Un objet de faible masse situé exactement en ces points n'en bouge plus relativement aux deux autres corps, et tourne de concert avec eux (par exemple une planète et le Soleil).
Si on donne en exemple les points de Lagrange du système Soleil-Terre, ces cinq points sont notés et définis comme suit (échelle non respectée) :
Le calcul ci-dessus fait référence à une configuration où les deux corps du système sont en orbite circulaire. Néanmoins, le concept de point de Lagrange prévaut pour tout type d'orbite, y compris elliptique. On peut donc définir ces points dans tout système à deux corps liés gravitationnellement. Par contre, les trajectoires, stables ou instables, autour des différents points de Lagrange dépendent explicitement de la circularité ou non de l'orbite des deux corps du système.
Le calcul ci-dessus n'indique en rien si les points de Lagrange sont stables. La stabilité ou non de ces points est du reste peu intuitive. Dans le référentiel tournant avec les deux corps, une particule d'épreuve peut être vue comme soumise à un potentiel incluant la contribution gravitationnelle et celle de la force centrifuge. Ce potentiel, noté Ω, s'écrit ainsi
Tous les termes de ce potentiel sont négatifs et décroissent à mesure que l'on s'éloigne des masses (pour les deux premiers termes) ou du centre de gravité du système (pour le second). On peut ainsi montrer que les points de Lagrange L et L sont des maxima locaux du potentiel Ω (voir ci-dessous) et que les trois autres points sont des points selles. D'ordinaire, une position d'équilibre (déterminée par l'annulation des dérivées du potentiel) est stable uniquement si on se situe dans des minima locaux du potentiel. Cependant, étant donné que l'on est dans un référentiel tournant, le référentiel est non inertiel. Un objet se déplaçant dans ce référentiel, par exemple au voisinage d'une position d'équilibre, va être soumis à la force de Coriolis, et son mouvement ne dépend pas uniquement de la forme du potentiel. Pour étudier la stabilité des points de Lagrange, il faut donc tenir compte de la force de Coriolis.
Pour calculer la stabilité des points de Lagrange, il faut ainsi étudier l'équation du mouvement d'un objet situé au voisinage d'un de ces points. En notant δR le vecteur de coordonnées δX et δY donnant l'écart d'un tel objet à un des points de Lagrange (que l'on suppose confiné au plan orbital, l'équation du mouvement s'écrit
où δf représente la force par unité de masse exercée sur l'objet. Cette force est petite du fait qu'au point de Lagrange la force (constituée d'une composante gravitationnelle et de la force centrifuge) est nulle et que l'on se place à proximité d'un tel point. Cette force peut se calculer en termes d'un développement limité. Par exemple, pour la composante X, on a
Le premier terme correspond à la force s'exerçant au point de Lagrange, force qui est nulle par construction. Par ailleurs, la force dérivant d'un potentiel, on peut exprimer les dérivées de la force en termes de dérivées secondes du potentiel :
On peut ainsi exprimer l'équation du mouvement en termes des composantes selon
Ce groupe d'équation peut être mis sous la forme d'un système de quatre équations différentielles du premier ordre :
où les dérivées partielles du potentiel Ω ont été notée en indice précédé d'un virgule (par exemple, Ω correspond à
La stabilité du point de Lagrange considéré est obtenue en recherchant les solutions de cette équation. Pour cela, il suffit de trouver des solutions de type exponentielle, en eΓt. On va ainsi procéder à la diagonalisation de la matrice ci-dessus, que l'on notera A. Les valeurs propres trouvées vont correspondre aux quantités Γ ci-dessus, les écarts à la position d'équilibre étant alors une certaine combinaison d'au plus quatre exponentielles. La stabilité du système est assuré par le fait que les exponentielles ne croissent pas au cours du temps, c'est-à-dire que les quantités Γ sont soit négatives, soit complexes à partie réelle négatives. En fait, il n'est pas nécessaire de diagonaliser complètement la matrice, il suffit d'en trouver les valeurs propres, c'est-à-dire les solutions de l'équation
Ce déterminant s'écrit
et il vaut
Cette équation peut se ramener à une équation polynomiale du second ordre en λ2. Les solutions de l'équation de départ sont donc deux couples de nombres opposés deux à deux. Pour que deux nombres opposés soient négatifs ou nuls ou alors de partie réelle négative ou nulle, il faut obligatoirement qu'ils soient des nombres imaginaires purs, donc que les solutions de l'équation en λ2 soient réelles et négatives. Pour que ces solutions soient réelles, il faut donc que le discriminant soit positif, soit ici
Une fois ceci obtenu, il faut que les deux solutions réelles soient négatives, ce qui implique que simultanément leur somme soit négative et leur produit positif, ce qui implique
La stabilité d'un point de Lagrange est soumise à la réalisation de ces trois contraintes. Parmi ces contraintes, la dernière a une interprétation simple : le signe de la quantité
Pour étudier la stabilité des points de Lagrange, on va être amené à calculer les dérivées successives du potentiel. Ce potentiel fait intervenir la distance |r - r|. Il faut donc connaître les dérivées des différentes puissance d'une telle quantité. En coordonnées cartésiennes, cette quantité s'écrit
Sa dérivée par rapport à l'une des coordonnées x, y, z, collectivement notées x s'écrit donc
La dérivée d'une puissance p quelconque de cette grandeur est donc
En adaptant ce résultat aux dérivées secondes des quantités intervenant dans le potentiel, on a
ce qui pour le potentiel complet donne
où δ représente le symbole de Kronecker. C'est la valeur de ces dérivées partielles qu'il faut calculer pour déterminer la stabilité des différents points de Lagrange. C'est pour les points de Lagrange L et L que ce calcul est le plus simple.
Ces points se caractérisent par le fait que leur distance aux deux corps est identique et égale à R :
Par ailleurs, on peut utiliser la troisième loi de Kepler pour passer des quantités du type G M / R3 à ω, et on connaît les coordonnées exactes des points de Lagrange. En évaluant les dérivées du potentiels au points de Lagrange L ou L, on a
et
le signe + s'appliquant pour L et le signe - pour L. Au final, la matrice recherchée a pour composantes
Le déterminant de cette matrice vaut
qui est toujours positif puisque q est confiné entre 0 et 1. Cette première condition de stabilité est établie. La seconde condition de stabilité s'écrit
quantité là encore positive. Enfin, le discriminant donne
La stabilité des deux points est, au final, déterminée par la positivité de la quantité 27q2 − 27q + 1. Les zéros q, q de ce polynôme sont donnés par la formule usuelle, qui ici indique
Ce polynôme a ainsi des valeurs négatives sur la plage
Cette condition est vérifiée pour toutes les configurations de type Soleil-Planète (où q n'excède pas environ un millième pour Jupiter), ou pour le système Terre-Lune (où q est de l'ordre de 1/80, soit 1,25%).
Les trois points de Lagrange L à L sont situés sur l'axe reliant les deux corps. Dans la formule donne les dérivées secondes, les quantités y - y sont nulles, alors que leurs analogues en x s'identifient aux distances entre un des corps et le point de Lagrange considéré. En conséquence, la matrice des dérivées secondes s'écrit
Le terme Ω est manifestement négatif. Le signe du déterminant de la matrice est déterminé par celui de Ω : si ce dernier est positif, alors le point de Lagrange est un point selle et il est instable. On peut réécrire ce terme en utilisant la troisième loi de Kepler :
Le point de Lagrange L est situé entre les deux corps. Sa distance à ceux-ci, |r - r| et |r - r| est donc, à chaque fois, strictement inférieure à R. On a ainsi
Cette quantité est donc strictement positive, ce qui assure que le déterminant est négatif, c'est-à-dire que L est un point selle, ce qui en fait un point instable.
On pose, pour simplifier les notations,
On s'intéresse donc au signe de la quantité
soit
sachant que u et u sont reliés entre eux par le fait que leur différence est égale à 1 et qu'ils définissent un point de Lagrange, soit la relation
La distance du point de Lagrange au centre de gravité du système peut s'écrire, pour le point L,
relations que l'on peut combiner en
La position du point L est donc donnée par
On pose alors
On a donc, d'une part
et, d'autre part
Autrement dit,
Le premier terme du membre de droite est nul en vertu de la relation A + B = 0. Il reste donc
Or, pour le point L, on est situé plus près du corps 2 que du corps 1. Par conséquent, u est plus petit que u, et, par conséquent,
avec, ici,
soit
Une des applications les plus importantes de l'instabilité des points de Lagrange, L et L, réside dans le fait que des satellites artificiels peuvent être envoyés en ces points du système Terre-Soleil (voir ci-dessous). Pour de tels satellites, des corrections de trajectoires régulières doivent être appliquées afin de conserver le satellite au voisinage du point. Ce temps caractéristique peut être évalué dans le cas où le rapport de masse des deux corps du système est élevé. Dans ce cas, le temps caractéristique γ-1 d'instabilité est donné par
où T est la période orbitale du système. Dans le cas du système Terre-Soleil, où T est légèrement supérieur à 365 jours, le temps caractéristique d'instabilité est alors de 23 jours et 4 heures.
Par ailleurs, la composante stable de la trajectoire se fait à la pulsation
soit, de façon équivalente, avec la période
ce qui, dans le même cas de figure que ci-dessus, donne une période de 176 jours.
L'équation donnant les valeurs propres du système est toujours
avec, pour les points L et L,
en se restreignant aux termes d'ordre le plus bas en q, u vaut 1, et u est déterminé par la relation donnée par le premier tableau de cette page. On a ainsi
L'équation polynomiale devient alors
dont les solutions sont
La solution positive à cette équation indique que les écarts au point d'équilibre croissent exponentiellement au cours du temps selon la relation
avec
Le temps caractéristique associé est donc
De la même façon, il existe des trajectoires périodiques dont la pulsation est donnée par les racines complexes de l'équation, soit
c'est-à-dire une période de
Une fois les valeurs propres d'un point instable connues, une trajectoire au voisinage d'un point de Lagrange va être une combinaison linéaire des vecteurs propres associés aux valeurs propres. En notant λ' l'une de ces valeurs propres, le vecteur propre associé a pour composantes
avec
et une trajectoire est de la forme
où les quantités α sont des nombres quelconques déterminés par la valeur des δX, δY et de leur dérivée à un instant donné. Dans le cas des trois points de Lagrange instables, le déterminant de la matrice des dérivées secondes est négatif, ce qui implique que le discriminant de l'équation du second degré en λ2 possède des racines réelles de signe opposé, et, qu'au final, les valeurs propres recherchées sont deux nombres imaginaires purs opposés et deux nombres réels opposés. Une trajectoire générique comprend donc, dans le plan orbital, une composante périodique (liée aux racines imaginaires pures), une composante amortie (liée à la racine réelle positive), et une composante instable. Pour une position δX, δY donnée, il est toujours possible de choisir une vitesse telle que les deux vecteurs propres aux racines réelles ne contribuent pas à la solution correspondante. La trajectoire obtenue est alors périodique, la période étant donnée par la racine complexe. Une telle solution n'est cependant pas stable. Un écart de trajectoire infime va en réalité rajouter à la trajectoire une composante instable, qui va, peu à peu, éloigner la trajectoire de sa composante périodique. On dit que la trajectoire obtenue n'est pas dynamiquement stable. Ceci est une généralisation du fait qu'un objet situé exactement sur un point de Lagrange instable est dans une situation instable : un petit écart à cette position d'équilibre, inéluctablement généré par les perturbations causées par les autres corps du système, finira par éloigner l'objet de sa position initiale. La même chose se produit pour des trajectoires situées autour du point d'équilibre instable.