Nombre réel - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Définitions axiomatiques de R et premières propriétés

On peut caractériser brièvement l'ensemble des nombres réels, que l'on note en général \mathbb R, par la phrase de David Hilbert : \mathbb R est le dernier corps commutatif archimédien et il est complet. « Dernier » signifie que tout corps commutatif archimédien est isomorphe à un sous-ensemble de \mathbb R. Ici « isomorphe » signifie intuitivement qu'il possède la même forme, ou se comporte exactement de la même manière, on peut donc, sans grande difficulté, dire qu'ils sont les mêmes.

Approche axiomatique

Une approche axiomatique consiste à caractériser un concept par une série de définitions. Ce point de vue, dont Hilbert est le précurseur dans son formalisme moderne, s'est révélé extrêmement fécond au XXe siècle. Des notions comme la topologie, la théorie de la mesure, ou les probabilités se définissent maintenant par une axiomatique. Une approche axiomatique suppose une compréhension parfaite de la structure en question et permet une démonstration des théorèmes uniquement à partir de ces définitions. C'est la raison pour laquelle de bonnes définitions peuvent en mathématiques s'avérer si puissantes. La définition axiomatique de \mathbb R ne montre néanmoins pas qu'un tel ensemble existe. Il apparaît alors nécessaire de construire cette structure.

La définition axiomatique est essentiellement donnée en introduction :

  • \mathbb R est l'unique corps totalement ordonné qui soit à la fois archimédien et complet.

Mais on trouve aussi d'autres définitions axiomatiques qui lui sont équivalentes. Ainsi :

  • \R est l'unique corps totalement ordonné qui satisfait l'axiome de la borne supérieure.
  • \R est l'unique corps totalement ordonné qui satisfait le lemme de Cousin.

L'existence et l'unicité d'un tel corps sont démontrées dans l'article Construction des nombres réels, ainsi que l'équivalence entre les deux premières définitions. On y montre de plus que ce corps est nécessairement commutatif, et que le sous-corps des rationnels y est dense.

  • L'unicité est à isomorphisme (unique) près, c'est-à-dire que si K est un corps totalement ordonné vérifiant les mêmes hypothèses, alors il existe un (unique) isomorphisme strictement croissant de K dans \R.
  • \mathbb R est un corps commutatif, autrement dit les deux opérations, addition et multiplication, possèdent toutes les propriétés usuelles, en particulier la somme et le produit de deux réels sont réels, ainsi que l'inverse d'un réel non nul. (L'adjectif commutatif signifie qu'un produit ab est toujours égal au produit ba.)
  • \mathbb R est un corps totalement ordonné . Cela signifie que tous les nombres peuvent être comparés entre eux (l'un est soit plus grand, soit plus petit, soit égal à l'autre) et que cette relation respecte l'addition et la multiplication. En langage mathématique on a:
    • \forall (a,b,c) \in \mathbb{R}^3 \quad a>b \;  \Rightarrow a+c>b+c\;;
      \forall (a,b) \in \mathbb{R}^2, \forall c \in \mathbb{R}_+^*\quad a>b \;  \Rightarrow a\times c>b\times c\;
  • L'axiome de la borne supérieure s'exprime de la manière suivante : si un ensemble A de réels est non vide et majoré, autrement dit s'il existe un nombre donné plus grand ou égal à chaque élément de A; alors A admet une borne supérieure, c'est-à-dire un majorant plus petit que tous les autres.

Ce dernier axiome différencie \mathbb R de tous les autres corps. Il existe en effet une infinité de corps commutatifs totalement ordonnés, mais seul \mathbb R satisfait l'axiome de la borne supérieure.

  • \mathbb R est archimédien. Cela signifie que si l'on considère un nombre a strictement positif, par exemple 2 et que l'on considère la suite a, 2a, 3a, ... C’est-à-dire dans notre exemple 2, 4, 6, ... alors on obtiendra dans la suite, des nombres aussi grands que l'on veut. En langage mathématique, cela s'écrit :
\forall (a,b) \in {\mathbb{R}_+^*}^2 \;\exists n \in \mathbb{N} \quad n\cdot a > b\;
  • \mathbb R est complet. C'est-à-dire que dans \R, toute suite de Cauchy converge.

Premières propriétés

Archimède, Domenico Fetti, 1620
Musée Alte Meister, Dresden, Allemagne

Cette section est essentiellement technique. Elle traite des propriétés essentielles et élémentaires pour un travail analytique sur \mathbb R.

La propriété suivante provient du fait que \R est archimédien.

  • Entre deux réels distincts, il existe toujours un rationnel et un irrationnel.

Les autres propriétés sont des conséquences de la propriété de la borne supérieure.

  • Tout ensemble non vide et minoré de \mathbb R admet une borne inférieure. (Cette propriété se déduit de l'axiome de la borne supérieure, par passage aux opposés.)
  • Toute suite croissante et majorée dans \mathbb R est convergente. (Voir l'article Théorème de la limite monotone.)
  • Toute suite décroissante et minorée dans \mathbb R est convergente. (De même, par passage aux opposés.)
  • Deux suites adjacentes convergent vers la même limite. On appelle suites adjacentes deux suites, l'une croissante, l'autre décroissante, dont la différence tend vers 0. (Voir l'article Théorème des suites adjacentes.)

Clôture algébrique

Il existe un ensemble de fonctions particulièrement intéressantes, les polynômes. Un polynôme peut parfois être factorisé. C'est-à-dire qu'il s'exprime sous la forme de produit de polynômes non constants de degrés plus petits. L'idéal étant que l'on puisse factoriser tout polynôme en facteurs de degré 1 (c'est-à-dire sous la forme ax+b\;). Cette propriété dépend du corps sur lequel on construit ces polynômes. Par exemple sur le corps des rationnels, quel que soit n entier supérieur ou égal à deux, il existe des polynômes de degré n irréductibles, c'est-à-dire que l'on ne peut pas les exprimer sous forme de produit de polynômes de degrés plus petits. Pour les nombres réels, on démontre que le plus grand degré d'un polynôme irréductible est égal à deux. En d'autres termes, si le polynôme ne se décompose pas, c'est qu'il est de la forme ax^2+bx+c\;. Les corps qui n'ont comme polynômes irréductibles que les polynômes de degré 1 sont dit algébriquement clos.

Si \mathbb R n'est pas algébriquement clos, on peut plonger ce corps dans un corps plus vaste. Il s'agit d'un nouveau corps, le corps des nombres complexes. Cependant ce corps n'est pas globalement « meilleur ». Sa clôture algébrique est une propriété fort intéressante, mais elle a un coût : le corps des complexes ne peut pas posséder de relation d'ordre compatible avec ses deux opérations. En quelque sorte, ce qui est gagné d'un côté est perdu d'un autre.

Topologie

La raison d'être des nombres réels est d'offrir un ensemble de nombres avec les bonnes propriétés permettant la construction de l'analyse. Deux approches utilisant deux concepts différents sont possibles.

  • On peut utiliser la notion d'espace métrique qui sur \mathbb R associe la distance usuelle. Cette distance, que l'on note ici d\;, était déjà utilisée par Euclide. Elle est définie de la manière suivante:
\forall (x,y)\in \mathbb{R}^2, d(x,y)=|y-x|\;
Ce concept est le plus intuitif et en général demande des démonstrations un peu plus naturelles. C'est souvent à partir de ce concept que les propriétés analytiques de \mathbb R sont développées et prouvées.
  • On peut aussi utiliser la théorie de la topologie. Cette théorie est plus générale que celle associée à la distance. Tout espace métrique est associé à un espace topologique. Mais la réciproque n'est pas vraie.

L'élégance favorise la base axiomatique la plus faible. Au XXe siècle un travail de reformulation générale des mathématiques est entrepris par l'association Bourbaki et se traduit par la rédaction d'un ouvrage appelé Éléments de mathématique. Cet ouvrage traite, de manière rigoureuse, d'une vaste partie des mathématiques actuelles. Pour cette raison, les Éléments développent et démontrent les propriétés de l'ensemble des réels à partir de la topologie. C'est le choix que nous suivrons ici.

Cardinalité

Combien y a-t-il de nombres réels ? Une infinité, mais laquelle ? Il existe plusieurs cardinaux infinis. Ici cardinal peut se comprendre naïvement comme le nombre d'éléments que contient un ensemble. Dans le cas où les ensembles ne sont pas finis, notre première intuition est trompeuse. Pour comprendre le piège, comparons le cardinal des nombres entiers positifs et des nombres pairs positifs. Notre premier réflexe est de dire que le cardinal des entiers positifs est plus grand car cet ensemble contient, non seulement les nombres pairs mais en plus les nombres impairs, donc deux fois plus de nombres. Puis on peut se dire que l'application qui, à un nombre entier positif, associe le double de ce nombre, montre une correspondance bijective, c'est-à-dire qui associe à chaque nombre de l'ensemble de départ un et un unique élément dans l'ensemble d'arrivée. Notre premier réflexe n'est pas le bon et ne permet pas de construire de théorie des cardinaux. Les deux cardinaux sont en fait égaux. En fait, l'ensemble des entiers positifs et l'ensemble des entiers pairs positifs (ou impairs positifs) correspondent à un même cardinal dit dénombrable. Autrement dit, il y a autant de nombres entiers positifs que de nombres pairs (ou impairs) positifs !

Qu'en est-il du cardinal des nombres rationnels ? Il semble infiniment plus grand que celui des entiers car entre deux entiers il existe une infinité de fractions. Cependant, il est encore possible d'établir une bijection entre l'ensemble des entiers et celui des fractions. La démonstration en est donnée dans l'article ensemble dénombrable.

Posons nous alors la même question pour l'ensemble \mathbb R. Son cardinal n'est pas dénombrable, il est supérieur à celui des nombres entiers. Le cardinal des nombres rationnels est noté \aleph_0\; et se prononce aleph-zéro . Celui des nombres réels est noté c\; ou 2^{\aleph_0}\; et il est appelé le cardinal du continu. D'où provient ce changement d'échelle de cardinal ? En fait, les rationnels et même les nombres algébriques ont toujours un cardinal dénombrable. L'ensemble des nombres réels possède le cardinal du continu. Ils sont donc infiniment plus nombreux que les nombres algébriques et donc que les nombres entiers. Georg Cantor, inventeur de l'argument de la diagonale, établit que tous les ensembles infinis n'ont pas la même taille (ne sont pas tous équipotents) et se pose la question de l'existence d'un cardinal strictement plus grand que celui des nombres rationnels et strictement plus petit que celui des nombres réels. Son hypothèse, appelée hypothèse du continu, est qu'un tel cardinal n'existe pas. La question des cardinaux a été englobée par Cantor dans une théorie plus vaste, la théorie des ensembles, qui sert maintenant de fondement à la majeur partie des mathématiques. La réponse à la question de l'hypothèse du continu est réellement étrange, il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour la trouver. Elle est indécidable dans la théorie des ensembles usuelle (ZFC). Cela signifie qu'il est aussi impossible de démontrer l'existence d'un tel ensemble, que de montrer que cet ensemble n'existe pas, si l'on ne modifie pas la base axiomatique utilisée.

Page générée en 4.840 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise