L’Enfant pétrifié de Sens était un lithopédion, conservé 28 ans dans l'utérus de sa mère († 1582). Cette curiosité anatomique fit le tour de l'Europe jusqu'au XVIIIe siècle, avant qu'elle disparaisse des collections du Musée d'Histoire Naturelle du Danemark après 1826.
En 1554, Colombe Chatri, femme du tailleur Louys Carita de Sens, présentait à 40 ans tous les signes d'une grossesse normale, mais malgré la perte des eaux et l'apparition des contractions, n'accoucha finalement pas. Elle survécut à cette épreuve, mais demeura alitée trois années durant tout en souffrant terriblement. Elle ne devait d'ailleurs mourir qu'à l'âge de 68 ans.
À sa mort, le 16 mai 1582, son mari accepta de faire autopsier son corps par deux chirurgiens, Claude le Noir et Jehan Coutas. Dans l’utérus de la morte, ils découvrirent une grosse concrétion de forme ovoïde, qu'ils ne parvinrent à briser qu'à grand-peine (« comme une masse de plâtre, qui résista longtemps au rasoir »). Lorsqu'ils s'aperçurent qu'elle contenait le corps entier mais calcifié d'un enfant au stade final de son développement, ils firent appeler des médecins patentés dont Jean d’Ailleboust. Le phénomène attira aussitôt un grand nombre de curieux, et pour libérer le corps du fœtus de sa gangue et pouvoir l'examiner à loisir, les médecins détruisirent l'enveloppe et s'en débarrassèrent avant qu'elle ait pu être elle-même examinée. Dans l'opération, on cassa d'ailleurs aussi la main droite.
L'enfant, de sexe féminin, était en position agenouillée avec la tête légèrement penchée à droite. Les fontanelles étaient ouvertes, et le bébé avait une dent formée.
D'emblée, cette curiosité souleva l’intérêt bien au delà du cercle des médecins. Dans les années 1590, un riche marchand, Prestesiègle, acheta le lithopédion de Sens et l'installa dans son cabinet de curiosités à Paris. Là, la sage-femme Louise Bourgeois (1563-1636) put à son tour l’examiner. Elle fit réimprimer la gravure de la narration de d’Ailleboust. Puis le fœtus passa aux mains de l'orfèvre parisien Estienne Carteron, qui à son tour le revendit le 12 février 1628 à Venise au bijoutier Gillebert Bodëy. Ainsi, c’est à Venise que dans les années 1640, l’anatomiste danois Thomas Bartholin aperçut l'enfant de pierre. Il en informa vraisemblablement le roi Frédéric III de Danemark ; ce souverain, passionné de sciences, fit au cours des années 1650 l’achat de toute une collection de curiosités à Copenhague, comprenant notamment tout le fonds d’Ole Worm ; en 1653, il acquit l’enfant de pierre de Sens, ainsi que l’acte de vente de 1628 et une copie manuscrite du rapport d’autopsie de Jean d’Ailleboust avec l’illustration. Ces documents peuvent toujours être consultés à la Bibliothèque royale de Copenhague.
Bartholin a publié une description précise de l’enfant de pierre lorsqu’il était conservé au Danemark. Elle parut en 1654 à Amsterdam dans un livre intitulé Historiarum Anatomicarum Rariorum, Centuria I–II. À ce moment, le lithopédion était déjà fort dégradé : les deux bras étaient cassés et en plusieurs endroits, la peau déchirée et les muscles endommagés laissaient voir le squelette. Un catalogue du Musée Royal, compilé en 1696 par un parent de Bartholin, Oliger Jacobaeus, montre l’état de cette curiosité anatomique à cette date. Le catalogue de 1710 témoigne de nouvelles dégradations : ce qui restait de la peau de l’enfant était à présent presque entièrement noirci. En 1737, l'enfant de pierre de Sens se trouvait toujours dans les collections du roi ; le catalogue de cette année-là indique (sans illustration) que les vestiges sont à présent conservés dans une châsse de verre.
Dans les années 1820, la collection royale fut dispersée. Une partie des articles fut vendue aux enchères, une autre partie remise à d’autres musées et le reste fut jeté. L’enfant de pierre de Sens avait rejoint en 1826 les collections du Musée danois d’Histoire Naturelle. À la fin du XIXe siècle, les curiosités de ce musée furent confiées au Musée Zoologique de l’Université de Copenhague, mais le fœtus de Sens est absent du recensement des objets déménagés à cette occasion : sa trace se perd donc après son arrivée au Museum d’Histoire Naturelle ; les recherches entreprises depuis ont échoué.
![]() Croquis de Thomas Bartholin (1654) | ![]() Le catalogue des collections du Musée royal de Copenhague (Holger Jacobsen,1696). |