Expédition de Morée - Définition

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Introduction

L’expédition de Morée est le nom donné en France à l’intervention terrestre de l’armée française dans le Péloponnèse, entre 1828 et 1833, lors de la guerre d'indépendance grecque.

Après la chute de Missolonghi, l’Europe occidentale avait décidé d’intervenir en faveur de la Grèce insurgée. L’attitude de l’allié égyptien de l’Empire ottoman, Ibrahim Pacha étant particulièrement critiquée, le principal objectif était d’obtenir qu’il évacuât les régions occupées, le Péloponnèse en premier lieu. L’intervention débuta par l’envoi d’une flotte franco-russo-britannique qui remporta la bataille de Navarin en octobre 1827. En août 1828, un corps expéditionnaire français débarqua à Coron au sud du Péloponnèse. Les soldats stationnèrent dans la presqu’île jusqu’à l'évacuation, en octobre, des troupes égyptiennes, puis ils prirent le contrôle des principales places-fortes encore tenues par les troupes turques. Bien que l’essentiel des troupes rentrât en France dès la fin de 1828, la présence française se poursuivit jusqu’en 1833.

Comme lors de la campagne d'Égypte de Napoléon Bonaparte, où une Commission des Sciences et des Arts avait accompagné l’expédition militaire, une Mission scientifique de Morée accompagnait les troupes. Dix-sept savants représentant diverses spécialités : histoire naturelle ou antiquités (archéologie, architecture et sculpture) firent le voyage. Leurs travaux furent d’une importance majeure dans la connaissance du pays. Les cartes topographiques réalisées sont d’une très grande qualité et les relevés, dessins, coupes, plans et propositions de restauration sur les monuments du Péloponnèse, de l’Attique et des Cyclades furent, après James Stuart et Nicholas Revett, une nouvelle tentative d’inventaire systématique et exhaustif des vestiges grecs antiques. L’Expédition de Morée et ses publications offrirent une description presque complète des régions visitées. Elles en firent un inventaire scientifique, esthétique et humain qui resta longtemps l’un des meilleurs moyens, à part le voyage sur place, de les connaître.

Carte du Péloponnèse
Abel Blouet, Expédition scientifique de Morée., 1831.
Carte du Péloponnèse, avec les lieux visités par l'expédition.

Contexte

Contexte militaire et diplomatique

En 1821, les Grecs s’étaient révoltés contre l’occupation ottomane. Ils avaient d’abord remporté de nombreuses victoires et proclamé l’indépendance. Cependant, celle-ci contrevenait aux principes du Congrès de Vienne et de la Sainte Alliance qui imposaient un équilibre européen et interdisaient tout changement. Or, contrairement à ce qui se passait alors pour le reste de l’Europe, la Sainte Alliance n’était pas intervenue pour mater les insurgés libéraux grecs.

Le soulèvement libéral et national ne convenait pas à l’Autriche de Metternich, principal artisan de la politique de la Sainte Alliance. Cependant, la Russie, autre gendarme réactionnaire de l’Europe, était favorable à l’insurrection par solidarité religieuse orthodoxe et par intérêt géo-stratégique (contrôle des Détroits des Dardanelles et du Bosphore). La France, autre membre actif de la Sainte Alliance (elle venait d’intervenir en Espagne contre les libéraux), avait une position ambiguë : les Grecs, certes libéraux, étaient d’abord des Chrétiens et leur soulèvement contre les Ottomans musulmans pouvait ressembler à une nouvelle croisade. La Grande-Bretagne, pays libéral, s’intéressait surtout à la situation de la région sur la route des Indes et Londres désirait pouvoir y exercer une forme de contrôle. Enfin, pour l’ensemble de l’Europe, la Grèce était le berceau de la civilisation et de l’art depuis l’Antiquité.

Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi. Ce tableau joua un rôle important dans la campagne d’opinion en Occident qui détermina une intervention.

Les victoires grecques avaient été de courte durée. Le Sultan avait appelé à l’aide son vassal égyptien Mehemet Ali qui avait dépêché en Grèce son fils Ibrahim Pacha avec une flotte et, dans un premier temps, 8 000 puis 25 000 hommes. L’intervention d’Ibrahim fut décisive : le Péloponnèse avait été reconquis en 1825 ; le verrou de Missolonghi était tombé en 1826 ; Athènes avait été prise en 1827. Il ne restait plus alors à la Grèce que Nauplie, Hydra et Égine.

Un fort courant d’opinion philhellène se développa en Occident. Il fut alors décidé d’intervenir en faveur de la Grèce, berceau de la civilisation, avant-garde chrétienne en Orient et dont la position stratégique était évidente. Par le traité de Londres de juillet 1827, la France, la Russie et le Royaume-Uni reconnurent l’autonomie de la Grèce qui resterait vassale de l’Empire ottoman. Les trois puissances se mirent d’accord pour une intervention limitée afin de convaincre la Porte d’accepter les termes du traité. Une expédition navale de démonstration fut suggérée et adoptée. Une flotte conjointe russe, française et britannique fut envoyée pour exercer une pression diplomatique sur Constantinople. La bataille de Navarin, livrée suite à une rencontre de hasard, entraîna la destruction de la flotte turco-égyptienne.

En 1828, Ibrahim Pacha était donc dans une situation difficile : il venait d’essuyer une défaite à Navarin ; la flotte conjointe exerçait un blocus qui l’empêchait de recevoir renforts et ravitaillement ; ses troupes albanaises qu’il ne pouvait plus payer avaient regagné leur pays, sous la protection des troupes grecques de Theódoros Kolokotrónis. Le 6 août 1828, une convention avait été conclue à Alexandrie entre le vice-roi d’Égypte, Mehemet Ali et l’amiral britannique Edward Codrington. Ibrahim Pacha devait évacuer ses troupes égyptiennes et laisser le Péloponnèse aux quelques troupes turques (estimées à 1.200 hommes) qui y restaient encore. Cependant, Ibrahim Pacha refusant de tenir les engagements pris, continuait à contrôler diverses régions grecques : Messénie, Navarin, Patras et quelques autres places fortes. Il avait même ordonné la destruction systématique de Tripolitza.

Par ailleurs, le gouvernement français de Charles X commençait à avoir des doutes quant à sa politique grecque. Ibrahim Pacha lui-même releva cette ambiguïté lorsqu’il rencontra le général Maison en septembre : « Pourquoi la France après avoir fait des esclaves en Espagne en 1823 venait maintenant en Grèce faire des hommes libres ? » Enfin, une agitation libérale, en faveur de la Grèce et s’inspirant de ce qui se passait alors en Grèce, commençait à se développer en France. Plus longtemps la France restait, plus sa position vis-à-vis de Metternich devenait délicate. Le gouvernement ultra-royaliste décida donc de hâter les choses. Une expédition terrestre fut proposée à la Grande-Bretagne qui refusa d’intervenir elle-même directement. Cependant, la Russie avait déclaré la guerre à l’Empire ottoman et ses victoires militaires inquiétaient Londres qui ne désirait pas voir l’empire des Tsars descendre trop au sud. La Grande-Bretagne ne s’opposa donc pas à ce que la France intervînt seule.

Contexte intellectuel

La philosophie des Lumières développa l’intérêt de l’Europe occidentale pour la Grèce, en fait pour une Grèce antique idéalisée. On considérait que les notions, si importantes pour les Lumières, de Nature et de Raison, avaient été les valeurs primordiales de l’Athènes classique. Les anciennes démocraties grecques, et surtout Athènes, devinrent des modèles à imiter. On alla y puiser des réponses aux problèmes politiques et philosophiques du temps. Des ouvrages tel que celui de l’Abbé Barthélemy : Voyage du Jeune Anacharsis, paru en 1788 servirent à fixer définitivement l’image que l’Europe avait de l’Égée.

Les théories et le système d’interprétation de l’art antique de Johann Joachim Winckelmann décidèrent du goût européen pour des dizaines d’années. Son œuvre majeure, Histoire de l’art antique., fut publiée en 1763, et traduite en français dès 1766. Il fut, dans cet ouvrage, le premier à périodiser l’art antique, classant les œuvres de façon chronologique et stylistique.
Les vues de Winckelmann sur l’art englobaient l’ensemble de la civilisation, puisqu’il faisait un parallèle entre niveau de développement général de celle-ci et évolution de l’art qu’il lisait comme on lisait à l’époque la vie d’une civilisation, en termes de progrès, d’apogée puis de déclin. Pour lui, l’art grec avait été le sommet de l’art et il avait culminé avec Phidias. Winckelmann considérait que les plus belles œuvres de l’art grec avaient de plus été produites dans des circonstances géographiques, politiques et religieuses idéales. Cette conception domina longtemps la vie intellectuelle en Europe. Il classa l’art grec en Antique (période archaïque), Sublime (Phidias), Beau (Praxitèle) et Décadent (période romaine).

Le Parthénon, à l’époque de Lord Elgin

Les théories de Winckelmann sur l’évolution de l’art culminant dans l’art grec, dans sa période Sublime, conçu dans une période de liberté politique et religieuse complète, participèrent à l’idéalisation de la Grèce antique et augmentèrent l’envie de se rendre en terre grecque. On croyait aisément alors avec lui que le Bon Goût était né sous le ciel de Grèce. Il sut convaincre l’Europe du XVIIIe siècle que la vie en Grèce antique était pure, simple et morale, et que l’Hellas classique était la source à laquelle les artistes devaient aller puiser les idéaux de « noble simplicité et calme grandeur ». La Grèce devint la « patrie des arts » et « l’éducatrice du goût ».

Le gouvernement français avait placé les travaux de l’Expédition de Morée dans la lignée de ceux de James Stuart et Nicholas Revett, qu’ils devaient compléter. Les expéditions à caractère semi-scientifique commanditées et financées par la Société des Dilettanti restaient la référence. Elles furent les premiers mouvements de re-découverte de la Grèce antique. La première, celle de Stuart et Revett à Athènes et dans les îles, eut lieu en 1751-1753. Celle de Revett, Richard Chandler et William Pars en Asie Mineure se déroula entre 1764 et 1766.

Enfin, les « travaux » de Lord Elgin sur le Parthénon au début du XIXe siècle avaient aussi suscité la convoitise. Il semblait qu’il était possible de constituer en Europe occidentale d’immenses collections d’art antique.

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