Jean-Henri Fabre - Définition

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Introduction

Jean-Henri Fabre
Jean-Henri Fabre
Naissance 21 décembre 1823
Saint-Léons du Lévézou (France)
Décès 11 octobre 1915
Sérignan-du-Comtat (France)
Nationalité France Française
Diplômé Brevet supérieur, baccalauréat ès-lettres (1844), licence de sciences mathématiques (1847), licence de sciences physiques (1848), licence ès-sciences naturelles (1857), doctorat (1855)
Distinctions légion d'honneur

Jean-Henri Casimir Fabre, né le 21 décembre 1823 à Saint-Léons du Lévézou (Aveyron), mort le 11 octobre 1915 à Sérignan-du-Comtat (Vaucluse), est un homme de sciences, un humaniste, un naturaliste, un entomologiste éminent, un écrivain passionné par la nature et un poète français, lauréat de l'Académie française et d'un nombre élevé de prix.

Il peut être considéré comme l'un des précurseurs de l'éthologie, science du comportement animal, et de l'écophysiologie.

Ses découvertes sont tenues en haute estime en Russie, aux États-Unis et surtout au Japon où Jean-Henri Fabre est considéré comme le modèle accompli de l'homme de sciences et de l'homme de lettres réunis et, à ce titre, est au programme des enseignements de l'école primaire. Il est aussi mondialement connu pour ses Souvenirs entomologiques, qui ont été traduits en quinze langues.

« Un grand savant qui pense en philosophe, voit en artiste, sent et s'exprime en poète », c'est ainsi que Jean Rostand qualifie Jean-Henri Fabre.

Biographie

Maison natale de Jean-Henri Fabre à Saint-Léons

L'éveil à la nature : un autodidacte précoce

Son père, Antoine Fabre, est originaire du Puech de la Fon, au lieu-dit Malaval, au nord de Saint-Léons, sur la paroisse de Vaysse. Marié à Victoire Salgues, fille de l’huissier de Saint-Léons, il s’y établit dans l’espoir de succéder à son beau-père. Jean-Henri est élevé par ses grands-parents paternels, Pierre-Jean Fabre et Élizabeth Poujade, dans la ferme du Malaval. C'est dans ce Rouergue que le petit garçon découvre très tôt les réalités d'une nature contrastée et sauvage, qui va aiguiser son esprit d'observation et sa pugnacité.

« L'œil toujours en éveil sur la bête et sur la plante, ainsi s'exerçait tout seul, sans y prendre garde, le futur observateur, marmouset de six ans. Il allait à la fleur, il allait à l'insecte comme la Piéride va au chou et la Vanesse au chardon. »
Cour d'honneur de l'École Normale d'Avignon avec la statue de Jean-Henri Fabre
Ancienne École Normale d'Avignon, rue Louis Pasteur, où Jean-Henri Fabre fit ses études d'instituteur

De retour au village de Saint-Léons à l'âge de sept ans, en compagnie de son frère Frédéric, de deux ans son cadet, le jeune garçon s'instruit dans de nombreux domaines avec les moyens mis à sa disposition. Son instituteur est son parrain, Pierre Ricard. Pendant trois ans, il lui apprend à lire et à écrire dans une grange transformée en classe, entouré d'animaux de basse-cour. Son plus précieux outil scolaire est alors un abécédaire illustré par des animaux que son père Antoine lui a rapporté de la ville. Dans le chapitre IV de la 6e série des Souvenirs entomologiques, sous le titre Mon école, il le décrit de la sorte : « C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toute sorte enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom (...) ». Puis, progressant sur l'utilisation de son abécédaire et ses capacités de lecture : « Comme récompense de mes progrès, on me donne les fables de La Fontaine, livre de vingt sous, très riche en images, petites il est vrai, très incorrectes, délicieuses toutefois. Il y a là le corbeau, le renard, le loup, la pie, la grenouille, le lapin, l'âne, le chien, le chat, tous personnages de ma connaissance. »

Les difficultés professionnelles de son père, paysan devenu cafetier, vont interrompre sans cesse sa scolarité, obligeant Jean-Henri à être autodidacte dès l'âge de 10 ans. Dès 1833 et pendant les six années suivantes, l'exode rural va pousser la famille à Rodez, Aurillac, Toulouse, Montpellier, Pierrelatte et enfin Avignon.

À dix ans, élève au Collège royal de Rodez, il est clergeon dans la chapelle de l'établissement universitaire ce qui lui vaut la gratuité de l'externat. Quatre ans après, son père s’installe à Toulouse où Jean Henri peut suivre gratuitement les cours du séminaire de l’Esquille. Puis la famille déménage à nouveau. À Montpellier, âgé de quatorze ans, il est tenté par la médecine mais doit y renoncer pour aider ses parents. Il abandonne ses études pour gagner sa vie et se retrouve à vendre des citrons à la foire de Beaucaire puis se fait embaucher comme manœuvre pour la construction du chemin de fer Nîmes-Beaucaire.

Il y a pourtant appris assez de latin et de grec pour se passionner pour les auteurs de l'Antiquité. Il affectionne surtout Virgile, en qui il découvre un poète épris de nature. Décidé à se présenter à un examen pour obtenir une bourse, en 1840, ayant appris qu'un concours d'entrée recrutait des élèves instituteurs, il part à Avignon, sort premier de sa promotion et rentre à l'École normale d'instituteurs. Reçu en qualité de pensionnaire boursier, il est, à dix-sept ans, enfin assuré du gîte et du couvert.

Les résultats de sa première année sont passables. Au milieu de la seconde, il est déclaré « élève insuffisant et médiocre ». Piqué au vif, il demande et obtient de suivre son dernier semestre en 3e et obtient le « Brevet supérieur » en 1842, avec une année d'avance sur le cycle habituel.

Carpentras : l'instituteur érudit

Le mont Ventoux fut pour lui un important terrain d'étude

Âgé de dix-neuf ans, il devient instituteur à l’école primaire annexe du collège de Carpentras. Il va y rester sept ans. En cette année 1842, ses émoluments ne dépassent pas 700 F. Il reprend pourtant ses études latines en relisant Virgile et en traduisant Homère. C'est aussi en 1842 qu'il publie son premier recueil de poèmes Invocations et qu'il escalade pour la première fois le mont Ventoux.

L’installation de l’aîné attire sa famille. Son père et sa mère rejoignent Pierrelatte pour tenir un nouveau café sur la Place d’Armes, tandis que son frère est nommé instituteur à Lapalud. Le 30 octobre 1844, il épouse Marie-Césarine Villard, institutrice originaire de Carpentras, avec qui il a eu sept enfants dont plusieurs sont morts avant d'atteindre l'âge adulte.

Étouffé par l'enseignement de l'époque, qu'il qualifie de « prison », il met à profit la clémence du climat de la région pour encourager l'enseignement en plein air. Poussé par son envie d'apprendre, il consacre son temps libre à la préparation de nouveaux diplômes, tout en menant diverses recherches, notamment en entomologie. Il obtient en 1844, à Montpellier, le baccalauréat ès-lettres, en 1846 le baccalauréat en mathématiques, en 1847 la licence de sciences mathématiques enfin en 1848 la licence de sciences physiques.

C’est cette même année que son jeune fils est atteint de fièvre, son état empirant et devant l’impuissance avouée des médecins traitants, il tente de la sauver avec les méthodes prescrites par François-Vincent Raspail. L’enfant meurt et il annonce son deuil à son frère le 8 septembre 1848. Pour faire face et ne pouvant plus se contenter de son maigre salaire, il postule à un poste de professeur de mathématiques au lycée de Tournon, qui lui échappe tout comme celui d’Avignon.

Durant toute cette période, Fabre avait fait sien le précepte de Platon : « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre. ». Entre vingt et trente ans, il se perfectionne en mathématiques et en particulier l'ellipse, l'hyperbole, les tangentes, la mécanique analytique, le calcul infinitésimal. Lui pour qui le nombre est empreint de poésie, va jusqu'à lui consacrer une ode, Arithmos.

Séduit par la richesse botanique et entomologique de la Provence, il s'adonne à nouveau à sa passion des insectes et commence une carrière d'« historien des bêtes ». Mais c'est la lecture des travaux de Léon Dufour qui va le pousser vers sa nouvelle carrière.

Ajaccio (1849-1852) : éclosion du naturaliste

Nommé professeur de physique au collège impérial d’Ajaccio, le 22 janvier 1849, il s'installe dans l'île avec son épouse. Fabre, qui enseigne à présent la physique et la chimie dans les classes secondaires, bénéficie d'une nette amélioration de ses conditions de travail puisque ses appointements se montent à 1 800 francs. La Corse ouvre au jeune professeur un champ de recherches et d’observation qui va compléter ce qu’il a déjà entrepris sur les pentes du Ventoux.

La découverte de la nature corse et de la civilisation méditerranéenne lui offre un important champ d'investigation. Jean-Henri et Marie-Césarine multiplient les excursions, découvrent la richesse de la faune des mollusques, et récoltent de nombreuses espèces de coquillages marins, terrestres ou d'eau douce. Fabre réunit les éléments pour une Conchyliologie de la Corse. Ce travail d’inventaires et de descriptions des mollusques et coquillages, réunissant les connaissances de Linné, Lamarck et bien d'autres savants, est enrichi d'une foule de notes et d'observations personnelles. Il ne sera cependant jamais publié, la brièveté de son séjour ne lui permettant pas de l'achever.

Alfred Moquin-Tandon, joua un rôle dans le choix de Fabre pour la botanique.

Avec Esprit Requien, qui habitait Bonifacio, il amasse les plantes rares et, profitant des vacances scolaires pour herboriser, constitue un herbier imposant. Il décrit cela dans Mon école : « En mes heures de liberté, je l'accompagnais dans ses courses botaniques, et jamais le maître n'eut disciple plus attentif. » Leur projet commun de réaliser une flore de la Corse sera anéanti par la mort subite et prématurée du naturaliste avignonnais, emporté par une congestion cérébrale en mai 1851.

La Corse, c'est aussi pour Fabre la rencontre avec le zoologiste montpelliérain Moquin-Tendon venu y étudier la riche faune d'araignées, insectes, crustacés et reptiles. Grâce à Requien, Fabre avait déjà échangé quelques lettres botaniques et un jour où celui-ci ne trouvait aucune chambre dans les hôtels, Fabre lui offre le gîte et le couvert. Membre de plusieurs Académies, Moquin-Tendon, qui était de plus très cultivé en littérature et poète, a une influence déterminante dans le choix de la carrière naturaliste de Fabre. Il lui donna, dit-il, « la seule et mémorable leçon d'histoire naturelle que j'aie jamais reçue dans ma vie » en disséquant un escargot avec seulement deux aiguilles à coudre, avant de prononcer la fameuse phrase qui eut raison de ses hésitations : « Laissez là vos mathématiques [...]. Venez à la bête, à la plante; et si vous avez, comme il me semble, quelque ardeur dans les veines, vous trouverez qui vous écoutera. »

Malgré les conditions idéales que lui offrait la Corse, plusieurs raisons incitent Fabre à demander son retour sur le continent : des accès de paludisme qu'il avait contracté en herborisant exigeaient un climat plus sain ; les traitements des professeurs du collège avaient été réduits de moitié et la chaire de physique risquait d'être supprimée ; il voulait préparer un doctorat ou l'agrégation. Diminué fortement, il demande et obtient son retour sur le continent pour se soigner. Ainsi, il se rapproche de ses parents et de son frère Frédéric, durablement installés dans la banlieue d'Avignon, à la ferme de Roberty.

Dans un courrier adressé à son cadet le 3 décembre 1851, il narre les péripéties de son éprouvante traversée. Au lieu des 18 heures normales du trajet, son bateau pris dans la tempête met trois jours et deux nuits pour rejoindre Marseille dans des conditions épouvantables.

Avignon (1853-1871) : l'enseignant chercheur

Exemple de myriapodes, (Trigoniulus corallinus)
Le cerceris, le plus beau des hyménoptères qui butinent au pied du Ventoux ©Entomart
Ammophila sabulosa, appartenant à la famille des sphecidae ©Entomart
Victor Duruy, ministre de l'Instruction publique et admirateur de Jean-Henri Fabre

Ayant choisi de s'orienter vers la recherche en éthologie des insectes, science des mœurs des insectes, Fabre rentre définitivement de Corse en janvier 1853. Il loge 4 rue Saint-Thomas-d'Aquin, puis 22 rue de la Masse. Il est nommé « professeur, répétiteur de physique et chimie » au lycée impérial d'Avignon où il enseigne pendant dix-huit ans.

L'année suivante, en juillet 1854, il est reçu à la licence ès-sciences naturelles avec les félicitations du jury ; réussite déterminante qui lui ouvre la voie du doctorat ou de l'agrégation. Renonçant à contrecœur à l'agrégation, qui l'aurait empêché de s'engager dans une recherche personnelle, Fabre prépare un doctorat. Son sujet de thèse principal s'intitule Recherche sur l'anatomie des organes reproducteurs et sur le développement des myriapodes, et son sujet secondaire, portant sur la botanique, Recherche sur les tubercules de l'Himantoglossum hircinum. Au cours de l’hiver de la même année, il prend connaissance des travaux de l’entomologiste Léon Dufour, qui venait d’étudier dans les Landes une grosse guêpe, le cerceris. C’est un déclic. Fabre connaît cet insecte qui a colonisé les pentes du Ventoux. Il se remet à l’étudier, et publie le résultat de ses recherches en 1855 dans les Annales de sciences naturelles sous le titre La guêpe géante ou grand cerceris, les plus beaux des hyménoptères qui butinent au pied du Ventoux. La même année, les Fabre emménagent au 14 rue des Teinturiers.

Toujours en 1855, il soutient sa thèse à Paris devant un jury composé de deux professeurs au Muséum national d'histoire naturelle, Henri Milne Edwards et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, et du botaniste Jean-Baptiste Payer. Sur place, il rend visite à son ami Moquin-Tandon, qu’il avait hébergé à Ajaccio. Mais les retrouvailles entre le petit professeur de province et celui qui est devenu maître de la chaire d’histoire naturelle de la Faculté de médecine de Paris manquent de cordialité.

Enfin, son Étude sur l'instinct et les métamorphoses des sphégiens obtient la mention « honorable » au concours pour le prix Montyon de physiologie, décerné par l'Académie des sciences. À partir de 1856, Fabre multiplie les observations et rompt son isolement en échangeant fructueusement ses notes et échantillons avec Léon Dufour. Il réfute son hypothèse d'une « liqueur conservatrice » à l'origine de la paralysie des proies vivantes des cerceris en démontrant la destruction sélective des centres nerveux non vitaux des buprestes, par les savants coups de stylet des hyménoptères.

En 1857, il décrit les comportements les plus intimes des hyménoptères, bembex, scolies et coléoptères avec une rigueur méthodologique et dans une langue de qualité. Il étudie la reproduction de la truffe, sujet sensible pour la prospérité économique du département et, dans une note présentée en avril à la « Société d'agriculture et d'horticulture de Vaucluse », réfute la théorie de la galle du chêne.

Fabre s'étant lié d'amitié avec le botaniste avignonnais Théodore Delacour qui dirigeait à Paris les Établissements Vilmorin, celui-ci lui présente Bernard Verlot, chef des cultures au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Ensemble, ils explorent la flore du Mont Ventoux et instruisent Fabre des dernières techniques en horticulture.

Pensant tirer profit de ses connaissances en chimie, Fabre effectue des recherches sur la garancine, poudre de racine de garance qui permettait de teindre les tissus en rouge, fournissant notamment les fameux pantalons rouges de l'infanterie française. De 1859 à 1861, il dépose quatre brevets d'invention touchant à l'analyse des fraudes, mais surtout à l'alizarine pure, qu'il a réussi à extraire par une méthode d’une simplicité étonnante. Mais la découverte de l'alizarine artificielle, réalisée par Carl Graebe et Liebermann en 1868, sonne le glas de l'industrie tinctoriale de la garance et des ressources agricoles qu'elle représentait dans le Vaucluse, ruinant du même coup les dix années d’efforts que Fabre avait consacrées à ses procédés.

En 1862, il publie son premier livre scolaire sous le titre de « Chimie Agricole ».

En 1865, sur la recommandation du chimiste Jean-Baptiste Dumas, Louis Pasteur vient en personne le consulter pour tenter de sauver l'industrie séricicole française. Les vers à soie étaient décimés par une désastreuse épidémie de pébrine, caractérisée par l'éruption de points noirs, évoquant des grains de poivre. Fabre lui explique la biologie du bombyx du mûrier et les moyens de sélectionner les œufs indemnes. Il le reçoit à son domicile, 14 rue des Teinturiers, et son hôte est étonné, qu’au milieu de leur entretien, le savant lui demande de voir sa cave. Fabre ne peut que lui montrer une dame-jeanne posée sur un tabouret de paille dans un coin de sa cuisine. Mais la leçon porte ses fruits et Pasteur réussit à enrayer la redoutable épidémie.

En 1866, la municipalité nomme Fabre au poste de conservateur du musée d'Histoire naturelle d'Avignon (rebaptisé musée Requien depuis 1851), alors abrité dans l'église Saint-Martial désaffectée. C'est là que Fabre travaille aux colorants et donne des cours publics de chimie. C'est là également qu'il reçoit en 1867 la visite surprise de Victor Duruy (1811-1894). Ce fils d'ouvrier devenu normalien et inspecteur de l'enseignement avait pris en amitié le naturaliste avec qui il partageait le rêve d'une instruction accessible aux plus démunis. Devenu Ministre de l'Instruction publique, Duruy convoque Fabre à Paris deux ans plus tard pour lui remettre la Légion d'honneur et le présenter à l'empereur Napoléon III.

Duruy le charge de donner des cours du soir pour adultes qui, ouverts à tous les publics, vont connaître un franc succès. Ses leçons de botanique attirent un public attentif composé de jeunes villageoises qui lui apportent tant de fleurs que « son bureau disparaissait sous les richesses des serres voisines », d'agriculteurs curieux de science, mais aussi de personnalités fort cultivées, telles que l'éditeur Joseph Roumanille et le philosophe anglais John Stuart Mill (1806-1873), directeur de la Compagnie des Indes, qui devient l'un de ses plus fidèles amis.

La maison de Jean-Henri Fabre, 14 rue des Teinturiers, à Avignon

Mais la loi Duruy (10 juillet 1867) pour la démocratisation de l'enseignement laïque, notamment l'accès des jeunes filles à l'instruction secondaire, déclenche une cabale des cléricaux et des conservateurs, obligeant le ministre à démissionner. Accusé d'avoir osé expliquer la fécondation des fleurs devant des jeunes filles jugées innocentes par certains moralisateurs, les cours du soir sont supprimés après deux années d'existence et Fabre est dénoncé comme subversif et dangereux. Incapable de gérer une telle atteinte à son honneur, il démissionne de son poste au lycée fin 1870. Malgré ses vingt-huit ans de service, il quitte l’enseignement sans obtenir de pension.

De plus, ses bailleuses, deux vieilles demoiselles bigotes, convaincues de son immoralité, le mettent en demeure de quitter la rue des Teinturiers. À leur demande, il reçoit la visite d'un huissier pour être expulsé dans le mois avec sa femme et ses enfants. C'est grâce à l'aide de Stuart Mill, qui lui avance la somme de trois mille francs, que Fabre et sa famille vont pouvoir s'installer, en novembre, à Orange. Bien que riche sur le plan scientifique, cette période n'a pas été favorable à Fabre d'un point de vue financier puisqu'il n'a bénéficié d'aucun avancement ni augmentation de salaire en dix-huit ans.

Si la lecture était le réconfort de sa misère, c’est sa plume qui va lui permettre d'en sortir. Le succès remporté par deux de ses livres destinés à la jeunesse, Le Ciel, et Histoire de la bûche ; récits sur la vie des plantes, édités par la librairie Garnier en 1867 et largement diffusés par Hachette, l’encourage à poursuivre son œuvre de pédagogue en composant des livres scolaires. Grâce à la confiance et à l'amitié de l'éditeur Charles Delagrave, Fabre participe activement à la naissance de l'école républicaine et aux prémices d'une pédagogie universelle.

Orange (1871-1879) : écrivain pédagogue

La Chrysomèle de la menthe, Chrysolina herbacea

Désormais libéré des charges et des contraintes de l’enseignement, Fabre se retrouve, à 47 ans, sans situation, sans ressources et sans toit, alors que la guerre de 1870 bat son plein. Tandis que Marie-Césarine et les enfants séjournent chez ses parents à Carpentras, Fabre loge provisoirement chez un ami, le docteur Ripert, au Castel des Arènes à Orange. Puis il trouve un logement au centre ville, place des Cordeliers, qui lui permet de réunir la famille, mais trop bruyant et trop loin de la nature pour y poursuivre des études entomologiques.

En 1872, les Fabre s'installent en location pour huit ans dans la maison dite la Vinarde, située à la sortie de la ville. La garrigue aux portes du logis lui permet de recréer, avec l'aide de son fils Jules (né en 1861), un petit jardin botanique et de reprendre ses observations du Chalicodome, d'étudier le Pompile apical, les Halictes, les Chrysomèles, de récolter les champignons et d'en peindre les premières aquarelles.

Mais surtout, Fabre entreprend de très importants travaux de vulgarisation qui le préparent à sa mission d'écrivain scientifique. En plus du premier volume des Souvenirs et une étude sur les Halictes, il rédige pendant les neuf ans de son séjour à Orange plus de quatre-vingt ouvrages destinés à l'enseignement, dont des manuels scolaires et livres de lecture pour enfants qui, publiés par Charles Delagrave, vont connaître un grand succès : Arithmétique, Algèbre et Trigonométrie, Botanique et Zoologie, Géographie, Géologie, Physique, Chimie organique, Astronomie élémentaire, Cours de cosmographie, Le ménage ou causerie sur l'économie domestique, L'industrie

Plusieurs générations d'élèves ont étudié leurs matières scolaires avec ces textes à la fois scientifiques et littéraires. Fabre se voulait pédagogue et s'en explique dans les Souvenirs affirmant que s'il écrit pour les savants et pour les philosophes, il écrit surtout pour les jeunes à qui il désire faire aimer l'histoire naturelle.

John Stuart Mill, Photogravure depuis un livre du XIXe siècle

Le 7 mai 1873, il est invité à la villa « Mon Loisir » par Stuart Mill pour déjeuner. Arrivé à Avignon, il s’arrête d’abord chez le libraire Clément Saint-Just à l’angle de la rue des Marchands et de la place du Change, et apprend qu'il vient de décéder.Le lendemain, son ami et protecteur, mort des suites d'une pneumonie, rejoint sa femme qui l'attendait au Cimetière Saint-Véran à Avignon. Fabre lui-même est frappé par une pneumonie mais finit par guérir.

Le 14 septembre 1877, à midi, son fils Jules, gravement malade, décède à l'âge de 16 ans. Fabre est très affecté par cette disparition. Non seulement son fils l'assistait dans ses travaux entomologiques mais il voyait en lui son successeur et il lui dédicaça sa deuxième série des Souvenirs entomologiques.

Loin d'être perdues, ces dix années à Orange lui permettent de préparer les neuf volumes suivants de son œuvre capitale, les Souvenirs entomologiques. Un incident va précipiter son départ. Son propriétaire ayant fait élaguer l’allée de platanes qui conduit à sa maison, sans l’avoir prévenu, il l’accuse d’acte de barbarie et décide de quitter Orange et la Vinarde.

Le maître de Sérignan (1879-1915)

Statue en hommage à Jean-Henri Fabre à Sérignan du Comtat
Un type d'appareillage rustique utilisé par Fabre pour ses observations à l'Harmas

En mars 1879, grâce à l'argent que lui rapporte la vente de ses livres, Fabre achète une superbe propriété à huit kilomètres d'Orange sur une terre non cultivée, qu'il nomme L'Harmas, à la sortie du village de Sérignan-du-Comtat. Il va pouvoir enfin, dans cette nouvelle demeure, se consacrer à son rêve de toujours, l'observation des insectes et faire de l’Harmas de Sérignan le premier laboratoire vivant de la nature et de l’entomologie.

Son installation marque à la fois la dislocation de sa famille, certains de ses enfants sont mariés, d’autres vont le quitter, mais aussi sa recomposition puisqu'il accueille son père. Le vieux cafetier de Pierrelatte devient même une figure familière du village où il va s’éteindre à l’âge de 96 ans.

En revanche, Fabre se retrouve veuf. Son épouse décède le 25 juillet 1885, âgée de 62 ans. Pour aider aux tâches ménagères, il décide de prendre à son service une jeune domestique, fille de la dame Daudel, l’épicière du village. Par la suite, le 23 juillet 1887, il épouse en secondes noces Marie Josèphe de 41 ans sa cadette qui va lui donner trois enfants. Le couple voit naître successivement Paul, le 14 septembre 1888, Pauline, le 30 mars 1890, et Anna, le 31 octobre 1893.

L'entomologiste se heurte à un nouveau problème, la chute de la vente de ses ouvrages à partir de 1884. L'instruction obligatoire - depuis les lois de Jules Ferry - dans la cadre de la laïcité, fait contester par « bon nombre d'inspecteurs primaires ses livres considérés de support de l'autorité de l'Église pour les trop fréquentes allusions spirituelles qui s'y trouvent ». Le 27 janvier 1889, dans une lettre à son éditeur, il avoue son anxiété et confie que le désespoir commence à le gagner. Il est plus ou moins sauvé de la misère par la reconnaissance de ses pairs. Membre correspondant de l'Institut depuis 1887, il reçoit deux ans plus tard le prix Le Petit Dormoy, doté de 10 000 francs. C'est un encouragement qui stimule Fabre.

L'Harmas devient rapidement son lieu privilégié d'observation des mœurs des insectes. Pour ce faire, Fabre est amené à concevoir des appareils aussi curieux que rudimentaires mais dont l'utilité est prouvée par les résultats de ses observations. Ce qui lui permet d'écrire la deuxième série des Souvenirs entomologiques. Huit autres séries vont suivre, à un rythme irrégulier jusqu'en 1907.

Pour ce faire, il s'adjoint deux jardiniers auxquels il va rendre hommage dans son œuvre. Le premier est Favier, un ancien militaire. Dans son tome II, Fabre cite une anecdote mettant en exergue ses répliques assassines, son esprit vif et son bon sens :

« Je venais de récolter une poignée de crottes de lapin où la loupe m'avait révélé une végétation cryptogamique digne d'examen ultérieur. Survient un indiscret qui m'a vu recueillir dans un cornet de papier la précieuse trouvaille. Il soupçonne une affaire d'argent, un commerce insensé.
Tout, pour l'homme de la campagne, doit se traduire par le gros sou. À ses yeux, je me fais de grosses rentes avec ses crottes de lapin.
« Que fait ton maître de ces pétourles (c'est le mot de l'endroit)? » demande-t-il insidieusement à Favier. « Il les distille pour en retirer de l'essence » répond mon homme avec un aplomb superbe.
Abasourdi par la révélation, le questionneur tourne le dos et s'en va. »

À la mort de Favier, l'entomologiste engage Marius Guigues, un rempailleur de chaises aveugle depuis l'âge de 20 ans. En dépit de son handicap, celui-ci va se révéler particulièrement doué pour réaliser sur les indications de son employeur tout l'appareillage (cages, pièges, boîtes d'étude) pour les expériences et les observations menées par celui-ci.

Ses travaux et les conditions précaires qui conditionnent ses recherches sont maintenant connus au plus haut niveau. En 1907, le préfet du Vaucluse, Belleudy, déclare publiquement être affligé de voir « un aussi grand esprit, un tel savant, un pareil maître de la littérature française » aussi peu aidé. Il intervient auprès du ministre Gaston Doumergue qui accorde à Fabre une allocation de 1 000 francs « sur le crédit des encouragements aux gens de lettres ». Peu satisfait, le préfet revient à la charge lors de la session du Conseil Général de Vaucluse, en août 1908. L'assemblée décide de lui verser une rente annuelle de 500 francs « en hommage public rendu à sa haute science et à son excessive modestie ». De plus est mis à sa disposition l'appareillage du laboratoire départemental de chimie agricole qui était inemployé et qui devait être vendu.

L'académicien Edmond Rostand, qui écrivit le 7 avril 1910 à propos des ouvrages de Jean-Henri Fabre :
« Ses livres ont été mon enchantement pendant une bien longue convalescence »

C'est en 1907 que des liens se créent puis qu'une amitié s'installe entre Fabre et son disciple le docteur Legros, député du Loir-et-Cher. Celui-ci décide de le faire connaître du monde entier et rédige en 1910 une première biographie illustrée de 112 pages, Jean-Henri Fabre, naturaliste, puis une seconde en 1912, richement documentée par la correspondance de Fabre : La vie de J.-H. Fabre, naturaliste, ouvrage qui va être traduit dans de nombreuses langues, la version anglaise paraissant dès 1913.

Le docteur est aussi à l'origine de l'idée de célébrer son jubilé. Pour ce faire, il réussit à réunir autour de lui des personnalités comme Henri Poincaré, Edmond Rostand, Romain Rolland et Maurice Maeterlinck, tous admirateurs de Fabre. Le jour de la cérémonie, le 3 avril 1910, Edmond Perrier, de l'Institut, lui remet une plaquette d'or sur laquelle avait été gravés au recto le portrait du maître et au verso une composition représentant son œuvre, son village de Sérignan et le Ventoux. Edmond Rostand, qui n'a pu être sur place, envoie un message :

« Empêché de venir au milieu de vous, je suis du meilleur de mon cœur avec ceux qui fêtent aujourd'hui un homme admirable, une des plus pures gloires de France, le grand savant dont j'admire l'œuvre, le poète savoureux et profond, le Virgile des insectes, qui nous a fait agenouiller dans l'herbe, le solitaire dont la vie est le plus merveilleux des exemples de sagesse, la noble figure qui, coiffée de son feutre noir, fait de Sérignan, le pendant de Maillane. »

C'est justement au cours de l'année 1913, que se rendant à Maillane pour saluer Frédéric Mistral, le président de la République Raymond Poincaré apporte l'hommage de la nation à Fabre. Devant une foule immense, il lui s'adresse à lui en ces termes :

« Ce n'est pas seulement par la patience de vos recherches et la consciencieuse exactitude de vos observations que vous avez donné à l'entomologie et à la science en général une gloire nouvelle. Vous avez mis dans les êtres les plus humbles une attention si passionnée, une pénétration si ardente, un enthousiasme si bienveillant et si compréhensible, que dans les plus petites choses, vous avez fait voir de très grandes et qu'à chaque pas de votre œuvre nous éprouvons la sensation de nous pencher sur l'infini. »

La déclaration de la guerre en 1914, bouleverse à nouveau sa vie. Devenu une nouvelle fois veuf, il est à la charge de sa seule fille Aglaé qui s'adjoint pour le soigner la sœur Adrienne, une religieuse de la congrégation de Viviers. Son fils Paul est sur le front, et un an plus tard, Jean-Henri Fabre apprend avec joie qu'il est sain et sauf après la victoire de la Marne.

Contraint depuis des mois de garder le lit à cause de ses crises d'urémie, Jean-Henri Fabre entre en agonie le 7 octobre et s'éteint le 11 octobre 1915, à six heures du soir, âgé de 92 ans. Il est enterré dans la tombe familiale du vieux cimetière de Sérignan. Fabre y avait fait graver deux phrases en latin : « Quos periisse putamus praemissi sunt » (ceux que nous croyons perdus ont été envoyés en avant) de Sénèque et « Minime finis sedlimen vitae excelsioris » (la mort n'est pas une fin mais le seuil d'une vie plus haute), de lui-même.

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