Mécanique de la rupture - Définition

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Introduction

La mécanique de la rupture tend à définir une propriété du matériau qui peut se traduire par sa résistance à la rupture fragile (fracture). Car si, en règle générale, les structures sont calculées pour que les contraintes nominales ne dépassent pas la limite d'élasticité du matériau et soient donc, par voie de conséquence, à l'abri de la ruine par rupture de type ductile, une ruine par rupture de type fragile peut survenir sur une fissure soit préexistante soit créée par la fatigue (Catastrophe ferroviaire de Meudon).

Mode de rupture fragile

Le mode de rupture de type fragile peut survenir quand les sollicitations ont lieu dans les circonstances suivantes :

  • Basses températures,
  • Grandes vitesses de chargement, et
  • Défauts préexistants ou créés pendant le service.

Les ruptures brutales dont il s'agit peuvent être classées en deux catégories :

  • Les ruptures fragiles liées à l'absence de ductilité du matériau sollicité sous une certaine température (Température minimum admissible) comme par exemple les aciers doux, et
  • Les ruptures ductiles sans prévenir, c'est-à-dire à très faible déformation plastique. Ce peut être le cas pour des matériaux à haute limite d'élasticité où il n'existe pas de dépendance très nette entre la ténacité et la température c'est-à-dire où la rupture en charge est liée à la propagation quasi instantanée d'une fissure à partir d'un défaut préexistant.

Les essais classiques de ténacité (essais de résilience par exemple) ne permettent pas de définir une grandeur susceptible de prendre en compte le phénomène de rupture de type fragile dans les calculs.

Ce qui suit explique le concept de résistance ou d'endurance à la fracture ainsi que les paramètres auxquels il est assujettie comme la température, le taux de déformation, la concentration de contraintes ou encore le niveau de contrainte.

Des méthodes d'examens et d'essais mis à disposition des concepteurs pour apprécier l'aptitude à la rupture fragile sont présentées ainsi qu'une approche de la mécanique linéaire élastique de rupture.

Dans la conception de structures en matériaux ductiles, l'aptitude à résister à la charge de manière sécurisée est basée sur l'analyse des contraintes de façon à assurer que la contrainte nominale reste confinée dans le domaine élastique du matériau. Des ruptures qui surviennent à l'intérieur de ce domaine élastique (en deça de la limite d'élasticité du matériau) sont classées comme ruptures fragiles. Ces ruptures peuvent s'initier à partir de petits défauts de continuité au sein du matériau (inclusions intermétalliques par exemple) ou de défauts de type fissure qui n'altèrent pas grandement la distribution de la contrainte nominale et qui ne sont habituellement pas pris en considération dans l'analyse de contrainte.

Pour un taux de chargement très élevé, une discontinuité peut fortement diminuer la bonne ductilité du matériau prédite par un essai de traction satisfaisant réalisé sur éprouvettes usinées (sans défaut de surface et aux contours arrondis) et provoquer la ruine de la structure par rupture fragile. C'est ce mode de rupture qui est à l'origine du tragique accident survenu à la plateforme pentagone Alexander Kielland.

Il devient par conséquent évident qu'une conception saine doit bannir toutes les discontinuités(singularités), ce qui reste difficile en construction soudée.

Pour beaucoup de structures traditionnelles comme les bateaux, les ponts et les équipements sous pression; l'expérience de la conception, des matériaux et des modes de fabrication ont permis d'établir une corrélation satisfaisante, pour le matériau, entre réussite à l'essai de flexion par choc standard sur éprouvette entaillée et bonne tenue en service.

Dans le domaine aéronautique, l'analyse de fatigue permet souvent de prévoir la durée de vie à l'amorçage des fissures. On utilise donc la phase de propagation de fissure pour réaliser des inspections en prévention de la rupture dont les intervalles sont définis par la mécanique de la rupture.


Une des motivations en faveur de l'application des concepts de la mécanique de la rupture et des essais à réaliser sur joints soudés est d'être en mesure de se prémunir, dès la phase de conception, des effets produits par les discontinuités présentes dans les soudures. Il est largement reconnu que les joints soudés comportent toujours un certain nombre de discontinuités, ce qui place le concepteur devant un dilemme. Le concepteur souhaitera toujours utiliser des joints soudés exempts de discontinuités, ce qui n'est absolument pas réaliste.

L'approche pratique consiste à reconnaître la présence de ces discontinuités au sein des soudures et de déterminer une taille critique à partir de laquelle une discontinuité devient préjudiciable, autrement dit à partir de laquelle il faut les rechercher et les éliminer. Mais comment décider à partir de quelle dimension critique une discontinuité a toutes les probabilités de devenir préjudiciable ?

Étant donné que la méthode conventionnelle d'essai de flexion par choc n'est plus appropriée les méthodes d'essais issues de la mécanique de la rupture (essais de fracture), lorsqu'ils sont applicables, peuvent contribuer à établir une corrélation entre taille critique d'une discontinuité et contrainte de rupture pour un matériau ou une soudure donné et donc permettre une estimation directe de la taille des défauts acceptables pour différentes configurations et conditions de fonctionnement. Cependant, l'évolution permanente des matériaux (matériaux à haute limite d'élasticité), les conceptions de plus en plus complexe et les nouvelles technologies de soudage font que les ingénieries ne peuvent pas avoir le recul nécessaire sur le comportement de ces nouvelles conceptions et les contraintes attendues pas forcément attestées. En conséquence il y aura toujours une grande nécessité, pour le concepteur, à traiter de manière analytique le problème des discontinuités.

Modes de rupture

figure 1. Illustration des trois modes de rupture.

Il existe trois façons d'appliquer une force pour permettre à une fissure de se propager:

  • Mode I - Une contrainte de traction normale au plan de fissure,
  • Mode II - Une contrainte de cisaillement agissant parallèlement au plan de la fissure et perpendiculaire au front de fissure, et
  • Mode III - Une contrainte de cisaillement agissant parallèlement au plan de la fissure et parallèlement au front de fissure.

De manière générale, une fissure se propage dans un matériau sous une combinaison de contraintes dans les trois modes.

L'idée de Griffith

figure 2. Fissure débouchante dans une éprouvette chargée en mode I.

La mécanique de la rupture a été inventée pendant la Première Guerre mondiale par l'ingénieur aéronautique anglais, A. A. Griffith, pour expliquer la rupture des matériaux fragiles. Le travail de Griffith a été motivé par deux faits contradictoires:

  • La contrainte nécessaire pour rompre un verre courant est d'environ 100 MPa, et
  • La contrainte théorique nécessaire à la rupture de liaisons atomiques est d'environ 10 000 MPa.

Une théorie était nécessaire pour concilier ces observations contradictoires. En outre, les expérimentations sur les fibres de verre que Griffith lui-même a mené suggèrent que la contrainte de rupture augmente d'autant plus que le diamètre des fibres est petit. Par conséquent il en déduit que le paramètre de résistance uniaxiale à la rupture Rr, utilisé jusqu'alors pour prédire les modes de défaillance dans le calcul des structures, ne pourrait pas être une valeur indépendante des propriétés du matériau.

Griffith suggère que la faiblesse de la résistance à la rupture observée dans ses expériences, ainsi que la dépendance de l'intensité de cette résistance, étaient due à la présence de défauts microscopiques préexistant dans le matériau courant.

Pour vérifier l'hypothèse de défauts préexistants, Griffith a introduit une discontinuité artificielle dans ses échantillons expérimentaux. La discontinuité artificielle était une forme de fissure débouchante plus importante que les autres discontinuités supposées préexistantes dans l'échantillon.

Les expériences ont montré que le produit de la racine carrée de la longueur de défauts (a) et la contrainte à la rupture (σf) était à peu près constante, ce qui est exprimé par l'équation:

(1)  \qquad\sigma_f\sqrt{a} \approx C

Critère de Griffith : calcul simplifié

Si l'on suppose la présence d'une fissure de taille a dans un matériau sous traction (contrainte σ), le calcul de la valeur σf de la contrainte à partir de laquelle cette fissure grandit peut s'estimer simplement, cf. l'article Critère de Griffith.

L'explication de cette relation en termes de théorie de l'élasticité linéaire pose un problème de point singulier. En élasticité linéaire, la théorie prédit que la contrainte (et par conséquent l'effort) à l'extrémité d'une fissure dans un matériau idéalement élastique est infinie. Pour éviter ce problème, Griffith a développé une approche thermodynamique pour expliquer la relation qu'il a observée.

Le développement d'une fissure nécessite la création de deux nouvelles surfaces et donc une augmentation de l'énergie de surface. Griffith a trouvé une expression pour la constante C sur le plan de l'énergie de surface de la fissure en résolvant le problème de l'élasticité d'une fissure finie dans une plaque élastique. En bref, l'approche était la suivante:

  • Calculer l'énergie potentielle stockée dans un échantillon parfait sous une charge de traction uniaxiale,
  • Ajuster la contrainte de sorte que la charge appliquée ne déforme pas l'échantillon, puis introduction d'une fissure dans l'éprouvette. La fissure relaxe la contrainte et, par voie de conséquence, relaxe l'énergie élastique aux abord des faces de la fissure. D'autre part, de par son existence, la fissure augmente l'énergie de surface totale de l'échantillon.
  • Calculer la différence d'énergie libre (énergie de surface - énergie élastique) en fonction de la longueur de la fissure. La rupture se produit lorsque l'énergie libre atteint une valeur maximale pour une longueur critique de fissure, au-delà de laquelle l'énergie libre diminue du fait de la propagation de la fissure (augmentation de l'énergie de surface) c'est-à-dire de l'augmentation de la longueur de la fissure jusqu'à provoquer la rupture. Grâce à cette méthode, Griffith a constaté que
(2)  \qquad C = \sqrt{\cfrac{2E\gamma}{\pi a}}

où :

E est le module de Young du matériau, et
γ est la densité d'énergie de surface du matériau

avec E = 62 GPa and γ = 1 J/m2 ce qui donne un excellent modèle pour déterminer la contrainte de rupture prédite par Griffith pour un matériau fragile.

Apports de G. R. IRWIN

figure 3. Zone plastique aux abords du front de fissure dans un matériau ductile.

L'œuvre de Griffith a été largement ignorée par la communauté des ingénieurs jusqu'au début des années 1950. Les raisons semblent être que, pour les matériaux employés dans la réalisation des structures, le niveau réel d'énergie nécessaire pour causer la rupture est de plusieurs ordres de grandeur supérieur à l'énergie de surface correspondante et que, dans les matériaux de construction il y a toujours des déformations élastiques en fond de fissure ce qui rend l'hypothèse du milieu élastique linéaire avec contraintes infinie en pointe de la fissure tout à fait irréaliste F. Erdogan (2000).

La théorie de Griffith concorde parfaitement avec les données expérimentales sur des matériaux fragiles tels que le verre. Pour des matériaux ductiles tels que l'acier, bien que la relation  \sigma_y\sqrt{a} = C soit toujours valable, l'énergie de surface (γ) prédite par Griffith la théorie est souvent irréaliste. Un groupe de travail dirigé par G. R. Irwin à l'US Naval Research Laboratory (NRL), constitué durant la Seconde Guerre mondiale, a réalisé que la plasticité doit jouer un rôle important dans la rupture des matériaux ductiles.

Dans les matériaux ductiles (et même dans des matériaux qui semblent être fragiles), une zone plastique se développe en front de fissure. L'augmentation de la dimension de la zone plastique est fonction de l'augmentation de la charge jusqu'à ce que la fissure se propage libérant les contraintes en arrière du fond de fissure. Le cycle de chargement/libération de chargement plastique aux abords du front de fissure conduit à la dissipation d'énergie comme le ferait un traitement thermique de relaxation de contrainte. Par conséquent, un terme dissipatif doit être ajoutée à la relation de l'équilibre énergétique tel qu'élaboré par Griffith pour les matériaux cassants. En termes physiques, de l'énergie supplémentaire est nécessaire pour que la propagation des fissures se produise dans les matériaux ductiles si on les compare aux matériaux fragiles.

La stratégie d'Irwin était de partitionner l'énergie :

  • L'énergie stockée en déformation élastique (effet ressort) qui se libère lors de la propagation d'une fissure. Telle est la force motrice thermodynamique de rupture.
  • L'énergie dissipée qui comprend la dissipation plastique et l'énergie de surface (et toutes les autres forces dissipatives qui peuvent être au travail). L'énergie thermodynamique dissipée fournit une résistance à la rupture. L'énergie totale dissipée est donnée par :
(3)  \qquad G = 2\gamma + G_p

γ est l'énergie de surface et Gp est la dissipation plastique (ainsi que la dissipation provenant d'autres sources) par unité de surface de la fissure.

La version modifiée du critère énergétique de Griffith peut alors être écrite comme :

(4)  \qquad \sigma_f = \sqrt{\cfrac{E~G}{\pi a}}.
  • Pour un matériau fragile comme le verre par exemple, le terme d'énergie de surface domine et G \approx 2\gamma = 2 \,\, J/m^2.
  • Pour un matériau ductile comme l'acier par exemple, le terme de dissipation plastique domine et G \approx G_p = 1000 \,\, J/m^2.
  • Pour les plastiques polymères proche de la température de transition de phase de vitrification , nous avons une valeur intermédiaire de G \approx 2-1000  \,\, J/m^2.

Facteur d'intensité de contrainte

figure 4. Champ de contraintes aux abords du front de fissure.

Une autre réalisation importante du groupe de travail a été de trouver une méthode de calcul de la quantité d'énergie disponible pour une fracture au niveau de la contrainte asymptotique et les champs de déplacement autour d'un front de fissure dans un solide idéalement élastique, dans le cas d'un chargement en mode I.

(5)  \qquad \sigma_{xy} \approx \left(\cfrac{K_1}{\sqrt{2\pi r}}\right)~f_{xy}(\theta)

avec « r » représentant la distance au front de fissure.

(6)  \qquad \sigma_x \approx \left(\cfrac{K_1}{\sqrt{2\pi r}}\right)~ \cos \cfrac{\theta}{2} [1 - \sin \cfrac{\theta}{2} \sin \cfrac{3 \theta}{2}]
(7)  \qquad \sigma_y \approx \left(\cfrac{K_1}{\sqrt{2\pi r}}\right)~ \cos \cfrac{\theta}{2} [1 + \sin \cfrac{\theta}{2} \sin \cfrac{3 \theta}{2}]
(8)  \qquad \tau_{xy} \approx \left(\cfrac{K_1}{\sqrt{2\pi r}}\right)~ \sin \cfrac{\theta}{2} \cos \cfrac{\theta}{2} \cos \cfrac{3 \theta}{2}

En déformation plane :

(9)  \qquad \sigma_z = \nu(\sigma_x + \sigma_y)

En contrainte plane

(10)  \qquad \sigma_z = 0


K1 est le seul paramètre fournissant une caractéristique du champ de contrainte existant aux abords du fond de fissure. C'est le facteur d'intensité de contrainte (en déformation plane). La valeur de K1 peut être calculée en analyse de contrainte en fond de fissure (à la pointe de la fissure). Des expression de K1 ont été déterminées pour un grand nombre de cas de chargement et de configuration de pièces. Toutes les expressions sont de la forme :

(11)  \qquad  K_1 = \alpha \sigma \sqrt{\pi a} en MPa  \sqrt{m}

avec

  • α facteur tenant compte de la géométrie de la fissure et de la répartition des contraintes.
  • σ contraintes dans le matériau normales au plan de fissure et en l'absence de celle-ci.

Au niveau de chargement produisant l'initiation d'une fissure correspond une valeur particulière de K1. Cette valeur particulière de K1 est désigné par le symbole K1c et c'est une propriété du matériau au même titre que la limite d'élasticité. Ces deux propriétés varient avec la température, la vitesse de chargement et la structure métallurgique.

K1c caractérise la résistance du matériau à la propagation de fissures.

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