François Viète - Définition

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Le sens d'une œuvre

Une œuvre multiple

Outre ses travaux de maître des requêtes, Viète consacra ses loisirs aux mathématiques. Il en sortit des livres, qu'il faisait imprimer à ses frais et qu'il offrait à ceux de ses amis qui pouvaient les comprendre ou aux mathématiciens européens de son temps qui entraient en correspondance avec lui. Comme son travail l'amena à déchiffrer les codes secrets des ennemis du roi de France et de Navarre et qu'il suivit de près les avancées de l'astronomie, son œuvre prit quatre directions, dans lesquelles son cerveau « fécond apporta [à chaque fois] des changements considérables ».

Triangle sphérique obliquangle
  • En géométrie, Viète fournit de nombreuses « formules » reliant les lignes trigonométriques, dont il donne des tables plus précises que celles de Regiomontanus et de Georg Joachim Rheticus (publiées ultérieurement par Valentin Otho) ; il est le premier à relier entre elles les six lignes trigonométriques.
  • En géométrie sphérique, il développe la trigonométrie des triangles rectangles et obliquangles, en quoi il se montre l'héritier d'Albategni, quoiqu'il préfère souvent travailler avec des triangles sphériques rectangles. Au passage il pressent les relations de polarité des triangles sphériques et semble avoir reconnu le rôle de l'inversion dans les démonstrations de géométrie plane.
  • Toujours en géométrie sphérique, Il complète les formules d'Albategni reliant les angles et les longueurs des triangles découpés sur la sphère unité ; ces longueurs étant les mesures des angles sous lesquels on observe les côtés à partir du centre de la sphère, cela s'écrit en langage moderne :

A = \arccos\left(\frac{\cos \alpha -\cos \beta \cos \gamma}{\sin \beta \sin \gamma}\right) dont on trouvera les démonstrations dans Gergonne. Son œuvre géométrique a été patiemment analysé par Delambre, qui lui rend, en dépit de nombreuses critiques, cet hommage final :

« Ce qui paraît démontré, c'est que Viète a le premier complété notre système trigonométrique ; qu'il a véritablement enseigné l'usage des tangentes et des sécantes ; qu'il a établi les quatre formules générales, desquelles deux seulement étaient connues [avant lui]. »
Johannes Müller von Königsberg
  • En algèbre, dont le terme lui semble corrompu et qu'il renomme analyse spécieuse, il élabore une première forme de calcul littéral destinée à traduire les problèmes géométriques sous une forme générale, ce qui fait de lui le fondateur de notre algèbre moderne et ce pourquoi il est connu aujourd'hui (voir paragraphe ci-dessous).
  • En cryptographie, discipline qui fut son gagne-pain, il laisse un court manuscrit indiquant des méthodes de déchiffrement qui forment, historiquement, la première marche de cette discipline.
  • Pour l'astronomie, vers laquelle concourent tous ces travaux, il donne aux astronomes dans un manuscrit (non publié à ce jour) des méthodes géométriques afin de mieux traduire le mouvement des planètes, tant du point de vue de Ptolémée que de Copernic. Il semble devenu vers la fin de sa vie l'adepte d'un système intermédiaire, semblable à celui de Tycho Brahé. Ceux qui ont lu son Harmonicon Celeste y décèlent, d'ailleurs plus d'une décennie avant Kepler, la découverte de la trajectoire elliptique des planètes (voir paragraphe ci-dessous).

Au cœur de cette invention, se trouve l'héritage grec, que Viète tente de restaurer, les avancées du monde arabo-musulman et celles des calculateurs européens. En proposant, dans son Isagoge, de travailler avec des symboles, il se veut le rénovateur d'une mathématique qu'il croit oubliée ; en donnant les premières formes de calculs formels, son apport personnel fait de lui un fondateur. Pour autant, il demeure beaucoup de chemin à faire après Viète pour que l'écriture algébrique trouve enfin sa stabilité et ses travaux sont empreints d'archaïsmes. Ce sera l'œuvre de ses héritiers, directs et indirects, Thomas Harriot, Alexander Anderson, James Hume, Pierre de Fermat et René Descartes. Écrits en latin, car destinés aux autres savants européens, riches de néologismes et de citations grecques, incomplets dans leur formalisme, ces ouvrages sont rares, peu accessibles et, aujourd'hui, fort chers. Son nom a été célèbre, puis lentement oublié, gommé par la gloire du philosophe de la Haye auprès des encyclopédistes, puis retrouvé et restauré au XIXe siècle par d'opiniâtres érudits (voir paragraphe ci-dessous).

L'Algèbre nouvelle

Opera Mathematica publié à Leyde en 1646 par Bonaventure et Abraham Elzevier.

Les mathématiques de la Renaissance se plaçaient sous la double égide des mathématiques grecques, dont les outils empruntent à la géométrie, et des mathématiques arabes, qui fournissent des procédures de résolution dégagées de toute intervention géométrique. À l'époque de Viète, l'algèbre oscille donc entre l'arithmétique, qui donne l'apparence d'un catalogue de règles et la géométrie qui manifeste toute la rigueur axiomatique que lui a donné Euclide. Parallèlement, les Italiens ont développé avec Luca Pacioli, Scipione del Ferro, Niccolo Fontana Tartaglia, Ludovico Ferrari, et surtout Raphaël Bombelli (1560) une technique de résolution des équations du troisième degré qui annonce un âge nouveau. D'un autre côté, l'école allemande de la Coss, le mathématicien anglais Robert Recorde (1550) puis le Hollandais Simon Stevin (1581) ont introduit un début de notation algébrique, l'usage des décimaux et des exposants. Pour autant, les solutions négatives sont considérées le plus souvent comme absurdes et les nombres complexes demeurent tout au plus une vue de l'esprit ; près d'un siècle après leur invention Descartes, les décrira encore comme des nombres imaginaires. Seules les solutions positives sont considérées, et l'idée de justifier géométriquement les raisonnements algébriques est courante. Enfin, les mathématiciens français ont accompli un travail novateur considérable, et parfois ignoré : Pierre de la Ramée, dit Ramus, a redonné leur place aux mathématiques dans l'université. Humaniste, possédant aussi bien le grec que le latin et l'hébreu, il a refondé la logique, rénové l'alphabet ; ses « élèves », Guillaume Gosselin et Jacques Pelletier du Mans ont introduit la notation formelle des systèmes numériques de deux équations à deux inconnues (sans paramètre) ainsi que Jean Borrel (Butéo).

En Italie, Francesco Maurolico, maître de Federico Commandino et de Clavius a publié en 1575 quelques propositions faisant intervenir des lettres par leur produit, noté « A in B » et dénommé « C plano » en respectant l'homogénéité des formules. L'influence de ses ouvrages sur Viète demeure inconnue, il convient néanmoins de noter l'antériorité des idées de Maurolico (alias Marule) et la similitude de ses préoccupations, géométriques et cosmographiques, avec celles de Viète.

Ainsi, dans toute l'Europe, la tâche qui attend les mathématiciens est double : s'ils veulent faire progresser leur science, il leur est nécessaire de géométriser l'algèbre, afin de lui donner un fondement rigoureux et d'algébriser la géométrie, afin de permettre le calcul analytique dans le plan. Cette double tâche, sera accomplie par Viète. Poursuivie par Harriot, Descartes et Fermat, elle donnera notre algèbre. Ouvrant la voie de la formalisation, Viète est conscient de la nécessité de donner à l'algèbre un fondement aussi impeccable que celui de la géométrie et c'est à cette fin qu'il remplace l'algèbre numéreuse des procédures (celle de l'al jabr et de la muqabala) par une analyse symbolique, logistique spécieuse ou Algèbre nouvelle, nom que lui donnera le traducteur Antoine Vasset (alias Claude Hardy). Ce faisant, il n'hésite pas à affirmer que, grâce à cette nouvelle algèbre, tous les problèmes pourront être résolus (Nullum non problema solvere).

De cette rupture, Viète a particulièrement conscience. Dans sa dédicace de l'Isagoge à Catherine de Parthenay il affirme en effet :

« Toute chose nouvelle se présente ordinairement à son origine rude et informe, pour être polie et perfectionnée dans les siècles suivants. L'art que je produis aujourd'hui est un art nouveau, ou du moins tellement dégradé par le temps, tellement sali et souillé par les barbares, que j'ai cru nécessaire de lui donner une forme entièrement neuve, et après l'avoir débarrassé de toutes ses propositions erronées, afin qu'elle ne retînt aucune souillure, et qu'elle ne sentît la vétusté, imaginer et produire des mots nouveaux auxquels les oreilles étant jusqu'à présent peu habituées, il sera difficile que plusieurs personnes n'en soient pas dès le seuil même épouvantées et offensées. »

Dans les conditions de l'époque, il manque néanmoins à Viète le symbole de la multiplication « × » (qui sera donné par William Oughtred vers 1631), le symbole d'égalité « = », déjà présent chez Robert Recorde, ainsi que les symboles de comparaison « < » et « > », qui seront rajoutés par les éditeurs de Thomas Harriot et peut-être Nathanael Tarporley. Il lui manque aussi du temps et des élèves, capables d'illustrer brillamment sa méthode. Viète met des années pour publier, tant il est méticuleux, et de plus publie peu, comme le souligna Champfort :

« Les poêtes... feraient à l’égard de leurs ouvrages ce que le fameux mathématicien Viète faisait à l’égard des siens, dans un tems où l’étude des mathématiques était moins répandue qu’aujourd’hui. Il n’en tirait qu’un petit nombre d’exemplaires qu’il faisait distribuer à ceux qui pouvaient l’entendre et jouir de son livre, ou s’en aider. »

Surtout, il effectue un choix très particulier pour séparer les variables des inconnues. Probablement influencé par les notations de Pierre de La Ramée mais aussi par l'hébreu (que connaît son élève, Catherine de Parthenay), il sépare l'alphabet en consonnes (pour les paramètres) et voyelles (réservées aux inconnues). Ce choix s'avèrera désastreux pour la lisibilité et Descartes, en lui préférant les premières lettres pour désigner les paramètres et les dernières pour les inconnues, montrera moins de respect des traditions grecques et hébraïques, mais une plus grande perspicacité dans la compréhension humaine.

Exemple d'écriture de Viète

\frac{A \ plano\ }{B} subducere \frac {Z \ quadratum\ }{G}

 residua\ \ erit

\frac {A \ planum\ in \ G = Z \ quadrato\ in \ B}{B in G}

Viète demeure également prisonnier de son époque sous plusieurs aspects. En premier lieu, fidèle à la géométrie grecque, et héritier spirituel de Pierre de La Ramée, il ne traite pas les longueurs comme des nombres. Son écriture garde la trace de l'homogénéité ; ce qui ne simplifie pas sa lecture. Il ne reconnaît pas les complexes de Bombelli, et manifeste le besoin – vécu comme une nécessité – de doubler ses réponses algébriques par une construction géométrique. Bien qu'il ait probablement conscience que l'algèbre nouvelle suffise à donner la solution d'un problème, il suit en cela l'esprit du temps et ces archaïsmes entacheront bientôt sa réputation.

De façon plus anecdotique, il utilise les symboles "l" (pour latus), Radix binomiae ou Radice, pour exprimer les racines carrées. Cette notation, héritée de Ramus, disparut avec la généralisation du symbole \sqrt{} , dû à Christoff Rudolff, et utilisé par Frans Van Schooten dans ses éditions de Viète. D'autre part, le symbole "=" désigne pour lui l'écart géométrique séparant deux grandeurs, non pas l'égalité, symbolique qui se poursuivra jusqu'à Jacques Bernoulli.

Toutefois, de nombreuses nouveautés apparaissent dans ses écrits : les formules du binôme, qui seront reprises par Pascal et Newton, sont données jusqu'au degré 6 ; les relations entre coefficients et racines d'un polynôme, qu'en anglais, on nomme la formule de Viète sont entièrement explicitées dans le cas de racines positives, on y voit également l'apparition du premier produit infini, la reconnaissance du lien entre trisection de l'angle et équation du troisième degré…

Enfin, Viète est le premier mathématicien à introduire des notations pour les données du problème (et pas seulement pour les inconnues). Idée neuve, qui peut en partie s'expliquer par ses études juridiques ; species désignant dans le jargon des avocats l'ensemble de leurs clients. De ce fait, en accord avec Serfati, on considère généralement sa représentation symbolique de l'indéterminée comme une innovation majeure de la fin de XVIe siècle. Son algèbre ne se limite plus à l'énoncé de règles mais s'appuie sur une axiomatique et sur un calcul formel efficace, où les opérations agissent sur les lettres et où les résultats peuvent s'obtenir à la fin des calculs par un simple remplacement. Cette démarche, qui est au cœur du procédé algébrique contemporain est une étape fondamentale dans le développement des mathématiques. En cela, Viète transforme définitivement l'algèbre concrète en une logistique symbolique, instrument d'une nouvelle géométrie et marque réellement l'instant où s'accélère la rupture avec l'algèbre médiévale (d'Al-Khawarizmi à Stevin) et où s'ouvre la période moderne.

Parmi les problèmes que Viète aborde avec cette méthode, on trouve la résolution complète des équations du second degré de la forme ^{aX^2 + bX = c } et des équations du troisième degré de la forme ^{X^3+ aX = b} avec a et b positifs (Viète pose les changements de variable successifs : ^{X = \frac{a}{3Y} - Y} puis ^{Z = Y^3} et se ramène ainsi à une équation du second degré).

Écrite essentiellement en latin, son œuvre pénétra toute l'Europe. Après la publication de l'Isagoge, et surtout après les publications d'Alexander Anderson, de Ghetaldi et de Jean de Beaugrand, les mathématiques ne s'écriront plus de la même manière. De 1591 à 1649, date de la réimpression des œuvres du philosophe René Descartes, les mathématiciens européens adoptent sa façon générale de voir. Les astronomes, les opticiens, vont écrire dans son langage sous l'influence de ses élèves, et les traductions de Vasset, de Jean-Louis Vaulezard de James Hume vont encore l'enrichir, de sorte qu'après 1630, de nombreux mathématiciens, dont Fermat, Schooten, Huyghens, et Newton écriront d'abord à la manière de Viète, avant de se débarrasser de ses contraintes d'homogénéité.

L'art de bien raisonner

À partir de 1591, Viète, qui dispose d'une certaine fortune personnelle, ce qui le distingue parmi les mathématiciens, commence à publier à ses frais, et à l'usage de ses amis, l'exposé systématique de sa théorie mathématique, qu'il nomme « logistique spécieuse » (de specis : symbole) ou art du calcul sur des symboles. Il développe d'abord les fondements de cette nouvelle algèbre dans son Isagoge, puis en donne la même année des applications essentielles dans ses Zététiques. D'autres livres viendront compléter l'exposé de cette théorie, qui permet de résoudre des familles d'équations algébriques de degré 2 à 4 en donnant un sens géométrique à ces résolutions.

La logistique spécieuse s'accompagne de surcroît d'un art de bien raisonner, qui procède en trois temps :

  • dans un premier temps, Viète recommande de noter toutes les grandeurs en présence, ainsi que leurs relations, en utilisant son symbolisme, puis de résumer le problème sous forme d'une équation. Viète nomme cette étape la zététique ;
  • l’analyse poristique permet ensuite de transformer et de discuter l'équation. Il s'agit de trouver une relation caractéristique du problème, la porisma à partir de laquelle on peut passer à l'étape suivante. Cette étape se mène selon les règles de l'art, mais Viète n'en dit pas davantage là dessus ;
  • dans la dernière étape, nommée indifféremment Rhétique ou exégétique, Viète prescrit de revenir au problème initial et d'exposer solution par une construction géométrique ou numérique, s'appuyant sur les théorèmes obtenus dans la seconde étape.

On donne ci dessous le contenu d'un de ces livres de Zététiques, d'autres sont traduits à l'adresse indiquée par ce lien:

Viète cryptanalyste

À l'époque où Viète reprend du service auprès d'Henri III, Blaise de Vigenère, qui a publié en 1586 un traité donnant une méthode de chiffrement novatrice ne croit pas à la possibilité de casser les chiffres de façon systématique.

Les tables de Vigenère, qui sont les héritières des travaux de Al Kindi, mais aussi de Leon Battista Alberti, de Johannes Trithemius, de Giovan Battista Bellaso et enfin de Giambattista della Porta rendent effectivement beaucoup plus difficile l'art du déchiffrement.

De façon théorique, elles résisteront aux cryptanalystes jusqu'aux travaux de Charles Babbage en 1854 et de Friedrich Wilhelm Kasiski neuf ans plus tard.

Toutefois, elles sont encore peu utilisées à l'époque et les espagnols, comme les italiens n'usent que de codes de substitution assez simples, dérivés des techniques de substitution qu'on rencontrait déjà dans le code de César ou ceux de Marie Stuart.

Lorsque Viète parvient à déchiffrer la lettre du commandeur Moréo, et d'en deviner la clef, l'impact politique est de grande importance. Henri IV lui confie la responsabilité de déchiffrer toutes les lettres ennemies et de suivre l'évolution de leurs codes. Pour traiter plus rapidement sa mission, Viète s'adjoint deux secrétaires : Charles du Lys, ou Dulys, chargé de repérer les fréquences d'apparition des symboles revenant dans les lettres des Espagnols, des ligueurs et des Vénitiens et Pierre Aleaume, qui est censé le dégager du travail plus mathématique et répondre aux sollicitations des mathématiciens européens et français qui veulent apprendre de Viète sa nouvelle algèbre.

Les consignes qu'il laisse à Dulys constituent une première ébauche de l'enseignement de la cryptanalyse. En cela Viète accomplit un travail une fois encore fondateur. Ces travaux seront repris lorsqu'à la fin de sa vie, il laisse un manuscrit censé apprendre à son successeur la façon dont son équipe procédait pour venir à bout des lettres chiffrées de Philippe II et des Vénitiens.

Ce manuscrit, dont Nicolas-Claude Fabri de Peiresc redécouvre les grandes lignes au XVIIe, et que Frédéric Ritter décrit au XIXe siècle est resté inédit pendant une longue période. Il a été analysé en 1997, ainsi que les travaux de Peiresc, par Peter Pesic, puis par Jean-Paul Delahaye et Marco.Panza. L'étude de Pésic et celle de Delahaye à sa suite détaillent comment Viète procédait. Il semble que, pour Viète, le chiffre représentait le texte en clair, comme le symbole algébrique correspondait à sa valeur numérique

Viète conseille successivement

  1. de repérer les mots comme copie, en tête, les dates, les lieux, les titres des expéditeurs, qui sont souvent placés hors du texte et de façon à pouvoir être repérés.
  2. d'associer, si les nombres apparaissent en clair, les centaines avec des noms comme chevaux ou ceux de troupes légères, bataillon, régiment, de plus grandes quantités avec des corps d'armées, d'infanterie, et les plus importantes avec des sommes d'argents... ducas, sequins, deniers, livres, selon les ordres de grandeurs.
  3. de chercher les fréquences les plus élevés et d'y voir des voyelles (d'abord les A, puis les E...) et de rechercher les doubles, afin de leur associer (selon la langue) les appareillements les plus fréquents (deux l ou deux n, deux s, etc.)
  4. de noter ces conjectures sur un papier réglé comme celui sur lequel on écrit de la musique, et de recommencer sans craindre de gâcher du papier, jusqu'à ce que le texte à déchiffrer apparaisse.

Cette méthode serait vaine si elle ne bénéficiait des erreurs de la partie opposée et dans son mémoire adressé à Sully, Viète distingue nettement entre les codes espagnols, subtils mais utilisés de façon grossière et les codes italiens, subtils et utilisés de façon subtile. Ce programme constitue de fait le premier travail exposant une méthode d'attaque des codes utilisant les défauts d'utilisation des rédacteurs adversaires mais aussi les défauts inhérents aux méthodes en cours. L'application de cette méthode permet (avec beaucoup de travail) de venir à bout de la quasi-totalité des messages codés de l'époque (les codes à la Vigenère exceptés). C'est en cela qu'il rend caduc les techniques de chiffrement de l'époque. Mais Viète offre également par ce biais l'espoir de pouvoir résoudre le problème de tous les cryptoanalystes, à savoir casser tous les codes. Une grande similitude d'action est à l'œuvre dans la façon d'opérer de Viète tant en algèbre qu'en cryptographie, à tel point que certains historiens n'ont pas hésité à faire découler son habileté dans l'art du code de ses aptitudes mathématiques, ou de donner aux fondements de l'algèbre nouvelle la pratique du déchiffrement.

L'évolution de sa cosmographie

Giordano Bruno

Aujourd'hui, François Viète possède son cratère sur la Lune par 29,2 ° Sud et 56,3 ° Ouest. Cela semble justice au regard de ses travaux en astronomie ; ses principes cosmographiques, un des manuels destinés à Catherine de Parthenay, montrent qu'il s'y est intéressé très tôt. Sa pensée à ce sujet semble d'ailleurs avoir considérablement évolué. Dans ces premiers principes, Viète manifeste en effet une foi incontestable dans le système de Ptolémée. Pour lui, les cieux sont faits d'une matière impénétrable, constellations, lune et planètes tournent autour de la terre et influencent les maladies et les humeurs Il est certain qu'en milieu huguenot, aussi bien qu'en milieu catholique, l'héliocentrisme était mal vu et qu'il valait mieux manifester la prudence de Viète, comme en témoigne – a contrario – le sort que la papauté fit subir à Giordano Bruno le 17 février 1600.

On sait qu'il revint plusieurs fois sur la rédaction de son Harmonicon, mais les éléments astronomiques qui devaient suivre la publication du Canon mathématiques se sont perdus. On sait qu'Il y revint encore vers 1600 dans les appendices qui suivent l’Apollonius Gallus ; mais ce qu'il reproche alors à Copernic (et il le fait avec une grande force) n'est plus d'ordre religieux, mais mathématique : aux yeux de Viète, le moine et médecin polonais demeure un mauvais géomètre.

Dans le modèle de Viète, comme dans celui de Tycho Brahe, les luminaires, (Soleil et Lune) tournent autour de la Terre. Les planètes (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) autour du Soleil. C'est le géo-héliocentrisme

Sans doute Viète arriva-t-il à la fin de sa vie à un point de vue plus moderne et dépouillé de toute référence astrologique, exempt de naïveté théo-cosmogonique ; plus technique et semble-t-il très proche de celui de Tycho Brahe. L'évolution de sa pensée semble par ailleurs confirmée par les références (positives) que Viète fait aux Coperniciens dans ses écrits contre Clavius en 1602. Une traduction de l'expostulatio se trouve dans les manuscrits de Ritter. L’Harmonicon céleste, qu'il communiqua à Marin Ghetaldi, n'a, malheureusement, jamais été publié sous son nom et dans son intégralité.

L'histoire de cette œuvre dont on connaît un manuscrit et plusieurs copies, tour à tour perdus puis retrouvés, mérite également qu'on l'évoque : à la mort de De Thou (en 1617), qui en conserve le manuscrit, sa splendide bibliothèque est dispersée. Un catalogue en est dressé par Bouillaud et les frères Dupuis (Bullialdus et Puteanus). Mais L'Harmonicon Céleste est envoyé par Ismael Bouillaud à Cosme de Médicis (1590-1621) et Bouillaud, feignant d'oublier à qui il l'a envoyé, ne fait pas figurer l'ouvrage au catalogue de la bibliothèque de De Thou (1645). Son existence est néanmoins divulguée par Sherburne, en 1675, qui évoque ce travail car il en a communiqué un exemplaire à Mersenne et n'a jamais pu le récupérer. S'agit-il de l'exemplaire que retrouvent l'Italien Targioni Tozzetti, puis le comte Libri (dans la bibliothèque Magliabecchi de Florence) ? Au XIXe siècle, l'exemplaire de cet Harmonicon, est de nouveau égaré par le comte Libri avant de ressurgir au XXe siècle.

Comme on ne connaît cette dernière œuvre qu'au travers des résumés de Libri (Ritter ne l'a pas retrouvée et Grisard ne la décrit pas), il est difficile d'affirmer de combien d'années Viète a devancé Kepler dans la détermination de la forme elliptique des orbites des planètes, ni si Kepler l'a eu en main, ce que croit Grisard, après M G. Bigoudan. Cette idée est d'autant plus vraisemblable que Kepler intitula lui-même son œuvre Harmonice Mundi.

Le résumé de cette « Harmonie Céleste » donné par l'historien italien dans son histoire des sciences mathématiques semble indiquer que Viète, vers la fin de sa vie, renvoie dos à dos les systèmes de Copernic et de Ptolémée et décrit correctement les orbites des planètes en mouvement autour du soleil, celle de la terre exceptée (c'est-à-dire qu'il les identifie à des ellipses, et non pas à des cercles, comme l'avait fait Copernic). Cette remarquable intuition géométrique justifie assez semble-t-il l'admiration que Kepler manifestait pour Viète et pour ses méthodes de calcul :

«  Si je trouvais une démonstration avant qu'il ne la trouve, je la lui communiquerai. Mais jusqu'ici je l'ai cherchée en vain ; je pense parce que je suis trop peu exercé dans ce genre de problèmes. »

L'idée que toute la trigonométrie sphérique de Viète et ses efforts de résolution algébrique étaient en fait tournés vers l'astronomie est une idée qui anime de nos jours la recherche.

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