Intelligence animale - Définition

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Tests

Pour comparer l'intelligence de différentes espèces, il est difficile d'imaginer un test qui ne soit pas biaisé d'une façon ou d'une autre. Nombre de tests sur la capacité des animaux de résoudre des problèmes n'étaient, au début, pas fiables. Le même test, utilisé avec la même espèce, donnait parfois des résultats différents selon le type d'appareil employé. Parfois aussi, le même test, avec le même appareil, donne des résultats étonnamment différents.

Les scientifiques ont fait diverses tentatives pour découvrir si des animaux pouvaient maîtriser des problèmes qui requièrent l'apprentissage d'une règle générale. On peut apprendre à des animaux à choisir dans un lot de choses un objet qui correspond à un échantillon. Les primates apprennent très vite à résoudre ce genre de problèmes, mais un pigeon a besoin de nombreux essais. Harry Harlow avait conçu un test pour mesurer la capacité des animaux à suivre des règles et à faire des inférences valides. Au lieu de tester des singes par une simple discrimination visuelle, Harlow leur présentait une série de tests pour lesquels il fallait appliquer chaque fois la même règle. Si l’animal s’améliore lors d’une telle série, on dit qu’il a acquis un certain ensemble d’apprentissage en série (learning set). Ainsi, on pouvait donner à l'animal une suite de problèmes de discrimination et le classer, ensuite, selon son taux d’amélioration.

Lorsqu'on classe les animaux selon leur taux d'amélioration sur une série de problèmes, on peut prédire leur rang d'après un index de développement du cerveau. Cet index est une estimation du nombre de cellules nerveuses dans le cerveau qui s'ajoutent à celles qui sont nécessaires pour le contrôle des fonctions corporelles. Il semble qu'on puisse concevoir des tests pour l’intelligence animale qui soient semblables à ceux appliqués à l’intelligence humaine et qui différencient les membres d'espèces différentes.

Aspects culturels du comportement

L'évolution est un résultat de la sélection naturelle, et la transmission héréditaire des caractéristiques acquises n’est normalement pas possible. Quelle que soit l’adaptation d'un animal individuel à son environnement, que cette adaptation soit apprise ou physiologique, les adaptations acquises ne peuvent se transmettre à la descendance par voie génétique. C'est une notion largement acceptée parmi les biologistes. Cependant, l'information peut se transmettre de parent à enfant par imitation et par imprégnation. En général, le passage d'informations d'une génération à la suivante par des voies non génétiques s'appelle échange culturel.

L'imitation n’est pas forcément un signe d'intelligence supérieure. Des animaux peuvent se copier l'un l'autre du simple fait de la facilitation sociale. De nombreux animaux mangent plus quand on les nourrit en groupe que lorsqu'ils sont seuls. On a démontré cela expérimentalement aussi bien chez les poussins, les chiots et les poissons que chez les opossums.

Langage

La communication animale possède certains points commun avec le langage humain. Ici, deux chiens communiquant en face à face.

Parler de langage animal pose un problème de définition du terme langage. On utilise souvent le terme langage au sens large, incluant celui de communication : en ce sens, les animaux communiquent plus ou moins bien, par diverses voies, et certains animaux ont une communication remarquable (sans l'aide de l'homme, comme chez les abeilles étudiées par Karl von Frisch, ou acquise grâce à l'homme, comme chez les grands singes par exemple). Toutefois, il n'y a pas de différences entre le transfert d'informations par les insectes eusociaux et celui entre les cellules d'un organisme. Il s'agit d'une façon de réagir à des stimulus et d'en produire des nouveaux qui est entièrement codée dans les gènes. Il est donc plus juste de considérer les abeilles comme des composants d'un super-organisme qui est organisée par l'évolution que comme des organismes qui communiquent. La véritable communication est ainsi réservée à certains oiseaux et à certains mammifères.

Le linguiste Émile Benveniste, dans son article de 1952 Communication animale et langage humain, pose clairement la différence entre communication et langage, différence toujours d'actualité pour la linguistique. Il reprend et rend hommage à Karl von Frish pour ses travaux sur la communication des abeilles (la « danse » qui indique la direction du pollen), qui permettent de définir en retour ce qu'est le langage. Le célèbre linguiste définit la communication des abeilles comme un « code de signaux », qui « dénote un symbolisme particulier qui consiste en un décalque de la situation objective » (des données visuelles et géographique : où se trouve le pollen). Dans le langage humain, au contraire, « le symbole en général ne configure pas les données de l'expérience, en ce sens qu'il n'y a pas de rapport nécessaire entre la référence objective et la forme linguistique » (c'est-à-dire que les signes du langage humain sont arbitraires et ne ressemblent pas à ce qu'ils désignent, au contraire des symboles qu'on emploie pour communiquer avec les animaux, comme par exemple un clavier pour singe où sur chaque touche est représentée une forme concrète et connue du singe). La différence entre langage et communication animale réside donc dans le caractère infiniment plus abstrait du signe linguistique : les animaux n'emploieraient que des symboles.

Selon Louis Lefebvre, professeur du biologie à l'Université McGill, il est possible de vérifier la capacité que certaines espèces ont à apprendre des "phrases" formées de séquences de symboles. Le perroquet Alex a prouvé à sa maîtresse Irene Pepperberg qu'il pouvait non seulement décrire des objets, les identifier et nommer leur différence, mais aussi dire des phrases courtes comme: Alex donne pomme Irène, ou l'inverse. Ainsi, il s'agit là de symboles, en référence aux objets, que le perroquet place dans l'ordre logique de l'action.

Construction de catégorie (catégorisation)

La capacité à regrouper des objets au sein d’une même classe, suppose, en plus de l’élaboration d’une relation de ressemblance ou de différence entre les caractéristiques physiques des stimuli, le recours à une représentation de la classe comme entité discriminable elle-même de celle d’une autre classe.

Des études spectaculaires ont été menées sur le pigeon par Herrnstein et ses collaborateurs afin d’attester cette capacité. Des pigeons ont été entraînés à discriminer dans un ensemble de 80 diapositives celles qui contiennent des arbres (la moitié du lot) de celles qui n’en contiennent pas (l’autre moitié). Une seule diapositive est montrée à la fois, le pigeon étant renforcé avec de la nourriture quand il donne un coup de bec (sa réponse) sur une clé sous la diapositive montrant un arbre (le stimulus positif). Les réponses données à la représentation du stimulus négatif (diapositive ne comportant aucun arbre) ne sont jamais renforcées. A la suite d’un grand nombre de séances d’entraînement, la plupart des pigeons ont discriminé correctement les deux sous-ensembles d’objets. Pour les chercheurs, les pigeons sont parvenus à abstraire le concept d’arbre dans la mesure où ils sont capables de le généraliser à d’autres spécimens d’arbres pour lesquels ils n’avaient pas été entraînés.

Ces capacités de discrimination du pigeon ne se limitent pas à des objets comme les arbres, objets dont l’importance est évidente pour un oiseau. D’autres recherches ont en effet montré que cet oiseau est également capable de reconnaître des scènes aquatiques comportant des poissons de celles où les poissons sont absents.

Mémoire

Des données, recueillies à l’aide de protocoles expérimentaux similaires et se rapportant à la mémoire de listes, sont disponibles à la fois chez le pigeon et chez le singe. Ces travaux permettent de réaliser des comparaisons entre deux espèces et de comparer également les performances des animaux avec des sujets humains.

La technique de l’apprentissage sériel a été appliquée à des singes capucins par D’Amato et Colombo. Les singes ont acquis plus rapidement que les pigeons une liste de 5 items comprenant des couleurs ou des formes non colorées. D’après Terrace (1993), le singe développe une représentation linéaire de la liste lui imposant de commencer au début de la liste et de se déplacer dans celle-ci jusqu’à ce qu’il localise un des items apparaissant dans un sous-ensemble donné. En revanche, pour produire sa séquence, le pigeon s’appuierait sur la saillance du premier et du dernier item de la liste. L’ensemble de ces résultats montre que l’oiseau et le primate mettent en œuvre des stratégies cognitives qui, bien que différentes, impliquent l’usage de représentations dans l’apprentissage de listes d’items.

De son côté, Tetsuro Matsuzawa, primatologue japonais, a étudié les capacités d’un singe à refaire une séquence de chiffres après ne les avoir vus qu’une fraction de seconde. Il les compara à un groupe d’étudiants qui, avec six mois d’entraînement, n’ont pas été aussi rapides que le chimpanzé. Matsuzawa observa que le singe réussit à refaire la séquence dans 80 % des cas, tandis que les étudiants, eux, réussirent dans 40 % des cas.

La mémoire épisodique, que l'on croyait exclusive aux humains, est la capacité de se souvenir d'un objet dans un moment donné et à un endroit précis. Le geai buissonnier, qui a l'habitude de cacher de la nourriture, est un bel exemple. Nicolas Clayton de l'université de Cambridge et son équipe ont voulu reproduire le phénomène en laboratoire. Ils ont placé le geai dans une cage à trois compartiments communiquant entre eux, mais dans laquelle seul le compartiment de droite contenait de la nourriture. Durant deux heures par jour, pendant cinq jours, les chercheurs ont enfermé l'oiseau dans un des compartiments, qui un jour contenait de la nourriture et le jour d'après non. Le sixième jour, l'oiseau avait déplacé de la nourriture dans le compartiment qui n'en contenait pas. Le chercheur a conclu que l'oiseau avait une capacité à planifier en se servant de sa conscience du passé, du présent et du futur.

Permanence de l'objet

Les théories de Jean Piaget, concernant le développement de l’intelligence chez l’enfant, ont inspiré un certain nombre de travaux en psychologie comparée de la cognition. Selon ce psychologue (aussi biologiste, logicien et épistémologue), l’acquisition de la permanence de l’objet est très importante pour le développement de la pensée. À l’aide de cette permanence, l‘enfant peut concevoir les objets comme des entités fixes et permanentes. Cette acquisition entre la naissance et l’âge de deux ans passe par une série de six stades. L’existence d’un objet permanent sert de support à de multitudes acquisitions au cours de l’enfance. Elle est indispensable pour l’organisation de l’espace, du temps et de la causalité.

La permanence d’un objet apparaît au cours du stade 3 pour l’enfant, vers l’âge de 6 mois. Dans les stades suivants, l’enfant maîtrise les déplacements visibles de l’objet sous plusieurs écrans, puis est capable d’en reconstituer mentalement les déplacements invisibles que l’expérimentateur lui fait effectuer.

Des tests de permanence de l’objet ont été proposés à de nombreuses espèces animales, comme le hamster, le poussin le chat et les primates. Les résultats à ces tests diffèrent selon les espèces concernées et seuls les primates montrent un ordre d’apparition des stades correspondant à celui qui est observé chez l’enfant. Toutefois, certaines espèces s’arrêtent au stade 4. C’est le cas pour le singe-écureuil étudié par Vaughter et ses collaborateurs. Le chimpanzé étudié par Wood et ses collaborateurs franchit toutes les étapes et parvient même au stade 6 plus rapidement que l’enfant. Il n’est pas surprenant que des primates non humains, qui se déplacent de façon autonome dans l’espace beaucoup plus tôt que les jeunes enfants, apprennent plus rapidement qu’eux les relations objectives et spatiales entre objets. Le test de permanence de l’objet pourrait donc remplir un rôle différent dans les constructions cognitives de l’homme et du primate.

Utilisation d'outils et degré d'innovation

La capacité d'utiliser des outils a été considérée très longtemps comme un aspect de l’intelligence. Cette capacité se développe probablement chez un individu grâce à un mélange d'apprentissage imitatif et instrumental. À cet égard, il est difficile de séparer l’utilisation d'outils par les primates du développement de l'exploration chez le pinson-pic. Certains biologistes, tout en admettant que l'utilisation d'outils n’est pas, en soi, un signe d'intelligence, arguent qu'elle prépare le terrain pour un comportement réellement intelligent, qui implique l'innovation.

Le cas d’usage d’outil le plus accompli rapporté à ce jour concerne le cassage de noix par les chimpanzés, observé par Sugiyama et Koman en Guinée et par Boesch dans la Forêt de Taï en Côte-d’Ivoire.

Les noix les plus fréquemment cassées par ces chimpanzés possèdent une coque très dure et cette activité requiert des conditions spécifiques  : la présence d’une « enclume » (une souche ou une pierre plate) sur laquelle la noix est placée et d’un « marteau » (morceau de bois ou grosse pierre) qui sert d’outil pour la briser. La résistance de ces noix contraint les chimpanzés à sélectionner les meilleurs marteaux et à les transporter jusqu’au pied des noyers. Une étude de l’organisation spatiale du transport des marteaux conduite par Boesch suggère que les chimpanzés se souviennent des lieux où les outils possibles sont déposés. De plus, ils choisissent leurs pierres de telle sorte que le trajet entre l’outil sélectionné et l’arbre implique le parcours minimal. La stratégie adoptée par le chimpanzé consiste à sélectionner d’abord un arbre porteur de noix, puis à choisir une pierre en fonction de la distance à parcourir. Pour les chercheurs, ces comportements supposent une représentation spatiale élaborée qui permet au chimpanzé de mesurer les distances et de les comparer entre elles.

Un autre exemple stupéfiant : les chimpanzés et les corbeaux de Nouvelle-Calédonie ont la capacité d'utiliser des brindilles qu'ils adaptent et insèrent dans un trou d'arbre ou une crevasse pour dénicher des insectes et se nourrir. Ces observations ont été faites maintes fois en milieu naturel. Toutefois, il arrive que les chercheurs observent des évènements inusités qui relèvent de l'innovation. Par exemple, une corneille d'Israël a été aperçue alors qu'elle utilisait un morceau de pain qu'elle laissait flotter à la surface de l'eau pour leurrer des poissons. Elle alla même jusqu'à tenter de les attirer à des endroits plus accessibles pour elle.

Enfin, le "trap-tube test" est aussi une méthode utilisée pour vérifier si l'animal comprend la relation de cause à effet lors de l'utilisation d'un outil. Dr Elisabetta Visalberghi a observé des capucins se servir d'une sorte d'un bâtonnet qu'on lui avait fourni pour retirer d'un tube de la nourriture qu'on y avait préalablement placé. En poussant sur la nourriture avec le bâtonnet, la nourriture tombait de l'autre côté et n'était pas accessible, alors que s'il essayait de tirer la nourriture vers lui, il pouvait l'obtenir. Le capucin ne s'est pas avéré capable de comprendre le phénomène de façon assez convaincante pour les chercheurs.

Raisonnement

Sue Savage-Runbaugh observa avec l’aide de Kanzi, singe bonobo, que les primates sont capables de mentir. Pour ce faire, elle offrit une clé à Kanzi. Ce dernier alla la cacher une fois Sue repartie. Par la suite, la chercheuse demanda au singe de lui redonner la clé, mais semblant l'avoir perdue, tous les deux se sont mis à la chercher, sans résultat. Une fois seul, le singe alla chercher la clé et l’utilisa pour sortir de son enclos.

Un autre cas recensé de mensonge implique la femelle gorille Koko. S'exprimant en langage gestuel, elle impliqua sa monitrice alors qu'elle avait détruit un évier. Lorsqu'on lui demandait pourquoi elle avait commis un tel geste, Koko répondait avec front : "Kate évier mal".

Expression de l’émotion

Sara, une jeune chimpanzé apprit le langage des sourds et muets, expliqua à son gardien qu’elle s’ennuyait d’un copain décédé. Selon Étienne Danchin, chercheur et coauteur du livre Éthologie comportementale, cette anecdote démontre que les primates peuvent avoir une certaine conscience du vide et ressentir de l’angoisse.

Conscience de soi

Un courant de recherche récent en psychologie animale, initié en 1978 par Premack et Woodruff, envisage la question des attributions de savoirs et de pensées chez les animaux et en particulier chez les primates. Dans cette perspective, le chercheur tente de déterminer si, par exemple, des chimpanzés pensent que leurs congénères ont des intentions. Ce type de question est abordé dans le cadre de la théorie de l’esprit (theory of mind).

Deux raisons permettent de parler de « théorie ». La première tient au fait que les états mentaux ne sont pas des phénomènes directement observables et qu’il faut donc les inférer. De plus, l’existence de ces systèmes inférentiels permet à celui qui les possède de réaliser des prédictions à propos du comportement d’autres individus.

Le thème de l’attribution des savoirs concerne en premier lieu les connaissances qu’un individu peut élaborer à propos de lui-même. Une méthode pour évaluer ces connaissances se rapporte par exemple aux réactions que cet individu manifeste devant son image dans un miroir.

L'un des tests les plus usités pour vérifier l'intelligence d'un animal est l'épreuve du miroir, qui consiste à placer l'animal à tester seul devant un miroir pour voir s'il se "reconnaît", s'il a conscience de lui-même. Pour ce faire, l'animal est marqué avec de la peinture à un endroit où il ne peut pas s'observer lui-même, par exemple sur le front pour un chimpanzé. Ensuite, l'observateur étudie le comportement de l'animal : s'il attaque son reflet ou le fuit, c'est signe qu'il ne comprend pas que c'est lui qu'il voit dans le miroir et non pas un autre animal. Par contre, s'il tente de savoir ce qu'il y a derrière le miroir, s'il touche la marque de peinture avec insistance et s'il inspecte diverses autres parties de son corps qu'il ne peut observer par lui-même, c'est signe qu'il comprend que c'est lui qu'il voit dans le miroir, et donc cela prouve qu'il a conscience de lui-même. À ce jour, seuls les grands singes, le dauphin, l'orque, la pie et l'éléphant ont passé avec succès le test du miroir. Les premiers tests faits avec les grands singes n'ont pas été concluants car les chercheurs plaçaient la caméra en face de l'animal. Or, les grands singes détestent se regarder dans les yeux. Ils détournaient donc le regard de l'écran. Si l'on place la caméra de côté, le grand singe se reconnaît aisément.

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