Le Sacrifice d'Abraham, si intéressant par ses audaces, par l'observation hardie de la nature, par la nouveauté de l'invention et surtout par l'énergie de la pensée, prouve qu'il eût pu occuper dans la statuaire la place qu'il laissa prendre à Donatello. Le Sacrifice d'Abraham de Brunelleschi et celui de Ghiberti mettent en présence, dès le début du XVe siècle, les deux grandes doctrines qui, pendant tout un siècle, vont se partager l'art italien avec Ghiberti, la beauté sereine des formes ; avec Brunelleschi et Donatello, les drames de la pensée."
"… Brunelleschi, comme plus tard Michel-Ange en sculpture et Raphaël en peinture, est placé aux confins de deux âges. Il marque la transition entre l'ère ancienne et l'ère nouvelle, et dans son œuvre on trouve le legs du passé à côté des idées de l'avenir. Brunelleschi, comme Michel-Ange et Raphaël, avant d'être un novateur, a été le disciple d'une ancienne école. Dans ces études, où nous nous attachons à montrer combien fut peu importante l'action de l'art antique sur l'art italien au cours du XIVe siècle et au début du XVe, on comprend combien il est intéressant de montrer que la coupole du dôme de Florence n'appartient en rien à l'influence de l'antiquité, mais dérive tout entière de l'art du Moyen Âge. En effet, dans cette œuvre surprenante, qu'on ne saurait trop admirer, le rôle de Brunelleschi fut limité surtout à l'exécution matérielle et aux formes de détail de la coupole. La conception première ne lui appartient pas. Elle est l'œuvre du XIVe siècle. Lorsque Brunelleschi apparaît, les plans de la cathédrale sont faits depuis plus d'un siècle, les nefs sont couvertes, les grands piliers destinés à recevoir la coupole ont leur forme et leur épaisseur et les pendentifs sont déjà couronnés par le tambour octogonal. Pour Brunelleschi, il ne s'agit plus que de dresser la coupole. Certes, la tâche était de nature à faire la gloire d'un architecte ; mais enfin, il faut noter qu'il n'y avait là qu'un rôle de constructeur à remplir. Remarquons en outre que, dans la forme donnée à la coupole, Brunelleschi ne songe pas à s'inspirer des formes de l'architecture romaine, mais que, tout au contraire, dans la part d'invention qui lui revient, il se montre un fidèle disciple du Moyen Âge. S'il put élever la coupole sans échafaudage, ce qui parait avoir été un de ses principaux mérites, c'est pour avoir donné à cette coupole les formes de l'arc brisé. De toute façon, il paraît difficile de faire une part quelconque à l'influence de l'art romain, soit dans la conception, soit dans la construction de cette coupole. Donc, si l'on peut dire avec juste raison que l'architecture de la Renaissance date de Brunelleschi, il ne faut pas classer la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs parmi les œuvres de la Renaissance. La Renaissance ne date que des œuvres de Brunelleschi postérieures à la coupole : l'église de Saint-Laurent et la chapelle des Pazzi, commencées vers 1430. Monsieur Paolo Fontana, dans un remarquable article, Il Brunelleschi e l'architectura classica, publié en 1893 dans l'Archivio storico dell' Arte a fait remarquer que la réforme de Brunelleschi consiste moins à reproduire les monuments de l'antiquité païenne que les monuments chrétiens du Moyen Âge. Les œuvres de Brunelleschi dérivent directement de San Miniato, des Saints-Apôtres et du Baptistère de Florence. Brunelleschi exerça sur l'art italien une influence bienfaisante, parce qu'il renonça à l'architecture gothique que le génie italien ne parvenait pas à assimiler et parce qu'il remit l'architecture italienne dans sa vraie voie, dans cette voie qu'elle avait abandonnée au XIIIe siècle, pour suivre, sans grand profit, les nouveautés des peuples du Nord."
Marcel Reymond (La sculpture florentine au XVe siècle : Brunelleschi - Gazette des Beaux-Arts, Paris, 1er janvier 1897, 3e période, tome 17)