Équipartition de l'énergie - Définition

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Introduction

Agitation thermique d’un peptide avec une structure en hélice alpha. Les mouvements sont aléatoires et complexes, l’énergie d’un atome peut fluctuer énormément. Néanmoins, le théorème d’équipartition permet de calculer l’énergie cinétique moyenne de chaque atome ainsi que l’énergie potentielle moyenne de nombreux modes de vibration. Les sphères grises, rouges et bleues représentent des atomes de carbone, d’oxygène et d’azote respectivement. Les sphères blanches plus petites représentent des atomes d’hydrogène.

En physique statistique classique, l’équipartition de l’énergie est un résultat remarquable selon lequel l’énergie totale d’un système à l’équilibre thermodynamique est répartie en parts égales en moyenne entre ses différentes composantes. Ce résultat découle très directement du postulat fondamental de la physique statistique ; on parle souvent de principe d’équipartition de l’énergie.

Plus précisément, le théorème d’équipartition donne une équation qui permet de relier la température d’un système macroscopique aux énergies moyennes des particules microscopiques qui le composent, permettant ainsi de faire des prédictions quantitatives. On le résume souvent par la formule : 1/2 kBT par terme quadratique dans l'expression de l'énergie, où kB est la constante de Boltzmann et T la température exprimée en kelvin. Le théorème permet de calculer l’énergie totale d’un système à une température donnée, d’où l’on peut calculer sa chaleur spécifique. Mais il donne aussi les valeurs moyennes de composantes de l’énergie, telles que l’énergie cinétique d’une particule ou l’énergie potentielle associée à un mode de vibration particulier.

Le théorème d’équipartition peut notamment être utilisé pour retrouver la loi des gaz parfaits, la loi expérimentale de Dulong et Petit sur la chaleur spécifique des solides ou caractériser un mouvement brownien. De manière générale, il peut être appliqué à n’importe quel système classique à l’équilibre thermodynamique, quelle que soit sa complexité. En revanche, il est mis en défaut quand les effets quantiques deviennent significatifs, notamment pour des températures suffisamment basses ou des densités élevées.

Historiquement, le problème de l’équipartition de l’énergie est lié à d’importants développements en physique et en mathématiques. Il a trouvé son origine au milieu du XIXe siècle dans la théorie cinétique des gaz, puis accompagné l’émergence de la physique statistique. Au début du XXe siècle, il était encore au cœur de problèmes fondamentaux, dont notamment la catastrophe ultraviolette, qui ont conduit au développement de la mécanique quantique. En mathématiques, l’examen des conditions de validité du principe d’équipartition a donné naissance à la théorie ergodique, une branche dans laquelle de nombreux problèmes restent encore ouverts.

Historique

Premières formulations

L’équipartition de l’énergie cinétique fut initialement proposée en 1843 par John James Waterston qui travaillait à une première théorie cinétique des gaz. À cette époque, Waterston était aux Indes où il travaillait en tant qu’ingénieur pour le développement du chemin de fer. Il proposa son mémoire en 1845 à la Royal Society qui refusa de le publier, mais le conserva dans ses archives. Un court résumé de ses idées fut publié en 1846, puis un autre en 1851 dans laquelle on trouve une première version du principe d’équipartition de l’énergie. Le mémoire d’origine fut redécouvert et finalement publié bien plus tard en 1893, assorti d’une introduction de Lord Rayleigh qui critique vivement le refus initial en reconnaissant l’antériorité du travail de Waterston (mais aussi certaines erreurs). Telle que publiée en 1851, cette première version du principe d’équipartition s’écrit :

« L’équilibre […] entre deux gaz est atteint quand […] la vis viva de chaque atome est égale. La température dans les deux gaz est alors proportionnelle à la masse d’un atome multipliée par le carré de la vitesse moyenne de l’atome. »

Ces premiers travaux sont donc inconnus des principaux physiciens de l’époque qui développeront pendant les vingt ans qui suivirent la théorie cinétique des gaz et affineront les arguments, les formulations et les démonstrations du principe d’équipartition. Rudolf Clausius, Ludwig Boltzmann, James Clerk Maxwell sont de ceux-là. Ce dernier écrit notamment en 1878 :

« À une température donnée, l’énergie cinétique totale d’un système matériel est égale au produit du nombre de degrés de liberté de ce système par une constante qui est la même pour toute substance à cette température, cette constante étant en fait la température de l’échelle thermodynamique multipliée par une constante absolue. »

Le théorème d’équipartition est considéré pendant le dernier tiers du XIXe siècle comme un des résultats principaux de la théorie cinétique des gaz. Sa généralité et sa simplicité en font un résultat séduisant ; il est connu et utilisé couramment par les expérimentateurs.

Un grand succès du théorème d’équipartition fut la prédiction par Boltzmann de la loi expérimentale de Dulong et Petit sur la chaleur spécifique des solides, autre sujet d’étude au XIXe siècle. En 1819 en effet, les physiciens français Pierre Louis Dulong et Alexis Thérèse Petit avaient découvert que les chaleurs spécifiques molaires des solides à température ambiante étaient quasiment toutes identiques, environ 6 cal/(mol·K). Cette loi jusqu’alors expérimentale trouva dans le théorème d’équipartition un fondement théorique. De même, les mesures des chaleurs spécifiques de gaz monoatomiques étaient tout à fait conformes à la théorie. Le théorème prédit que la chaleur spécifique d’un gaz simple monoatomique doit être d’environ 3 cal/(mol·K), ce qui fut en effet confirmé par l’expérience.

Paradoxes théoriques et expérimentaux

Cependant, le théorème d’équipartition fut également mis en défaut. Dès 1840, des mesures de chaleur spécifique de solides avaient mis en évidence des écarts significatifs avec la loi de Dulong et Petit, notamment dans le cas du diamant. Au début des années 1870, des études en fonction de la température par James Dewar et Heinrich Friedrich Weber montrèrent que la loi de Dulong et Petit n’était en réalité valable que pour les hautes températures.

Des mesures de chaleurs spécifiques de gaz diatomiques vinrent également contredire le théorème d’équipartition. Le théorème prédisait une valeur de 7 cal/(mol·K) quand les chaleurs spécifiques mesurées étaient typiquement proches de 5 cal/(mol·K) et tombaient même jusqu’à 3 cal/(mol·K) aux très basses températures.

Un troisième cas de désaccord fut la chaleur spécifique des métaux. Selon le classique modèle de Drude développé au début des années 1900 et le théorème d’équipartition, les électrons dans les métaux devraient se comporter comme un gaz quasi parfait, et devraient contribuer pour 3/2 NekB à la chaleur spécifique où Ne est le nombre d’électrons. L’expérience montre toutefois que les électrons contribuent peu à la chaleur spécifique : les chaleurs spécifiques molaires de nombreux conducteurs et d’isolants sont quasiment égales.

Un dernier cas de désaccord, et pas des moindres, était donné par le problème de l’émission de rayonnement du corps noir. Le paradoxe vient du fait qu’il y a une infinité de modes indépendants du champ électromagnétique dans une cavité fermée, chacun pouvant être traité comme un oscillateur harmonique. Si chaque mode avait une énergie kBT, la cavité contiendrait donc une énergie infinie. Ce paradoxe est resté dans l’histoire sous le nom de catastrophe ultraviolette. En 1900, ce paradoxe est le second « nuage » évoqué par Lord Kelvin lors de sa conférence Nineteenth-Century Clouds over the Dynamical Theory of Heat and Light. Il ne sera résolu que par les développements de mécanique quantique.

Au-delà des cas d’échecs rapportés par l’expérience, le théorème d’équipartition se heurte également à un problème fondamental, souligné dès 1875 par James Maxwell : à mesure que l’on décompose les molécules de gaz en constituants élémentaires, on peut trouver de nouveaux degrés de libertés qui devraient aux-aussi contribuer à l’énergie totale. À la limite, celle-ci deviendrait infinie ! Ce paradoxe est insoluble par la physique classique. Et pourtant, la démonstration du théorème ne présente pas de faille apparente, et les succès de la théorie cinétique des gaz sont par ailleurs indéniables.

Face à ces difficultés, plusieurs attitudes sont possibles. Certains, mais pas les plus nombreux, pensent que le théorème est faux. C’est notamment le cas de Lord Kelvin. Mais ils ne parviennent pas à démontrer en quoi. D’autres, prenant actes des succès du théorème, préfèrent penser qu’il n’est pas applicable dans les cas qui posent problèmes, pour des raisons qui restent à préciser. Ludwig Boltzmann avança que les gaz pouvaient ne pas être à l’équilibre thermodynamique à cause de leurs interactions avec l’éther. Maxwell pense que le problème ne pourra pas être résolu sans une connaissance précise et complète de la structure interne des molécules. Mais ce problème aussi se révèle de plus en plus compliqué. Certains, plus prudents encore, remettent en cause la pertinence de l’utilisation des lois de la mécanique (chocs) aux molécules et, de là, la nature même de la matière. Lord Rayleigh quant à lui, dans une conférence qu’il donne en 1900, avance fermement que le théorème d’équipartition et l’hypothèse expérimentale de l’équilibre thermodynamique sont tous les deux corrects, mais pour les réconcilier invoque le besoin d’un nouveau principe qui pourrait fournir une « échappatoire à la simplicité destructrice » du théorème d’équipartition.

Naissance de la mécanique quantique

Albert Einstein au premier congrès Solvay en 1911.

Cette échappatoire fut trouvée progressivement à partir des années 1900. Cette année-là, Max Planck présente un travail sur le rayonnement du corps noir dans lequel il imagine des niveaux d’énergie discrets, ce qui lui permet d’échapper à la catastrophe ultraviolette. C’est alors une hypothèse purement mathématique. Max Planck ne s’intéresse que peu alors au problème de l’équipartition de l’énergie ; il est réticent de manière générale devant les méthodes de la physique statistique.

C’est notamment à Albert Einstein que l’on doit le lien avec l’équipartition. Il insiste en 1905 sur le fait que le théorème d’équipartition associé aux théories classiques du rayonnement conduit nécessairement à la loi de Rayleigh-Jeans et à la catastrophe ultraviolette. Il introduit en 1907 un effet de quantification pour résoudre le problème de la chaleur spécifique des solides : c’est le modèle d’Einstein qui sera par la suite amélioré par Peter Debye. Au premier congrès Solvay en 1911, il remet en cause la validité du théorème pour les systèmes dont l’énergie est quantifiée.

Mécanique quantique et équipartition semblent alors incompatibles. L’articulation entre les deux sera trouvée avec la théorie quantique du gaz parfait. Dans un article qu’il publie en 1924 en partant des idées de Satyendranath Bose, Einstein montre que l’équipartition est valable dans la limite des faibles densités et des hautes températures, calculant même un critère de validité. Le théorème d’équipartition perd alors définitivement son statut de formule générale pour devenir une approximation, valable seulement quand la physique classique elle-même est une bonne approximation de la physique quantique.

Vers la théorie ergodique

Avec le développement de la physique statistique, les conditions de validité de l’équipartition de l’énergie sont clairement posées. Elle repose notamment sur l’hypothèse fondamentale selon laquelle la valeur moyenne d’une grandeur prise sur une durée suffisamment longue (celle que l’on mesure) est égale à la valeur moyenne d’ensemble, calculée par la physique statistique. Cette hypothèse d’ergodicité, formulée explicitement par Boltzmann dès 1871, est validée a posteriori par la justesse des prédictions qu’elle permet, mais reste une hypothèse.

Or, il existe très peu de systèmes pour lesquelles on a la certitude que cette hypothèse est effectivement réalisée. On a même la certitude que cette hypothèse n’est pas réalisée dans un certain nombre de cas très simples : par exemple, un gaz rigoureusement parfait dans lequel les molécules ne s’entrechoqueraient pas n’est pas un système ergodique. Les conditions de validité de cette hypothèse restent à explorer.

En 1953, l’expérience de Fermi-Pasta-Ulam rapporte un exemple d’échec de l’équipartition. Cette première expérience numérique consiste à étudier la répartition à long terme de l’énergie d’un système dynamique unidimensionnel de 64 masses couplées entre elles par des ressorts harmoniques perturbés par une faible anharmonicité, sachant qu’un seul mode du système est initialement excité. L’issue de l’expérience surprend : l’énergie ne se répartit pas également entre les différents modes, contrairement aux prédictions de l’équipartition.

Une première réponse à ce paradoxe sera suggérée par Kolmogorov en 1954, puis démontrée indépendamment par Arnold et Mauser en 1963 : c’est le théorème KAM qui montre que de faibles couplages non linéaires ne suffisent pas à rendre un système ergodique.

Ces travaux ont conduit au développement d’une branche des mathématiques, la théorie ergodique, qui étudie les conditions d’ergodicité d’un système. De nombreux cas d’échec de l’équipartition ont été mis en évidence, souvent au moyen de simulations numériques (chaînes anharmoniques, milieux granulaires…). Dans ce domaine, de nombreux problèmes restent ouverts.

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