Mandragore - Définition

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Introduction

Mandragore officinale
 Mandragore méditerranéenne (Riserva dello Zingaro, Sicile)
Classification de Cronquist
Règne Plantae
Division Magnoliophyta
Classe Magnoliopsida
Ordre Solanales
Famille Solanaceae
Genre Mandragora
Nom binominal
Mandragora officinarum
L., 1753
Classification APG III
Ordre Solanales
Famille Solanaceae

La mandragore (Mandragora officinarum) est une espèce de plante herbacée vivace, des pays du pourtour méditerranéen, appartenant à la famille des solanacées, voisine de la belladone. Cette plante, riche en alcaloïdes aux propriétés hallucinogènes, est entourée de nombreuses légendes, les Anciens lui attribuant des vertus magiques extraordinaires.

Nom

Nom scientifique

Dans la première édition de Species Plantarum en 1753, Linné ne reconnait qu'une espèce de mandragore qu'il nomme Mandragora officinarum. Mais dans des publications ultérieures (1759, 1762) , en raison de sa ressemblance avec la belladone (Atropa belladonna), il change d'avis et la dénomme Atropa mandragora. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les botanistes ont multiplié les descriptions de nouvelles espèces et sous-espèces du genre Mandragora. La tendance ne s'est inversée qu'après 1950 et a abouti en 1998, avec la révision du genre Mandragora proposée Ungricht et al., à un genre ne comprenant que trois espèces : la mandragore méditerranéenne (M. officinarum L.), la mandragore sino-himalayenne (M. caulescens C.B. Clarke) et une mandragore très localisée dans le Turkménistan Mandragora turcomanica Mizg.

Étymologie

Le terme français de "mandragore" vient du latin mandragoras tiré lui même du grec μανδραγόρας (mandragoras). Ces trois termes désignent la même plante dans ces différentes langues. L'étymologie du mot grec est obscure. Pour certains, le grec "mandragoras" viendrait du nom de la mandragore en assyrien "nam. tar. ira", morphologiquement "la drogue (mâle) de Namta", Namta étant un démon pestilentiel provoquant des maladies. Pour d'autres, l'origine viendrait du sanscrit mandros signifiant "sommeil" et agora signifiant "substance".

Synonymes

  • Voir aussi Wikispecies.
Atropa mandragora L., 1759, nom. illeg. Mandragora foemina Garsault, 1764.
Mandragora mas Garsault, 1764. Mandragora acaulis Gaertn., 1791.
Atropa humilis Salisb., 1796. Atropa acaulis Stokes, 1812.
Mandragora autumnalis Bertol., 1820. Mandragora vernalis Bertol., 1824.
Mandragora praecox Sweet, 1827. Mandragora neglecta G. Don ex Loudon, 1830.
Mandragora microcarpa Bertol., 1835. Mandragora haussknechtii Heldr. 1886.
Mandragora ×hybrida Hausskn. & Heldr. 1886. Mandragora hispanica Vierh. in Osterr. 1915.

La Mandragore dans la culture

Histoire des croyances

Mandragores mâle et femelle. Manuscrit Dioscurides neapolitanus, Biblioteca Nazionale di Napoli, début du VIIe siècle.

En raison de la forme vaguement humaine de sa racine et de ses composés alcaloïdes psychotropes, la mandragore a été associée depuis l'antiquité à des croyances et des rituels magiques.

Ancienne Égypte et Proche Orient

Une plante représentée sur le trône de Toutankhamon pourrait être une mandragore (Hepper 1990) mais cette plante n'étant pas indigène en Égypte, il aurait fallu qu'elle y soit cultivée.

Il existe aussi une longue tradition, remontant au Moyen Age consistant à identifier à la mandragore une plante citée dans la Bible, sous le nom de dudaim. Dans le trentième chapitre de la Genèse (compilée vers 440 av JC), il est fait mention d'une plante appelée dûda'îm dans le texte hébreu. Léa, la première épouse de Jacob, avait cessé d'enfanter. Ruben, leur fils aîné, rapporte à sa mère des dûda'îm. Rachel, sœur de Léa, seconde épouse et la préférée de Jacob, demande à sa sœur de les lui donner. Celle-ci n'accepte qu'en échange de passer la nuit avec Jacob, ce à quoi Rachel consent. Léa concevra cette nuit-là et donnera plus tard naissance à Issacar en disant: "Dieu m'a donné mon salaire" (Genèse 30:14-18).

Le terme de dûda'îm pose toujours le problème de sa traduction aux herméneutes.

Antiquité gréco-latine

Les médecins grecs prescrivaient la mandragore contre la mélancolie et la dépression. Hippocrate (460-380 av JC) conseillait "Au gens tristes, malades et qui veulent s'étrangler, faites prendre le matin en boisson la racine de mandragore à dose moindre qu'il n'en faudrait pour causer le délire" (VI, 329, n°39 trad Littré).

Théophraste (372-288 av JC) rapporte que la racine traite les maladies de peau et la goutte et que les feuilles sont efficaces pour soigner les blessures. Ses propriétés sédatives lui étaient aussi connues puisqu'il dit qu'elle est bonne pour le sommeil. (H.P. IX, 9,1).

Au premier siècle de notre ère, le médecin grec Dioscoride, en donne une description assez précise.

Pline l'Ancien, le naturaliste romain de la même époque, en donne une description très proche :

On a identifié l'espèce mâle ou blanche à Mandragora officinarum L. et l'espèce femelle ou noire à Mandragora automnalis Bertol., espèce qui maintenant n'est plus qu'une forme possible de M. officinarum L.

Dioscoride énumère de nombreuses maladies où la mandragore est d'un grand secours. Un verre d'une décoction obtenue en faisant réduire la racine dans du vin est utile « quand on ne peut dormir, ou pour amortir une douleur véhémente, ou bien avant de cautériser ou couper un membre, pour se garder de sentir la douleur ». La racine préparée avec du vinaigre guérit les inflammations de la peau, avec du miel ou de l'huile, elle est bonne contre les piqures de serpent, avec de l'eau, elle traite les écrouelles et les abcès. Le jus fait venir les menstrues et précipite l'accouchement. Prudemment, Dioscoride met en garde contre la toxicité de la plante "Toutefois, il faut se garder d'en boire trop, car il [le jus] ferait mourir la personne".

Pline nous signale aussi des indications proches de celles de Dioscoride. L'usage comme narcotique et analgésique revient toujours :

Théophraste signale aussi des propriétés aphrodisiaques (IX, 8, 8) et Dioscoride indique qu'elle servait à confectionner des philtres (M.M., IV, 75, 1).

A côté de ces observations très pertinentes (connaissant maintenant les composés actifs de la plante), on trouve dans les textes d'autres considérations très déconcertantes pour un homme moderne. Par exemple, Théophraste nous indique que lors de la cueillette il faut

.

Pour comprendre ces pratiques étranges nous devons faire une petite digression sur l'histoire des sciences hellènes. De nombreux textes sur les plantes qui nous sont parvenus de l'Antiquité étaient écrits par des philosophes, des naturalistes ou des médecins. Les naturalistes étudiaient les plantes pour elles-mêmes et insistaient sur l'importance de l'observation. D'autres comme les médecins s'efforçaient de concevoir une approche expérimentale permettant d'identifier correctement les plantes et d'observer leurs effets thérapeutiques sur les malades. La constitution de nouveaux domaines de connaissance scientifiques autonomes se fit donc en se libérant de la religion et de la magie. Mais après les conquêtes moyen-orientales d'Alexandre le Grand au IVe siècle av J.C., la pensée magique mésopotamienne et égyptienne fit une grande percée en Grèce. « A partir du IIIe siècle av. J.C. précisément, la séduction de l'irrationnel sous des formes diverses commence à exercer des ravages jusque dans les milieux intéressés aux choses de l'esprit et à la connaissance du monde » (J. Beaujeu ).

Les magiciens pensaient qu'il existait des relations intimes entre les différents objets et les différent êtres vivants. Pour eux, les plantes sont des êtres animés doués d'une âme car étroitement soumises à l'action de divinités ou de forces astrales. Comme les médecins, ils désiraient soigner les malades mais ils avaient une toute autre conception de la maladie. Comme le dit Guy Ducourthial « Ils considèrent qu'elle n'a pas de cause naturelle, mais qu'elle est envoyée aux humains par des divinités pour les punir de leurs fautes. Pour guérir les individus malades, ils prétendent pouvoir contraindre ces divinités à détourner l'influence néfaste qu'elles exercent sur eux, mais aussi "maîtriser" un certain nombre de plantes qu'ils ont sélectionnées, c'est-à-dire les soumettre à leurs injonctions et les obliger à abandonner leurs propriétés pour qu'ils puissent en disposer à leur gré. Pour atteindre leur but, ils doivent accomplir un certain nombre de gestes précis et souvent mystérieux, prononcer incantations et formules secrètes et réciter des prières particulières, notamment lors de la récolte des plantes qu'il faut effectuer à des moments particuliers ».

Ainsi le cercle tracé autour de la plante crée un espace magiquement clos, enfermant la plante et permettant au magicien de s'en rendre maître. Les rituels magiques donnés par Théophraste sont repris par Pline mais Dioscoride s'abstient d'en parler.

En tant que plante magique, la mandragore est appelée kirkaia, en référence à la magicienne Circé. Les astrologues ont attribué la mandragore au signe du Cancer (karkinos) qui régit le corps humain de la poitrine au ventre. Il en résulte qu'elle contrôle la rate, organe responsable des accès de mélancolie.

Moyen Age occidental

Le rituel d'arrachage de la mandragore change dès le début du Moyen Age et peut être même avant en Palestine. Le collecteur de plantes doit maintenant pour dégager la racine, l'attacher à un chien et attirer l'animal au loin. Cette plante a une telle puissance magique que si l'herboriste s'aventurait à la déraciner lui-même, il s'exposerait à une mort certaine. Les textes ajoutent même "que cette racine a en soi une telle puissance divine que, lorsqu'elle est extraite, au même moment, elle tue aussi le chien" (Herbarius Apulei, 1481). Le Quellec fait remonter l'ancienneté de cette tradition au début du VIe siècle. En l'an 520, le manuscrit de Dioscoride de Vienne est illustré par deux miniatures sur lesquelles on voit une racine de mandragore attachée au cou d'un chien mort, gueule béante.

Au premier siècle, Flavius Josèphe avait déjà décrit dans la Guerre des Juifs, VII, 6, 183, un rituel identique appliqué à l'arrachage d'une plante qu'il appelle baaras. La plante est cependant mal identifiée et il n'est pas certain qu'il s'agisse de la mandragore comme Hugo Rahner (1954) l'a supposé.

Les précautions lors de la cueillette sont aussi énoncées dans les écrits de Paracelse (1493-1541). Pour se procurer la racine de mandragore si dangereuse, il fallait des rituels magiques. Celui qui arrache la mandragore sans précaution, s'il ne devient pas fou en entendant les hurlements de la plante, sera poursuivi par sa malédiction...

Arrachage d'une mandragore. Manuscrit Tacuinum Sanitatis, Bibliothèque nationale de Vienne, v. 1390.

Selon les divers écrits décrivant les rituels, on sait qu'ils se déroulaient les nuits de pleine lune. Les mandragores qui poussaient au pied des gibets étaient très prisées car on les disait fécondées par le sperme des pendus, leur apportant vitalité, mais celles des places de supplice ou de crémation faisaient aussi parfaitement l'affaire. Des « prêtres » traçaient avec un poignard rituel trois cercles autour de la mandragore et creusaient ensuite pour dégager la racine, le cérémonial étant accompagné de prières et litanies. Une jeune fille était placée à côté de la plante pour lui tenir compagnie. On passait également une corde autour de la racine et on attachait l'autre extrémité au cou d'un chien noir affamé que l'on excitait au son du cor. Les prêtres appelaient alors au loin le chien pour qu'en tirant sur la corde il arrache la plante. La plante émettait lors de l'arrachage un cri d'agonie insoutenable, tuant l'animal et l'homme non éloigné aux oreilles non bouchées de cire. La racine devenait magique après lavage, macération et maturation en linceul ; elle représentait l'ébauche de l'homme, « petit homme planté » ou homonculus. Ainsi choyée, elle restait éternellement fidèle à son maître et procurait à son possesseur, prospérité prodigieuse, abondance de biens, et fécondité. Elle était vendue très cher en raison du risque à la cueillette, et ce d'autant plus que la forme était humaine, de préférence sexuée par la présence de touffes judicieusement disposées.

En Europe, on trouve à partir du IXe siècle dans la littérature médicale la description de narcose par inhalation d'une éponge soporifique (spongia soporifera). Une série de recettes allant du IX e au XVIe siècle et provenant de divers pays nous sont parvenues. La plupart se trouvent dans des manuels de chirurgie ou dans des antidotaires. La plus ancienne connue est celle de l'Antidotaire de Bamberg, Sigerist ; elle comporte de l'opium, de la mandragore, de la ciguë aquatique (cicute) et de la jusquiame. Au XIIe siècle, à l’école de médecine de Salerne, Nicolaus Praepositus, pronait aussi dans son Antidotarium l'usage d'une éponge soporifique dans certaines opérations chirurgicales. Elle était imbibée d'un mélange de jusquiame, de jus de mûre et de laitue, de mandragore et de lierre.

Début de l'époque moderne

L'onguent des sorcières

On trouve aussi parfois la mandragore et la jusquiame dans la composition d'onguents utilisés par les sorcières. Une croyance très répandue au XVIe et XVIIe siècles, voulait que les sorcières s'enduisaient le corps d'un onguent avant de s'envoler dans les airs pour aller au sabbat. Elles s'y rendaient à cheval sur un balai ou une fourche, enduits eux aussi d'onguent.

Les accusations qui conduisaient les sorcières au bûcher comportaient deux composants : les maléfices et le pacte avec le Diable. L'action judiciaire s'ouvrait sur une plainte pour les maléfices répétées d'une jeteuse de sort qui était censée provoquer la mort de nouveau-nés, faire tomber la grêle sur les récoltes, etc. L'accusation d'assistance au sabbat n'apparaissait que plus tard, lorsque les juges ecclésiastiques s'emparaient du dossier. A l'époque, tout le monde croyait au Diable. Il ne faisait pas l'ombre d'un doute, qu'en concluant un pacte avec le Diable, la sorcière pouvait d'accomplir des maléfices redoutables et travailler à la ruine de l'Église et de l'État. Des dizaines de milliers de sorciers et sorcières furent ainsi envoyés au bûcher en toute bonne conscience des autorités. Seuls quelques scientifiques et médecins humanistes dénoncèrent ces persécutions et osèrent soutenir que le sabbat n'était qu'une illusion.

Le problème de la réalité du sabbat fut d'ailleurs posé à peu près en ces termes par des scientifiques dès le XVIe siècle. La description d'assemblées démoniaques et de leur prodiges (vol, métamorphose en bête) a-t-elle une réalité objective ou est-elle le résultat de la consommation de drogues hallucinogènes?

Dès cette époque, un médecin et humaniste espagnol, Andrés Laguna, arrive à la conclusion que tout ce que croyaient faire les sorcières était le résultat de la prise de substances narcotiques. et donc que le sabbat était le seul produit de leur imagination. Laguna raconte, dans son commentaire de Dioscoride (1555), comment se trouvant en Lorraine, il fut le témoin de l'arrestation et de la condamnation à mort sur le bûcher de deux vieillards accusés de sorcellerie. Il se procura alors l'onguent qui avait été trouvé dans l'ermitage où ils vivaient pour tester l'effet d'un tel produit. Il fit enduire entièrement une de ses patiente insomniaque. Celle-ci tomba aussitôt dans un profond sommeil et se réveilla 35 heures plus tard en disant à son mari en souriant qu'elle l'avait cocufiait avec un beau jeune homme. Pour Laguna le liniment était fabriqué avec « des herbes au dernier degré froides et soporifiques, comme sont la ciguë, la morelle endormante, la jusquiame et la mandragore ».

Actuellement, les nombreuses études historiques des aveux des sorcières ne permettent toutefois pas de conclure que les sorcières étaient des droguées. Si on a le témoignage de quelques sorcières utilisant des drogues hallucinogènes, le phénomène n'était pas généralisé et ne peut constituer une explication générale.

La Mandragore est aussi utilisée dans certains rituels du culte vaudou.

La mandragore. Dioscoride de Vienne, VIe siècle
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