare est en fait une nouvelle conception de la topique psychique. Il est par ailleurs proposé au Prix Nobel par le médecin viennois Robert Barany. Il publie Deuil et Mélancolie en 1917 et, en janvier 1920, il est nommé professeur ordinaire. Les années suivantes, alors que le contexte politique et économique s'améliore, Freud publie tour à tour : Au-delà du principe du plaisir qui introduit les pulsions agressives, nécessaires pour expliquer certains conflits intra-psychiques, et Psychologie collective et analyse du moi. Freud est en effet concentré, durant ces années de guerre, sur la constitution d'une métapsychologie qui lui permette de décrire les processus inconscients sous un triple angle, à la fois dynamique (dans leurs relations entre eux), topique (dans leurs fonctions au sein de la psyché) et économique (dans leurs utilisations de la libido).

Sigmund Freud entouré de ses plus proches partisans (Sandor Ferenczi, Hanns Sachs (debout), Otto Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, et Ernest Jones).

Dès 1920, Freud élabore une seconde topique de l'appareil psychique composée du Moi, du Ça et du Surmoi. La seconde topique se superpose à la première (inconscient, préconscient, conscient). Le développement de la personnalité et la dynamique des conflits sont alors interprétés en tant que défenses du Moi contre des pulsions et des affects, plutôt que comme conflits de pulsions (les pulsions en cause sont les pulsions de mort). L’ambivalence et la rage étaient perçues dans la première topique comme consécutives de la frustration et subordonnées à la sexualité. Cette nouvelle conception évoque la lutte active qui se déroule entre les pulsions de vie (sexualité, libido, éros) et les pulsions de mort et d’agression (que d'autres analystes ont appelé thanatos). Plus fondamentales que les pulsions de vie, les pulsions de mort tendent à la réduction des tensions (retour à l’inorganique, répétition qui atténue la tension) et ne sont perceptibles que par leur projection au-dehors (paranoïa), leur intrication avec les pulsions libidinales (sadisme, masochisme) ou leur retournement contre le Moi (mélancolie). Freud défend une vision double de l'esprit selon Ernest Jones : « la plupart de ceux qui ont étudié Freud ont été impressionnés par ce que l'on pourrait appeler son dualisme insistant. S'il avait été philosophe, il n'aurait certainement pas été moniste, pas plus qu'il n'aurait partagé l'univers pluraliste de William James ». Après la Première Guerre mondiale, en 1924, le mouvement psychanalytique voit le départ d'Otto Rank et en 1929 celui de Sandor Ferenczi.

Extension de la psychanalyse et dernières années (1920-1939)

En octobre 1920, le professeur de médecine légale Alexander Löffler invite Freud à témoigner par un exposé devant une commission médico-légale sur les névroses de guerre. Il s'opposa à Julius Wagner-Jauregg qui prétendait lui que les patients atteints de névrose de guerre étaient des simulateurs. Puis, du 8 au 11 septembre, se tient à La Haye le 5e congrès de l'IPA, présidé par Ernest Jones. Freud y intervient en lisant « Suppléments à la théorie des rêves ». D'autre part, la création d'un comité secret y est décidée, avec Jones comme coordinateur. La psychanalyse se développe de manière importante en Grande-Bretagne et en Allemagne. Max Eitingon et Ernst Simmel créent en effet à Berlin une policlinique psychanalytique alors que Hugh Crichton-Miller fonde la Tavistock Clinic à Londres.

Sigmund en Anna.jpg
La famille Freud
Mathilde Freud, mariée à Robert Hollitscher (1887-1978) sans enfant
Jean-Martin Freud, marié à Esti Drucker (1889-1967) 2 enfants (Walter Freud : 1921-2004 et Sophie Freud : né en 1924)
Oliver Freud, marié à Henny Fuchs (1891-1969) 1 enfant (Eva Freud : 1924-1944)
Ernst Freud, marié à Lucie Brasch (1892-1970) 3 enfants (Stephen Freud : né en 1921, Lucian Freud : né en 1922 et Clement Freud : 1924-2009)
Sophie Freud, mariée à Max Halberstadt (1893-1920) 1 enfant (Heinz Halberstadt : 1918-1923)
Anna Freud (1895-1982) sans enfant

La première traduction d’un texte de Freud en France, Introduction à la psychanalyse, par Serge Jankélévitch, est publiée en 1922. Le mouvement psychanalytique acquiert une clinique psychanalytique à Vienne, l’ambulatorium, consacré aux psychoses et dirigé par trois élèves de Freud (qui n'y participe que très peu) : Helene Deutsch, Paul Federn et Edouard Hitschmann. En 1923, Freud apprend qu'il est atteint d'un cancer de la mâchoire, qui le fera souffrir tout le restant de sa vie. Il écrit « Le moi et le ça » à un moment où le mouvement psychanalytique atteint une réputation internationale, notamment en Angleterre et aux États-Unis. Il songe à constituer une édition complète des ses écrits, le Gesammelte Schriften (« Écrits réunis »).

Le Congrès de Salzbourg, en 1924, se déroule en l’absence de Freud. La même année, Otto Rank quitte le mouvement. En Angleterre, les membres de la Société britannique de psychanalyse, fondée en 1919, créent l’Institute of Psychoanalysis. En 1925, Freud écrit Inhibition, symptôme et angoisse ainsi qu'une esquisse autobiographique. Le 9e congrès de l’IPA à Bad-Homburg, en Allemagne, se tient du 2 au 5 septembre. Anna Freud y lit le texte de son père : « Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anatomique ». Freud ne peut en effet plus voyager, en raison de sa maladie. Il rencontre en 1925 la Française Marie Bonaparte, qui devient son amie. Freud la prend en analyse. Dans un article, « L'analyse pratiquée par les non-médecins » de 1926, il invite les non-praticiens à utiliser la psychanalyse. À ce sujet, Freud parle de psychanalyse « laïque » ou « profane ». Il revient aussi sur l'évolution de sa pensée, dans un essai intitulé : « Présentation de moi-même ».

Dans les dernières années de sa vie, Freud essaye d’extrapoler les concepts psychanalytiques à la compréhension de l’anthropologie et de la culture. Sa vision pessimiste de la race humaine s'exacerbe, notamment après la dissolution du comité secret formé par Ernest Jones, suite à des querelles d'héritage, des jalousies et des rivalités internes. Il rédige donc un certain nombre de textes dans ce sens, en particulier sur la religion comme illusion ou névrose. En 1927, il publie L'Avenir d'une illusion, qui porte sur la religion d'un point de vue psychanalytique et matérialiste. En 1930, il publie Malaise dans la civilisation dans lequel Freud décrit un processus de civilisation qui est une reproduction à plus large échelle du processus d'évolution psychique individuel. Sa fille, Anna, publie Introduction à la psychologie des enfants.

Ne se considérant pas comme un écrivain, il obtient, avec surprise, le prix Goethe, de la ville de Francfort, en août 1930. Puis, il retourne l'année suivante dans sa ville natale de Freiberg pour une cérémonie en sa faveur. Dans une lettre du 3 janvier, l'écrivain Thomas Mann s'excuse auprès de Freud pour avoir mis du temps à comprendre l'intérêt de la psychanalyse. En 1932, Freud travaille à un ouvrage de synthèse, présentant des conférences devant un public imaginaire, Nouvelle introduction à la psychanalyse. En 1932, il publie, en collaboration avec le physicien Albert Einstein, leur pensée sur la guerre et la civilisation, issue de leur correspondance, dans un essai intitulé « Pourquoi la guerre ? ».

En mai 1933, les ouvrages de Freud sont brûlés en Allemagne lors des autodafés nazis mais l’auteur refuse de s'exiler jusqu'en mars 1938, lorsque les Allemands entrent à Vienne. La Société psychanalytique de Vienne décide que chaque analyste juif doit quitter le pays, et que le siège de l'organisation soit transféré là où résidera Freud. Grâce à l'intervention de l'ambassadeur américain William Bullitt et à une rançon versée par Marie Bonaparte, Freud, sa femme, sa fille Anna et la domestique Paula Fichti peuvent quitter Vienne par l’Orient Express, le 4 juin. Au moment de partir, il est contraint de signer une déclaration : « Je soussigné, Professeur Freud déclare par la présente que depuis l’annexion de l’Autriche par le Reich allemand, j’ai été traité avec tout le respect et la considération dus à ma réputation de scientiste par les autorités allemandes et en particulier par la Gestapo et que j’ai pu vivre et travailler jouissant d’une pleine liberté ; j’ai pu également poursuivre l’exercice de mes activités de la manière que je désirais et qu’à cet effet j’ai rencontré le plein appui des personnes intéressées, je n’ai aucun lieu d’émettre la plus petite plainte ». Il demanda à ce que fût ajoutée la phrase « Je puis cordialement recommander la Gestapo à tous ».

Ils rejoignent ainsi Londres, où ils sont reçus avec tous les honneurs, notamment par l'ambassadeur américain William Bullit, que Freud connaît depuis quelques années déjà. Les deux hommes ont en effet travaillé ensemble à une étude sur le président américain Woodrow Wilson intitulée Woodrow Wilson : a psychological study, publiée en 1966. Freud et sa petite famille s'installent dans une belle maison du 20 Maresfield Gardens. Il rédige son dernier ouvrage Moïse et le monothéisme. Il est nommé membre de la Société royale de médecine. Freud reçoit la nomination chez lui, ne pouvant se déplacer, abattu par son cancer et par trente-deux opérations et traitements successifs. À Vienne, Thomas Mann, prononce le 8 mai 1936 un éloge et un soutien publiques à Freud, expliquant : « Freud rend sa pensée en artiste, comme Schopenhauer ; il est comme lui un écrivain européen ».

Freud meurt dans sa maison de Londres le 23 septembre 1939, à 3 heures du matin, d’un carcinome verruqueux d’Ackerman, à l'âge de 83 ans. Il ne connaîtra jamais le sort réservé par les nazis à ses quatre sœurs, exterminées dans les camps de concentration. À sa demande, et avec l’accord d’Anna Freud, Max Schur, son médecin personnel, lui a injecté une dose mortelle de morphine. Son corps est incinéré au cimetière de Golders Green et les derniers hommages sont remis par le docteur Ernest Jones au nom de l'Association internationale de psychanalyse et par l'écrivain Stefan Zweig, le 26 septembre. Le récit de sa longue maladie est fait dans le détail par Max Schur. Après la mort d'Anna Freud, en 1982, la maison qui avait accueilli la famille en exil devient le Freud Museum.

Page générée en 1.439 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise