À l’époque, Internet permettait l’échange de données mais cet usage était privé. L’échange de fichiers protégés par droit d'auteur était possible entre universités et/ou entreprises mais insignifiant du fait des coûts de transmission trop élevés (Liaisons Spécialisées, Transfix, Transpac, Numéris), des médias trop volumineux et de leur faible variété. Même récupérés ils sont inexploitables car non transportables pour une utilisation privée. Toutefois, il existait déjà des échanges de disques et d'information sur support matériel. L’apparition du World Wide Web en 1989 avec ses pages HTML consultables par chacun dès 1991 ouvre la voie du téléchargement public de fichiers. En parallèle, la banalisation de l’Internet dans les foyers (au départ aux États-Unis puis en Europe) et des ordinateurs personnels multimédias (CD-ROM, carte son, vidéo) couplé à une augmentation des débits possibles sur modem RTC (14 kbit/s puis augmentation jusqu'à 56 kbit/s) offre dès 1994 un contexte technologique favorable à l’émergence du téléchargement de médias sur Internet. Des serveurs FTP publics sont utilisés pour partager des médias mais leur utilisation est réservée aux connaisseurs, trouver un média précis reste laborieux. Par ailleurs, les sites web proposant des fichiers et partage de produits culturels sans accord des ayant droits sont rapidement fermés.
L’augmentation des débits, la baisse des prix continue des offres des fournisseurs d’accès, des ordinateurs et des périphériques (multimédia, gravure, capacité de stockage en hausse) sont les facteurs technologiques et commerciaux qui permettent l’émergence en juin 1999 du premier logiciel utilisé à grande échelle : Napster. S’il est au départ créé dans une autre optique (son créateur, Shawn Fanning, un jeune étudiant américain de 18 ans, souhaitait pouvoir facilement échanger de la musique avec ses amis), il devient rapidement dédié au téléchargement de médias au format MP3 sur Internet en s'appuyant sur un moteur de recherche centralisé permettant le téléchargement de fichiers sans passer par ce serveur. Dès la première semaine, 15 000 personnes ont téléchargé le logiciel, puis 23 millions en juillet 2000.
La facilité d’utilisation de Napster (téléchargement / envoi / recherche de titres) et le fait qu’il ne soit pas réservé à des spécialistes lui assurent un succès rapide. L’augmentation fulgurante du nombre d’utilisateurs provoque une augmentation aussi considérable du nombre de chansons disponibles. Dès lors, le téléchargement "illégal" fait partie intégrante du phénomène Internet et les logiciels pair-à-pair deviennent les nouvelles applications à la mode.
Toutefois la « disponibilité temporelle » est encore faible, l'abonnement illimité n'ayant pas encore été créé, beaucoup d'utilisateurs payaient encore leur connexion Internet à la minute, ils ne laissent donc pas leur ordinateur personnel connecté en permanence, et ferment Napster dès qu’ils surfent (le débit est encore trop faible pour permettre d'utiliser les deux applications simultanément). Le comportement des utilisateurs est donc défini par des facteurs technologiques et financiers. Si à ce moment-là, techniquement le téléchargement de médias est performant dans les entreprises et universités, ce sont les foyers qui en sont les consommateurs et acteurs. Il y a décalage entre la technique et l’utilisation.
À cette époque, on assiste à l’émergence d’un comportement nouveau des internautes, qui va une fois de plus renforcer le téléchargement : le commerce illégal de CD gravés (les graveurs sont disponibles, mais les médias vierges et graveurs demeurent chers) qui par l’attrait du gain de la vente suscite un engouement pour la pratique et pousse de plus en plus d’utilisateurs à utiliser Napster et à s’équiper.
Déjà sous le coup d'attaques des majors de la musique et de divers artistes (Metallica et Dr. Dre entre autres), Napster est condamné à ne plus permettre l'échange de fichiers protégés par des droits à travers leurs serveurs. Pour des raisons juridiques, Napster sera définitivement fermé en 2002.
Dès 2001, tandis que les premières pressions juridiques pèsent sur Napster, les utilisateurs méfiants se replient sur KaZaA, un réseau de Sharman Networks, basé sur une architecture pair-à-pair décentralisée (les internautes sont reliés directement entre eux et non plus par l'intermédiaire de serveurs centralisés), ils sont donc plus à l’abri de la justice, le créateur se déchargeant des activités des utilisateurs. Il sera téléchargé à plus de 342 millions d'exemplaires, un véritable record de nombre de téléchargements pour un programme à l’époque. Lui aussi sera confronté à la justice, mais il pourra toutefois continuer son activité car seul le comportement fautif des utilisateurs est condamnable, et KaZaA n'en est pas responsable. Morpheus et Grokster, deux logiciels similaires, sont également jugés de la sorte (la société éditrice de ce dernier a toutefois été fermée par décision de justice américaine).
KaZaA, en comblant les lacunes techniques et la faiblesse juridique de Napster, s’assure un succès et une popularité tout aussi importants en séduisant les utilisateurs de ce dernier. La possibilité nouvelle de reprendre un téléchargement interrompu et le fait de pouvoir télécharger à partir de plusieurs sources un même fichier afin d'augmenter la vitesse (toujours couplée à une augmentation des débits – débuts du câble en France...) permettent de pallier les inconvénients de la disponibilité temporelle. KaZaA connaît une expansion importante lors de la sortie à moindre coût de forfaits illimités (World Online, OneTel puis première offre AOL illimitée en France en 2002, aux États-Unis dès 1999).
Ce facteur commercial provoque l’émergence de nouveaux comportements sur les réseaux pair-à-pair, les internautes laissant KaZaA fonctionner pendant qu’ils font autre chose (surfer par exemple), puis laissant dans un second temps leur ordinateur personnel connecté en permanence. On assiste donc à une augmentation de la disponibilité temporelle mais aussi quantitative des médias (ce qui allie la facilité d’utilisation de Napster et la diversité des médias propre jusqu'ici aux FTP).
En parallèle, le débit des connexions Internet augmente, par le câble puis grâce à l'ADSL (la technologie est disponible dès 2000, les offres publiques sont en place l’année suivante).
Dans un temps complémentaire, en 2003 la famille eDonkey2000 (et ses évolutions : eMule, Overnet) surpasse KaZaA et prend le relais dans les habitudes des utilisateurs. Grâce à l’expérience du pair-à-pair, les programmeurs qui utilisent ces systèmes développent la technique du fractionnement des fichiers (à peine un téléchargement (download) débuté, la partie récupérée est déjà disponible à l’envoi (upload)). Parallèlement à ces logiciels, une multitude d'autres permettent l'accès aux mêmes réseaux (Kazaa Lite, Bearshare, WinMX, LimeWire, Shareaza). Dans la lignée de Napster, ces logiciels offrent aux internautes des interfaces simples et utilisables par tous.
Du fait de la vitesse, de l’avancée technique et de l’étendue mondiale d'Internet, les œuvres sont disponibles dès leur sortie, voire avant la sortie officielle au cinéma, en Europe par exemple. La taille des fichiers disponibles augmente (750, 800 Mo) avec la réduction des risques d’échec de téléchargements, mise en place par divers mécanismes de contrôles d'intégrité (hash) et de récupération de fragments corrompus.
On assiste alors à un changement des mentalités de certains utilisateurs : si autrefois ils étaient plutôt consommateurs, ils se sentent de plus en plus acteurs et ont vocation à alimenter le réseau, à y être reconnus. Ils signent les fichiers mis à disposition avec leurs pseudonymes, et se regroupent en équipes (teams). Ces signatures deviennent un gage de qualité des fichiers pour les utilisateurs, les équipes y gagnent alors en prestige. Certains achètent des médias originaux pour avoir le bénéfice de les mettre en premier à disposition sur le réseau après en avoir retiré les éventuelles protections (Cracking ou craquage des logiciels).
L’augmentation des débits ADSL (128k au départ, 2048 kbit/s puis 5 à 8 Mbit/s) ainsi que le fractionnement des fichiers a renforcé la concurrence entre utilisateurs du réseau pour récupérer un même fichier. Des manipulations afin de maximiser le ratio réception/envoi deviennent plus fréquentes : modifications sur Napster ou blocage des ports d’envoi pour tromper KaZaA ou eMule. De plus, l’augmentation des téléchargements massifs (plusieurs dizaines de disques complets à la fois) aboutit à généraliser le comportement de connexion 24h/24 à Internet.
L’équipement en graveurs et ADSL augmentant (tout nouvel ordinateur personnel acheté en est équipé), et le prix des supports de données chutant, la disparition du commerce de disques gravés entre particuliers est pratiquement totale.
Laisser son ordinateur personnel allumé 24h/24 n’est même plus utile.
C'est donc avec de meilleurs moyens, un plus grand choix de médias, et une rapidité de téléchargement accrue que les internautes échangent des fichiers protégés par droit d'auteur.
Les syndicats regroupant les majors du disque et les majors du cinéma (RIAA et MPAA) devenus impuissants s’attaquent alors directement aux internautes.
En premier lieu, ce sont ceux qui font un commerce de médias récupérés au moyen de logiciels de pair-à-pair qui sont visés. Aujourd'hui, même de simples internautes « téléchargeurs » sont pris pour cible et sont censés servir d'exemples afin de décourager cette pratique (plus de 700 plaintes ont été déposées à travers six pays européens et 5 700 lancées aux États-Unis depuis mi-2003). Conséquence directe dans les foyers, certaines sources affirment que les chiffres du téléchargement illégal auraient baissé en peu de temps : baisse de 200 millions de fichiers musicaux disponibles entre 2003 et 2004.
Dans le cas de la France, cette course au « très haut débit » est permise par une conjoncture de facteurs commerciaux, techniques et politiques : le dégroupage.
Le 21 février 2006, à 10h, le serveur Razorback2, un indexeur de contenu du système ed2k a été saisi par la police fédérale belge.
Malgré tout, la relève est déjà prête pour les classiques comme KaZaA, et même pour les récents clones de eDonkey. La génération de GrabIt et Bittorent fait baisser depuis peu la fréquentation de leurs concurrents. On voit aussi l'apparition de systèmes pair-à-pair comme ANts qui fonctionnent sur un mode anonyme. Concrètement, les données voyagent d'utilisateur à utilisateur de façon totalement chiffrée.
Ce constat est renforcé par la dernière génération de logiciels représentée par Bittorent, Overnet et GrabIt (que certaines sources créditent pour 35% du trafic d'échange de fichiers sur le net). Ils optimisent au maximum la bande passante en envoi et réception. Ils ne sont pas des concurrents directs d’eMule car ils ne proposent pas une diversité de sources aussi importante. Ils ne misent pas sur la disponibilité temporelle (les œuvres sont accessibles quelques mois au plus) mais sur un débit maximal en flux continu. Ces nouvelles applications sont technologiquement plus avancées (partage de fichiers découpés donc moins lourds et plus rapides à télécharger).
On assiste à une augmentation de la taille de médias disponibles (plusieurs gigaoctets) du fait du flux presque continu entre les pairs du réseau. Les supports pouvant stocker ceux-ci se banalisent également : l'équipement des foyers en lecteurs/graveurs DVD, platines DVD et DivX de salon augmente. Le pair-à-pair ouvre et dynamise de nouveaux marchés : celui des baladeurs mp3, des autoradios mp3 où l’on branche une clé USB et enfin les baladeurs multimédias avec Windows media Center « embarqué ».
Les lois et procès apparus dès les années 2000 sur le pair-à-pair et la copie privée n'ont fait qu'accélérer l'évolution technique des systèmes pair-à-pair vers des systèmes revendiquant la sécurité des utilisateurs au travers d'un anonymat.
Une nouvelle génération est née : le P2P privé, chiffré et anonyme, baptisé abusivement P3P pour Peer-To-Peer de 3ème génération, en corrélation avec l'avènement de la 3G dans la téléphonie mobile. Les réseaux d'ami à ami font partie de cette nouvelle génération.
On trouve dans cette catégorie StealthNet, ANTs, Alliance, Share, WASTE, Freenet, GNUnet, MUTE, Grouper, TribalWeb, etc. Jusqu'en 2006, ces systèmes étaient peu usités par les adeptes du pair-à-pair, mais leur utilisation augmente, les internautes cherchant de nouveaux moyens de télécharger sans risquer de poursuites.
Cet engouement a entraîné une simplification de l'interface de ces logiciels, de plus en plus faciles à utiliser. Leur fonctionnement devient aussi simple qu'avec eMule. De nombreux forums de sites tels que Numerama (ex : Ratiatum) ou Clubic soutiennent cette expansion en promouvant ces logiciels ainsi qu'en apportant un soutien communautaire.
Quant aux logiciels autrefois attaqués en justice, ils se reconvertissent dans la vente légale de musique sur Internet (Napster, KaZaA), ce qui leur réussit très mal.
Les internautes sont parvenus à pirater ces versions afin de pouvoir continuer à télécharger, sur des systèmes a priori plus légitimes.
Les maisons de disques les plus importantes ont longtemps accusé les fournisseur d'accès à Internet de pousser à l'utilisation du pair-à-pair à cause de leur course au débit et de publicités qui vantaient les possibilités de téléchargement de musique et vidéos avant même la création d’offres légales en la matière afin d’attirer les clients. Au fil du temps, ces entreprises ont œuvré, procès après procès pour condamner cette activité. Du fait de la pression exercée par ceux-ci, on remarque qu’aucun des systèmes pair-à-pair ne perdure, exceptés ceux basés sur des protocoles ouverts.