Karabane - Définition

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Histoire

Premiers occupants

Si les plus anciens habitants de la Casamance sont les Baïnouks, la rive gauche de l'embouchure du fleuve était surtout peuplée de Floups (ou Feloupes), c'est-à-dire de Diolas. Arrivés sur les côtes ouest-africaines au XVe siècle, les Portugais parcourent activement la région depuis le XVIe siècle, surtout à la recherche de cire, d'ivoire et d'esclaves. Ils ne s'attardent pas à l'« Île aux Moustiques », et c'est à Ziguinchor qu'ils fondent le premier comptoir en 1645.

À la fin des années 1820, un négociant goréen mulâtre, Pierre Baudin, s'installe à Karabane, y plante du riz et produit de la chaux à partir des coquilles d'huîtres de palétuviers, broyées et cuites dans des fours. Humide et marécageuse, l'île avait alors une réputation d'insalubrité. L'économie locale reposait essentiellement sur la culture du riz, vendu à Ziguinchor ou aux traitants britanniques de Gambie. La famille Baudin employait des esclaves et, malgré son abolition en 1848, l'esclavage se maintiendra dans l'île jusqu'au début du XXe siècle.

L'administration coloniale souhaitait étendre son influence autour du fleuve, notamment sous la pression des Goréens – menacés de perdre une partie de leurs ressources avec l'imminente disparition de la traite négrière – et leurs rivaux, les Saint-Louisiens. Le 9 janvier 1836 le lieutenant de vaisseau Malavois, commandant particulier de Gorée, part en Casamance à la recherche d'un site propice pour le futur comptoir. La pointe de Diogué, sur la rive nord, est d'abord envisagée mais devant le refus des Diolas, c'est sur l'autre rive que la transaction aboutit.

Colonisation française

Le 22 janvier 1836, l'île est cédée à la France par le chef de village de Kagnout au prix d'une rente annuelle de 39 barres, c'est-à-dire 196 francs. Cependant, un autre traité fait de Sédhiou le principal comptoir de Casamance et l'exploitation de Karabane reste encore quelques temps aux mains de la famille Baudin, Pierre d'abord puis son frère Jean. Ils portent, successivement, le titre de « Résident ». Avec ce statut officiel mais imprécis, ils bénéficient d'une délégation d'autorité et doivent rédiger régulièrement des rapports, mais peuvent continuer à se livrer au commerce.

Animisme à Karabane : imprécations contre les fétiches lorsqu'il ne pleut pas (gravure de 1893)

Lorsque Jean Baudin tombe en disgrâce à la suite d'un grave incident de traite impliquant un bateau anglais, il est remplacé en octobre 1849 par un nouveau Résident, Emmanuel Bertrand-Bocandé. Cet homme d'affaires nantais, entreprenant, polyglotte et passionné d'entomologie, transforme « son » île et provoque un regain d'activité commerciale et politique. En 1852, la population s'élève à plus de 1 000 habitants. Un plan cadastral en damier attribue des lots de trente mètres de côté aux négociants et traitants. D'autres, avec quinze mètres de côté, sont destinés aux habitations. Des concessions provisoires sont accordées, surtout à des habitants de Saint-Louis et de Gorée. Outre les colons, l'île est principalement habitée par des riziculteurs floups animistes dont les pratiques déconcertent le nouveau venu. La coexistence n'est pas toujours facile. Les chrétiens ne sont représentés que par les Goréens et quelques Européens installés, et l'île n'a pas encore d'église. Les missionnaires tentent alors, sans succès, d'obtenir une concession.

« Le plus grand appontement de la côte d'Afrique »

Par ailleurs, la construction d'un grand quai de 116 mètres de longueur permet l'accostage des plus grands navires susceptibles d'entrer en Casamance. Un embarcadère avec rail est aménagé le long du fleuve pour faciliter le transfert des marchandises. Karabane exporte du riz mais aussi du coton – jugé de qualité médiocre – égrené dans la factorerie construite par Bertrand–Bocandé en 1840, successivement propriété de la maison Maurel et Prom et de la Compagnie de la Casamance. On produit également des amandes de palme et de touloucouna.

Cet essor est troublé par des incidents qui éclatent en 1851 avec les anciens propriétaires de Karabane, les habitants de Kagnout. À la suite d'une intervention militaire venue de Gorée, un traité est signé le 25 mars, établissant la souveraineté de la France sur l'île, mais aussi sur Kagnout et Samatit. Quant à Bertrand-Bocandé, il quitte l'île en 1857 pour un congé puis abandonne définitivement son poste de Résident en 1860. Son « inlassable activité » a fortement marqué l'île.

Factorerie no 1 de la Compagnie de la Casamance (gravure de 1893)
Factorerie no 2 de la Compagnie de la Casamance

De leur côté, les populations locales s'accommodent mal de l'expansion française et des traités qui leur ont été imposés. C'est ainsi que les riziculteurs de Karabane subissent pillages et enlèvements de la part des Karones, des insulaires de l'embouchure. Des troupes menées par Pinet-Laprade en mars 1860 attaquent plusieurs villages karones et les contraignent à la soumission. Une période un peu plus calme s'ouvre alors.

Alors que les Mandingues musulmans continuent – clandestinement – à pratiquer l'esclavage et la traite, les villages non musulmans ont tendance à se rapprocher et il leur arrive de prendre le Résident de Karabane comme arbitre de leurs désaccords.

En 1869 Karabane est constitué en cercle autonome, doté d'un commandant mais sera rattaché à Sédhiou en 1886. La garnison d'une dizaine d'hommes est régulièrement décimée par les maladies tropicales telles que le paludisme. 527 habitants sont dénombrés sur l'île en 1877, en grande majorité des Diolas auxquels s'ajoutent des Wolofs, musulmans, et quelques Manjaques originaires de Guinée portugaise.

La première mission catholique est fondée à Sédhiou en 1875 et les premiers baptêmes auraient déjà été célébrés la même année à Karabane – 17, concernant pour la plupart des habitants de l'île. La fondation de la mission de Karabane intervient en 1880. Le 22 février le père Kieffer s'installe dans l'île, où il œuvrera seul pendant deux ans. Le personnel de l'administration coloniale y est des plus réduits : un chef de poste des Douanes avec quatre employés, un artilleur, un caporal européen et six tirailleurs. On dénombre à Karabane environ 250 chrétiens, principalement des signares, des mulâtres de Saint-Louis ou de Gorée et quelques Européens. Pour commencer le prêtre agrandit sa propre case en troncs de rôniers. Il visite aussi les villages voisins et se rend parfois à Sédhiou. La fondation de la mission de Karabane est suivie par celles de Ziguinchor (1888), Elinkine (1891), puis bien d'autres au XXe siècle. En 1900 un autre missionnaire spiritain, le père Wintz, achève son premier catéchisme en langue diola.

Tableau des exportations de la Casamance en 1891 (Bureau des Douanes de Carabane)

Temporairement transférée à Ziguinchor, la mission de Karabane est fermée en 1888. Les missionnaires reviennent en 1890 et l'église, d'abord agrandie, s'avère néanmoins trop petite. Grâce aux subsides de l'évêque, Mgr Barthet, et des paroissiens, une nouvelle église est construite et inaugurée le jour de la Sainte Anne en 1897. La mission obtient aussi la concession définitive de deux terrains adjacents – le lot no 73 du plan cadastral. L'année suivante, la communauté chrétienne compte 1 100 baptisés, sans parler des nombreux catéchumènes.

Les rivalités entre Français et Portugais pèsent sur la région pendant cette période. La cession de Ziguinchor à la France est négociée à Karabane en avril 1888 entre le commissaire Oliveira et le capitaine Brosselard-Faidherbe.

En 1901 le chef-lieu de cercle est transféré à Ziguinchor et Karabane n'est plus qu'une simple résidence administrative – un statut qui lui est ravi à son tour par Oussouye deux ans plus tard. Lorsque Ziguinchor devient la capitale administrative de la Casamance en 1904, Karabane a perdu plusieurs de ses prérogatives, par exemple les services des douanes qui y étaient centralisés. Des maisons de commerce ont également quitté l'île et le nombre de chrétiens est passé de 1 000 à 300 en 1907.

En dépit de l'anticléricalisme en vigueur en France à cette époque, l'enseignement est assuré dans l'île par les Pères du Saint-Esprit qui y ont également une chapelle et par les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny pour les filles.

À la veille de la Première Guerre mondiale, Karabane, également victime d'un incendie en 1913, voit son activité économique décliner et ses habitants quittent peu à peu l'île pour chercher du travail à Ziguinchor, voire Dakar. En décembre 1915, Marcel de Coppet, alors administrateur de Ziguinchor, se rend sur l'île pour recruter des tirailleurs : six Karabanais acceptent de s'engager : un chrétien, un païen et quatre musulmans.

Au lendemain de la Grande Guerre, l'Église catholique rencontre de grandes difficultés dans la région. Le personnel est insuffisant et instable. L'augmentation du coût de la vie le rend onéreux et le climat met les bâtiments à rude épreuve. En 1920 le diocèse compte, outre Karabane, treize églises paroissiales et environ trente-cinq cases-chapelles. En 1922 le gouverneur fixe par décret, au nom de la prudence, le nombre d'établissements autorisés à célébrer publiquement le culte. Certes l'église de Karabane fait partie des élues, mais certains reprocheront à l'administration coloniale d'avoir ainsi favorisé l'expansion de l'islam dans le pays.

Lorsqu'il prend la direction du diocèse, Mgr Le Hunsec constate que l'île de Karabane, très peuplée lorsque tout le commerce s'y concentrait et qu'on pouvait difficilement pénétrer à l'intérieur des terres ravagées les guerres locales, a perdu de son rayonnement et compte désormais moins de 500 habitants. Il songe à un transfert de la mission vers Oussouye, qui sera effectif en 1927. À partir de 1937, la mission d'Oussouye recense aussi les baptêmes et les enterrements faits à Karabane.

La même année une maison d'éducation pénitentiaire est créée sur l'île et fonctionnera jusqu'en 1953, remplacée alors par l'établissement de Nianing. Un rapport remis en 1938 par une conseillère technique de l'Enseignement à Marcel de Coppet, Gouverneur général de l'AOF, permet de découvrir la vie quotidienne du pénitencier qui accueillait alors 22 garçons, condamnés principalement pour vol mais parfois aussi pour meurtre.

Histoire récente

Après la Seconde Guerre mondiale le déclin de Karabane se confirme peu à peu. En 1950 le départ du pré-séminaire de Karabane est envisagé, mais il est provisoirement maintenu, pour être finalement transféré dans un nouveau bâtiment à Nyassia en 1959. Pendant l'hivernage de 1963, après 83 ans d'existence, la mission de Karabane ferme ses portes. Les religieuses et leur internat de filles partent pour Ziguinchor.

L'indépendance du Sénégal ayant été prononcée le 20 août 1960, après la dissolution de l'éphémère Fédération du Mali, la Casamance voit arriver des fonctionnaires venus du nord, souvent wolofs et musulmans, mais surtout ne connaissant pas le pays diola et ses traditions. Les périodes de sécheresse qui frappent le Sahel à partir des années 1970 poussent aussi des cultivateurs d'arachide à s'installer dans une région où le riz régnait sans partage.

Le mécontentement s'amplifie, accompagné dans certains cas de revendications indépendantistes et de violences. La Casamance connaît alors des années de conflit qui meurtrissent la population et mettent aussi en péril des initiatives locales originales, telles que les réserves naturelles ou les premiers campements villageois intégrés. Karabane reste l'une des zones les plus tranquilles de Casamance. Néanmoins quelques petits incidents sont signalés vers le mois d'avril 2000. Les rebelles ont peut-être voulu profiter de la notoriété de Karabane pour attirer l'attention des médias.

Le cessez-le-feu de 2004 ramène la sérénité, mais dans l'intervalle le naufrage du Joola en 2002 a coûté la vie à de nombreux Karabanais et privé l'île d'une bonne partie de ses ressources liées au commerce et au tourisme. Les menaces liées à l'érosion côtière s'ajoutant à ces drames, certains craignent le pire. « Le spectacle catastrophe ne trouve pas ici ses mots », affirme un Casamançais. Après les années d'essor et de rayonnement, Karabane « la nostalgique » est aujourd'hui confrontée à une série d'épreuves (l'érosion du littoral progresse, les jeunes quittent l'île...).

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