Expédition polaire de S. A. Andrée - Définition

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Le désastre de 1897

Du lancement à l’atterrissage

L’Aigle et son lest fait de sacs de sable.
Quelques minutes avant le départ du 11 juillet 1897.
L’Aigle, naviguant vers le nord, photographié depuis le bateau à vapeur Virgo.

À leur retour sur Danskøya lors de l’été 1897, les explorateurs constatèrent que le hangar bâti l’année précédente avait bien résisté aux tempêtes hivernales. Les vents étaient plus favorables que l’année précédente, et la position de leader d’Andrée se trouvait renforcée par l’absence d’Ekholm, qui faisait autorité dans son domaine et était plus âgé que lui. Le 11 juillet, par un vent stable du sud-est, le toit du hangar de planches fut démonté, et les explorateurs montèrent dans la nacelle déjà chargée. Après qu’Andrée eut dicté un télégramme à destination du roi Oscar puis un autre à l’attention du journal Aftonbladet qui détenait les droits pour couvrir l’expédition, l’équipe technique coupa les dernières cordes retenant le ballon, qui s’éleva alors lentement. S’éloignant au-dessus de l’eau à une faible hauteur, il fut tiré vers le bas par le frottement sur le sol de ses guideropes longs de plusieurs centaines de mètres, tant et si bien que la nacelle vint effleurer la surface de l’eau. Les forces de friction firent également se tordre les cordes, qui se dévissèrent de leurs attaches. Ces attaches étaient un dispositif de sécurité imposé à Andrée, et qui avait pour objectif de permettre aux cordes bloquées au sol de se détacher sans trop de difficulté. En plus des guideropes, qui pesaient au total 530 kilogrammes, les explorateurs durent lâcher 210 kilogrammes de lest pour permettre au ballon de reprendre de la hauteur. Ainsi, dès les premières minutes du voyage, furent perdus 740 kilogrammes, et avant même d’être hors de vue du site de lancement, l’aérostat était passé du statut d’engin supposé manœuvrable à celui de simple montgolfière soumise aux caprices des vents, et dotée de trop peu de lest. Ainsi allégé, le ballon s’éleva à la hauteur imprévue de 700 mètres, à laquelle la faible pression de l’air permit à l’hydrogène de s’échapper rapidement par les huit millions de minuscules trous de son enveloppe.

Les passagers du ballon disposaient de deux moyens de communication avec l’extérieur : des bouées et des pigeons voyageurs. Les bouées, faites de cylindres d’acier montés sur du liège, pouvaient être lâchées depuis le ballon en vol sur la mer ou sur la glace, pour être ensuite transportées grâce aux courants. Seules deux furent retrouvées. La première, lancée seulement quelques heures après le départ faisait état d’un voyage se déroulant à merveille à une altitude de 250 mètres, alors que la seconde donnait une heure plus tard une altitude de 600 mètres. Les pigeons avaient été fournis par Aftonbladet et élevés dans le nord de la Norvège dans l’espoir qu’ils y retournent. Dans chaque cylindre destiné à accueillir les messages se trouvait une notice en norvégien demandant à celui qui récupérerait le pigeon de faire parvenir le message à l’adresse du journal à Stockholm. Au moins quatre pigeons furent lâchés, qui n’atteignirent jamais la terre ferme. Un seul fut retrouvé, s’étant posé sur un bateau à vapeur norvégien où il fut rapidement tué. Le message qu’il portait était daté du 13 juillet et spécifiait que le voyage se passait bien. Lundsröm et d’autres spécialistes remarquent qu’aucun de ces messages ne mentionnait le départ hasardeux du ballon ainsi que la situation de plus en plus désespérée décrite en détails dans le journal d’Andrée : le ballon n’était pas bien équilibré, naviguait bien trop haut et perdait ainsi encore beaucoup plus d’hydrogène que ce qu’avait craint Ekholm, ce qui menaçait de le faire s’écraser sur la glace. Il était alourdi car complètement trempé par la pluie, et tout le sable ainsi qu’une partie de la charge utile devaient être jetés afin de le maintenir en l’air.

Le vol libre dura 10 heures et 29 minutes, et fut suivi de 41 heures d’un voyage chaotique entrecoupé de fréquents contacts avec le sol avant le crash final. Pendant les quelques deux jours du voyage que put réaliser L’Aigle, aucun des explorateurs ne put s’accorder un moment de sommeil. L’atterrissage final fut finalement assez doux, et personne ne fut blessé. Les pigeons voyageurs dans leurs cages d’osier étaient sains et saufs, et l’équipement, dont les fragiles instruments d’optique et les deux appareils photographiques de Strindberg, était préservé dans son intégralité.

À pieds sur la glace

Carte du chemin parcouru par l’expédition d’abord en ballon vers le Nord, puis à pieds vers le sud, en direction de Kvitøya.
Frænkel (à gauche) et Strindberg à côté du premier ours polaire tué par les explorateurs.

Dès l’atterrissage, l’appareil photo de Strindberg, initialement conçu pour cartographier la zone du pôle Nord depuis le ballon, devint le témoin de la vie quotidienne des explorateurs sur l’étendue de glace, des dangers qu’ils couraient et des corvées du voyage. Strindberg, avec cet appareil de sept kilos, prit environ 200 photos lors des trois mois que dura leur errance, dont l’une des plus connues montre Andrée et Frænkel contemplant le ballon échoué (voir l’image tout en haut). Andrée et Frænkel collectèrent précieusement les résultats de leurs expériences et les mesures de leurs positions géographiques, respectivement dans le « journal principal » d’Andrée et le journal météorologique de Frænkel. Le journal de Strindberg était quant à lui beaucoup plus personnel, et contenait par exemple ses propres réflexions sur l’expédition ainsi que des messages pour Anna, sa fiancée.

Les explorateurs avaient chargé dans le ballon un équipement très varié, dont des fusils, des raquettes à neige, des traîneaux, des skis, une tente, un petit bateau (qu’ils devaient monter à partir de bâtons pliés, puis couvrir à l’aide de l’enveloppe de soie du ballon). La majeure partie de ces éléments était stockée dans la nacelle, mais d’autres étaient placés dans l’espace situé sous le brûleur. Le choix de cet équipement n’avait pas été effectué avec une grande attention, et n’avait pas tenu compte des méthodes utilisées par les habitants de régions comparables pour s’adapter aux conditions extrêmes de survie. Sur ce point, Andrée se démarque non seulement des explorateurs qui lui succéderont, mais aussi de bien de ceux qui l’ont précédé. Sven Lundström souligne les efforts supplémentaires harassants que durent fournir les explorateurs pour manœuvrer les traîneaux dessinés par Andrée, qui, au contraire de ceux des Inuits, étaient rigides et non adaptés à un terrain difficile, fait de canaux séparant les morceaux de banquise, de crêtes élevées et de mares au milieu de la glace. Ils n’avaient pas de fourrures pour se vêtir, mais des pantalons et des manteaux de laine, ainsi que des cirés en toile huilée. Malgré les vêtements en toile huilée, les explorateurs semblent avoir été constamment mouillés à cause des véritables piscines d’eau à moitié gelée et de la brume humide, typique de l’été arctique. Le danger était partout, et la perte des provisions lors du franchissement laborieux de l’un des nombreux canaux aurait signifié une mort certaine.

Avant de commencer leur périple sur le terrain difficile, les trois hommes passèrent une semaine dans la tente sur le lieu de l’atterrissage, à préparer leurs affaires et à décider de la suite des opérations. Le très lointain pôle Nord n’était pas une option envisageable, et l’alternative résidait entre deux dépôts de nourriture et de munitions, l’un au cap Flora dans l’archipel François-Joseph et l’autre aux Sept Îles dans le Svalbard (voir la carte ci-contre). Sur la foi des cartes erronées de l’époque, croyant les deux points situés à égale distance de celui de départ, ils décidèrent de mettre le cap sur le cap Flora, afin de rejoindre le dépôt principal. Durant cette semaine, Strindberg prit plus de photos qu’il ne le fera pendant tout le reste du périple, dont une série de douze images formant un panorama à 360 degrés de la zone de l’atterrissage.

Strindberg sur des raquettes à neige, avec son traîneau surchargé.

Le ballon transportait une grande quantité de nourriture, mais elle était plus adaptée à un voyage en montgolfière qu’à pieds. Andrée avait imaginé qu’il serait possible de jeter par dessus bord des excédents de nourriture en plus des sacs de sable s’il devenait nécessaire d’alléger le ballon au cours du vol. Cette nourriture pouvait également être utile au cas où un hivernage dans le désert Arctique devenait inévitable. Ils avaient pour ces raisons chargé dans le ballon peu de lest, mais beaucoup de lourdes provisions, pour un total de 767 kilogrammes dont 200 litres d’eau ainsi que des caisses de champagne, de porto ou encore de bière fournies par des sponsors ou des producteurs. Il y avait également du jus de citron, utile pour lutter contre l’apparition du scorbut, mais dans des quantités assez faibles comparativement à ce que d’autres explorateurs polaires considéraient généralement comme nécessaire. La majeure partie de cette nourriture se trouvait sous la forme de boîtes de pemmican, de viande, de fromage et de lait concentré. Une partie avait été jetée lors du voyage en ballon, et les explorateurs emportèrent tout d’abord la majeure partie de ce qui restait en quittant le site d’atterrissage, ainsi que d’autres éléments indispensables tels que des fusils, la tente, des munitions et des ustensiles de cuisine, chargeant chaque traîneau avec plus de 200 kilogrammes. Les traîneaux surchargés se cassèrent et épuisèrent les hommes, qui décidèrent après une semaine de ne conserver que le strict nécessaire, réduisant la charge par traîneau à 130 kilogrammes. Il devint alors plus que jamais nécessaire de chasser pour se procurer de la nourriture, et les naufragés consommèrent ainsi lors de leur périple des phoques, des morses et des ours polaires.

La traversée d’un canal à l’aide du bateau.

La progression vers l’archipel François-Joseph, entamée le 22 juillet, fut rapidement contrariée par la dérive de la glace qui malgré tous leurs efforts faisait en fait reculer les trois hommes. Le 4 août, ils décidèrent, au terme d’une longue concertation, de bifurquer vers le Sud-ouest, en direction des Sept Îles, qu’ils espéraient atteindre au bout de six à sept semaines de marche, grâce au courant. Le terrain était généralement difficilement praticable, avec toutefois quelques passages plus reposants sur de la banquise uniforme ou des zones d’eau, qui permirent de mettre en évidence la bonne tenue du bateau (non conçu par Andrée) dont disposaient les explorateurs. Encore une fois, malgré une avancée apparemment importante, ils furent gênés par le vent, qui, variant du Sud-ouest au Nord-ouest, contraria leur progression et les éloigna des Sept Îles. Ils tentèrent bien de tirer plus à l’Ouest, mais durent finalement se rendre à l’évidence que les Sept Îles étaient hors d’atteinte.

Le 12 septembre, ils se résignèrent à passer l’hiver sur place, et établirent un campement sur un grand morceau de banquise. Dérivant à grande vitesse vers le Sud en direction de Kvitøya, ils se dépêchèrent de construire une hutte en glace pour se protéger du froid qui se faisait de plus en plus sentir (voir le plan conçu par Strindberg, ci-dessous à droite). La rapidité de leur dérive fit espérer à Andrée qu’ils puissent se retrouver assez loin au Sud pour pouvoir se nourrir de la mer. Cependant, le 2 octobre, la banquise se mit à se fissurer juste sous l’abri, à cause des contraintes exercées par la pression contre les côtes de Kvitøya. Ils furent alors forcés de déménager sur l’île elle-même, ce qui leur prit deux jours. Dès lors, le journal d’Andrée, déjà de plus en plus incohérent, se tut. L’état des dernières pages de ce journal laisse supposer que les trois explorateurs sont morts peu après leur installation sur l’île.

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