Historique de l'évolution démographique de la Charente-Maritime - Définition

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La période 1861-1911 : Un demi siècle de crise démographique

A partir de 1861, année qui marque l'apogée démographique de la Charente-Inférieure et qui a eu lieu pendant le milieu du Second Empire, s’amorce un lent mouvement de décroissance démographique avec un léger répit dans la période 1872-1881. Cette baisse inexorable de la population commence à atteindre, en premier lieu, les campagnes surpeuplées de la Saintonge, région géographique comprenant les arrondissements de Jonzac, Saint-Jean-d’Angély et Saintes, et l'archipel charentais, notamment l'île de Ré.

Évolution démographique
1861 1866 1872 1876 1881 1886 1891 1896 1901 1911
481 060 479 529 465 653 465 628 466 416 462 803 456 202 453 455 452 149 451 044


Tableau de l'évolution démographique de la Charente-Inférieure de 1861 à 1911 : un demi siècle de déclin démographique

Pendant ce demi siècle de décroissance de la population, le département enregistre deux étapes dans son déclin démographique.

  • La période 1861-1881 : début du déclin démographique du milieu du Second Empire jusqu'à la fin de la première décennie de la Troisième République. Cette période est notamment marquée par la guerre franco-prusse de 1870-71 et la crise du phylloxéra dès 1875.
  • La période 1881-1911 : accélération du déclin démographique pendant la Troisième République jusqu'à la première décennie du XXe siècle. Cette période est caractérisée à la fois par les mutations profondes du monde rural et l'essor de l'urbanisation du département.

La période 1861-1881 : Les débuts du déclin démographique

Le mouvement de dépopulation de la Charente-Inférieure qui commence dans cette période charnière entre le milieu du Second Empire et le début de la Troisième République est imputable à trois faits historiques majeurs :

  • Tout d'abord, le mouvement de l’exode rural, qui a commencé bien avant la crise du phylloxéra, s'enracine inexorablement.
  • Ensuite, les conséquences de la guerre franco-allemande de 1870 ont exercé un impact très négatif sur la démographie départementale.
  • Enfin, la crise du phylloxéra a ruiné de nombreux petits paysans, propriétaires de leurs vignes, et les a contraints massivement à l'émigration au début des années 1880.

Cependant, un répit est observé dans la décennie des années 1870 où la population départementale tend vers une très légère et inattendue reprise démographique.

Évolution démographique
1861 1866 1872 1876 1881
481 060 479 529 465 653 465 628 466 416

La guerre franco-allemande de 1870 a constitué un événement retentissant en Charente-Inférieure, entamant sévèrement la démographie du département qui, entre 1866 et 1872, enregistre une chute de population de 13 876 habitants. Cette importante baisse démographique s'explique par un fort excédent des décès sur les naissances dû au conflit franco-prusse, aggravé par une épidémie de variole en 1866. 5 000 hommes du département avaient été mobilisés sur le front, sur les bords de la Loire et à la bataille du Mans. En réalité 15 131 décès sont enregistrés dans la seule période 1866-1872.

Le mouvement de dépopulation qui s'ensuivra beaucoup plus tard aurait pu être plus limité si la guerre franco-prusse n'avait eu lieu, car le solde naturel est resté assez élevé en raison d'un taux de natalité encore dynamique. D'ailleurs, cette vitalité démographique se vérifie par un arrêt de la chute démographique entre 1872 et 1881, où dans cette décennie, une très légère croissance est constatée avec un gain de 763 habitants.

Les débuts de la crise du phylloxéra

Les signes de l'exode rural avant la crise du phylloxéra

Si une très légère reprise démographique est constatée à la fin de la décennie des années 1870, celle-ci masque en fait le phénomène déjà bien présent de l'exode rural. Cette déprise agricole, décelée à la fin de la Monarchie de Juillet, s'est durablement installée pendant le Second Empire et va aller en s'aggravant avec la crise du phylloxéra qui ravage le vignoble de la Saintonge dès 1875 et celui de l'Aunis à partir de 1876. L'exode rural va en fait s'accélérer brusquement à partir des années 1880.

Tableau récapitulatif de l'évolution démographique du département de la Charente-Inférieure dans la période 1861-1885
Variation de la population Solde naturel Solde migratoire
Période 1861-1885 - 17 400 hab. + 4 100 hab. - 21 500 hab.

Le solde migratoire est déjà très fortement négatif à la fin de la première décennie de la Troisième République, c'est-à-dire en 1881, puisque le département enregistre plus de 21 500 départs. Les effets de la crise du phylloxéra dès 1875 ont fortement aggravé le mouvement de l'exode rural, où celui-ci a commencé bien avant le Second Empire. De plus, l’implantation du chemin de fer en Charente-Inférieure a paradoxalement joué un rôle de catalyseur dans le mouvement de déprise rurale, facilitant grandement l'exode des jeunes travailleurs, ruraux et paysans, vers Paris en particulier. Ces derniers sont déjà attirés par les « lumières de la ville ». Il faut en effet souligner que le Second Empire, puis plus tard, la Troisième République, sont une période de forte croissance urbaine qui a également touché les villes de la Charente-Inférieure, même si l’évolution urbaine du département a été de moindre ampleur que dans le reste de la nation. Les villes ont malgré tout contribué à résorber et à limiter en partie les effets négatifs de cet exode rural intradépartemental.

Cet exode rural a donc commencé dans les régions viticoles alors en plein "âge d'or". Beaucoup de communes rurales et de gros bourgs de la Saintonge, comme ceux situés dans la plaine de l'Aunis, enregistrent d’ailleurs leur maximum démographique dans la dernière décennie avant la fin du Second Empire, soit en 1861, soit le plus souvent en 1866, ce qui correspond exactement à une décennie avant la crise du phylloxéra. Beaucoup de ces communes situées en milieu viticole vont subir par la suite une dégradation irréversible de leur démographie, où l'exode des jeunes a vidé progressivement les campagnes, aggravant le phénomène tout nouveau du vieillissement de la population.

Dans un premier temps, les conséquences de cet exode rural sont à peine perceptibles. C'est après le désastre des vignobles phylloxérés que ce phénomène se fera nettement ressentir. En seulement une dizaine d'années, c'est-à-dire de 1872 à 1881, nombre de communes viticoles voient leur chiffre de population baisser d'au moins entre - 10 % et - 20 %. C'est le cas spectaculaire de la commune de Chérac, dans le canton de Burie, où le phylloxéra a été signalé pour la première fois dans le département, en 1872. Cette commune voit perdre - 19 % de sa population entre 1872 et 1881.

Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de la Saintonge de 1861 à 1881
Commune 1861 1872 1881
Brizambourg 1 606 hab. 1 620 hab. 1 546 hab.
Burie 1 787 hab. 1 634 hab. 1 530 hab.
Chérac 1 672 hab. 1 641 hab. 1 322 hab.
Gémozac 2 598 hab. 2 693 hab. 2 503 hab.
Matha 2 287 hab. 2 214 hab. 2 087 hab.
Mirambeau 2 404 hab. 2 189 hab. 2 095 hab.
Saint-André-de-Lidon 1 411 hab. 1 222 hab. 1 169 hab.
Saint-Hilaire-de-Villefranche 1 321 hab. 1 338 hab. 1 240 hab.
Saint-Romain-de-Benet 1 716 hab. 1 636 hab. 1 624 hab.
Sonnac 1 285 hab. 1 210 hab. 1 091 hab.
Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de l'Aunis de 1861 à 1881
commune 1861 1872 1881
Aigrefeuille d'Aunis 1 821 hab. 1 745 hab. 1 762 hab.
Forges 1 233 hab. 1 158 hab. 1 002 hab.
La Jarrie 1 195 hab. 1 202 hab. 1 113 hab.
Saint-Christophe 1 126 hab. 955 hab. 851 hab.
Saint-Sauveur-d'Aunis 1 530 hab. 1 423 hab. 1 284 hab.
Vérines 1 430 hab. 1 272 hab. 1 212 hab.

Les deux tableaux ci-dessus montrent clairement que les communes viticoles ont commencé à se dépeupler avant que le vignoble charentais soit phylloxéré. L'exode rural avait donc commencé à toucher les campagnes surpeuplées de l'Aunis et de la Saintonge, alors que celles-ci entraient dans une véritable prospérité que plus jamais elles n'ont connue par la suite.

L'âge d'or du vignoble charentais

Le département, alors premier département producteur national de vin à la fin du Second Empire, possède également le plus grand vignoble du monde. La vigne est alors parvenue à son apogée en Charente-Inférieure. Avec le département voisin de la Charente, le vignoble du cognac atteint la surface record de 280 000 hectares. L'évolution des surfaces plantées en vigne n'a cessé de progresser depuis la Monarchie de Juillet, elle s'est même considérablement accélérée dans les dernières années précédant 1876, c'est-à-dire quatre années après les premières apparitions signalées du phylloxéra.

L'évolution du vignoble de la Charente-Inférieure de 1839 à 1876
Vignoble 1839 1858 1866 1876
Superficie (en hectares)
111 000
116 000
130 000
164 651

Déjà, en 1866, la vigne occupe plus de la moitié de la surface agricole du département. Elle est devenue une véritable monoculture dans un très grand nombre de communes de la Saintonge comme de celles situées dans la plaine de l'Aunis. L'influence du traité du libre-échange signé en 1860 avec la Grande Bretagne a eu des répercussions considérables dans le vignoble charentais où « l'ouverture du marché britannique entraîna un vaste mouvement de plantation : l'âge d'or du vignoble charentais commença et, bien souvent, les agriculteurs abandonnèrent purement et simplement la culture du blé, se disputant le sol à prix d'or ». Cette culture était devenue hautement spéculative où « avec un très modeste lopin de terre consacré à la vigne, la rémunération annuelle du capital pouvait atteindre 15 %, voire 20 % et plus dans les zones favorisées ».

L'apparition du phylloxéra
Le phylloxéra commença à ravager le vignoble charentais à partir de 1872.

Les premières apparitions du phylloxéra sont signalées en 1872, dans le département voisin de la Charente, à Crouin, près de Cognac, et la même année en Charente-Inférieure, à Chérac, canton de Burie. Puis dans le canton d'Archiac l'année suivante. L'importation des plants américains à partir de 1867 dans les terroirs de la Saintonge, notamment dans les Borderies, avait été activement encouragée car ils avaient la particularité de pousser plus rapidement et de produire un vin avec de meilleurs rendements, mais elle est à l'origine accidentelle de l'introduction du phylloxéra. Les plants indigènes comme le pinot, le colombard et la folle blanche furent décimés par le puceron à une vitesse vertigineuse. En quelques années seulement, il ravagea les 3/4 du vignoble charentais. En 1875, la plus grande partie du vignoble de la Saintonge était phylloxérée. Une année plus tard, celui de l'Aunis fut détruit. Le fléau frappa la presqu'île d'Arvert en 1878, tandis que le vignoble des îles charentaises était encore indemne à cette date. Les ravages du phylloxéra touchèrent les îles au début des années 1880. La production du vin a en conséquence subi une chute spectaculaire, jamais enregistrée jusque-là, passant de 7 277 000 hectolitres en 1873 à 7 0000 hectolitres seulement en 1880.

Le désastre n'était pas seulement économique, il était avant tout social et allait avoir des conséquences démographiques durables dans les décennies suivantes. À partir de la fin des années 1870, le mouvement d'émigration rurale s'accéléra avec force, et beaucoup de villages commencèrent à se vider de leurs habitants, surtout les jeunes générations. Les conséquences économiques de la destruction du vignoble charentais furent visibles au tournant des années 1880, où le département dut faire face à la pire crise agricole jamais connue jusque-là.

L'impact des grands chantiers de travaux publics

Mais c'est également dans cette période charnière entre la fin du Second Empire et le début de la Troisième République que les chantiers de travaux publics sont multipliés dans le département.

La poursuite de la modernisation des voies d'eau
Le canal de Rompsay au lieu-dit Moullepied est une partie du canal de Marans à La Rochelle. Ce dernier a été ouvert au trafic en 1870 et mis officiellement en service en 1875.

Tout d'abord, la modernisation des voies d'eau est maintenue et même encouragée. La réalisation de la jonction entre la Charente et la Seudre par le creusement du canal de la Bridoire scelle près d'une quinzaine d'années de travaux qui avaient commencé sous la Monarchie de Juillet. Ce canal de 25 km de longueur, qui permet enfin de désenclaver Marennes, est mis en service dès 1862. Rapidement des entreprises chimiques s'implantent à Marennes et le canal est utilisé pour le trafic du sel produit dans les salines du bassin de la Seudre comme pour celui des pyrites en provenance de Tonnay-Charente.

Les travaux s'achèvent en 1870 pour le canal de Marans à La Rochelle, dont les premiers coups de pioche avaient commencé en 1808, et son exploitation commerciale est aussitôt mise en service.

Quant au fleuve Charente, le trafic fluvial va vers son apogée, et il connait une activité qui ne cessera de s'intensifier pendant les années 1880.

L'intensification du réseau ferroviaire

C'est pendant le Second Empire que les voies ferrées sont activement construites dans le département. A partir de 1867, soit une décennie après la première réalisation de la voie ferrée en Charente-Inférieure, une nouvelle ligne de chemin de fer est créée. Celle-ci relie Rochefort à Saintes via Tonnay-Charente et Saint-Savinien. Cette ligne est prolongée la même année en direction de Cognac et d'Angoulême. Établie sur la rive droite de la Charente sur la plus grande partie de son cours, cette nouvelle voie ferrée ne concurrencera sérieusement le fleuve qu'à partir des années 1890.

La gare de Saintes fut construite en 1867. Saintes devint un très important centre ferroviaire dès le Second Empire.
La gare de Surgères fut édifiée en 1857, elle fut parmi les toutes premières à être mise en service en Charente-Inférieure.

C'est également à Saintes que la Compagnie des Charentes fixe son siège d'exploitation et ses administrations, ainsi que les ateliers d'entretien du matériel roulant ferroviaire. Un nouveau quartier ferroviaire naît sur la rive droite de la ville et fait surgir de toute pièce un faubourg ouvrier qui s'étendra tout autour de la gare et de ses vaste emprises ferroviaires. A partir de Saintes va se constituer progressivement une étoile ferroviaire dont l'extension maximale aura lieu pendant le premier tiers de la Troisième République.

De cette étoile ferroviaire part d'abord une voie ferrée en direction de Coutras qui sera par la suite prolongée vers Bordeaux en 1874. La ligne ferroviaire qui part de Saintes, franchit le fleuve à Beillant et atteint Pons en mars 1869. Elle est prolongée vers Jonzac en janvier 1870 et rejoint Montendre en novembre 1871.

Après la guerre franco-prusse de 1870 et l'effondrement du Second Empire, les travaux de construction de voies ferrées sont activement poursuivis pendant la Troisième République. Tout d'abord, une voie ferrée est établie entre La Rochelle et La Roche sur Yon, sa mise en service est effective dès mars 1871. La nouvelle ligne, qui longe le canal de La Rochelle à Marans, dessert notamment Marans qui est alors dotée d'une gare en 1872. La voie ferrée va rapidement concurrencer le canal de Marans à La Rochelle, dont l'exploitation commence une année seulement avant la mise en service de la voie ferrée.

Sur le littoral de l'Aunis, une ligne directe est construite entre La Rochelle et Rochefort et est mise en service en octobre 1873, permettant de desservir Aytré et Angoulins. Cette nouvelle voie ferrée va permettre de sauvegarder pour un temps les salines de l'Aunis et surtout de faire naître de nouvelles stations balnéaires comme Châtelaillon-Plage et Fouras.

Le train arrive en 1875 à Royan, au départ de la gare de Pons qui devient un important carrefour ferroviaire. Cette nouvelle voie ferrée dessert notamment Gémozac, Cozes et Saujon. Cette dernière, alors grosse bourgade rurale qui commence sa mutation urbaine, va devenir également un important carrefour ferroviaire d'où partira en 1876 une voie ferrée en direction de La Tremblade.

Enfin, Saint-Jean d'Angély est desservie par une voie ferrée à partir de janvier 1878. La sous-préfecture va connaître par la suite, dans la décennie des années 1880, un rôle important en matière de centre ferroviaire.

La mutation urbaine des principales villes du département

Toutes ces réalisations exercent un impact considérable sur l'économie du département, qui profitent surtout aux villes. Celles-ci commencent réellement leur mutation urbaine à cette époque, principalement trois d'entre elles, La Rochelle, Saintes et Royan, tandis que Rochefort entre en récession depuis la fermeture de la Corderie royale en 1867 et la réduction des activités de son arsenal maritime.

Les halles de Rochefort (actuel Palais des congrès). La cité militaire demeure toujours la première ville de la Charente-Inférieure entre la fin du Second Empire et la Troisième République, mais elle connaît une crise démographique dans cette période suite à la fermeture de la Corderie royale et à la forte réduction des activités de son arsenal militaire.
Évolution décennale de la population des quinze villes de la Charente-Inférieure de 1861 à 1881
Ville 1861 1872 1881
Rochefort 30 212 hab. 28 299 hab. 27 854 hab.
La Rochelle 18 904 hab. 19 506 hab. 22 464 hab.
Saintes 10 962 hab. 12 347 hab. 15 763 hab.
Saint-Jean-d'Angély 6 392 hab. 6 812 hab. 7 279 hab.
Royan 4 005 hab. 4 685 hab. 5 445 hab.
Marennes 4 455 hab. 4 495 hab. 4 945 hab.
Pons 4 894 hab. 4 738 hab. 4 895 hab.
Marans 4 510 hab. 4 284 hab. 4 736 hab.
Tonnay-Charente 3 703 hab. 3 872 hab. 3 904 hab.
Surgères 3 289 hab. 3 580 hab. 3 784 hab.
Jonzac 3 005 hab. 3 260 hab. 3 210 hab.
Saint-Savinien 3 306 hab. 3 214 hab. 3 192 hab.
Le Château d'Oléron 3 518 hab. 3 328 hab. 3 132 hab.
Saujon 2 889 hab. 2 891 hab. 3 130 hab.
La Tremblade 3 042 hab. 2 636 hab. 3 090 hab.

L'évolution des villes est assez inégale mais la majorité d'entre elles enregistre des croissances démographiques assez remarquables, seules les villes militaires ne participent pas à cette expansion, ayant payé un lourd tribut au conflit franco-prusse de 1870. Parmi celles-ci se trouve la citadelle du Château d'Oléron qui a perdu beaucoup d'habitants entre 1861 et 1881, enregistrant une baisse de 11 % de sa population entre ces deux recensements.

Le déclin temporaire de Rochefort

De même en est-il pour Rochefort qui passe sous la barre des 30 000 habitants et perd dans cette même période 2 358 habitants, ce qui est considérable. Bien qu'elle demeure toujours la première ville de la Charente-Inférieure, Rochefort connaît quelques difficultés avec la réduction drastique des activités de son arsenal où les bâtiments de guerre qui nécessitent de plus grands tirants d'eau ne peuvent être construits sur le site rochefortais : « L'arsenal, pour des raisons techniques, déclinera au profit de Brest qui offrait plus de facilités, surtout pour les navires de haut rang ». De plus, la fermeture définitive de la Corderie royale en 1867 contribue au ralentissement des activités de l'arsenal maritime. La Corderie royale, qui avait fourni depuis sa création toute la Marine de guerre en cordages dont la matière première était le chanvre livré par les paysans d'Aunis et de Saintonge, avait commencé à décliner rapidement dès l'apparition de la marine à vapeur et la généralisation de l'emploi du câble-chaîne. Cependant, la municipalité de Rochefort décide de miser sur son port de commerce où, pendant le Second Empire, deux bassins à flot sont creusés de 1857 à 1869 pouvant accueillir des navires d'un tirant d'eau de 5,50 mètres. Cet agrandissement portuaire s'avèrera vite insuffisant et un troisième bassin à flot est alors mis en chantier à partir de 1880. Dans cette même période, Rochefort développe sa desserte ferroviaire par la nouvelle jonction avec La Rochelle dont la voie ferrée est inaugurée en décembre 1873 tandis qu'une ligne ferroviaire est projetée en direction de Marennes à partir de 1874. Ces efforts se révèleront payants dans la décennie suivante où Rochefort renouera avec la croissance démographique et urbaine.

La mutation urbaine de La Rochelle, Saintes et Royan

Si la plupart des villes sont en croissance, trois d'entre elles se détachent nettement du lot et commencent leur véritable essor urbain à partir de la fin du Second Empire : La Rochelle, Saintes et Royan.

Le Vieux-Port de La Rochelle. La ville franchit pour la première fois les 20 000 habitants en 1881, mais elle demeure encore la seconde ville de la Charente-Inférieure.

La Rochelle franchit pour la première fois, au XIXe siècle, le cap des 20 000 habitants, recensant 22 464 habitants en 1881, après l'annexion d'une troisième commune. Mais elle demeure toujours la seconde ville de la Charente-Inférieure, se situant après Rochefort (27 854 habitants en 1881). C'est véritablement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que La Rochelle commence sa mutation urbaine dont les prémices du développement avaient commencé pendant la Monarchie de Juillet. Cette croissance urbaine se fait sans à-coups, elle est régulière et soutenue. Il faut préciser que l'expansion de la ville se fait vers l'ouest en direction de Saint-Maurice et de Laleu, petits villages qui sont peu à peu absorbés par la ville. Centre administratif et commercial par excellence, La Rochelle commence à devenir un grand port de pêche depuis l'aménagement du bassin des chalutiers dont les travaux sont achevés en 1862. Conçu à l'origine pour les besoins du trafic maritime pouvant recevoir des navires jaugeant 800 tonneaux maximum, ce nouveau bassin va rapidement devenir le haut-lieu de la pêche rochelaise. Depuis la création d'une première gare ferroviaire inaugurée en septembre 1857, un nouveau faubourg urbain s'est spontanément formé au sud de la ville et devient le quartier des cheminots (Tasdon). Le paysage urbain de La Rochelle change rapidement depuis que la ville déborde au-delà de son vieux noyau urbain toujours cerné par d'obsolètes murailles et dont les portes de ville sont devenues inadaptées au nouveau trafic urbain.

Le Palais de justice de Saintes a été construit en 1863 sur le cours national. Saintes est alors le chef-lieu judiciaire de la Charente-Inférieure en compensation de la perte de sa fonction de préfecture en 1810. A partir du Second Empire, la ville connait un essor urbain sans précédent.

Saintes, demeure la troisième ville de la Charente-Inférieure, mais elle enregistre une croissance démographique remarquable grâce à sa fonction ferroviaire de premier plan dans le département. Le siège de la Compagnie des Charentes fait travailler des milliers de personnes (2 382 emplois créés en 1877)p. 53, ce qui est considérable. La ville voit naître un nouveau quartier qui s'établit sur la rive droite de la Charente. Ce nouveau faubourg se développe au voisinage immédiat de vastes ateliers ferroviaires et d'infrastructures ferrées dont l'emprise au sol est supérieure au vieux noyau urbain de la ville. La création d'un nouveau boulevard qui relie la rive gauche de la cité à la rive droite où se trouve la gare via le nouveau pont sur la Charente accroît sensiblement le trafic urbain. Saintes continue de s'embellir et de s'équiper, notamment par la construction d'un nouveau Palais de Justice en 1863 et d'un nouvel hôtel-de-ville édifié en 1874, en remplacement de celui dévasté par un incendie en 1871 et dont la perte de précieuses archives de la ville est une vraie catastrophe. La population de Saintes s'accroit de près d'un tiers entre 1861 et 1881, passant de 10 962 habitants à 15 763 habitants. Elle fait alors partie des villes du département qui enregistrent les plus fortes augmentations démographiques.

Photographie d'une villa en pierre taillée claire, à plusieurs étages et haut toit d'ardoises, flanquée de deux clochetons de chaque côté. Accès par un escalier monumental à double révolution en pierre et hautes fenêtres aux huisseries blanches avec des balcons à colonnades.
La villa « Les Campaniles » s'inspire largement de l'ancien casino de Foncillon, détruit en 1945. Pendant le Second Empire et la première décennie de la Troisième République, Royan devient la station du "Tout Bordeaux".

Royan franchit pour la première fois de son histoire démographique le cap des 5 000 habitants dès 1876. De plus, la station balnéaire est devenue la cinquième ville de la Charente-Inférieure, et sa croissance est d'une remarquable constance depuis le début du siècle. La station balnéaire continue de se couvrir de magnifiques villas et le quartier de Foncillon sort de terre dès le milieu du Second Empire. Elle devient une ville très prisée de la haute société urbaine de Bordeaux, puis de Paris après 1875, ainsi que de la bourgeoisie provinciale. Son site remarquable, son front de mer, ses larges plages de sable fin, ses pinèdes et ses promenades urbaines aménagées, alliés à la douceur de son climat, en font une station très en vogue, elle devient la station du "Tout Bordeaux". L'arrivée du chemin de fer en 1875 lui impulse un nouvel élan urbanistique où, à partir de cette date, la ville va entrer dans une profonde mutation urbaine et architecturale, se couvrant de magnifiques et somptueuses villas, nichées en bord de mer ou dans des écrins de verdure ou de forêt. Royan se dote d'une politique municipale très ambitieuse, à la hauteur de ses moyens, et qui portera ses fruits durablement dans les décennies suivantes.

L'évolution contrastée des petites villes

Les petites villes connaissent des évolutions démographiques globalement positives, mais trois d'entre elles vont connaître de sérieux revers après la crise du phylloxéra.

Le cas de Pons est assez parlant. La petite ville ne franchit jamais le cap symbolique des 5 000 habitants. La cité pontoise atteint d'ailleurs son maximum démographique avec 4 969 habitants au recensement de 1866, chiffre de population qu'elle n'a plus jamais dépassé par la suite. Elle fait partie des quelques villes du département qui n'ont toujours pas retrouvé et dépassé leur maximum démographique. Pourtant, parmi les villes de la Saintonge, Pons fait partie de celles qui ont été parmi les toutes premières à être équipées d'une gare ferroviaire et d'équipements importants. La ville n'a pas su tirer profit de ces infrastructures innovantes pour l'époque, ce qui lui aurait permis un véritable décollage de ses activités économiques et urbaines. Vivant repliée sur son négoce des eaux de vie, Pons sera par la suite durablement "paralysée" par la crise du phylloxéra.

Surgères est dans une situation identique à celle de Pons, où ces deux villes ont connu un véritable "âge d'or" pendant toute la période du Second Empire. Surgères voit sa population croitre très fortement jusqu'en 1876, avant que les effets pernicieux du phylloxéra ne viennent ruiner son économie urbaine. En 1876, année de son maximum démographique pendant tout le XIXe siècle, la ville enregistre alors 3 855 habitants, chiffre qu'elle ne dépassera que dans les années d'après-guerre, malgré la brillante reconversion de ses activités économiques au début du XXe siècle.

Les halles de Saint-Savinien ont été construites en 1865. A partir de la Troisième République, la petite cité fluviale entre dans une récession inexorable caractérisée par un déclin démographique ininterrompu.

Le cas de Saint-Savinien est plutôt atypique. La petite cité fluviale, bien que desservie par le train en 1867 et dotée d'une gare importante, entre dans une récession inexorable. La construction d'un pont sur le fleuve en 1867 rompt l'isolement de ce bourg en déclin mais ne contribue pas à faire de Saint-Savinien un carrefour d'échanges dans la vallée de la Charente. C'est que les activités de son port fluvial se sont considérablement réduites malgré d'importants travaux d'aménagement des bords de la Charente avec la construction d'un canal de dérivation. Le port de Saint-Savinien n'était pas équipé pour recevoir les gros navires à vapeur. Il subit de plein fouet la concurrence de Tonnay-Charente, devenu alors le grand et unique port exportateur des eaux de vie de cognac des pays Charentais. Pendant ce temps, Saint-Savinien a perdu son chantier de construction navale et les activités de ses carrières ont commencé à se réduire fortement du fait de la crise du phylloxéra qui a entraîné une crise du bâtiment. Ce secteur d'activité a été en effet très durement touché par la crise viticole qui a atteint en premier lieu la Saintonge. Cependant, cette industrie se maintiendra jusqu'à la fin du XIXe siècle et une importante distillerie d'eaux de vie se développera même après que le phylloxéra aura ruiné la région.

Une des rues commerçantes parallèles à l'ancienne rue principale de Tonnay-Charente avec au fond le pont suspendu

Tonnay-Charente est devenu à partir du Second Empire le grand port du cognac. Son trafic portuaire a quasiment "explosé" depuis la signature du traité de libre échange avec la Grande Bretagne de 1860. Les exportations des eaux de vie de cognac sont passées de 200 000 hl après 1860 à 450 000 hl en 1871. Le port, dont les travaux d'aménagement des quais avaient eu lieu pendant la Monarchie de Juillet, profite pleinement de la modernisation de ces équipements et se trouve parfaitement adapté aux conditions nouvelles de la marine à vapeur qui exige des tirants d'eau de plus en plus importants. Pouvant alors accueillir sans encombre des navires de haute mer allant jusqu'à 5 000 tonneaux de port en lourd, il concurrence désormais le petit port fluvial de Saint-Savinien, alors en plein déclin, et qui ne peut recevoir des bâtiments jaugeant plus de 250 tonneaux. La cité fluviale qui est également desservie par la voie ferrée Angoulême-Saintes-Rochefort depuis 1867 est également un centre routier de premier plan depuis la construction du Pont suspendu qui enjambe le fleuve depuis 1842. Desservie désormais par la route royale Bordeaux-Saint-Malo - qui deviendra plus tard la route nationale 137 -, Tonnay-Charente se développe à la fois comme centre commercial, carrefour routier et port fluvial et voit sa population croître régulièrement depuis le Second Empire occupant le 9e rang en Charente-Inférieure en 1881.

Sur le littoral, le triomphe de l'ostréiculture moderne, stimulée par la desserte ferroviaire, contribue à faire vivre les petites villes du bassin de la Seudre. Ainsi, trois d'entre elles vont continuer leur mutation urbaine : Marennes, La Tremblade et Saujon. Parmi celles-ci, Marennes va connaître un véritable essor urbain qui en fera une des villes les plus attractives du département, et ce, jusqu'au début du siècle suivant.

Saujon enregistre une croissance démographique plus modérée mais celle-ci demeure tout de même positive. La petite ville, située au fond de l'estuaire de la Seudre, franchit pour la première fois de son histoire démographique le cap des 3 000 habitants en 1881 enregistrant 3 130 habitants.

Les quais du port de Saujon

Saujon connaît deux étapes importantes dans son évolution urbaine qui vont déterminer les bases de son avenir. Tout d'abord, à partir de 1875, Saujon devient un carrefour ferroviaire étant située sur la ligne ferrée reliant Pons à Royan puis, depuis 1876, elle est reliée à La Tremblade sur la rive gauche de la Seudre. Elle est en fait choisie pour être "la gare principale de triage du réseau de la Seudre" et conservera longtemps ce rôle de plaque tournante ferroviaire en Charente-Inférieure. Cette fonction ferroviaire est importante pour la ville car, en même temps que se développe l'activité d'échanges ferroviaires, le port de Ribérou décline petit à petit. Son port subit les problèmes récurrents d'envasement dû à la marée montante et les opérations de désenvasement finissent par devenir trop coûteuses. Ensuite, il ne peut recevoir des navires à vapeur de gros tonnage. Le port de Ribérou est alors condamné à un abandon certain et son trafic à un déclin rapide que va grandement faciliter le train dans la décennie suivante. Mais, à partir de 1860, la petite ville a commencé à devenir une station thermale, ce qui lui permettra de développer une fonction hôtelière et résidentielle grâce également à sa proximité privilégiée de Royan, la grande station balnéaire du littoral charentais.

Une personne sur quatre vit dans les villes en 1881

Ce développement urbain va contribuer à freiner le mouvement de l'exode rural enclenché depuis les années 1860 et à stabiliser en partie la population du département jusqu'au seuil des années 1880.

De 1872 à 1881, le taux de population urbaine passe de 23,6 % à 24,8 %, ce qui fait que désormais un habitant sur quatre vit dans l'une des quinze villes du département. Ce qui est encore peu, mais l'urbanisation va s'accélérer dans les principales villes à partir de la décennie suivante, bien qu'elles ne pourront absorber les populations issues de l'exode rural qui deviendra massif à partir des années 1880, étant amplifié cette fois par la grave crise du phylloxéra.

La période 1881-1911 : La poursuite du déclin démographique

A partir des années 1880, l’exode rural s’est fortement accéléré et, ce, pendant une trentaine d’années, où, de 1881 à 1911, le département perd 15 372 habitants. La Charente-Inférieure devient dès lors un département d'émigration, situation démographique nouvelle qui touche l'ensemble des départements du Centre-Ouest.

Pourtant, l'économie agricole va connaître de profondes mutations et les principales villes du département devenir de véritables pôles d'attraction et des points d'ancrage pour fixer les populations rurales à la recherche d'un emploi.

Évolution démographique
1881 1886 1891 1896 1901 1911
466 416 462 803 456 202 453 455 452 149 451 044

La crise du monde rural

Dans cette longue période où d'importants changements vont s'opérer, quelquefois dans la douleur, les graves répercussions de la crise du phylloxéra qui ravagea le vignoble charentais à partir de 1875 se sont fait durablement ressentir. Une véritable crise économique et sociale a alors secoué le monde rural et les petites villes viticoles. C’est alors que les campagnes se sont vidées inexorablement de leurs habitants et nombre de villages ont perdu plus du quart à un tiers de leur population. Ce qui est considérable.

Les chiffres sont particulièrement parlants. Dès 1872, la population rurale a cessé de progresser et a commencé à diminuer très fortement à partir de 1881 comme le montre le tableau suivant. Ainsi, de 1872 à 1911, la Charente-Inférieure enregistre un départ record de près de 50 000 ruraux, plus précisément, ce sont 49 667 habitants qui ont quitté les campagnes d'Aunis et de Saintonge.

Évolution de la population rurale de 1872 à 1911 en Charente-Inférieure
Commune 1872 1881 1891 1911
Population rurale 355 633 350 713 325 653 305 966
Proportion des ruraux en Charente-Inférieure 76,4 % 75,2 % 71,4 % 67,8 %

Alors qu'en 1872 la proportion des ruraux était écrasante avec plus des trois-quarts de la population totale, celle-ci s'est beaucoup amenuisée à la veille de la Première Guerre mondiale tout en demeurant largement majoritaire avec une proportion correspondant à un peu plus des deux-tiers de la population départementale.

Cette baisse démographique de la population rurale est visible dans toutes les communes rurales de la Charente-Inférieure et rares sont les villages et les hameaux qui ont été épargnés par cet exode agricole d'une ampleur jamais égalée jusque là. Quelques exemples suffisent à montrer l'intensité de ce phénomène social et démographique qui a profondément touché l'ensemble du département dans le dernier tiers du XIXe siècle et au début du siècle suivant.

Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de la Saintonge de 1881 à 1911
Commune 1881 1891 1901 1911
Archiac 1 110 974 855 802
Asnières-la-Giraud 1 281 1 130 1 002 886
Brizambourg 1 546 1 345 1 177 1 069
Burie 1 530 1 599 1 623 1 407
Chérac 1 322 1 278 1 177 1 125
Cozes 1 837 1 688 1 553 1 446
Ecoyeux 1 144 980 902 887
Matha 2 214 2 087 2 034 1 916
Meursac 1 516 1 380 1 322 1 240
Mirambeau 2 189 2 095 1 951 1 877
Saint-Romain-de-Benet 1 624 1 416 1 346 1 379
Sonnac 1 091 1 014 960 910
Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de l'Aunis de 1881 à 1911
Commune 1881 1891 1901 1911
Aigrefeuille d'Aunis 1 762 1 648 1 542 1 561
Forges 1 002 906 892 893
La Jarrie 1 113 968 796 774
Marsais 1 542 1 233 1 150 1 105
Saint-Georges-du-Bois 1 685 1 557 1 422 1 423
Saint-Mard 1 563 1 214 1 151 1 091
Saint-Sauveur-d'Aunis 1 284 1 123 940 950
Vérines 1 212 974 914 877

La baisse démographique a concerné toutes les communes rurales de l'Aunis et de la Saintonge dans la période allant de 1881 à 1911 et pratiquement aucune de ces communes n'a échappé à la déprise rurale.

Ce phénomène a été particulièrement fort dans la décennie 1881-1891 où les villages ont connu des baisses spectaculaires de leur population, notamment ceux de l'Aunis. Les communes de Marsais et de Saint-Mard dans le canton de Surgères ou bien celle de Vérines dans le canton de La Jarrie ont enregistré des chutes démographiques exceptionnelles, respectivement - 20 %, - 22,3 % et - 19,6 %. En Saintonge, ce phénomène est également constaté mais avec une moindre ampleur. Ainsi en est-il des communes d'Archiac, de Brizambourg ou encore de Saint-Romain-de-Benet qui affichent respectivement - 12,3 %, - 13 % et - 12,8%. En fait, c'est dans la durée que la baisse démographique s'affiche de manière spectaculaire.

Ainsi, les villages de la Saintonge paraissent avoir été touchés plus profondément que ceux de l'Aunis. Dans la période 1881-1911, nombre de communes ont perdu plus d'un quart à environ un tiers de leur population. C'est le cas précisément d'Asnières-la-Giraud qui affiche l'une des pertes démographiques les plus sévères avec - 30,8 % ou bien de Brizambourg qui perd dans ce même laps de temps 30,9 % de sa population, ou bien encore d'Ecoyeux qui enregistre une baisse de 22,5 %. Parmi les gros chefs-lieux de canton, les décroissances démographiques sont également très fortes. Archiac perd 27,7 % de sa population, Cozes - 21,3 %, Mirambeau - 14,3 %. Certains de ces chefs-lieux de canton passent au-dessous de la barre des 2 000 habitants comme Mirambeau et Matha.

Les conséquences de la crise du phylloxéra ont été multiples à bien des égards. Parmi celles-ci, une des répercussions les plus sévères est celle du départ des jeunes générations. Ainsi, entre 1875 et 1890, la crise du phylloxéra provoque un exode massif de 10 000 jeunes de moins de 20 ans. Ce départ engendre par la suite un inéluctable vieillissement de la population rurale où, pour la seule année 1893, les décès sont devenus plus nombreux que les naissances. Cette année-là, 9 317 décès sont enregistrés dans l'ensemble du département contre 8 079 naissances. Si l'espérance de vie moyenne a sensiblement augmenté, elle était de 44 ans en 1893, elle ne suffit pas pour autant à enrayer la dépopulation du département, ni à stabiliser l'évolution démographique départementale.

Il faut préciser qu'après la tourmente des années 1880 où nombre de terres viticoles ont été abandonnées, la reconversion partielle de la monoculture d'origine viticole vers l'élevage laitier et les cultures fourragères a entrainé l'apport de nouvelles populations limitant en cela une dépopulation dramatique du département. Ainsi, plus de 3 000 Vendéens et Limousins ont racheté des terres vendues à moitié prix et se sont fixés dans les plaines de l'Aunis et les plateaux de la Saintonge effectuant une spectaculaire reconversion agricole des régions charentaises. Mais cet apport de population nouvelle n'a pas jugulé la baisse démographique du département. Tout au plus, a-t-elle ralenti pendant un temps l'hémorragie démographique en Aunis où quelques villages comme Aigrefeuille-d'Aunis, Forges, Saint-Georges-du-Bois ou Saint-Sauveur-d'Aunis ont même enregistré une légère reprise démographique entre 1901 et 1911. Mais cette accalmie a été de bien courte durée.

La reconversion d'une partie de l'économie agricole a eu des répercussions différentes d'une région à une autre. L'abandon des vignes et son remplacement par l'élevage laitier a permis de préserver temporairement les campagnes de l'Aunis de la dépopulation à l'aube du XXe siècle tandis que la Saintonge en diversifiant ses productions agricoles par l'introduction d'une polyculture familiale de production n'a pas pu enrayer le mouvement inexorable de l'exode rural.

Les mutations de l'agriculture

C'est dans cette période cruciale de l'économie rurale du département que l'agriculture connaît de profondes mutations. Si la Saintonge qui correspond aux arrondissements de Saint-Jean-d'Angély, Saintes et Jonzac a reconstitué en grande partie son vignoble, il n'en a pas été ainsi de l'Aunis qui a quasiment abandonné cette culture qu'elle pratiquait depuis le Moyen Âge à l'exception de l'île de Ré. L'introduction de l'élevage laitier et des prairies artificielles ainsi que le développement des cultures céréalières datent de cette époque et ont permis une reconversion spectaculaire de la vie agricole du département.

L'évolution agricole

La crise du phylloxéra a exercé un impact profond et durable sur les formes traditionnelles de l'agriculture charentaise. Ce bouleversement de la vie agricole du département se caractérise à la fois par la modification des paysages agricoles et par l'utilisation de nouvelles techniques agricoles.

Tout d'abord, l'arrachage de la vigne a laissé des terres libres, dont les unes étaient assez humides pour devenir des prairies naturelles (vallées de la Charente, de la Boutonne et de la Seugne), dont les autres pouvaient être transformées en prairies artificielles avec utilisation d'engrais phosphatés sur les sols décalcifiés. Ces dernières seront très présentes en Aunis et dans le nord de la Saintonge (cantons de Loulay, de Tonnay-Boutonne et de Saint-Savinien) et verront les anciennes parcelles de vignes transformées en champs de trèfle, de sainfoin et de luzerne. Le changement du paysage agricole de l'Aunis a été certainement le plus radical de tout le département. Cette utilisation nouvelle du sol charentais a été, d'autre part, en relation étroite avec l'essor de l'élevage laitier qui naît en Aunis et devient le berceau de la coopération laitière dans tout le Centre-Ouest de la France. Vers 1880, les vaches laitières sont représentées localement par les saintongeaises, les maraîchines et les parthenaises, mais les gâtinaises représentent l'essentiel du cheptel laitier. Si ces troupeaux ne cessent d'augmenter, ils évoluent aussi vers d'autres races plus productives. En effet, à partir des années 1900, elles seront remplacées par les normandes réputées pour leur lait riche en matières grasses et donnant d'excellents résultats.

Il faut préciser que l'élevage était majoritairement constitué avant la crise du phylloxéra par des bœufs utilisés pour les labours, par des chevaux, surtout dans la région de Rochefort et de Marennes et destinés principalement pour les besoins de l'arsenal et de l'Armée, et par des mulets dans la région d'Aulnay et la vallée de la moyenne Boutonne. Mais l'essor du mouvement coopératif laitier va accroître l'élevage des vaches laitières dans d'importantes proportions. Le cheptel laitier fait un bond en avant passant de 42 000 têtes en 1882 à 60 000 en 1892 et 100 000 en 1922. Cet élevage est à l'origine de la création de nombreuses laiteries et notamment de laiteries coopératives qui se sont spécialisées dès le début dans la fabrication du beurre.

La mutation de l'agriculture est signalée également par trois autres formes de culture qui, avant la crise du phylloxéra, étaient très secondaires ou marginales.

Dans les années 1880-1890, les marais qui ont connu d'importants travaux de dessèchement (Marais poitevin, Marais de Rochefort) deviennent de grandes terres à céréales où le blé, le seigle, l'avoine et les plantes légumineuses connaissent un "immense développement". C'est également dans cette même période que les terres calcaires de l'Aunis, autrefois entièrement dévolues à la vigne, sont reconverties en une grande plaine de culture céréalière et de cultures fourragères.

A partir des années 1890, la culture de la betterave à sucre se développe rapidement là où les vignes ont été arrachées et les terres reconverties comme en Aunis, principalement dans le canton d'Aigrefeuille-d'Aunis, et même en Saintonge où la région de Pons adoptera cette nouvelle production plutôt rentable à ses débuts. Bien que cette culture fut déjà introduite vers 1840 en Aunis, elle ne subsistera pas au-delà des années 1930 et au plus fort de son développement, en 1912, seulement 2 870 ha de terres étaient consacrées à la betterave sucrière en Charente-Inférieure. Pourtant, cette culture innovante pour l'époque faisait tourner plusieurs distilleries et sucreries industrielles dont celle de Forges qui fut créée en 1892.

Enfin, un des aspects le plus souvent méconnu dans les nouvelles formes de l'agriculture suscitées par la crise du phylloxéra est le développement rapide des peupleraies en bordure des vallées fluviales. En effet, de nombreux paysans, traumatisés par la ruine de la vigne, en pratiquant la polyculture de subsistance vont devoir multiplier les ressources agricoles pour augmenter leurs revenus. Les plantations de peupliers, notamment le blanc du Poitou, vont se généraliser au début du XXe siècle dans les grandes vallées fluviales au milieu de larges prairies naturelles (vallées de la Charente, de la Boutonne et de la Seugne en Saintonge, vallées de la Sèvre niortaise, du Curé et de la Gères en Aunis...) et créer un nouveau paysage agricole, devenu familier aujourd'hui.

Il serait incomplet de ne pas mentionner l'impact des nouvelles techniques agricoles introduites vers la fin du XIXe siècle dans la foulée de la crise du phylloxéra et qui ont d'ailleurs largement contribué à accélérer l'exode rural. Génératrices du progrès agricole et libératrices de main d'œuvre, les nouvelles machines sont apparues à partir de 1875, plus souvent après 1880, comme la moissonneuse à vapeur, la herse articulée, le semoir en ligne et, autour de 1900, la batteuse-vanneuse à vapeur tandis que le rouleau de pierre est pratiquement abandonné. Au début du XXe siècle, à peu près tous les villages du département sont pourvus en batteuses-lieuses, ce progrès agricole a permis de mettre fin à la longue tradition de la fauchaison manuelle, appelée plus souvent fenaison. En Aunis, une vraie révolution apparaît dans les labours avec l'emploi des engrais phosphatés et de la charrue Brabant puis, vers 1900, de la Brabant double et va faire de cette région agricole une terre d'exportation de céréales à partir des années 1920. Il est vrai que l'introduction de ces outils de production modernes pour l'époque ne s'est pas faite uniformément et ne s'est pas faite non plus sans inquiétudes, ni sans heurts, suscitant localement la colère des métiviers qui perdaient irrémédiablement leur emploi.

La reconstitution du vignoble en Saintonge

Tout d'abord, le vignoble de la Saintonge s'est reconstitué peu à peu, principalement dans la partie orientale, en limite du département voisin de la Charente, du canton de Matha jusqu'à celui de Jonzac enserrant le vignoble du Cognaçais. Les vignes les mieux implantées furent préservées et mises en valeur. Les vignerons qui avaient pu écouler leurs stocks d'eaux de vie s'enrichirent et achetèrent de nouvelles terres qu'ils plantèrent de nouveau en vignes, notamment dans les Borderies et dans les Champagnes de Pons, d'Archiac et de Jonzac.

Zone de production du cognac

C'est dans cette région que les distilleries d'eaux de vie de Cognac sont les plus nombreuses, étant situées idéalement dans les vignobles les mieux reconstitués et tout près de Cognac qui devient plus que jamais la grande place marchande des eaux de vie. A la demande des puissants négociants de Cognac, une délimitation des eaux de vie du cognac est mise en place au début du XXe siècle, et officialisée le 1er mai 1909 en « zone d'appellation contrôlée » du cognac. Ce zonage qui englobe les deux départements charentais délimitent six zones de production préservant la qualité d'un produit de renommée mondiale.

La reprise en mains du vignoble charentais ne s'est pas accomplie sans difficultés et a nécessité une vraie ténacité. La dévastation causée par le terrible puceron a entraîné de vrais drames humains. Les terres avaient perdu jusqu'à la moitié de leur valeur initiale et nombre de petits vignerons avaient été contraints de vendre leurs exploitations. Si l'année 1884 voit l'interruption du fléau dans le vignoble charentais, l'arrachage des vignes s'est poursuivie systématiquement jusqu'en 1890, année où elles n'occupent plus que 20 000 hectares dans l'ensemble du département. Mais en 1894-95, les ravages causés par le mildiou firent craindre à une recrudescence d'un nouveau fléau. Cependant, de grands progrès avaient pu être obtenus grâce à la greffe de plants américains, immunisés contre la maladie, sur des plants d'origine. Dès 1894, le vignoble put être reconstitué.

La reconstitution du vignoble ne s'est donc pas effectuée uniformément, puisque les cantons du nord et du nord-ouest de la Saintonge (cantons d'Aulnay, de Loulay, de Saint-Savinien et de Tonnay-Boutonne) ainsi qu'une grande partie de l'Aunis (cantons de Surgères et d'Aigrefeuille-d'Aunis et tout l'arrondissement de La Rochelle à l'exception de l'île de Ré) ont abandonné la viticulture. Ainsi, au tout début du XXe siècle, la superficie consacrée à la vigne est-elle trois fois inférieure à celle de l'année record de 1876 qui sert de référence.

L'évolution du vignoble de la Charente-Inférieure de 1876 à 1900
Vignoble 1876 1882 1892 1894 1896 1900
Superficie (en hectares) 164 651 84 055 24 908 33 368 45 000 50 000

Le vignoble reconstitué en Saintonge n'est plus celui d'avant la crise du phylloxéra ayant considérablement changé de physionomie. Tout d'abord, il s'est fait de préférence sur les coteaux les mieux exposés et sur les sols les plus siliceux. Ensuite, ses plants d'origine américaine sont profondément différents des anciens plants représentés par le pinot qui donnait une vigne rampante. Les rangs de vigne sur des piquets bien alignés datent de l'époque de la reconstitution du vignoble qui s'est faite entre 1895 et 1900. Enfin, les courèges ont été abandonnés et remplacés jusqu'au seuil des années 1980 par des plantations d'arbres fruitiers (pêchers, abricotiers, poiriers, pruniers…).

De plus, il est intéressant de noter que le centre de gravité du vignoble saintongeais s'est déplacé entre Saintes et Jonzac, alors qu'il était historiquement tourné vers Saint-Jean-d'Angély et l'Aunis.

L'hôtel de ville de Burie fut érigé en 1888 après le désastre de la crise du phylloxéra de 1875.

En Saintonge, beaucoup de villages sont profondément touchés par la crise démographique, aggravée par le phylloxéra, mais les bourgs plus importants, généralement de gros chefs-lieux de canton, ont résisté plus longtemps au déclin démographique. C'est dans ces grosses communes viticoles que de nouvelles maisons de maître sont édifiées, ainsi que des logis et quelquefois de petits châteaux construits par de riches négociants en eaux de vie, tandis que la puissance publique se manifeste par l'édification de beaux bâtiments publics en pierre de taille, généralement de style néo-classique, comme les mairies, les écoles publiques, les halles, les gendarmeries. Le nouvel hôtel de ville de Burie en est une des plus étonnantes illustrations alors qu'il fut construit dans cette période de crise du phylloxéra qui avait affecté les riches campagnes de la Saintonge et de l'Aunis depuis le début de la Troisième République.

La reconversion agricole de l'Aunis

Les vignobles de l’Aunis ont également été durement touchés par le fléau du phylloxéra, mais dans cette partie septentrionale du département, la vigne a quasiment été abandonnée. Les conséquences démographiques ont été là aussi très sévères. Un gros bourg comme Aigrefeuille-d'Aunis voit sa population diminuer d’un sixième de ses habitants entre 1881 et 1901.

Mais l'Aunis va faire face à cette dramatique situation en se détournant de la vigne et en se tournant vers l'élevage laitier, les productions fourragères et la céréaliculture. Cette reconversion s'avèrera radicale au point que la plaine d'Aunis si réputée pour ses plantations interminables de vignes deviendra une terre d'élevage laitier particulièrement dynamique.

La nouvelle économie laitière naît au nord de Surgères, dans un petit hameau de la commune de Saint-Georges-du-Bois, à Chaillé où, en 1888, un paysan introduit ingénieusement le système de la production laitière coopérative. Cette activité se révèle si rentable qu'elle fédère un grand nombre d'agriculteurs et entraîne dès lors la multiplication des laiteries coopératives. A la fin de l'année 1889, déjà cinq coopératives laitières fonctionnent dans le canton de Surgères, à Bois-Hardy (commune de Saint-Georges-du-Bois), Saint-Mard, Surgères, Vandré et Vouhé. En 1893, l'Association Centrale des Laiteries Coopératives est fondée à Surgères et va assoir durablement les assises de la coopération laitière dans le Centre-Ouest de la France. Le mouvement coopératif laitier qui est né en Aunis se propage rapidement en Saintonge, puis dans les départements limitrophes de la Charente-Inférieure. Dès 1894, 40 laiteries coopératives sont en activité autour de Surgères, elles seront 95 à fonctionner en 1900. Cette nouvelle spécialisation agricole qui apparaît avec l'élevage laitier introduit une véritable innovation économique dans le département, c'est ce qui fera dire à un célèbre auteur régional : "C'est de la crise du phylloxéra qu'est née la vocation laitière de notre région".

L'essor des activités du littoral

Pendant tout le Second Empire, le littoral a joué un rôle économique et social d'égale importance avec les campagnes viticoles de l'Aunis et de la Saintonge. Après la crise du phylloxéra et pendant toute la longue période de la IIIe République, la frange côtière du département devient nettement attractive, à l'exception cependant des îles doublement frappées par la crise viticole et la crise salicole.

La poursuite du déclin des salines

Les chiffres sont particulièrement évocateurs dans ce domaine. La crise de la saliculture charentaise qui remonte au tout début de la Monarchie de Juillet n'a cessé de s'amplifier et est allée en s'aggravant fortement au début du XXe siècle.

L'évolution de la surface des salines de la Charente-Inférieure de 1830 à 1913
Salines 1830 1885 1913
Superficie (en hectares)
50 000
11 000
4 000

Durant tout le XIXe siècle, le déclin des salines de la Charente-Inférieure n'a fait que d'empirer en raison de l'ouverture des marchés extérieurs et surtout de la concurrence du sel gemme, ce dernier ayant porté un coup très rude aux sels de l'Atlantique.

Les salines ont le mieux résisté dans l'île de Ré mais la saliculture est en plein déclin pendant tout le XIXe siècle sur l'ensemble du littoral charentais.

La production des sels marins est pourtant fort diversifiée, consistant en sels légers, comme les sels blancs pour les usages culinaires, et en sels lourds, composés des sels rouges expédiés aux raffineries du Nord et des sels verts, ces derniers étant destinés aux salaisons de poissons. C'est dans ce dernier domaine que les salines de l'Île de Ré vont se spécialiser et ainsi pouvoir mieux résister à la concurrence et d'ailleurs subsister plus longtemps que celles de l'Île d'Oléron et des marais de la Seudre, alors en total abandon. En 1893, les salines de la Charente-Inférieure produisent encore 94 465 tonnes de sel sur une surface totale de 11 000 hectares exploités et font travailler 4 000 ouvriers, cette activité entrant dans la nomenclature des industries extractives.

Le déclin des salines sur les îles de Ré et d'Oléron, couplé à la crise du phylloxéra qui a fini par atteindre les deux îles charentaises à partir de 1883, ont entrainé une sévère récession économique et une très grave crise sociale. Les conséquences ont été dramatiques affectant en premier lieu la démographie des deux îles qui, de 1881 à 1911, ont enregistré une baisse d'un quart de leur population, situation comparable à l'ensemble des campagnes charentaises.

L'évolution démographique décennale de 1881 à 1911 des Îles de Ré et d'Oléron
Île 1881 1891 1901 1911
Île de Ré 15 370 hab. 15 376 hab. 14 232 hab. 12 380 hab.
Île d'Oléron 18 244 hab. 17 190 hab. 17 033 hab. 16 778 hab.

La ruine du sel charentais résulte d'un manque total d'organisation et d'adaptation aux exigences du monde moderne. Malgré l'amélioration de la desserte ferroviaire, notamment dans le bassin de la Seudre, à La Tremblade dès 1876 et à Marennes à partir de 1889, ainsi que sur le littoral de l'Aunis, à Aytré et à Angoulins-sur-Mer, à partir de la fin de l'année 1873, le sel charentais ne peut faire face à une concurrence très vive. Ses méthodes de production, par trop artisanales, et ses modes de commercialisation, trop individualistes, ne peuvent faire face à des productions de type industriel et une organisation commerciale puissante comme les Salins du Midi qui écoulent sur le marché des sels à des prix beaucoup plus compétitifs.

Cependant, les salaisons de morues vertes qui exigent du sel marin ont sauvé d'une disparition certaine les salines de l'île de Ré qui, plus est, sont toutes proches du grand port de pêche de La Rochelle, alors en plein essor.

L'essor de la pêche rochelaise

Vers la fin du XIXe siècle, la pêche connaît de profondes transformations autant techniques que professionnelles et s'oriente vers un début de spécialisation des ports charentais. C'est dans cette période que la profession de pêcheur devient un métier à part entière qui, jusqu'alors, n'était qu'une activité d'appoint. Ce secteur d'activité subit « un bouleversement considérable » et « devient une véritable industrie ». La Rochelle devient le grand port de la pêche hauturière tandis que les autres ports charentais deviennent des ports artisanaux pratiquant la pêche côtière et tous ces ports connaissent une forte activité.

Seule la pêche à la morue est engagée dans un déclin inexorable à La Rochelle aussi bien que dans les ports secondaires du littoral charentais comme Saujon, Marennes et La Tremblade. Cette activité déclinante subit la concurrence de ports mieux armés comme celui de Bordeaux et surtout ceux de la Bretagne (Paimpol et Saint-Malo) ou de la Manche (Fécamp). Malgré la persistance de la pêche à la morue à La Rochelle et la présence des sécheries de morues vertes qui créent un spectacle insolite, cette activité devient marginale et « les goélettes qui partent pour l'Islande se font de plus en plus rares à la fin du siècle ».

La Rochelle devient un port de pêche industriel au tournant du XXe siècle spécialisé dans la pêche hauturière

A l'inverse, la flottille de pêche se modernise rapidement dans les dernières années du XIXe siècle. A La Rochelle notamment, l'apparition des bateaux à vapeur, équipés de glaces et de filets de pêche davantage performants, remplacent les voiliers dragueurs et augmentent considérablement les prises. La pêche industrielle naît à La Rochelle au tournant du XXe siècle où 25 chalutiers à vapeur sont enregistrés à la veille de la Première Guerre mondiale. C'est dans cette période que les armateurs rochelais font venir des pêcheurs bretons et 3 000 d'entre eux s'installent avec leurs familles dans les quartiers de Saint-Nicolas et de Saint-Sauveur qui deviennent dès lors les quartiers des pêcheurs à La Rochelle. La ville a l'avantage de bénéficier d'un équipement de premier ordre pour la pêche industrielle grâce à la réorientation totale des activités du bassin à flot extérieur, inauguré en 1862, et devenu, après la création du port de La Pallice en 1890, le bassin des chalutiers. Ce dernier devient dès lors le haut lieu de la pêche rochelaise. Les apports du port de pêche rochelais ont décuplé et la production est expédiée par voie ferrée en direction de la capitale, faisant de La Rochelle "le grand marché du poisson frais du littoral Atlantique" à l'aube de la Première Guerre mondiale.

La conchyliculture moderne

Dans le même temps, l'ostréiculture et la mytiliculture connaissent un essor remarquable dans le dernier tiers du XIXe siècle, essor qui s'affirmera au siècle suivant.

Les claires à huîtres (ici à Étaules) ont succédé aux salines dès la seconde moitié du XIXe siècle

Déjà, dans la dernière décennie du XIXe siècle, la Charente-Inférieure est devenue le plus gros producteur de moules de France. En 1898, plus de la moitié de la production de moules provient du littoral charentais dont les plus gros centres de production sont la baie de l'Aiguillon autour de Charron, le bassin de Marennes et la Pointe de la Fumée autour de Fouras. La mytiliculture fait vivre 4 000 personnes en 1885, ce qui est considérable. Les moules sont expédiées par voie ferrée depuis les gares d'Andilly et de Marans tout comme les huîtres qui bénéficient elles aussi de ces importantes infrastructures de communication. Les voies ferrées ont véritablement permis le développement des productions locales en facilitant grandement leur commercialisation.

Les huîtres sont produites principalement autour de l'estuaire de la Seudre et dans la partie orientale de l'île d'Oléron ainsi que dans l'île de Ré. Dès le milieu du XIXe siècle, les parcs à huîtres ont assuré avec succès le relais des salines en plein déclin et permis de sauver la région d'un véritable désastre économique et social.

A partir de 1870, l'huître de Marennes, appelée la plate de Marennes, cède la place à l'huître portugaise beaucoup plus résistante et à la croissance plus rapide. Échouée sur les côtes des îles d'Oléron et de Ré, cette huître devient au début du XXe siècle largement prédominante et assure à la région une solide notoriété autant pour sa saveur que pour sa qualité.

L'affirmation de la vocation balnéaire du département

La mode des bains de mer dont les origines sur la côte charentaise remontent aux années de la Restauration à La Rochelle et à Royan prend un essor remarquable pendant la IIIe République. Cette activité balnéaire, déjà bien présente pendant tout le Second Empire, s'affirme avec force grâce à la desserte ferroviaire dont le rôle n'est plus à démontrer.

C'est à Royan que l'élan touristique est véritablement lancé sur le littoral charentais. La « station estivale » du Tout-Bordeaux pendant le Second Empire va se muer en station touristique du Tout-Paris après 1875 depuis qu'elle est reliée au chemin de fer.

Photographie d'un bâtiment de quatre étages, crépis et bordures de pierre, de style classique à pilastres et colonnades
L'hôtel de ville de Royan, symbole de la glorieuse période de la Belle Époque où Royan était devenue la station estivale du Tout-Paris.
La mairie de Fouras a été inaugurée en juillet 1902. C'est au tournant du XXe siècle que Fouras devient une des principales stations balnéaires de la Charente-Inférieure.

Royan connaît alors un essor extraordinaire et la construction du Grand casino de Foncillon en 1883 ouvre la voie à une métamorphose urbanistique remarquable. La réalisation du boulevard de bord de mer en 1890 crée une perspective des plus agréables de la ville qu'agrémentera le célèbre Casino municipal édifié en 1894 et qui deviendra le plus grand de France. Sous l'impulsion du maire de Royan, Frédéric Garnier, Royan est reliée à Saint-Georges-de-Didonne par le Tramway de Decauville qui avait été « une des attractions de l'Exposition universelle de Paris de 1889 » et qui sera dénommé dans la station le Petit train. Des lotissements poussent dans les espaces boisés à Pontaillac, Foncillon, Le Parc, et font surgir de nouveaux quartiers aux somptueuses villas à l'architecture typique de la Belle Époque. Au tout début du XXe siècle, Royan figure dans de grandes revues touristiques contribuant à accroître sa renommée. En 1901, une publicité faite à la ville la décrit comme « une ville moderne de 8 278 habitants ; une des premières de France pour les bains de mer, la première de l'océan de la Loire à la Gironde. Elle est maintenant, dit-on, fréquentée annuellement par 200 000 personnes, trop fréquentée par conséquent pour les baigneurs paisibles… ».

Plus au nord, La Rochelle possède également un casino qui a été édifié en bordure de l'océan dans le quartier balnéaire du Mail, au-delà des anciens remparts qui ceinturent encore la vieille ville. A partit de 1887, la municipalité aménage le long du front de mer de beaux parcs (parc Charruyer notamment) avec des allées (Allées du Mail) et des kiosques à musique. Mais La Rochelle ne devient pas pour autant une cité balnéaire et de loisirs comme Royan. Sa plage est bien trop petite et la fonction balnéaire ne sera en fait qu'une activité secondaire dans la préfecture du département.

Outre Royan qui est devenue la "reine" des stations balnéaires du littoral charentais, de nouvelles stations touristiques émergent dans ce dernier tiers du XIXe siècle. Parmi celles-ci, il convient de citer Fouras, Châtelaillon, Ronce-les-Bains, nouveau quartier balnéaire de La Tremblade, Marennes-Plage, annexe balnéaire de Marennes et, dans l'île d'Oléron, Saint-Trojan-les-Bains. Il serait notoirement incomplet de ne pas évoquer les "satellites" balnéaires de Royan, alors en plein bouleversement à partir de 1900, comme Saint-Georges-de-Didonne et Bureau-les-Bains (ancien nom de Saint-Palais-sur-Mer), voire Vaux-sur-Mer.

La plupart de ces jeunes stations sont desservies par le train, notamment Fouras et Châtelaillon, et voient affluer pendant l'été des milliers de touristes. Outre de belles villas et des hôtels qui sont érigés le long des plages et quelquefois des édifices publics comme les mairies, les halles, même les églises, ces stations balnéaires se dotent rapidement d'activités de loisirs comme les casinos, les salles de fêtes et les kiosques à musique et deviennent de véritables petites villes pendant la saison estivale. En hiver, elles retrouvent le rythme de vie de gros villages assoupis. Pourtant, ces communes littorales se transforment progressivement en lieux de résidence permanents, à l'instar de Royan qui devient une ville à part entière.

L'évolution démographique décennale de 1881 à 1911 de quelques stations balnéaires en vogue
Ville 1881 1891 1901 1911
Royan 5 445 hab. 7 247 hab. 8 374 hab. 9 330 hab.
Fouras 1 679 hab. 1 887 hab. 2 171 hab. 2 499 hab.
Saint-Georges-de-Didonne 1 127 hab. 1 211 hab. 1 409 hab. 1 541 hab.
Saint-Trojan-les-Bains 989 hab. 1 100 hab. 1 293 hab. 1 465 hab.
Châtelaillon-Plage ... ... 814 hab. 1 183 hab.
Bureau-les-Bains 791 hab. 797 hab. 895 hab. 1 044 hab.


Les bains de mer prennent un tel essor à la fin du XIXe siècle qu'ils finissent par exercer une forte influence dans la vie littorale du département. La Charente-Inférieure commence à devenir une destination touristique que facilitent grandement les chemins de fer. Ces derniers d'ailleurs font émerger de nouvelles stations balnéaires sorties de terre "ex-nihilo".

L'hôtel de ville de Châtelaillon-Plage. C'est en 1896 que cette station balnéaire est érigée officiellement en commune.

En effet, c'est dans cette période que Châtelaillon-Plage se transforme en station balnéaire et devient une commune à part entière en se détachant d'Angoulins-sur-Mer en 1896, que Fouras s'embellit en faisant édifier en 1902 une nouvelle mairie dans le style caractéristique des villas balnéaires et que certaines communes littorales font ajouter à leurs toponymes des noms évoquant leur vocation de station de bains de mer comme Saint-Trojan-les-Bains en 1898, Bureau-les-Bains ou même Ronce-les-Bains qui est une annexe balnéaire dépendant de la commune de La Tremblade.

Bien que le tourisme soit encore considéré comme une activité secondaire au XIXe siècle, il va s'affirmer comme un des secteurs économiques les plus dynamiques au siècle suivant ayant de bien meilleures bases pour réussir que l'industrie qui se fixera avant tout dans les villes principales du département.

L'amorce de l'industrialisation du département

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la Charente-Inférieure demeure avant tout un grand département agricole qui génère toute une industrie rurale traditionnelle, maintenant une certaine vitalité dans les villages et les gros bourgs de l'Aunis et de la Saintonge, tandis que sur le littoral et dans les villes principales émergent les bases d'une industrie moderne issue de la Révolution industrielle qui, cependant, reste assez marginale dans le département.

Vitalité et déclin des petites industries rurales

Les nombreuses industries rurales, implantées aussi bien dans les villages que dans les gros bourgs, sont avant tout des structures artisanales de production et quelquefois de petites entreprises semi-industrielles employant une dizaine d'ouvriers en général, rarement plus d'une vingtaine. Elles demeurent très traditionnelles dans leur forme d'exploitation comme de production, n'ayant comme simple objectif que de satisfaire au mieux les besoins du monde agricole et rural. Elles proviennent en grande partie de la vocation agricole du département qui en 1877 figure comme étant « un des pays agricoles les plus riches de France. A cet égard, il occupe le premier rang parmi les départements situés au sud de la Loire ».

Des petites industries agricoles très diversifiées

Le Moulin de Beauregard à Marans. Ces constructions traditionnelles ont essaimé dans tout le département de la Charente-Inférieure et faisaient partie du paysage des industries rurales au XIXe siècle

Les activités agricoles ont favorisé de bonne heure l'éclosion de tout un tissu de petites industries rurales présentes dans un très grand nombre de villages et de bourgs agricoles. Ces petites industries utilisaient les ressources naturelles des rivières ou du vent pour actionner les moulins à eau et à vent, ou bien le bois et la tourbe pour alimenter les chaufferies des distilleries.

Les ressources agricoles variées étaient ainsi transformées dans les nombreux moulins pour la production de farine ou dans les distilleries pour l'élaboration de l'eau de vie ou pour la production d'alcools. D'autres industries rurales étaient représentées par quelques distilleries de betteraves sucrières, davantage par des tonnelleries artisanales et des fabriques d'articles et d'outils agricoles en bois (sabots, paniers et baquets, râteaux, balais, …).

Au tournant du XXe siècle se développent de nombreuses laiteries issues du mouvement de la coopération laitière en Aunis, elles sont déjà 95 à fonctionner dans la région en 1900. A leurs côtés sont créées les premières laiteries industrielles en milieu rural comme celles de Vervant, Saint-Julien-de-l'Escap ou encore Semussac.

Une industrie extractive aux productions variées

Si le sous-sol de la Charente-Inférieure ne possède ni houille, ni fer, la mettant à l'écart de la "Révolution industrielle", le département possède néanmoins une industrie extractive aux productions variées.

Parmi celles-ci se trouvent des exploitations pour les besoins énergétiques comme quelques charbonnières de bois qui étaient encore en activité à Benon, à Brizambourg et à Vénérand. Ces petites industries fournissaient les marchés urbains du département jusqu'à ce que l'importation massive de la houille d'Angleterre ne vienne à ruiner définitivement cette activité rurale avant la fin du XIXe siècle. En Aunis, ce sont surtout les tourbières qui sont activement exploitées pour alimenter les chaufferies des nombreuses distilleries d'eaux de vie depuis la déforestation intensive des bois et forêts de l'Aunis. Elles sont présentes dans les cantons d'Aigreuille d'Aunis, Surgères et Marans. Elles cesseront d'être exploitées au tournant du XXe siècle étant concurrencées par la houille dont l'approvisionnement se faisait sous forme de briquettes.

Mais l'importance des industries extractives concernait davantage celle de la production de matériaux de construction. Des carrières de pierres à chaux, de pierres meulières et surtout de pierres de taille, toutes à ciel ouvert, sont alors exploitées à Chermignac, Crazannes, Guitinières, la Clisse, Saint-Vaize, Tesson, Thénac, Villiers-Couture et dans quelques petites villes de la Saintonge (Saint-Savinien, Pons et Jonzac). A la fin du XIXe siècle, seules les carrières de Saint-Savinien avaient acquis une dimension industrielle et avaient une solide réputation régionale en raison de leur abondance et de leur qualité. Elles faisaient travailler 300 ouvriers dans "les nombreuses carrières à ciel ouvert ou à galeries".

Tous ces matériaux issus du sol calcaire ou crayeux de la Saintonge sont à l'origine d'une florissante industrie de transformation où fonctionnent de nombreuses faïenceries (Brizambourg, Saint-Césaire, Saint-Germain-du-Seudre), poteries (Archingeay, Boisredon, La Chapelle-des-Pots, Chevanceaux,Mirambeau, Saint-Césaire, Vénérand), tuileries (Chamouillac, Chervettes, Chevanceaux, Orignolles, Saint-Césaire, Saleignes, Vénérand, Villiers-Couture), briqueteries (Archingeay, La Grève-sur-Mignon) ainsi que des fours à chaux (Chamouillac, Le Gua, Orignolles, Saint-Romain-de-Benet, Saleignes, Villiers-Couture) tandis que les sables fournissent les verreries de La Tremblade et surtout celles nombreuses dans la Double saintongeaise de La Clotte, Cercoux, Clérac.

Cette longue énumération des activités extractives et de transformation des matériaux montre combien cette industrie, essentiellement rurale, avait animé la vie économique de nombreux villages de la Charente-Inférieure jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Une industrie textile rurale en fort déclin

La petite industrie textile se maintenait encore dans les villages et bourgs du département où des ateliers de fabrication de grosses étoffes ou de toiles en lin étaient encore en activité en Aunis, à Aigrefeuille-d'Aunis et à Marsais, mais surtout en Saintonge, notamment à Cravans, Gémozac, Montpellier-de-Médillan et en Haute Saintonge où à Saint-Martial-de-Vitaterne fonctionnaient des tissages de laine. En fait, toute cette industrie rurale de la confection était en déclin et disparut à l'aube du XXe siècle.

Une industrie rurale globalement en déclin à la fin du XIXe siècle

Il faut préciser qu'un grand nombre de ces petites industries rurales étaient saisonnières, comme les distilleries d'eau de vie et de betteraves à sucre, les moulins à eau, les exploitations de tourbières, les ateliers de confection, et bien d'autres. Celles-ci employaient une main d'œuvre rurale qui recevait un revenu complémentaire améliorant quelque peu les condition de vie de nombreux paysans qui formaient la classe des ouvriers-paysans. En raison de ce caractère saisonnier, beaucoup de ces petites activités ont commencé à péricliter à partir du XXe siècle, surtout après la Première Guerre mondiale. D'une part, en raison des effets durables de l'exode rural qui a vidé progressivement les villages de leurs habitants et ainsi d'une main d'œuvre disponible, et d'autre part, à cause des nouvelles techniques industrielles de production qui ont concurrencé les petites unités artisanales et semi-industrielles. Ce qui a été notamment le cas des moulins, puis des ateliers de confection (fabriques d'étoffes, tissages de laines) et des nombreuses faïenceries, poteries et tuileries ainsi que des fours à chaux.

La plus grande partie de ces activités a fini par disparaître après la Première Guerre mondiale alors que, dans le même temps, le littoral et les villes principales commençaient à entrer dans l'ère industrielle.

Les débuts de l'industrialisation du littoral et des villes

L'industrialisation des villes du département est d'implantation ancienne comme l'arsenal maritime de Rochefort mais ce sont les activités traditionnelles qui vont progressivement disparaitre. A leurs dépens, de nouvelles usines, pourvues de nouvelles méthodes de production issues de la Révolution industrielle, vont s'implanter de préférence sur le littoral et dans les principaux centres urbains. Cependant, comme l'écrit l'universitaire Jean Soumagne, « la Révolution industrielle est un tournant manqué pour la Charente-Maritime ».

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, beaucoup d'industries traditionnelles disparaissent comme les tanneries et les mégisseries à Pons, Tonnay-Charente et Saintes notamment, les fabriques de grosses étoffes de laine à Pons et à Saint-Jean-d'Angély ainsi que les faïenceries, bien qu'une petite entreprise de fabrication de céramiques s'implante en 1880 à Saintes.

Les industries agro-alimentaires sont déjà bien présentes dans les villes principales comme les abattoirs ou les meuneries. Au début du XXe siècle, de nouvelles industries vont se développer et les villes vont attirer des laiteries industrielles concurrençant le mouvement coopératif laitier d'implantation rurale. Elles ont l'avantage d'être situées près des marchés urbains en forte expansion comme à Aytré, aux portes de La Rochelle, à Tonnay-Charente dans l'agglomération de Rochefort ou à Nieul-les-Saintes, aux portes de Saintes, ou approvisionnent directement quelques petites villes comme Marans, Pons, et même Surgères, ville près de laquelle a été créée la toute première laiterie coopérative de France. Ces laiteries diversifieront leurs activités dans la fabrication de fromages et Surgères accueillera la première usine de fabrication de caséine en 1912. Quelques villes élargissent la gamme de leurs industries alimentaires avec la création de biscuiteries à Pons et à Saintes. Ces deux dernières villes, ainsi que Saint-Jean-d'Angély, Jonzac et Tonnay-Charente, s'affirment comme de véritables places du commerce des eaux de vie où de gros négociants implantent des distilleries de cognac qui concurrencent durement les petites unités en milieu rural et contribuent à faire disparaitre la profession de bouilleur de cru si présente dans les villages d'avant la crise du phylloxéra.

Pons fabriquait des tuyaux pour le chauffage en 1880

La métallurgie de transformation se développe rapidement à La Rochelle (chantiers navals, fonderies de fer et forges pour la marine), à Surgères (construction de moteurs, fonderie, chaudronnerie), à Pons (fonderie de métaux et fabrication industrielle de tuyaux) et à Saintes (fabrication de matériel agricole, essentiellement des batteuses et des faucheuses). Mais cette dernière ville se spécialisera davantage dans l'entretien et la maintenance du matériel roulant ferroviaire. Rochefort vit de son arsenal militaire qui fait travailler 5 000 ouvriers qui construisent des bâtiments pour la marine de guerre. Ces derniers avaient la réputation "de construire à la fois 18 bâtiments de premier rang".

C'est dans cette période qu'apparaissent les premières usines chimiques dans le département. Elles s'implantent à partir de 1875 grâce à l'essor des ports de commerce et du chemin de fer. Une grosse usine de fabrication de produits sulfuriques est créée à Marennes et fait travailler jusqu'à 200 ouvriers. Mais les usines chimiques (fabrication d'engrais, de produits phosphatés, de transformation du guano) vont se multiplier à Tonnay-Charente et surtout à La Rochelle et feront travailler également des centaines d'ouvriers. Près du nouveau port de commerce de La Pallice, inauguré en 1890 et qui est devenu l'avant-port de La Rochelle, une raffinerie de pétrole est créée en 1900. A cela s'ajoutent des usines à gaz et d'autres de fabrication d'agglomérés et de briquettes de charbon implantées à La Rochelle, Rochefort et Tonnay-Charente, et même à Saintes.

L'industrialisation du département est comme partout ailleurs en France et en Europe un fait urbain. Une nouvelle classe sociale surgit dans les villes principales de la Charente-Inférieure, la classe ouvrière, si différente des ouvriers-paysans du monde rural. Celle-ci se caractérise dans son ensemble par des conditions de vie plutôt rudimentaires mais elle se distingue aussi par un fort mouvement de solidarité et de revendication qui fera naître au début du XXe siècle de retentissantes grèves à La Rochelle et à Rochefort en 1905 et en 1906, ainsi qu'en mars 1911 où éclate la grève des dockers de La Pallice. Ces mouvements sociaux, phénomènes encore jamais vus dans le département, dont les revendications sociales seront en partie satisfaites, vont permettre d'améliorer le sort de ces nouvelles populations urbaines issues de l'exode rural.

L'industrialisation du département se distingue également par la création de vastes bâtiments en briques et de hautes cheminées, par la création de cités ouvrières implantées près des lieux de production ou à proximité de vastes emprises occupées par les voies ferrées et les gares, près desquels se greffent spontanément des bidonvilles où s'entassent toute une population de miséreux et de chômeurs, et crée des paysages totalement nouveaux dans ce département si profondément rural. Ces nouveaux espaces urbains, hérités de la Révolution industrielle du XIXe siècle, sont toutefois bien limités en Charente-Inférieure, n'étant visibles que dans les trois principales villes du département, La Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente et Saintes, et dans quelques petits centres urbains comme Pons, Saint-Jean-d'Angély ou Surgères.

Au début du XXe siècle, la Charente-Inférieure est loin d'être un grand département industriel mais il continue de moderniser son réseau ferroviaire et multiplie les infrastructures de communication où le chemin de fer ainsi que les canaux fluviaux sont parvenus à leur apogée.

L'apogée du réseau ferroviaire et des voies navigables

C'est dans cette période de la IIIe République que s'achève la réalisation des grandes infrastructures de communication concernant les voies navigables, puis les voies ferrées. Elles parviennent toutes deux à leur apogée à la veille de la Première Guerre mondiale. Quant aux routes, c'est au début du XXe siècle qu'elles vont faire l'objet de quelques améliorations notables et vont jouer dans un premier temps un rôle complémentaire à la voie ferrée.

L'apogée des voies de navigation

Dans un inventaire des voies de navigation établi en 1894, il apparaît que la Charente-Inférieure disposait de cinq rivières navigables totalisant 203 kilomètres dont la moitié pour le seul fleuve Charente, le reste étant partagé entre la Sèvre niortaise, la Boutonne, la Seudre et la Gironde. A cette même date, le département disposait également de cinq canaux navigables totalisant 73 kilomètres, dont 25 pour le Canal de la Charente à la Seudre et 24 pour le Canal de Marans à La Rochelle, le reste étant partagé entre le Canal du Mignon, édifié en 1845, le Canal du Curé et le Canal maritime de Marans à la mer.

Dans la période qui va de 1881 jusqu'en 1914, les voies de navigation fluviale parviennent toutes à leur exploitation maximale, notamment en ce qui concerne la Charente.

La vallée de la Charente à Taillebourg. C'est vers la fin du XIXe siècle que le fleuve perd son rôle de grande artère fluviale, étant concurrencé par le chemin de fer.

C'est à partir de 1892 que le trafic fluvial sur le fleuve atteint son apogée. Jusqu'en 1867, le fleuve avait pu maintenir un certain monopole commercial et il apparaissait comme la principale artère de communication dans les pays charentais. L'édification de la voie ferrée de Rochefort à Angoulême le long de la vallée de la Charente en 1867 a entamé progressivement cette situation de monopole en commençant par mettre fin au trafic fluvial des voyageurs. Cependant, le trafic des gabarres s'est longuement maintenu sur le fleuve d'une part en raison de la modernisation de la flotte fluviale et d'autre part en raison des petits ports fluviaux comme Bussac-sur-Charente, Taillebourg ou Saint-Savinien qui ne furent pas raccordés à la voie ferrée alors que ces communes disposaient de gares ferroviaires avec des halles à marchandises. Mais il est vrai que la ligne ferroviaire a été construite « dans une perspective de marginalisation progressive du trafic fluvial ».

Le trafic entre la basse vallée de la Charente - où se situent notamment les ports de Rochefort et de Tonnay-Charente - et Cognac se maintint jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale à un rythme convenable bien qu'il était en baisse régulière, étant concurrencé de plus en plus par le train. Entre 1892 et 1910, le trafic fluvial sur la Charente avait été réduit de moitié. Mais le déclin du trafic sur le fleuve, puis l'arrêt de la navigation fluviale, a en fait concerné en tout premier lieu le cours moyen de la Charente. Ainsi, entre Angoulême et Cognac, la voie ferrée eut raison du trafic fluvial avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale où le port d'Angoulême, L'Houmeau, fut complètement ruiné.

Il est vrai qu'entretemps le fleuve a été totalement mis à l'écart du plan Freycinet d'amélioration des voies d'eau de 1878-1879 et ne put donc avoir une reconnaissance d'envergure nationale malgré son ouverture sur l'océan Atlantique et la présence de villes industrielles comme Angoulême, Cognac et Rochefort. Le centralisme parisien a fait un tort énorme à la Charente et finalement lui a sérieusement hypothéquée son avenir.

Cependant, c'est dans les deux ports de l'estuaire que le fleuve connut une recrudescence d'activité commerciale où Rochefort, en particulier, bénéficia d'aménagements portuaires importants de 1886 à 1889.

Barrage écluse du Carreau d'Or à Marans

Par ailleurs, le trafic sur les autres cours d'eau du département connut un sort différent. La navigation fluviale sur la Boutonne fut pratiquement abandonnée dès 1880 et sur la basse vallée de la Seudre, le port de Saujon fut progressivement abandonné au tournant du XXe siècle, tandis que, sur la Sèvre niortaise, il se maintint encore à un rythme satisfaisant. D'ailleurs, le fleuve fut l'objet de quelques aménagements intéressants comme la création en 1891 du Canal maritime de Marans à la mer. Sa jonction avec le Canal de Marans à La Rochelle, dont les travaux avaient été achevés vers 1880, permit de maintenir les activités du port fluvial de Marans. Ce dernier, qui pouvait recevoir des navires à vapeur jaugeant jusqu'à 1 200 tonneaux de port en lourd, importait du charbon d'Angleterre, puis plus tard des bois du Nord, et exportait des produits agricoles de la région. Le port de Marans ne connut jamais un grand trafic maritime étant concurrencé par le nouveau port de La Pallice inauguré en 1890.

Quant aux deux grands canaux de navigation du département, ils connurent un essor bien éphémère étant longés tous les deux par des voies ferrées. Le Canal de Marans à La Rochelle et le Canal de la Charente à la Seudre sont rapidement concurrencés par le rail, le premier dès la première année de son exploitation commerciale et le second à partit de 1889. La liaison fluviale entre Marennes et Tonnay-Charente aurait pu se maintenir plus longtemps si elle avait fait partie d'un plan d'ensemble mais la réalisation de ces canaux correspondit à « de grands travaux pour de faibles résultats ».

Ainsi les cours d'eau comme les canaux de navigation déclinèrent rapidement à cause du chemin de fer qui, à la fin de la première décennie du XXe siècle, parvient à son tour à son apogée en Charente-Inférieure.

L'apogée du réseau ferroviaire

Le XIXe siècle est au chemin de fer ce que le XXe siècle sera pour la route.

Gémozac fait partie des chefs-lieux de canton qui ont bénéficié de la voie ferrée à partir de 1875.

En Charente-Inférieure, il atteint sa plus grande extension en 1912 concernant le réseau de l'État où toutes les villes principales du département sont desservies c'est-à-dire la préfecture et les cinq sous-préfectures, la dernière, Marennes, ayant été atteinte par la voie ferrée en 1889. De plus, ce réseau ferré est complété par un maillage très serré de voies ferroviaires secondaires où tous les chefs-lieux de canton de la Charente-Inférieure ont pu être desservis par le rail. Ainsi, le réseau ferré est-il d'un remarquable développement dans un département encore profondément rural et agricole. Cette situation assez exceptionnelle dans un département de l'ouest de la France découle à la fois de l'abandon progressif des voies d'eau comme mode de transport et d'un réseau routier encore peu développé vers la fin du XIXe siècle.

En 1894, un inventaire des voies ferrées du département enregistrait 514 kilomètres de voies de communication relevant du chemin de fer, ce dernier étant divisé en 15 sections de longueur fort inégale, la plus longue étant dénommée le chemin de fer de Nantes à Bordeaux avec 165 kilomètres et la plus courte, celle qui reliait Saint-Laurent-de-la-Prée à Fouras, avec seulement 5 kilomètres.

Le train en gare de Sablanceaux ; même l'Île de Ré a été équipée d'un réseau ferré à partir de 1898.

Mais à cette date, le réseau ferré était encore loin d'être entièrement achevé. En effet, deux années plus tard, se mettaient en place deux vastes réseaux secondaires. Celui qui fut établi au nord et au nord-est de la Charente-Inférieure s'articulait autour de Saint-Jean-d'Angély tandis qu'au sud, Saintes s'affirmait plus que jamais comme le grand carrefour ferroviaire du département avec l'implantation des Chemins de fer économiques des Charentes. A partir de 1896, 292 kilomètres de voies ferrées supplémentaires ont été construites sur le département dont l'une des dernières à avoir été établie est la ligne Saintes-Burie mise en exploitation en 1915. Ce réseau s'étendit également dans les deux îles principales, Ré en 1898 et Oléron en 1904. Enfin, la toute dernière ligne de chemin de fer secondaire à avoir été construite dans le département est celle qui reliait Jonzac à Archiac, elle fut ouverte au trafic en 1917.

Dans ce maillage très développé du réseau ferroviaire départemental, certaines villes occupaient une véritable fonction de carrefour ferroviaire. Outre Saintes qui doit une grande partie de son expansion urbaine au rôle ferroviaire de tout premier plan dans la région, d'autres étoiles ferroviaires s'étaient développées en Saintonge. Parmi celles-ci figuraient Saint-Jean-d'Angély, qui abritait le siège départemental de la C.F.D (Compagnie des Chemins de Fer Départementaux) implanté vers 1896, d'où convergeaient cinq lignes de chemin de fer, Pons et Saujon d'où rayonnaient également cinq voies ferrées et disposant chacune de vastes installations et emprises ferroviaires. Enfin, Gémozac était également un gros carrefour ferroviaire rural d'où partaient quatre lignes de chemins fer. Ces principaux centres de transit ferroviaire en Saintonge étaient parmi les plus affairés du département autant pour le trafic des marchandises (céréales, vins, eaux-de-vie, bois et pierres de construction) que pour celui des voyageurs. L'Aunis n'était pas en reste. Outre La Rochelle et Rochefort, qui plus est sont les plus grands ports commerce de la Charente-Inférieure desservis par le rail, deux autres centres ferroviaires étaient devenus d'actifs pôles d'échanges, Aigrefeuille-d'Aunis pour le trafic des voyageurs et Surgères pour le trafic des marchandises, en particulier pour le transport du lait par wagons frigorifiques en direction de Paris représentés par les "wagons blancs".

La nouvelle gare de La Rochelle fut construite à partir de 1909 et son inauguration eut lieu en novembre 1922

L'augmentation constante du trafic des voyageurs dans les deux premières villes du département contraignent les édiles locaux à la reconstruction de nouvelles gares. Celle de Rochefort est envisagée par l'État en 1910 et, dès 1912, les travaux sont engagés. Le chantier s'achève à l'automne 1914. La ville est dotée d'une belle gare dans "le style des grands palais d'exposition réalisés à Paris sous le Second Empire". Dans la même période commence le chantier de la nouvelle et vaste gare de voyageurs de la Rochelle. La construction débute en 1909 mais la fin des travaux n'aura lieu qu'en ... 1922. C'est incontestablement l'une des plus belles gares de France contribuant à enrichir le patrimoine historique de La Rochelle.

Les chemins de fer exercent à cette époque un impact aussi fort que les routes aujourd'hui. Ils assurent une grande ouverture vers l'extérieur, rompent l'isolement des campagnes et des petites villes et favorisent l'essor des échanges économiques en même temps que celui des mouvements de population. Sur ce dernier point, il est clair que les chemins de fer ont joué un rôle considérable dans le processus de l'urbanisation et de son accélération et ont largement facilité l'exode rural. Deux exemples illustrent cette situation. Entre Rochefort et Saintes, le mouvement des voyageurs a plus que doublé entre 1879 et 1903 passant d'une moyenne quotidienne de 490 voyageurs à 1 200 voyageurs. Ces déplacements de population sont aussi stimulés par la rapidité des communications entre les villes. Déjà, en 1916, le parcours entre La Rochelle et Saintes se faisait en 1h11 ; ce qui était plutôt remarquable à cette époque.

Au début du XXe siècle, la Charente-Inférieure dispose d'un maillage ferroviaire des plus serrés et des plus développés de la France et elle est également pourvue d'un réseau routier en voie de constante amélioration. Mais, à ce moment-là, la route se positionne davantage comme une activité complémentaire que comme une concurrente directe du rail.

L'émergence du réseau routier et la construction des ponts routiers
Le Pont transbordeur du Martrou, qui enjambe sur la Charente entre Rochefort et Échillais, a été inauguré en juillet 1900.

La trame du réseau routier de la Charente-Inférieure au début du XXe siècle s'articule autour des trois villes principales que sont Rochefort, La Rochelle et Saintes, auxquelles il convient d'adjoindre quatre carrefours secondaires représentés par les petites villes de Saint-Jean-d'Angély, Pons, Surgères et Saujon. Au tout début du XXe siècle, Marennes commence à s'affirmer comme un centre de communications routières et ferroviaires, de même que Royan, la première comme pôle d'échanges commerciaux, la seconde comme ville touristique. A ces centres principaux, il faut également citer Tonnay-Charente qui n'était pas un carrefour de communications mais un très important centre de transit routier depuis l'ouverture, puis le réaménagement de son pont suspendu sur la Charente en 1884.

Il est intéressant de constater qu'au début du XXe siècle la trame routière principale se calque sur le réseau ferroviaire majeur du département. En effet, là où sont les grands carrefours ferroviaires, là sont également les grands pôles d'échanges routiers. Les voies de communications modernes suivent tout simplement l'évolution des villes et du développement de leur économie urbaine.

En 1894, l'inventaire des routes principales établissait 437 kilomètres de routes nationales et 651 kilomètres de routes départementales. Ce réseau routier héritait du maillage des grandes routes établi par les intendants du XVIIIe siècle et n'avait pas varié au siècle suivant. Seules les anciennes "routes royales" changèrent d'appellation pour devenir sous la IIIe République les "routes nationales" et reçurent des numéros à la place des noms.

La Charente-Inférieure disposait de grands axes routiers qui demeurent les mêmes aujourd'hui. Depuis La Rochelle rayonnaient trois grandes routes nationales. La route royale de Paris à La Rochelle était devenue la route nationale 22 (ou N.22), la route royale de Périgueux à La Rochelle devint la route nationale 139 (ou N.139) et la route royale de Bordeaux à Saint-Malo qui était la plus longue artère du département devint la route nationale 137 (ou N.137). Cette dernière qui passait par Pons, Saintes, Tonnay-Charente (par le pont suspendu), Rochefort, Châtelaillon-Plage, la toute nouvelle station balnéaire, aboutissait à La Rochelle par la grande rue de Tasdon dans le nouveau quartier ferroviaire de la ville. Pour assurer la continuité de la route nationale, un pont dut être construit aux portes de la ville. Le Pont de Tasdon fut édifié en 1910, cet ouvrage métallique d'une longueur de 169 mètres enjambe les voies ferrées qui entrent dans la ville et a permis de lever un des nombreux obstacles à la circulation routière moderne. Saintes était déjà un nœud important de communications routières. Outre la route nationale 137 qui la traversait du sud au nord-ouest en passant par le pont Bernard Palissy construit en 1879, deux autres axes importants aboutissaient dans l'ancienne capitale de la Saintonge. Au nord de la ville partait la route royale de Bordeaux à Rouen, devenue la route nationale 138 (ou N.138), et à l'est la route royale de Clermont à Saintes, ancienne voie Agrippa, était devenue la route nationale 141 (ou N.141). Depuis Saint-Jean-d'Angély, outre les N.138 et N.139, convergeait l'ancienne route royale de Poitiers à Saintes, devenue la route nationale 150 (ou N.150). Rochefort, en raison de son port militaire, fut reliée directement à la capitale par l'ancienne route royale de Paris à Rochefort, devenue la route nationale 11 (ou N.11). Enfin, tout au sud du département, la route royale de Paris en Espagne est devenue la route nationale 10 (ou N.10). Les routes nationales étaient à la charge de l'État, tout le reste du réseau routier était imputé à la gestion du département.

Il y eut une certaine dichotomie dans le traitement des routes. Si l'État entretenait régulièrement son réseau national, le département privilégiait davantage les investissements dans les lignes de chemin de fer et se préoccupait moins de son réseau routier départemental malgré une demande de plus en plus pressante pour une amélioration des routes.

Dans le département, le réseau routier national est l'objet d'améliorations importantes consistant en l'élargissement des chaussées et en un revêtement plus régulier et plus stable ainsi que dans la réalisation de tracés de routes plus rectilignes.

A partir du XXe siècle, apparaissent les premières automobiles qui se mêlent à un trafic routier en constante augmentation, composé alors de charrettes et de chariots tirés par des bœufs ou des chevaux, de fiacres, diligences et autres véhicules hippomobiles. Ce n'est véritablement qu'à partir des années 1910 que le trafic automobile va s'accroître rapidement, surtout dans les villes, sans jamais toutefois vraiment menacer le chemin de fer à cette époque.

Face à l'augmentation du trafic routier, le problème du franchissement de la Charente devient épineux au sud de Rochefort. Les échanges interurbains entre le port militaire et Marennes ne cessent de croître et nécessitent pour parer aux besoins d'un trafic grandissant la réalisation d'un pont. C'est ainsi qu'en juillet 1900 est inauguré le célèbre Pont transbordeur du Martrou, qui constitue à la fois une formidable avancée technique pour l'époque mais aussi une vraie prouesse technologique. Ce pont symbolise à lui seul dans le département la modernisation du réseau routier et de son formidable essor à venir.

Au tournant du XXe siècle, en un temps où la croissance des échanges économiques et des villes portuaires s'affirmait avec force, la modernisation des infrastructures de communication allait de pair avec celle des équipements portuaires.

La modernisation des ports de commerce

C'est en effet dans un contexte d'expansion économique générale de la nation que le département se lança dans de grands projets d'équipements portuaires. Face à l'augmentation régulière du trafic des marchandises et à celui du tonnage qu'exigeaient les navires à vapeur, il devenait urgent de moderniser les installations des ports du département.

La Rochelle, qui disposait dans son ancien site portuaire d'installations vieillissantes et de moins en moins bien adaptées aux exigences de la navigation moderne, fit construire un nouveau port à cinq kilomètres à l'ouest de la ville. Le chantier du nouveau port de La Pallice débuta en 1880 et fut inauguré en août 1890 par le Président de la République Sadi Carnot. Cet avant-port de La Rochelle avait l'avantage d'être le seul site portuaire en eau profonde et était d'un accès relativement facile. Il avait bénéficié d'installations ferroviaires lourdes qui équipaient les sites de l'avant-port et du bassin à flot. Le but affiché était d'en faire un site industrialo-portuaire capable de rivaliser avec les deux grands ports estuariens de la côte Atlantique de Bordeaux et de Nantes.

Si le port urbain (vieux-port, bassin à flot intérieur, bassin à flot extérieur) avait connu un trafic annuel allant jusqu'à deux millions de tonnes en 1908, il commença à décliner au profit de La Pallice dont le trafic atteignait en 1896 1 450 000 tonnes et, dès 1913, dépassait celui du port urbain.

A La Pallice, les usines commencèrent à s'installer après la mise en service du port en 1891 et l'arrivée du chemin de fer au printemps de la même année. Des usines de charbonnages, de fabrication d'engrais chimiques et de produits chimiques (acide sulfurique, colles et gélatines, sulfates de potasse), une raffinerie de pétrole, une filature de chanvre et de jute s'implantèrent aux côtés des entrepôts d'expéditions de produits agricoles de la région.

Enfin, il faut rappeler que La Pallice devint également un important port d'escale pour les paquebots sud-américains. En 1896, la gare maritime fut reliée aux trains spéciaux desservant les paquebots des grandes lignes maritimes.

Dans l'estuaire de la Charente, les deux ports maritimes de Tonnay-Charente et de Rochefort cumulaient un trafic avoisinant le demi million de tonnes de marchandises au début du XXe siècle.

Port de rupture de charge sur le fleuve, Tonnay-Charente s'affirmait plus que jamais comme un port mixte, à la fois fluvial et maritime. La cité portuaire maintenait son trafic sur le fleuve par la réception des eaux-de-vie de cognac et des vins et autres produits agricoles de l'arrière-pays charentais dont les cargaisons étaient acheminées par les longs convois de gabarres tirés par de puissants remorqueurs. Mais il est vrai qu'au début des années 1900, le trafic en amont est en baisse régulière, notamment en ce qui concerne l'expédition des eaux-de-vie de cognac. En 1871, le port recevait 450 000 hectolitres de cognac, ce trafic était tombé à 158 200 hectolitres en 1896.

Le port fluvial de Tonnay-Charente.

Cependant, l'activité portuaire est largement compensée par le trafic maritime alors en plein essor. La ville devient un véritable centre industriel depuis l'implantation sur la rive droite du fleuve de deux importantes usines chimiques important des pyrites, puis des phosphates, et d'une usine de charbonnages où y sont fabriquées des briquettes de charbon. Les quais aménagés sur 850 mètres disposent de six estacades et supportent un trafic annuel d'environ 120 000 tonnes au début du XXe siècle. En 1896, son port avait traité 121 600 tonnes de marchandises dont 115 000 tonnes provenaient de l'étranger.

A six kilomètres en aval de Tonnay-Charente, Rochefort affirmait sa vocation de port marchand depuis l'aménagement d'un troisième bassin à flot dont les travaux furent achevés en 1890. Ce troisième bassin, équipé d'une gare maritime et de voies ferrées, complétait les installations des deux autres bassins à flot construits vers 1868. Avec ce nouvel équipement portuaire, Rochefort put faire face à l'augmentation du trafic fluvial qui consistait en l'importation de charbon de Grande-Bretagne et de bois de Norvège. Dans de telles conditions, le trafic fluvial de Rochefort avait quasiment décuplé depuis la Monarchie de Juillet, passant de 28 500 tonnes en 1846 à 247 500 tonnes en 1900. Enfin, à partir de 1902, de nouveaux travaux de dragage dans la partie estuarienne du fleuve furent entrepris afin de permettre l'accès à des navires de 9 mètres de tirant d'eau, voire de 10 mètres par vive-eau d'équinoxe. Les deux ports charentais ont donc continué à se développer grâce d'une part à l'industrialisation de leurs villes et d'autre part à une importante desserte ferroviaire et routière.

Trois autres petits ports sont l'objet de quelque aménagement mais ils n'ont jamais connu un trafic aussi important que les ports de l'estuaire de la Charente et encore moins de celui de La Rochelle-La Pallice.

Tout au nord du département, Marans reste un petit port fluvial sur la Sèvre niortaise bien qu'il devient un site de confluence de deux canaux de navigation. Le Canal de Marans à La Rochelle, connecté à la Sèvre niortaise depuis septembre 1870, est ouvert à l'exploitation commerciale vers 1884. Il connait un trafic peu important avec seulement 5 700 tonnes relevées en 1887 et consistant en bois, charbon, engrais, vin et sel. Ses concepteurs avaient escompté sur un trafic dix fois supérieur, mais le canal tombe rapidement en désuétude au seuil de la Première Guerre mondiale. Malgré cet échec patent, la ville affiche des ambitions portuaires et fait établir un nouveau canal qui relie directement son port à la mer et qui est édifié en 1891. Le Canal maritime de Marans à la mer ne peut recevoir des navires jaugeant plus de 1 200 tonneaux, ce qui limite les grands projets maritimes d'autant plus que La Pallice va devenir rapidement le grand port de la façade charentaise et concurrencer le port de Marans. Ce dernier reçoit ainsi un faible trafic maritime, autour de 10 000 tonnes annuelles, consistant en l'importation de charbon d'Angleterre, puis de bois du Nord et en l'exportation de blé. En 1896, le port a traité 9 805 tonnes de marchandises.

Le port de Saint-Martin-de-Ré est demeuré le principal port de l'île de Ré au tournant du XXe siècle.

Dans l'Île de Ré, Saint-Martin-de-Ré était le principal port des Rétais. Il était devenu également un port de voyageurs mais c'était avant tout un port de cabotage dont le trafic était limité essentiellement avec celui de La Rochelle. Les échanges entre les deux ports consistaient en la réception pour l'île des produits de base (produits agricoles, vins, bois, engrais et charbon) et en l'expédition vers le continent des productions locales (sels lourds et légers, poissons et coquillages, huîtres et moules, vins). Le trafic portuaire peut être estimé à quelques 25 000 tonnes annuelles mais il ne se développa pas davantage. En effet, le port de Saint-Martin ne bénéficia d'aucun projet d'aménagement, se contentant des installations existantes somme toute suffisantes pour les besoins de l'île. De fait, le trafic portuaire eut plutôt tendance à diminuer en raison, d'une part, de la baisse de la production des salines de l'île de Ré et, d'autre part, d'un très fort courant d'émigration de la population depuis 1872 entrainant une baisse régulière des besoins de l'île.

Il en fut tout à fait autrement sur l'estuaire de la Gironde où de grands espoirs furent fondés sur le port de Mortagne-sur-Gironde. La voie ferrée venant directement de Saintes atteint en 1895 son site portuaire qui connut quelque aménagement afin de recevoir des navires de commerce. Une cimenterie industrielle fut installée à ses abords en 1904 ainsi qu'une importante minoterie. Ces deux usines furent équipées de voies ferrées pour la réception et l'expédition de leurs productions. Avec l'augmentation du trafic fluvial sur la Gironde et la montée en puissance du port de Bordeaux, Mortagne vit son trafic portuaire croître régulièrement. Grâce aux agrandissements du bassin à flot effectués par les militaires, des navires à vapeur assurèrent des liaisons commerciales régulières, en particulier avec l'Angleterre pour l'importation du charbon qui était livré "au rythme de trois ou quatre bateaux par mois et déchargés sur le port par 90 dockers" . Le développement du port de Mortagne dont les activités étaient multiples (port militaire, port de pêche et port de cabotage) et les industries qu'il généra favorisèrent une croissance démographique remarquable.

Évolution démographique de Mortagne-sur-Gironde et du canton de Cozes de 1872 à 1911
Année 1872 1881 1891 1901 1911
Mortagne-sur-Gironde 1 560 hab. 1 705 hab. 1 638 hab. 1 742 hab. 1 987 hab.
Canton de Cozes 12 187 hab. 12 151 hab. 11 448 hab. 10 814 hab. 10 598 hab.

Certes, le bourg n'atteint jamais la dimension d'une véritable ville, d'ailleurs, il ne franchit jamais le seuil des 2 000 habitants. Mais en un demi siècle, de 1872 à 1911, Mortagne-sur-Gironde avait gagné 427 habitants, ce qui était assez remarquable dans un contexte de région fortement frappée par l'exode rural. En effet, le canton de Cozes, auquel Mortagne-sur-Gironde appartient, perdit continuellement de la population dans la même période affichant une lourde perte démographique de - 1 589 habitants.

Toutes ces conditions réunies - modernisation des voies de communication et des ports, industrialisation des villes, accroissement des échanges commerciaux - ont favorisé davantage les villes, alors en plein essor et transformation, que les campagnes, plongées dans une crise profonde et durable.

La poursuite du développement urbain

A la veille de la Grande guerre, l'urbanisation du département s'est accélérée puisque près du tiers de la population vit dans une quinzaine de villes en Charente-Inférieure. Le taux de population urbaine qui n'était que de 23,6 % en 1872 est passé à 32,2 % en 1911.

Évolution décennale de la population urbaine de la Charente-Inférieure de 1872 à 1911
Année 1872 1881 1891 1911
Population urbaine 110 020 hab. 115 703 hab. 130 549 hab. 145 078 hab.
Taux urbain 23,6 % 24,8 % 28,6 % 32,2 %

De 1872 à 1911, l'évolution urbaine s'est faite très régulièrement et a même eu tendance à s'accélérer au tournant du XXe siècle avec une croissance démographique de 35 058 habitants (soit + 31,9 %) alors que, dans cette même période, le département perdait 14 609 habitants. Il est clair que la croissance des villes de la Charente-Inférieure a pu juguler en grande partie la forte émigration de population qui a touché le département en limitant partiellement les conséquences négatives de l'exode rural.

Dans la région Poitou-Charentes, la Charente-Inférieure se distingue par un taux de population urbaine nettement plus élevé que celui de la région, étant respectivement de 32,2 % et 24,3 % en 1911.

Les villes de la Charente-Inférieure figurent effectivement parmi les plus dynamiques de la région ; sur les six villes de plus de 20 000 habitants en 1911, trois appartiennent au département.

Classement des villes de plus de 10 000 habitants en Poitou-Charentes en 1911
Rang Ville 1911
1 Poitiers 41 242 hab.
2 Angoulême 38 211 hab.
3 La Rochelle 36 371 hab.
4 Rochefort 35 019 hab.
5 Niort 23 775 hab.
6 Saintes 20 802 hab.
7 Cognac 19 188 hab.
8 Châtellerault 18 260 hab.

En 1911, la Charente-Inférieure dispose de trois centres urbains de plus de 20 000 habitants et de deux villes de plus de 5 000 habitants, le reste de l'armature urbaine étant constitué de petites villes ayant peu évolué.

Évolution décennale de la population des quinze villes de la Charente-Inférieure de 1881 à 1911
Ville 1881 1891 1901 1911
La Rochelle 22 464 hab. 26 808 hab. 31 559 hab. 36 371 hab.
Rochefort 27 854 hab. 33 334 hab. 36 458 hab. 35 019 hab.
Saintes 15 763 hab. 18 641 hab. 18 219 hab. 20 802 hab.
Royan 5 445 hab. 7 247 hab. 8 374 hab. 9 330 hab.
Saint-Jean-d'Angély 7 279 hab. 7 297 hab. 7 041 hab. 7 060 hab.
Tonnay-Charente 3 904 hab. 4 249 hab. 4 696 hab. 4 911 hab.
Pons 4 895 hab. 4 615 hab. 4 772 hab. 4 549 hab.
Marennes 4 945 hab. 5 415 hab. 6 459 hab. 4 519 hab.
Marans 4 736 hab. 4 609 hab. 4 387 hab. 4 427 hab.
Le Château d'Oléron 3 132 hab. 3 458 hab. 3 803 hab. 3 734 hab.
Surgères 3 784 hab. 3 375 hab. 3 235 hab. 3 579 hab.
La Tremblade 3 090 hab. 3 364 hab. 3 601 hab. 3 547 hab.
Jonzac 3 210 hab. 3 431 hab. 3 366 hab. 3 210 hab.
Saujon 3 130 hab. 3 132 hab. 3 355 hab. 3 137 hab.
Saint-Savinien 3 192 hab. 3 015 hab. 2 733 hab. 2 665 hab.

Le tableau démographique ci-dessus montre qu'au début du XXe siècle, la hiérarchie urbaine de la Charente-Inférieure a subi quelque modification intéressante.

En tout premier lieu, elle est dominée par la bipolarisation de La Rochelle, maintenant première ville du département, et de Rochefort. A ce moment-là, l'écart de population entre les deux premières villes n'est pas significatif et La Rochelle n'exerce pas encore un poids écrasant dans la population urbaine départementale contribuant pour un quart environ contre 18,5 % en 1821. Les deux premières villes de la Charente-Inférieure pèsent tout de même 49,2 % de la population urbaine en 1911, c'est-à-dire près de la moitié.

Vue générale de Saintes, la troisième ville du département est dominée par le clocher-porche de la cathédrale Saint-Pierre.

En seconde analyse, Saintes qui a commencé à perdre du terrain par rapport aux deux premières villes demeure malgré tout le centre urbain principal de la Saintonge et s'affirme plus que jamais comme la troisième ville de la Charente-Inférieure. Cette ville historique, devenue un grand carrefour de communications routières et ferroviaires, franchit le seuil des 20 000 habitants en 1896, puis de nouveau à partir de 1911. La ville a plus que doublé sa population depuis la Monarchie de Juillet. Elle fait partie des trois premières villes de la Charente-Inférieure qui exercent un poids énorme dans la hiérarchie urbaine puisqu'elles représentent presque les deux tiers de la population urbaine du département (63,5 % en 1911).

Enfin, entre les trois premières villes du département et le reste du réseau urbain, l'écart n'a fait que de se creuser. En effet, dans cette armature urbaine, l'étage suivant est représenté par seulement deux villes de plus de 5 000 habitants qui sont Royan et Saint-Jean-d'Angély. Il est vrai que si Marennes n'avait pas eu à subir de modification territoriale avec Bourcefranc qui s'est érigée en commune en 1908, la ville aurait compté 6 671 habitants, talonnant de très près la cité angérienne. Par contre, toutes les autres villes du département se caractérisent par une véritable stagnation démographique. Tout se passe comme si la crise du phylloxéra avait paralysé l'économie des petits centres urbains malgré la reconversion brillante d'une ville comme Surgères qui reste malgré tout une toute petite ville. Curieusement, aucune d'entre elles ne parvient à franchir le cap des 5 000 habitants, pas même Tonnay-Charente pourtant en plein essor industriel et portuaire, ni même Pons qui avait pourtant bien des atouts en main pour devenir un centre urbain majeur en Haute Saintonge ou encore Marennes qui avait bénéficié d'équipements modernes et qui était située au centre du premier bassin ostréicole du pays.

Cette inertie des petits centres urbains, malgré quelque croissance notable observée à Tonnay-Charente, La Tremblade, Le Château-d'Oléron et même Surgères (entre 1901 et 1911), frappe par sa persistance. Ce fait étonnant n'est pas inhérent à la Charente-Inférieure, il est observé dans les départements voisins. En Charente par exemple, des villes comme Jarnac, Barbezieux, Ruffec ou La Rochefoucauld ont exactement les mêmes évolutions urbaines que les petits centres urbains de la Charente-Inférieure. Déjà, au début du XIXe siècle, puis pendant la Monarchie de Juillet et dans le tout Second Empire, ces petites villes ne se sont jamais véritablement développées. Elles sont demeurées de petits centres au service de leurs régions rurales et n'ont pas su s'affranchir d'une mentalité rurale ou attachée à la ruralité.

Par ailleurs, il est clair que le littoral charentais est devenu nettement attractif dès le début du XXe siècle et que les villes se sont les mieux développées sur la façade atlantique que dans l'arrière-pays saintongeais. Outre les deux villes portuaires de La Rochelle et de Rochefort qui ont, en plus, bénéficié d'une forte industrialisation, la station balnéaire de Royan a connu un essor urbain spectaculaire. Les villes ostréicoles de Marennes, La Tremblade et Le Château-d'Oléron ont également contribué à cette croissance urbaine dynamique.

A l'inverse, à la seule exception de Saintes, toutes les autres villes de la Saintonge stagnent ou se développent à peine (Saint-Jean-d'Angély, Pons, Jonzac et Saujon) ou périclitent inexorablement comme Saint-Savinien.

Pendant tout le XIXe siècle, le fossé entre les petites villes et les trois plus grandes s'est continuellement élargi et cette tendance se poursuivra pendant tout le reste du XXe siècle, hormis Royan qui constitue une exception urbaine dans le département.

Un demi siècle d'essor urbain

La baisse démographique du département a été résorbée en partie par l’essor des villes, surtout des quatre villes principales qui, de 1861 à 1911, se sont considérablement développées.

Évolution de la population des quatre villes principales de la Charente-Inférieure de 1861 à 1911 par grande tranche de temps
Ville 1861 1891 1911
La Rochelle 18 904 hab. 26 808 hab. 36 371 hab.
Rochefort 30 212 hab. 33 334 hab. 35 019 hab.
Saintes 10 962 hab. 18 641 hab. 20 802 hab.
Royan 4 005 hab. 7 247 hab. 9 330 hab.

Pendant un demi siècle, La Rochelle, Saintes et Royan ont plus que doublé leur population, tandis que Rochefort a atteint son maximum démographique avec 36 694 habitants en 1906. La population urbaine est donc passée d’un cinquième de la population départementale au début du Second Empire (20 % en 1856) à un tiers à la veille de la Première Guerre mondiale (32,2 % en 1911).

Rochefort qui est demeurée la première ville du département pendant tout le XIXe siècle et jusqu’en 1906 perd cette prééminence à la veille de la Première Guerre mondiale. Pourtant, la population de cette ville s’est accrue assez régulièrement depuis 1876. En fait, durant tout le XIXe siècle, sa population a triplé et ses faubourgs périphériques sont passés de 3 000 à 15 000 habitants de 1800 à 1906.

La Rochelle devient un grand port de pêche industrielle dès le début du XXe siècle et la première ville du département.

La Rochelle s’est considérablement accrue durant toute cette période, annexant de nouvelles communes. Son extension urbaine s'est faite tout autour de son vieux centre, notamment vers l'ouest en direction du nouveau port de La Pallice, et au sud, avec le tout nouveau quartier de Tasdon. La prospérité nouvelle de la ville est en étroite association avec les activités maritimes. Son port de pêche en constant essor abritant un quartier de 3 000 marins bretons et son nouveau port de commerce de La Pallice attirant des industries nouvelles ont scellé le développement d’une ville longtemps endormie et l’ont transformée en une ville attractive. Sa population a doublé de 1861 à 1911 et elle enregistre la plus forte croissance démographique parmi toutes les villes de la Charente-Inférieure.

Saintes a connu une mutation importante avec la création d’un nouveau faubourg industriel et ferroviaire sur la rive droite de la Charente. Elle accueille alors les entrepôts ferroviaires de la Compagnie des Charentes et est devenue un véritable carrefour ferroviaire. Elle s’affirme également comme une ville très commerçante (création de la Coopérative régionale en 1912) et une ville administrative (rôle de sous-préfecture, siège judiciaire du département).

Royan devient la quatrième ville du département grâce à l’essor des bains de mer. Elle est alors la « perle de l’Atlantique », une grande et prestigieuse station balnéaire, fréquentée aussi bien par la bourgeoisie de Bordeaux que par celle de Paris depuis qu’elle est reliée par une voie ferrée. Elle constitue une exception urbaine dans la région. Sa croissance démographique est vraiment spectaculaire puisque sa population a presque quintuplé depuis le début du XIXe siècle. Son attractivité ne cessera de se renforcer dans le courant du XXe siècle.

Par contre, les petites villes ont peu participé à la croissance urbaine dans la période 1861-1911 affichant de plus une évolution démographique souvent très contrastée.

L'évolution contrastée des petites villes de 1861 à 1911
Ville 1861 1891 1911
Saint-Jean-d'Angély 6 392 hab. 7 297 hab. 7 060 hab.
Marennes 4 455 hab. 5 415 hab. 6 671 hab.
Tonnay-Charente 3 703 hab. 4 249 hab. 4 911 hab.
Pons 4 894 hab. 4 615 hab. 4 549 hab.
Marans 4 510 hab. 4 609 hab. 4 427 hab.
Le Château d'Oléron 3 518 hab. 3 458 hab. 3 734 hab.
Surgères 3 289 hab. 3 375 hab. 3 579 hab.
La Tremblade 3 042 hab. 3 364 hab. 3 547 hab.
Jonzac 3 005 hab. 3 431 hab. 3 210 hab.
Saujon 2 889 hab. 3 132 hab. 3 137 hab.
Saint-Savinien 3 306 hab. 3 015 hab. 2 665 hab.

Trois catégories de petites villes peuvent être distinguées en Charente-Inférieure pendant ce demi siècle qui va du milieu du Second Empire à la veille de la Grande guerre.

Les petites villes en croissance régulière sont au nombre de cinq. Ce sont Tonnay-Charente, Surgères, La Tremblade et Saujon ainsi que Marennnes. Elles doivent leur croissance démographique au développement de leur économie urbaine (industrialisation du port de Tonnay-Charente, naissance et affirmation de l'industrie laitière à Surgères, essor de l'ostréiculture à Marennes et La Tremblade, fonction balnéaire à Ronce-les-Bains, nouveau quartier de La Tremblade). Elles s'affirmeront pendant le XXe siècle comme des pôles urbains secondaires, surtout Surgères et Marennnes. Le cas de Saujon mérite un développement à part. Si la ville assiste au déclin irrémédiable de son port morutier et de son site portuaire de Ribérou qui est abandonné, elle n'en demeure pas moins une active ville commerciale et un centre ferroviaire important. Saujon a atteint son maximum démographique pour tout le XIXe siècle affichant 3 355 habitants en 1901, la ville a plus que doublé sa population pendant tout ce siècle. Sa fonction thermale et résidentielle lui permettra de préserver son économie urbaine dans le courant du XXe siècle.

Saint-Jean-d'Angély, cinquième ville de la Charente-Inférieure au début du XXe siècle, demeure un centre du négoce des eaux de vie mais la ville stagne depuis la crise du phylloxéra en 1875

Les deux centres en stagnation que sont Saint-Jean-d'Angély et Jonzac sont marqués par des évolutions démographiques contrastées, tantôt positives, tantôt négatives, mais leur population a très peu varié pendant ce demi siècle. C'est que leur économie est atone, elles surmontent difficilement les conséquences de la crise du phylloxéra. Pourtant, Saint-Jean-d'Angély s'est affirmée comme un des carrefours routiers et ferroviaires les plus fréquentés du département, lui permettant de devenir un centre de commerces important qu'animent ses grosses foires mensuelles. Si Saint-Jean-d'Angély et Jonzac sont des sous-préfectures dont l'influence administrative leur permet de rayonner sur leurs arrondissements respectifs, elles demeurent cependant peu attractives malgré leurs fonctions urbaines multiples. Enfin, Saint-Jean-d'Angély, centre urbain ancien en Charente-Inférieure, occupe désormais le cinquième rang des villes du département et elle gardera ce rang pendant tout le XXe siècle.

Le reste des petits centres urbains est caractérisé par des villes en crise, affichant une dépopulation plus ou moins importante malgré une économie diversifiée que possèdent Pons et Marans alors que Saint-Savinien plonge dans une crise urbaine quasi irréversible qu'elle ne parvient pas à surmonter depuis le Second Empire. Cette dernière ville sera réduite à un simple rôle de marché rural, étant finalement reléguée au rang de commune rurale, tandis que Pons et Marans maintiendront leur statut urbain.

Dans le courant du XXe siècle, la majorité de ces petites villes ne se développeront pas davantage mais elles demeureront des points d'ancrage dans le milieu rural jouant dès lors le rôle de centre relais entre les grandes villes et les campagnes.

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