Emmy Noether - Définition

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Hommages

Le Campus Emmy Noether de l'université de Siegen en Allemagne.

Les idées de Noether sont toujours pertinentes pour le développement de la physique théorique et des mathématiques. Elle est constamment classée parmi les plus grands mathématiciens du XXe siècle. Dans son hommage posthume, son confrère algébriste van der Waerden écrit que son originalité mathématique était « absolument au-delà de toute comparaison » et Hermann Weyl considère que Noether « a changé la face de l'algèbre par son travail ». Pendant sa vie et jusqu'à nos jours, Noether a été considérée comme la plus grande mathématicienne de l'Histoire par les autres mathématiciens comme Pavel Alexandrov, Hermann Weyl, et Jean Dieudonné.

Le 2 janvier 1935, quelques mois après la mort de Noether, le mathématicien Norbert Wiener écrit que

« Mademoiselle Noether est [...] la plus grande mathématicienne qui a jamais vécu, et la plus grande femme scientifique, tous domaines confondus, et une savante du même niveau, au moins, que Madame Curie. »

Dans une lettre adressée au New York Times, Einstein écrit, le 1er mai 1935 :

« Selon le jugement de la plupart des mathématiciens compétents en vie, Fräulein Noether était le génie créatif et mathématique le plus considérable produit depuis que les femmes ont eu accès aux études supérieures jusqu'à aujourd'hui. Dans le domaine de l'algèbre, qui a occupé les mathématiciens les plus doués depuis des siècles, elle a découvert des méthodes qui se sont avérées d'une importance énorme pour les recherches de l'actuelle nouvelle génération de mathématiciens. »

Dans la section de l'Exposition universelle de 1964 consacrée aux mathématiciens modernes, Noether est la seule femme représentée parmi les mathématiciens les plus notables du monde moderne.

De nombreux hommages ont été rendus à Noether.

  • L'Association for Women in Mathematics tient chaque année une conférence Noether pour distinguer les femmes en mathématiques. Dans sa brochure présentant la conférence de 2005, l'association qualifie Noether de « l'un des grands mathématiciens de son temps, quelqu'un qui a travaillé et s'est battue pour ce qu'elle aimait et ce en quoi elle croyait. Sa vie et son travail restent une formidable inspiration. »
  • En accord avec son dévouement à ses étudiants, l'université de Siegen abrite ses départements de physique et de mathématiques dans son Campus Emmy Noether.
  • La Fondation allemande pour la Recherche (Deutsche Forschungsgemeinschaft) met en œuvre le Programme Emmy Noether, qui accorde des bourses aux jeunes chercheurs post-doctorants pour la poursuite de leurs recherches et activité d'enseignement.
  • Son nom a été donné à des rues de plusieurs villes, dont Saint-Ouen, près de Paris, Munich, Erlangen...
  • Le lycée d'Erlangen a été rebaptisé Emmy Noether, ainsi qu'un autre lycée à Berlin.

Également :

ont été nommés en son honneur.

Apports en mathématiques et physique

Avant tout, Noether restera pour la postérité une algébriste, bien que son travail ait aussi d'importantes conséquences en physique théorique et en topologie. Elle montre une grande propension au raisonnement abstrait, ce qui lui permet d'aborder les problèmes de mathématiques d'un point de vue nouveau et original. Son ami et collègue Hermann Weyl partage ses recherches en trois époques.

La première époque est surtout consacrée aux invariants différentiels et algébriques, en commençant par sa thèse dirigée par Paul Albert Gordan. Ses horizons mathématiques s'élargissent et ses travaux deviennent plus généraux et abstraits lorsqu'elle se familiarise avec l'œuvre de David Hilbert, à travers de proches interactions avec un successeur de Gordan, Ernst Sigismund Fischer. Après son arrivée à Göttingen en 1915, elle produit ses résultats fondateurs pour la physique : les deux théorèmes de Noether.

Durant la deuxième époque (1920 — 1926), Noether se consacre au développement de la théorie des anneaux.

Pendant la troisième époque (1927 — 1935), Noether se concentre sur l'algèbre non commutative, les transformations linéaires et les corps de nombres commutatifs.

Contexte historique

En un siècle, de 1832 à la mort de Noether en 1935, les mathématiques, et en particulier l'algèbre, connaissent une profonde révolution dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui. Les mathématiciens des siècles précédents travaillaient sur des méthodes pratiques pour résoudre des types spécifiques d'équations, par exemple les équations du troisième degré, équations quartiques, etc., de même que le problème de la construction à la règle et au compas de polygones réguliers. Avec la démonstration par Carl Friedrich Gauss que des nombres premiers peuvent être factorisés en produit d'entiers de Gauss (en 1829), l'introduction des groupes par Évariste Galois (1832) et la découverte des quaternions par William Rowan Hamilton (1843), cependant, la recherche se tourne vers la détermination de systèmes toujours plus abstraits définis par des règles toujours plus générales. Les apports les plus importants de Noether aux mathématiques concernent ce nouveau domaine : l'algèbre abstraite.

Algèbre abstraite et begriffliche Mathematik (mathématiques conceptuelles)

Les groupes et les anneaux sont deux concepts de base en algèbre abstraite.

Un groupe est constitué d'un ensemble muni d'une opération qui, à deux éléments, fait correspondre un troisième. L'opération doit satisfaire certaines conditions pour déterminer un groupe : elle doit être interne (lorsqu'on combine deux éléments de l'ensemble, le résultat doit être aussi un élément de cet ensemble), elle doit être associative, elle doit admettre un élément neutre (un élément qui, combiné à toute autre par cette opération, donne comme résultat cet autre élément, de la même manière que 0 pour l'addition ou 1 pour la multiplication) et tout élément doit, par cette opération, admettre un élément inverse (comme 12 est l'inverse de 2 pour la multiplication). Deux groupes usuels sont (Z,+) : l'ensemble des entiers relatifs muni de l'addition et (R,×) : l'ensemble des nombres réels muni de la multiplication.

Un anneau possède également un ensemble, mais a deux opérations. La première doit faire de l'ensemble un groupe et la seconde doit être associative et distributive par rapport à la deuxième. Elle peut être commutative, mais ce n'est pas toujours le cas. La commutativité signifie que l'ordre dans lequel on combine les éléments dans l'opération n'influe pas sur le résultat obtenu. Si tous les éléments (sauf l'élément neutre de la première opération) possèdent un inverse par rapport à la deuxième opération, l'anneau est alors un corps.

Les groupes sont souvent étudiés à travers leurs représentations. Cela consiste en général à choisir un groupe, un ensemble et une action du groupe sur l'ensemble, c'est-à-dire une opération qui prend un élément du groupe et un élément de l'ensemble et renvoie comme résultat un élément de l'ensemble. Le plus souvent, l'ensemble est un espace vectoriel et le groupe représente les symétries de cet espace vectoriel. Par exemple, il existe un groupe qui représente les rotations de l'espace. Ces rotations sont appelées symétries de l'espace, car celui-ci ne change pas lorsqu'on lui applique une telle rotation même si les positions des objets de l'espace, elles, changent. Noether a utilisé ces symétries dans ses travaux sur les invariants en physique.

Un outil puissant pour étudier les anneaux est la notion de module. Un module consiste en le choix d'un anneau, d'un ensemble (en général, différent de l'ensemble sous-jacent à l'anneau, et appelé ensemble sous-jacent au module), une opération sur les couples d'éléments de l'ensemble sous-jacent du module et une opération qui, à un élément de l'anneau et un élément du module, associe un élément du module. L'ensemble sous-jacent du module et son opération forment un groupe. Un module est, en théorie des anneaux, l'analogue d'une représentation de groupe. L'intérêt des modules est que leur étude révèle la structure d'un anneau par des méthodes qui ne sont pas évidentes lorsqu'on étudie l'anneau lui-même. Un cas particulier important de ceci est la structure d'algèbre (à ne pas confondre avec l'algèbre, domaine mathématique). Une algèbre consiste en le choix de deux anneaux et d'une opération qui, à un couple constitué d'un élément de chaque anneau, associe un élément du deuxième anneau. Cette opération fait du second anneau un module sur le premier. Le premier anneau est usuellement un corps.

Des mots comme « élément » ou « opération » sont très généraux et peuvent être appliqués à de nombreuses situations, aussi bien concrètes qu'abstraites. Tout ensemble de choses qui répond aux conditions requises et qui est muni d'une (ou de deux) opération(s) est, par définition, un groupe (ou un anneau) et est soumis à tous les théorèmes sur les groupes (ou sur les anneaux). Les nombres entiers relatifs, avec les opérations d'addition et de multiplication, sont un exemple d'anneau. Les éléments peuvent aussi être des chaînes de caractères, la première opération le ou exclusif et la deuxième la conjonction logique. Les théorèmes d'algèbre abstraite sont puissants car généraux ; ils régissent de nombreux systèmes. On pourrait imaginer que peu de conclusions soient tirées d'objets définis à partir d'un nombre si restreint de propriétés, mais au contraire c'est là que réside l'apport de Noether : découvrir le maximum qui puisse être conclu à partir d'un ensemble donné de propriétés ou, réciproquement, identifier l'ensemble minimum, les propriétés essentielles responsables d'une observation particulière. Au contraire de la plupart des mathématiciens, elle de produit pas des abstractions en généralisant à partir d'exemples connus, mais travaille directement dans l'abstraction. Comme le rappelle van der Waerden dans son hommage funèbre :

« La devise par laquelle Emmy Noether était guidée pour son travail pourrait être formulée ainsi : toutes les relations entre les nombres, les fonctions et les opérations deviennent transparentes, largement applicables et pleinement productives seulement lorsqu'elles ont été séparées des objets particuliers auxquelles elles s'appliquent et reformulées en tant que concepts universels. »

C'est la begriffliche Mathematik (les mathématiques purement conceptuelles) qui caractérise Noether. Ce style de mathématiques a été adopté par d'autres mathématiciens et, après sa mort, à refleuri sous d'autres formes, comme la théorie des catégories.

Les nombres entiers comme exemple d'anneau

Les nombres entiers relatifs forment un anneau commutatif dont les éléments sont les nombres entiers et les deux opérations sont l'addition et la multiplication. Toute paire de nombres entiers peut être additionnée ou multipliée, le résultat étant toujours un nombre entier. La première opération, l'addition, est commutative, ce qui signifie que pour tous les éléments a et b, a + b = b + a. La seconde opération, la multiplication, est aussi commutative, mais ceci n'est pas nécessaire pour tous les anneaux, ce qui signifie que a combiné avec b peut être différent de b combiné avec a. Parmi les exemples d'anneaux non commutatifs, on trouve les matrices et les quaternions. Les entiers ne forment pas un corps, car la deuxième opération ne peut pas toujours être inversée : il n'existe aucun entier a tel que a = 1.

Les entiers possèdent d'autres propriétés qui ne peuvent pas être généralisées à tous les anneaux commutatifs. Un exemple important est le théorème fondamental de l'arithmétique, qui dit que tout entier naturel supérieur ou égal à deux peut être factorisé de façon unique en un produit de nombres premiers. Dans d'autres anneaux, les factorisations ne sont pas uniques, mais Noether a découvert un théorème sur les factorisations uniques, appelé théorème de Lasker-Noether (en), pour les idéaux de nombreux anneaux. Un grande partie de la recherche de Noether consiste à déterminer quelles propriétés sont valables pour tous les anneaux, à élaborer de nouveaux théorèmes analogues aux anciens théorèmes valables pour les nombres entiers et à trouver l'ensemble minimal de conditions nécessaires pour obtenir certaines propriétés des anneaux.

Première époque (1908–1919)

Théorie des invariants algébriques

Tableau 2 de la thèse de Noether sur la théorie des invariants. Ce tableau rassemble 202 des 331 invariants des formes biquadratiques ternaires. Ces formes sont catégorisées suivant deux variables, x et u. Les lignes du tableau font la liste des invariants suivant les x croissants, les colonnes suivant les u croissants.

La plus grande partie des travaux de Noether pendant la première époque de sa carrière concerne la théorie des invariants, principalement la théorie des invariants algébriques. La théorie des invariants concerne les expressions qui restent constantes (invariantes) sous l'action d'un groupe de transformations. Prenons un exemple concret : si une barre rigide pivote, les coordonnées (x, y, z) de ses extrémités changent, mais sa longueur L donnée par la formule L2 = Δx2 + Δy2 + Δz2 reste la même, c'est un invariant. La théorie des invariants était un sujet de recherche active à la fin du dix-neuvième siècle, impulsé notamment par le programme d'Erlangen de Felix Klein, selon lequel les différentes géométries devaient être caractérisées par leurs invariants par des transformations, par exemple le birapport pour la géométrie projective.

L'exemple archétypique d'invariant est le discriminant B2 − 4AC d'une forme quadratique binaire Ax2 + Bxy + Cy2. Le discriminant est un invariant car il reste inchangé par les substitutions linéaires xax + by, ycx + dy dont le déterminant adbc = 1. Ces substitutions forment le groupe spécial linéaire noté SL2.

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