Musique en réseau - Définition

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Introduction

Un concert de musique en réseau ou de télémusique consiste en une ou des interactions en temps réel, en direct et à distance, assurées par un réseau informatique (et télématique) qui permet aux musiciens répartis dans différents lieux distants de jouer ensemble de la même manière que s'ils étaient dans le même espace et dans la même salle de concert. Les applications actuelles comprennent des performances ou concerts publics, des répétitions d'ensembles instrumentaux et d'orchestres, des sessions de musique improvisée et des sessions pédagogiques tels que des master-classes. Ce nouveau type de "scène" (« stage ») se développe donc autant dans la musique la plus actuelle (contemporaine, improvisée, électronique) et dans la musique classique (concerts, répétitions, concours internationaux, master-classes).

Les musiciens utilisent des connexions soient standards (Internet, ADSL), soient issues de l'informatique musicale (en combinant le langage MIDI, l'Ethernet et l'Internet), soient encore de très haut débit (ISDN et Internet2), ces dernières étant des connexions multiplex audio et video de haute fidélité. Le développement informatique de la musique en réseau a permis d'élaborer des outils logiciels de collaboration à distance et des logiciels spécifiques (tels que « Quintet.net » de Georg Hadju, et, au milieu des années 90, « ResRocket ») ou des ajoûts de fonctions à des logiciels existants la plupart modulaires (tels que Max/MSP et PureData). (Tout en ne prétendant pas se substituer) Lorsqu'elle ne se substitue pas au concert traditionnel (les musiciens et les auditeurs dans la même salle de concert), la musique en réseau correspond à un dispositif utilisé lorsque la co-présence des musiciens (et des auditeurs) est impossible. Dans ses aspects les plus avancés, la musique en réseau permet l'approche de nouvelles formes d'expression musicale. Le dispositif en réseau peut aussi intégrer des audiences à distance (public réparti) ou permettre des configurations dans lesquelles par exemple la direction d'orchestre est exécutée à distance.

Situation

Un instrumentarium ?

Les développements et la pratique de la musique en réseau sont animés par un débat en cours : l'objectif est-il de reproduire la configuration du concert tel que nous le connaissons et ainsi de plier les conditions techniques existantes afin de les optimiser et de supprimer les effets de distance et ceux résiduels de la téléprésence ? ou faut-il considérer que la distance et la répartition (des acteurs d'un concert), ainsi que les conditions techniques des flux (streaming), modifient les constituants musicaux, instrumentaux et compositionnels et permettent d'envisager de nouvelles formes musicales d'interprétation, de composition et de public ? Ce même type de question avait été posé lors de l'apparition des instruments électroniques comme par exemple avec les synthétiseurs : devaient-ils simplement reproduire les instruments classiques (voire les remplacer) ou devenir des instruments à part entière avec leur propre registre, facture, répertoire et palette sonore et ainsi solliciter des modes et formes nouveaux d'écriture et de composition ?

La musique en réseau (ou télémusique) peut apparaître moins comme l'identification d'un genre musical en tant que tel (c’est-à-dire s’appuyant sur son propre langage et créant ses propres codes) qu’une mise à jour des conditions musicales — i.e. un renouvellement des conditions de la musique et de celles de faire de la musique —. Ou alors, hypothèse corollaire, faudrait-il l’apparenter aux autres instrumentariums et auditoriums (tels que la musique de chambre, la musique électroacoustique, etc.), et aux dispositifs qu’ils constituent respectivement pour produire et représenter de la musique ; chacun de ceux-ci présentant aussi des variations de conditions qui leur sont propres ou qui interagissent entre eux, et qui retracent des généalogies : historiques, techniques, d’écoute, etc.

Ces investigations prolongent les réflexions visionnaires d'Edgard Varèse lorsqu'il énonçait en 1917 : « Il faut que notre alphabet musical s'enrichisse. Nous avons aussi terriblement besoin de nouveaux instruments. [...] Les nouveaux instruments ne doivent être après tout, que des moyens temporaires d'expression. Les musiciens doivent aborder cette question avec le plus grand sérieux, aidés par des ingénieurs spécialisés. J'ai toujours senti dans mon œuvre personnelle, le besoin de nouveaux moyens d'expression. Je refuse de ne me soumettre qu'à des sons déjà entendus. Ce que je recherche, ce sont de nouveaux moyens techniques qui puissent se prêter à n'importe quelle expression de la pensée et la soutenir. »; ou encore dans un écrit ultérieur de 1936 : « Moreover, the new musical apparatus I envisage, able to emit sounds of any number of frequencies, will extend the limits of the lowest and highest registers, hence new organizations of the vertical resultants: chords, their arrangements, their spacings, that is, their oxygenation. [...] I am sure that the time will come when the composer, after he has graphically realized his score, will see this score automatically put on a machine which will faithfully transmit the musical content to the listener.»

L'attention et la conscience inter-active

Les conditions d'un système de musique en réseau participent aux questions actuelles à propos des interactions à distance médiatées par les réseaux électroniques, dont notamment celles concernant les communications inter-individuelles. Selon Gutwin et Greenberg, les notions de perception, d'attention et de conscience (sensible) dans une situation face-à-face, notamment dans les configurations d'échanges, de conversation et de collaboration de travail, font partie intégrante de la communication conséquentielle, de l'alimentation de la conversation inter-individuelle et de la communication intentionnelle (ce que nous pourrions appeler la distinction entre destinataire et destinateur, c'est-à-dire toutes les conventions d'adresse et d'adressage). La configuration d'un concert traditionnel est un exemple de couplage serré et de collaboration synergétique dans lesquels les participants acquièrent un degré élevé d'attention et de conscience collective. Alfred Schütz dans son article « Faire de la musique ensemble » a relevé cet aspect de la relation sociale qui est particulière à la situation musicale; nous pourrions aussi nous reporter à des ouvrages plus anciens tels que « Comment Écouter » (« Peri tou akouein ») de Plutarque, et quelques extraits des Livres I et III des « Essais » de Montaigne dont « la parole est à moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l'écoute ». Les gestes, expressions faciales et mouvements corporels des musiciens partenaires, tout autant que les sons émis par leurs instruments sont des indices signifiants et intentionnels pour les autres musiciens. D'autres recherches indiquent que les musiciens sont aussi très sensible à la réponse (feedback) acoustique de l'environnement dans lequel ils jouent. Idéalement, un dispositif de musique en réseau devrait faciliter un haut degré d'attention individuelle et collective similaire à celui dont les instrumentistes font l'expérience dans une configuration de concert traditionnel.

La syntonie

Dans son article « Faire de la musique ensemble » (1951) Alfred Schütz analyse la situation musicale constituée d’un groupe d’interprètes et d’auditeurs ensemble, s’orientant les uns les autres à partir d’indices et de réactions d’interprétation au long d’un temps musical (ce qu'il appelle la « syntonie ») : « Chaque action de chaque interprète s’oriente non seulement selon la pensée du compositeur et sa relation au public mais, aussi, de façon réciproque, selon les expériences dans les temps externe et interne des autres interprètes ; [...] [c]hacun d’eux doit, par conséquent, prendre en compte ce que l’Autre doit interpréter simultanément. [...] Tout musicien de chambre sait à quel point une disposition qui les empêche de se voir peut être dérangeante ».

Ces situations de syntonie basées sur les éléments phatiques et de prosodie musicale dans la télémusique dans laquelle les musiciens sont acousmates, sont essentielles pour les concerts en réseau de musique improvisée expérimentale (c'est-à-dire sans partition ni direction des musiciens) tels qu'ils se développent aujourd'hui (nomusic.org, Le Placard, Sobralasolas !, etc.). Dans ces cadres d’improvisation voire de co-composition, les musiciens construisent des configurations spécifiques qui leur permettent de se syntoniser, d'engager des et de suivre une conduite commune aussi minimale soit-elle (pour, par exemple, la gestion du début et de la fin d'un set), en plus du suivi effectué par l'écoute : par exemple, en utilisant une interface textuelle de communication (de type IRC, « chat »), ou une communication visuelle (de type « Skype »), ou encore en proposant que le point d'émission à domicile (« at home ») de chaque musicien lorsque ceux-ci sont tous répartis, soit le lieu d'accueil d'un public local. Ainsi il y a autant de lieux d'émission que de lieux de réception publique, le public étant distribué. Une dernière proposition est d'ouvrir à un public internaute (disséminé, pouvant écouter chez eux) en mettant à disposition sur les réseaux l'accès à l'écoute du stream général de la performance collective.

Il s'agit d'explorer les conditions des ensembles instrumentaux distribués et des systèmes de jeux et d’écriture qu’elles engagent vis-à-vis d’un dispositif initial issu des formes concertantes et performatives : les places du public, de l’audience, de l’auditeur et des musiciens s’ajustent sur cette question de participation et de syntonie. C'est l'enjeu, aujourd’hui, de plusieurs projets d’œuvres et de composition musicales en réseau sont menés par les compositeurs. Durant les années 80, le collectif The Hub pratiquait également lors de concerts ce type d’improvisation informatique sur une configuration en réseau à laquelle les performeurs sur scène étaient tous reliés, interagissant les uns les autres ; nous pouvons aussi nous référer aux improvisations électroniques qui se sont développées antérieurement à cette date (David Tudor, John Cage, AMM, Karlheinz Stockhausen, etc.), même si ces structures de participation peuvent sembler plus éloignées.

L'écoute et le direct

La composition peut s'emparer aujourd'hui de cette question fondamentale, après que celle-ci a traversé successivement dans l'Histoire de la musique, l'interprétation instrumentale (comme moyen d'éclairer et de moduler plus ou moins une œuvre écrite, ou allographique), les pratiques d'arrangement de musiques existantes et le développement des supports d'écoute qui sont devenus jouables (Djs, iPod battles, etc.). Les moyens de l'écoute s'étant multipliés à partir des techniques d'enregistrement et des télécommunications, il est possible d'écouter à présent chez soi, à domicile, ou encore de manière ambulatoire (radio, walkman, lecteurs mp3, téléphones mobiles) des musiques enregistrées en différé que nous pouvons reproduire à l'infini (et ceci depuis le début du XXième siècle). Il est possible d'envisager avec la musique en réseau ce qui serait une extension des pratiques en direct avec la radio (duplex, full duplex), des musiques jouées en direct simultanément à distance grâce aux techniques de streaming et composées spécialement pour ce medium. La musique en réseau poursuit donc l'aventure de la musique diffusée (par la radio, et ensuite celle composée « pour » la radio) en intégrant dans son dispositif de réalisation (ou d'exécution) et de composition les conditions du direct et de la présence simultanée à distance (« hic et nunc », « illic et simul »).

Il semble important de ne pas ignorer également l’intervention interprétative de l’auditeur / internaute en tant qu’acte créatif et interprétatif, et par là, de souligner que son auteur/auditeur devient un créateur en droit. il participe lui-même activement à la transformation de la musique en une expérience « environnementale » d’un genre nouveau, qui est proprement une expérience esthétique, engagée au-delà de la simple manipulation des cadrans et des boutons (G. Gould) et du pilotage (C. Kihm) de machines d'écoute ou de fonctions pré-programmés de logiciels.

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