Le problème de l'Europe est qu'elle est en premier lieu, une vue de l'esprit. Suivant les âges et les cultures de chaque pays, l'Europe a eu des significations différentes, depuis l'antiquité jusqu'à aujourd'hui. Cela s'explique par le fait que l'idée d'Europe, Afrique, Asie et Amériques sont apparues avant la cartographie du monde. Si ces derniers se sont bien révélés dans la suite des continents tels qu'on les définit aujourd'hui (il aura fallu attendre le percement du Canal de Suez afin de séparer l'Afrique et l'Eurasie), cela n'est pas le cas de l'Europe.
Cela n'a pourtant pas empêché le concept d'Europe de prospérer en tant que supraterritoire, c'est-à-dire comme un ensemble de souverainetés, notamment à travers le Saint Empire. Le déterminant n'est pas alors géographique mais simplement politique et religieux. Lorsqu'il a fallu fixer des frontières européennes à partir de quelque chose de tangible et donc physique, des obstacles naturels ont été désignés.
Ce fut ainsi le cas, lorsque Pierre le Grand voulant justifier l'appartenance de son pays au concert des nations européennes, essaya de repousser autant que possible la frontière orientale entre Europe et Asie afin que la plus grande partie des Russes chrétiens soient considérés comme européens. Déjà à cette époque, les frontières de l'Europe se mouvaient selon les velléités d'appartenance européenne, selon la théorie de la frontière isobare.
Un autre exemple révélateur est celui du Caucase. Selon le pays ou la mode, le Caucase, chaîne montagneuse partant de la mer noire à la mer Caspienne, est la frontière entre l'Europe et l'Asie. Le but est alors de prouver que l'Europe est une péninsule de l'Asie séparée par l'Oural et le Caucase et qu'elle possède donc une définition géographique propre. Or cette tentative ne se conforme absolument pas à la définition de péninsule qui est une partie de terres émergées rattachée à une masse continentale par une zone relativement moins large qu'elle.
Dans d'autres interprétations de l'Europe, ce n'est plus le Caucase qui fait référence, mais la mer Caspienne ainsi que le fleuve Koura. Les raisons sont là aussi politiques, selon que l'on veuille ou non inclure la Géorgie, l'Arménie, la Turquie et l'Azerbaïdjan dans l'Europe, les frontières se déplacent plus ou moins vers le nord. En réalité, on le voit, l'Europe n'est ni un continent, ni un sous-continent, ni une péninsule, ni une quelconque entité géographique scientifiquement déterminable. L'Europe est simplement une abstraction utilisée pour rendre compte d'un ensemble de peuples et pays géographiquement proches. En cela, l'Europe est une région géographique dont les limites sont essentiellement politiques et donc très instables, voire ambiguës. Il n'existe donc aucune base scientifique solide pour affirmer qu'un pays est strictement "en Asie" et non "en Europe". Mais, à partir du moment où il est situé sur le continent eurasiatique, on pourrait définir le caractère européen ou non d'un pays selon d'autres critères que géographiques.
« Il s’agit dès lors pour comprendre de revenir à la source de cette « frontière naturelle » : c’est la cartographie de la Renaissance, la cartographie de la France Gallia dessinée et présentée avec des contours donnés par la nature. Une confusion s’instaure qui aura de beaux jours devant elle : entre la barrière naturelle et la frontière politique. On fait par conséquent de la frontière une ligne figée, inviolable, à défendre coûte que coûte. L’Europe a été longtemps présentée comme délimitée par des frontières dites naturelles : l’Oural à l’Est les détroits du Bosphore et des Dardanelles au sud ; c’est oublier que ce sont les cartographes convoqués par Pierre le Grand qui ont défini cette frontière de l’Oural pour mettre en œuvre la décision du tsar d’intégrer la Russie dans l’Europe ; de même c’est oublier que l’espace Bosphore-Dardanelles a toujours été un espace de l’échange, du contact, de la continuité et cela à l’échelle locale, régionale et mondiale ; les détroits n’ont jamais représenté une frontière. Nous proposons de revenir à la définition proposée par Jacques Ancel géographe qui écrit en 1938 un ouvrage sur la Géographie des frontières : ce dernier la définit comme un isobare politique et donc cela contient l’idée de déplacement et de disparition des frontières puisqu’en météorologie les isobares sont définis par des pressions qui changent, évoluent. »
— P. Picouet, maître de conférence à Lille 1, Quelles frontières pour l’Europe ?, 12 mai 2005.
« Gilles Pécout et Pierre-Yves Péchoux s’accordent sur le fait que la géographie du XIXe siècle manifeste une incertitude quant aux limites du continent européen. On peine à trouver des critères pour une Europe autre que celui très vague de « la civilisation ». À l’époque des nations [le XIXe siècle], dont les frontières d’État font d’ailleurs problème, personne ne pense à l’Europe comme à une construction politique à borner un jour. C’est avec les premiers plans concrets (le plan Briand d’Union fédérale européenne, présenté en 1929), que le problème politique fait vraiment surface (Antoine Vauchez et Guillaume Sacriste). »
— Raymond Huard, « Pour une histoire culturelle de la guerre au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2005-30.
« D’un point de vue géologique, l’Europe n'est pas un continent. La manière dont nous avons tracé la frontière entre l’Europe et l’Asie ne suit pas la géographie physique, mais la géopolitique. Si les monts Oural sont considérés comme une division "naturelle", c'est à cause du fait que la plupart des Russes sont Chrétiens, et vivent du côté ouest de cette montagne. Mettre Istanbul en Europe et l’Anatolie de l’ouest en Asie est une manière de rappeler que Byzance, renommée Constantinople, a été une capitale de la Chrétienté. Dans ce sens, le choc de la chute de Constantinople en 1453 peut encore être ressenti 450 ans après les évènements. Beaucoup d’intellectuels argumentant contre la candidature turque dessinent encore une carte de l’Europe qui coïncide essentiellement avec le concept médiéval du monde chrétien. L’essence de la géopolitique est que l’idéologie, qui inclut la manière dont on voit l’histoire, dessine alors la carte. »
— Thierry de Montbrial, Debating the borders of Europe, 21 mai 2004, IFRI.