Perversion - Définition

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Histoire du concept de perversion sexuelle

Naissance d'un discours médicolégal sur les perversions sexuelles

En France, depuis le code Napoléon (loi du 22 février 1810), les affaires de mœurs étaient jugées selon des principes simples et qui marquaient un grand progrès par rapport à la situation sous l'ancien régime :

  • En ce qui concerne les adultes, on ne punit en matière sexuelle que le scandale public de l'outrage aux bonnes mœurs et l'attentat à la pudeur ;
  • Par contre tout commerce sexuel avec un (ou une) mineur(e) est considéré comme un crime.

La philosophie de ce texte était claire : il s'agissait en premier lieu de faire des relations sexuelles entre adultes consentants une affaire privée qui devait se dérouler dans un cadre privé et deuxièmement de protéger les mineurs (même consentants) de toute relation sexuelle. Ce tournant législatif napoléonien était un progrès dans la mesure où les pouvoirs publics n'avaient plus à s'intéresser aux conduites sexuelles des citoyens, alors que sous l'ancien régime la sodomie était considérée comme un crime et que toutes les conduites sexuelles étaient soumises au crible d'un moralisme directement inspiré du discours religieux.

Le cas du sergent Bertrand

C'est dans ce contexte qu'en 1849, un sergent de l'armée française, reconnu comme un bon sous-officier par ses supérieurs, est poursuivi par un tribunal militaire : il est entré nuitamment dans un cimetière, a forcé une tombe et a profané le cadavre tout récemment enterré d'une jeune fille. Le sergent était coutumier de ce type de comportement, il avait déjà profané d'autres tombes, il avait même mutilé certains cadavres et ses actes se terminaient par une éjaculation. Le sergent Bertrand reconnaît les faits et il est condamné (légèrement) pour violation de sépulture, c’est-à-dire un délit qui s'apparente à une violation de domicile, mais absolument pas, pour son comportement sexuel qui n'intéresse quasiment pas les juges.

Un psychiatre de l'époque, le docteur Lunier, s'élève alors contre ce jugement dont la sentence avait été pourtant clémente. Il prétend que cette condamnation était injuste car le cas du sergent était du ressort de l'article 64 du code pénal de l'époque, c'est-à-dire l'article qui permet à un justiciable de ne pas être jugé si l'examen par un expert de ses facultés mentales conduit à le déclarer irresponsable. Pour le Dr Lunier, le sergent Bertrand devait être soigné et conduit à l'asile, pas en prison.

Pour Georges Lanteri Laura qui a retracé l'histoire de l'appropriation médicale des perversions, l'Examen d'un cas de monomanie instinctive du Dr Lunier marque un tournant dans l'attitude des médecins français. Alors que la loi excluait tout examen de la jouissance sexuelle de l'accusé (et donc de sa moralité sexuelle) la médecine voudrait introduire cette dimension. Et pour dire quoi ? Que l'accusé est aliéné et qu'il doit être conduit à l'asile. Car, pour la théorie médicale de l'époque, la monomanie instinctive est une forme d'aliénation mentale.

Un retour à l'ordre moral

Après la troisième Restauration, la Monarchie de Juillet (1830 -1848) était favorable à un retour du religieux. La médecine, par ses prétentions à arbitrer le sexuel, avait fourni aux pouvoirs publics un bon prétexte au retour du moralisme.

Pour le Christianisme, la justification du fait sexuel est la reproduction de l'espèce dans le cadre du sacrement du mariage. La recherche du plaisir seule n'est pas une justification. Dans le cadre du mariage, il est parfaitement légitime que les époux entretiennent des relations. C'est même souhaité, puisque le mariage n'est valide (réf???) qu'après que les époux ont fait l'amour au moins une fois (consommation du mariage). Ceci a des conséquences très précises pour la morale religieuse : l'acte sexuel principal est la pénétration vaginale entre époux; la finalité en est l'éjaculation dans le vagin. Si des préliminaires se déroulent avant, elles doivent conduire à cela.

La médecine se situait également comme une rivale du pouvoir religieux. Elle va donc bénéficier de la bienveillance du pouvoir politique sans pour autant reprendre les termes du discours religieux. Le discours médical s'intéressait aux comportements sexuels considérés comme déviants pour tenter de montrer qu'il s'agissait de formes partielles d'aliénations mentales.

C'est au milieu du XIXe siècle, dans le Littré, que pour la première fois, la notion de perversion est associée aux mœurs sexuelles :

« Perversion. Changement de bien en mal. La perversion des mœurs. Trouble, dérangement. Il y a perversion de l'appétit dans le pica, de la vue dans la diplopie. ».

Quelque temps plus tard, cette définition est reprise telle quelle, dans ce qui est considéré comme le Littré médical, en y ajoutant toutefois un nouvel élément : « Perversion morale des instincts, V. Folie héréditaire. » (E. Littré et Ch. Robin).

De la perversion morale des instincts, on passera avec Valentin Magnan à la perversion sexuelle qui s'imposera dans la langue française alors qu'en langue anglaise la notion d'aberration prévaudra. En allemand, deux expressions se feront concurrence :

  • sexuelle Abirrungen (aberrations sexuelles) qui sera employé par Freud ;
  • Anomalien des Geschlechtstriebes (anomalies de l'instinct sexuel) qui sera utilisé par Krafft-Ebing.

Typologie médicale des déviations sexuelles au XIXe siècle

Magnan ne s'est pas attaché à étudier les perversions une à une. Cette étude n'avait aucun intérêt pour lui puisque les perversions ne pouvaient s'expliquer, dans sa perspective positiviste que par une anomalie du système nerveux central. Pour lui la vie sexuelle est définie par un modèle anatomo-physiologique : certains individus s'éloignent de ce modèle pour parvenir à l'orgasme. Ce détour qu'ils empruntent par rapport au modèle anatomo-physiologique serait donc l'expression d'une disharmonie du système nerveux.

Cette description absolument exempte de préoccupations morales va cependant aboutir à un classement des pervers en deux groupes radicalement opposés :

  1. Les sujets instruits, reconnus socialement, ayant des responsabilités professionnelles et dont la perversion est ignorée de leur entourage, sont considérés comme des hommes honorables, mais dont la conduite sexuelle détonne et pour tout dire apparaît comme une anomalie dans leur personnalité. Eux-mêmes reconnaissent comme une anomalie leurs penchants, ils les déplorent parfois et l'homme de science s'étonne de leur comportement sexuel. Il s'agit des bons pervers. On trouve dans cette catégorie les exhibitionnistes ou les homosexuels de la bonne société.
  2. Chez les personnes mal insérées socialement, instables professionnellement et au mode de vie socialement réprouvé, les conduites perverses sont décrites comme agressives, cruelles, elles suscitent non pas l'étonnement mais la répulsion. Ils refusent d'admettre l'anomalie qui est la leur. Ce groupe renvoie, selon Lanteri-Laura « à la notion de perversité, et tous ces traits de caractère viennent des anciennes notions de folie morale et de moral insanity. ». C'est de cette catégorie que Magnan fera dériver la notion de dégénérescence.

Usage psychanalytique de la notion de perversion

En ce qui concerne les conduites sexuelles Sigmund Freud se situe à la fois dans la continuité et dans la rupture par rapport au discours médical de son époque.

Les « aberrations sexuelles » selon Sigmund Freud

Les trois essais sur la théorie de la sexualité commencent par un premier essai intitulé les aberrations sexuelles dans lequel Freud passe en revue l'ensemble de ce qui semble déroger avec les représentations que l'opinion commune se fait de la sexualité c’est-à-dire « une attraction irrésistible exercée par l'un des sexes sur l'autre » et dont le « but serait l'union sexuelle, ou du moins un ensemble d'actes qui tendent à ce but. » Freud ne s'attarde pas à décrire ces aberrations sexuelles, il reprend en les survolant les descriptions de Krafft-Ebing, Havelock Ellis, Albert Moll, J. Bloch et bien d'autres. Il peut alors se consacrer à ce qui lui importe : les mécanismes psychiques à l'œuvre dans la sexualité.

Freud apporte à la clinique des aberrations sexuelles une description que l'on pourrait qualifier de structuraliste s'il ne s'agissait pas, en l'occurrence, d'un anachronisme. Au lieu d'opposer les vices aux maladies comme certains de ses prédécesseurs ou la normalité à l'anormalité, Freud fait des aberrations sexuelles un tableau clinique descriptif fondé sur ce qui, en français, est traduit par objet et but. Cette définition va de pair avec celle de la pulsion, qui est une énergie corporelle ayant une source, un objet, un but, et une poussée, c'est-à-dire que le désir s'enracine dans le corps, qu'il vise quelqu'un (ou quelque chose), qu'il se fixe un objectif à propos de ce dernier, et qu'il y tend avec une certaine force.

Dans le paradigme de Freud, « objet » désigne une représentation au sein d'une réalité psychique, donc une pensée d'un « sujet » qu'il faut ici entendre sujet au sens racinien du terme, souligne Georges Lanteri Laura. « But » doit s'entendre comme « visée » des deux partenaires sexuels, en l'occurrence le plaisir (et non finalité au sens de la normalité, par exemple la procréation).

Ainsi, la perversion peut être déviation au sens de :

  • changement d'objet, par ex. dans la pédosexualité, la zoosexualité, la nécrosexualité ;
  • changement de but, par ex. regarder dans le voyeurisme, ou être regardé dans l'exhibitionnisme ;
  • changement de zone érogène, par exemple dans le fétichisme ;
  • enfin, la perversion peut signifier la nécessité de conditions particulières afin d'atteindre la satisfaction sexuelle.

Ces conditions correspondent à des retours à des positions psychiques ayant été vécues dans l'infantile du sujet

À partir de ces deux critères que sont le but et l'objet Freud établit une description combinatoire que Lanteri-Laura a résumé par le tableau suivant :

Non-malades vs malades Non-pervers vs pervers Résultats
+ + normaux
+ - pervers non-malades
- + névrosés
- - pervers malades

Dans cette description Freud veut montrer que la perversion n'est pas un mécanisme qui se situe à part de la vie sexuelle, elle en fait partie intégralement. Ce n'est que dans certains cas, quand il y a « exclusivité et fixation que nous sommes justifiés en général de considérer la perversion comme un symptôme morbide. »

L'intérêt de la description freudienne c'est qu'il déplace le centre d'intérêt sur l'étude des perversions sexuelles. Au lieu de s'attacher à l'étiologie (hérédité, prédisposition, dégénérescence, circonstances biographiques) ou à une opposition normalité vs anormalité, il s'intéresse aux mécanismes et permet de poser les bases d'une véritable étude psychopathologique de ce domaine.

L'enfant et la sexualité

C'est surtout le deuxième des Trois essais sur la théorie de la sexualité qui fut remarqué à l'époque de sa publication (les détails de ce texte sont exposés dans l'article sexualité infantile). Rappelons simplement que Freud veut montrer que la vie psychique commence dès la naissance, par la création d'espaces au-delà de la satisfaction des besoins physiologiques, mais en s'appuyant sur ceux-ci. Chacun de ces espaces ou zone érogène se crée par le sujet lui-même, en instituant une partie de son propre corps comme "objet érotique", alors que parallèlement il s'abandonne probablement à une remémoration de la satisfaction éprouvée pendant la satisfaction physiologique du besoin organique. Par exemple, le nourrisson, après la tétée continue à suçoter alors qu'il n'a plus faim et pendant ce suçotement, qui est un acte réflexe, il investit une partie de son corps propre (pouce, doigt de pied, mèche de cheveux) ou un substitut (drap, etc.). Il s'agit selon Freud d'une action auto-érotique pendant laquelle il réactive le plaisir de la satisfaction de la tétée. Pendant ce temps, qui n'est pas dépendant de la satisfaction physiologique, s'établit l'embryon de l'espace désirant et fantasmatique.

Dans ce sens, Freud caractérise l'enfant de pervers polymorphe pour exprimer qu'il découvre son corps et le monde autour de lui à travers ses pulsions partielles. Il veut simplement rappeler que nous sommes tous passés par une étape première dans notre vie sexuelle (d'abord non génitale puis génitale) où la satisfaction de chacune des zones érogènes a prévalu pour elle-même. Pour l'enfant, cette découverte est saine car elle accompagne le passage d'un stade à l'autre. En revanche, s'il n'est plus transitoire et occasionnel,ce mécanisme est considéré comme un mode relationnel pathologique.

L'être humain expérimente donc la vie pulsionnelle au travers de plusieurs zones érogènes. Progressivement, il accédera à une conscience de son unité corporelle mais il restera marqué par ce morcellement pulsionnel initial.

D'ailleurs, fait remarquer Freud, les préliminaires amoureux ne renvoient-ils pas aux satisfactions partielles chez l'être humain : le plaisir de regarder ou de montrer n'est-il pas une pulsion partielle ? Il en est de même des baisers, des caresses de tout ordre qui peuvent précéder l'acte génital.

La perversion comme issue possible de la "crise œdipienne"

Depuis 1895, Freud s'attachait à montrer qu'il existe en tout être humain une instance dont il n'est pas maître et qu'il appelle inconscient, que l'on peut considérer comme le principal moteur du psychisme. Ce moteur fait surgir chez le sujet humain des évocations, des représentations associées, des affects qui entrent en conflit avec l'éducation, c'est-à-dire les règles sociales formulées ou induites par l'entourage de tout enfant. À l'issue de la crise œdipienne, le sujet aura trois voies de résolution des conflits inconscients entre ses pulsions et l'éducation qu'il a reçue :

  • Les névroses, dont le mécanisme inconscient spécifique est le refoulement ;
  • Les psychoses, dont le mécanisme inconscient est la Verwerfung que Lacan traduira par forclusion.
  • Les perversions, dont le mécanisme inconscient est le déni, "Verleugnung".

Nous ne développerons que le déni qui est le mécanisme inconscient de la perversion. Il s'agit d'une fixation inconsciente au stade infantile, qui intervient au moment particulier où l'enfant prend réellement conscience de la différence des sexes, notamment en s'interrogeant sur les différences anatomiques qui distinguent les hommes des femmes. Alors que pour le petit enfant la puissance symbolique semblait incarnée par sa mère, il constate qu'elle n'est pas pourvue de l'organe viril, elle semble marquée d'une lacune, d'une absence. Pour certains enfants cette différence apparaît insupportable, ils s'orienteront vers le déni, c'est-à-dire un refus d'admettre cette différence.

Dès lors, la vie pulsionnelle du sujet orienté vers la perversion va fonctionner sur un clivage qui va affecter foncièrement sa vie :

  • Dans sa vie sociale le sujet pervers se comportera comme tout un chacun et il pourra même être reconnu comme un citoyen exemplaire ou brillant, ce Moi est réaliste et conscient ;
  • Dans sa vie sexuelle, en revanche, le pervers ne pourra atteindre la jouissance (ou atteindre ce qu'il considère comme une vraie jouissance) qu'à certaines conditions qui dépendent de la nature de sa perversion. Si ces conditions entrent en conflit avec les lois sociales, il sera tenté de les transgresser ; il s'agit là du Moi de la réalité psychique qui est subordonné au principe de plaisir.

Ainsi, le fétichiste sait parfaitement, dans sa vie sociale, que les femmes sont dépourvues de pénis mais, dans sa vie sexuelle, pour atteindre la jouissance, il doit se représenter une femme pourvue d'un fétiche qui vient symboliser la dimension phallique. Selon le type de fétichisme, il s'agira d'un fouet, d'un certain type de chaussures ou tout autre objet qui, à ses yeux, le renverra à une représentation de la femme pourvue d'un supplément phallique, qui viendrait compenser l'absence d'organe viril. Le fétiche est potentialisé par le regard et son aspect sécable lui confère sa valeur (c'est l'oscillation métaphoro-métonymique de Rosolato).

D'une façon différente, le travestisme est également une façon de dénier la différence sexuelle puisqu'il s'agit, dans le cadre de relations sexuelles, de jouir de la surprise que pourrait provoquer chez l'autre la découverte d'un sujet mâle pourvu des attributs féminins (par les vêtements) ou d'un sujet féminin pourvu (symboliquement) d'un sexe masculin.

Il ne s'agit pas ici de lister toutes les perversions, mais de rendre compte d'un mécanisme descriptif qui fonde une sémiologie, étape indispensable dans une démarche clinique. On voit bien que le point de vue freudien se veut non moraliste. Ce que Freud veut montrer c'est qu'il y a au cœur de toute sexualité l'embryon de ce que l'on appelle la perversion puisque, enfant avant la crise œdipienne, nous passons tous par la découverte des pulsions partielles et qu'adulte nous continuons à pratiquer ces pulsions partielles comme préliminaires au coït.

Pour Freud, la grande différence entre le pervers et le non pervers, c'est que le premier reste fixé dans son développement à la question de la non différenciation sexuelle et que, d'une certaine façon, il a besoin d'y croire pour jouir.

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