Eau de mélisse - Définition

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Introduction

Mélisse en fleur, Mont Carmel

L'eau de mélisse, également appelée « eau des Carmes », est une préparation alcoolisée à base de mélisse. C'est un cordial, c'est-à-dire une potion qui stimule le fonctionnement du cœur, et un tonique utilisé entre autres contre les migraines.

La recette originale de l'eau de mélisse comprenait quatorze plantes et neuf épices. L'hysope en est l'un des constituants.

Histoire

Ancien Régime : les carmes déchaux de la rue de Vaugirard

Les carmes, rue de Vaugirard, Michallon

L'eau de mélisse fut peut-être utilisée par Charles Quint car on connaissait déjà une eau de mélisse, commercialisée par les carmes d'Avignon à Narbonne : selon une source, en 1379, naît « L'Eau des Carmes » : composée d'angélique, de mélisse et d'autres huiles herbeuses, elle serait l'œuvre des carmélites de l'abbaye de Saint-Juste.

Raymond Delange dans son livre Essences et Parfums, raconte ainsi que : « au milieu du XVIe siècle ....Narbonne exportait la lavande et un distillat de mélisse : l’eau des carmes (alcoolat de mélisse et de lavande).. En effet, les Carmes déchaussés de la congrégation d'Italie avaient décidé de s'implanter en France, à Avignon en 1608, puis à Paris, rue de Vaugirard, en 1611 ».

En 1611, un médecin concocte une recette originale de boisson tonique réconfortante à base de mélisse, dont il donne la formule à un religieux carme de la rue Vaugirard à Paris, le Père Damien. Les Carmes décident de la produire dans leur couvent, dans un officine et de la commercialiser.

On l'appela alors Eau de citronnelle, autre nom de la mélisse puis Aqua Carmélitarum, eau des Carmes. On s'en servit pour les bains, et aussi contre l'odeur de la peste. Ce fut alors un des remèdes préférés contre la migraine du cardinal de Richelieu qui en portait toujours sur lui (un cachet de cire rouge puis par un disque de papier sur les flacons fait mémoire d'un attentat du 10 juillet 1635 où du poison était mêlé à l'eau de mélisse du Cardinal, qui s'en aperçu à l'odeur inaccoutumée... , puis à la Cour du Roi Louis XIV où elle devint une panacée :

«  Les carmes déchaussés de la réforme de Sainte-Thérèse s'établirent en France vers 1605, et bientôt après l'eau spiritueuse à laquelle ils donnèrent leur nom devenait la plus généralement recommandée par les médecins, et une source de fortune pour le couvent des pères qui le composaient. Louis XIV, voulant récompenser les services qu'ils rendirent aux dames de la cour en les délivrant des spasmes et de cette suite d'accidents et de malaises nerveux auxquels semblaient les condamner les habitudes et la vie de la cour, octroya aux carmes des lettres patentes qui les reconnaissaient seuls et uniques propriétaires du secret de la composition de l'eau des Carmes, et leur donnaient le droit exclusif de la fabriquer et de la vendre. Trois décrets royaux consécutifs, rendus sur le rapport fait au conseil d'Étal par la Commission royale de médecine, confirmèrent cette propriété et ce droit de vente exclusif.  »

Les jardins des Carmes

Les carrés de plantes du jardin des Carmes de la rue de Vaugirard par Eugène Atget moins d'un siècle après leur départ

Les jardins du couvent des Carmes où se cultivait la mélisse, contenaient plus de quarante-deux arpents cultivés (cf. Galerie d'images, illustration 3, Plan de Turgot) avec un soin extrême : « Les jardins de ce monastère sont très vastes, et on y voit tout ce qui peut les rendre agréables ou utiles. C'est dans l'apothicairerie de ce monastère que la composition de l'eau de mélisse fut inventée ; c'est pourquoi on la nomme souvent Eau des Carmes. Les religieux de ce couvent font un débit très-considérable de cette eau, et quoiqu'ils affectent de la déguiser en disant qu'elle est composée de plusieurs sortes d'herbes qu'ils cultivent dans leurs jardins, le public sait à quoi s'en tenir et que ce n'est que de l'eau de mélisse telle qu'on en fait partout ailleurs » Ce n'était pas seulement dans leurs jardins qu'ils récolaient les ingrédients nécessaires à la composition de l'eau de mélisse. On retrouva en effet, aux archives de l'hôtel de ville de Paris, une facture d'un sieur Bourlier, herboriste, établissant que du 22 novembre 1788 au 9 mai 1790, il avait fourni aux Carmes pour 75 1. 16 s. de plantes médicinales. La vente de cette liqueur était en effet très-productive, et les religieux avaient eu soin de se faire délivrer des brevets par le roi les 15 février 1773 et 9 janvier 1776 ; mais quand ils en sollicitèrent un troisième, ils trouvèrent une certaine résistance de la part des pharmaciens, et la difficulté ne fut aplanie qu'au moyen d'une transaction par laquelle les Carmes-Déchaussés s'engageaient à payer au collège de pharmacie une somme annuelle de mille livres Mais ce que Saint-Foix ne dit pas, c'est que les Carmes avaient de nombreuses charges, et qu'indépendamment des aumônes qu'ils distribuaient, ils devaient servir des rentes viagères ou perpétuelles à près de quatre-vingt-dix personnes. »

Richelieu portait toujours sur lui un flacon d'eau de mélisse

Le couvent carme de la rue de Vaugirard était la Maison mère de nombreux autres carmels en France et à l'étranger, dont deux à Bordeaux, où fut aussi fabriquée l'eau de mélisse, et à Lyon : « Philibert de Nérestang se rendit acquéreur de la recluserie et des terrains avoisinants et en fit don aux Carmes-Déchaussés, avec une rente pour l'entretien de huit religieux. Ceux-ci s'y établirent. C'est dans ce couvent que se fabriquait l'eau de mélisse des Carmes, qui a eu et a encore de la réputation. Après la Révolution, les frères Serre, qui prétendaient posséder seuls le vrai secret de la fabrication, s'établirent à l'angle méridional de l'escalier du Change et de la montée Saint-Barthélemy ; le local est encore occupé aujourd'hui par un distillateur. ».

Les trois codex de Paris, de 1732, 1748 et 1758 donnaient sa formule ainsi que la pharmacopée de Wirtemberg de 1786 : elle n'était donc pas considérée partout comme un remède secret.

En 1775, et 1781 l'eau de mélisse rapporte une rente de 20 000 livres par an aux Frères carmes de Paris, d'autres textes disent quelle rapportait plus de 3 000 livres par mois donc plus de 36.000 livres par an.

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Les carmes de Bordeaux

Elle est aussi fabriquée par les carmes de Bordeaux, couvent Saint-Louis ceci par les soins du frère apothicaire Pierre Catinot, en religion frère Placide de la Circoncision, qui eut le droit de patente . On disait plaisamment que le frère Placide distillait davantage d’eau que tous les carmes ensemble ne buvaient de vin. Il cultivait ses plantes médicinales dans le jardin du carmel et les distillait ensuite. Il existait alors des apothicaires jurés et des apothicaires moines. Pharmacien en 1792 Pierre Catinot abandonna son ordre au moment de la révolution mais relevé de ses vœux resta apothicaire : chassé de son couvent il traversa la rue et en 1791 installa son officine en face à l’angle des rues Castillon et Margaux : Aujourd'hui encore sa pharmacie dite « pharmacie des Carmes » au 28 de la rue Paul Painlevé de Bordeaux possède une enseigne faisant l'éloge de l'eau de mélisse des Carmes .

«  Les archives municipales de Bordeaux conservent un spécimen d’une publicité de l’époque, relative aux vertus de cette eau souveraine, spécialement agissante « contre l’apoplexie et les vapeurs ». L’imprimé précise « que la seule véritable eau de mélisse, qui est de la qualité et de la composition de l’auteur, se trouvera aux Carmes déchaussés du Couvent Saint-Louis, à Bordeaux, et non ailleurs.  »

La composition de l'eau de mélisse de Bordeaux était légèrement différente de celle de Paris, son secret était transmis de pharmacien à pharmacien dans le plus grand secret. On a retrouvé neuf recettes différentes.

L'eau de mélisse sous la Révolution

Pendant la Révolution, Pierre Catinot de Bordeaux céda son officine et ses secrets à Léon Bertrand Magonty, franc maçon affilié à la loge « Triangle-Chapitre Essence de la Paix », lequel envoie alors son fils Joseph Henry, comme élève à la pharmacie Pelletier (franc-maçon lui aussi) à Paris.

La Société des pharmaciens de Paris et l'eau de mélisse

Les carmes, très populaires à Paris, ne furent donc pas inquiétés durant la Révolution. Ils n'étaient d'ailleurs pas hostiles aux idées révolutionnaires, et priaient pour l'Assemblée nationale quotidiennement. Le district avait adopté la devise des carmes « Pro patria et rege ». Les moines durent se constituèrent en société commerciale, et payèrent à l'État une somme de 60 000 francs le droit d'exploiter le secret de la composition de l'eau de mélisse des Carmes connus comme seuls et uniques propriétaires. Mais par décret du 13 février 1790 tout passa aux mains de l'État, y compris les ustensiles servant à la préparation de l'eau de mélisse. Une partie du couvent fut transformé en caserne puis en prison des Carmes. Ils purent y rester néanmoins, et continuer la production de l'élixir mais huit d'entre eux entrèrent dans la vie civile. Par un décret du 8 octobre 1790, le couvent du District des Carmes accueillit les carmes des Billettes et Maubert. En 1792, on massacra les prêtres non assermentés dans l'église et le jardin de leur couvent: restés dans leurs cellules, les carmes visitèrent les condamnés, puis ils décidèrent de rentrer dans la vie civile, suivant la loi du 17 août.

En 1797, les carmes de la place Maubert en confièrent la recette et le secret de sa préparation à la Société des Pharmaciens de Paris (qui en fera largement écho dans différentes revues, Journal de Pharmacie et de Chimie, Journal de la Société des Pharmaciens de Paris ou Recueil d'Observations de Chimie et de Pharmacie et tout au long du XIXe siècle dans nombre d'ouvrages ), cinq ans plus tard, par le biais de leur procureur, Housez : « Mais enfin ce qui fut long-temps un secret a cessé de l'être, grâce aux généreux sentimens d'un ci-devant Religieux Carme, le citoyen Housez mon ami ...» .

«  La Société des pharmaciens de Paris, voulant remplir l'engagement qu'elle a contracté, dans sa séance du 15 Brumaire dernier, annonce qu'elle va mettre en vente les deux compositions, dont elle a exposé publiquement sa préparation; savoir : la Thériaque et l'Eau de Mélisse, dite des Carmes.

On est dispensé de faire l'éloge de l'exactitude scrupuleuse qui a présidé à ces préparations, et du choix des substances qu'elles contiennent. ... L'Eau de Mélisse (espèce de médicament dont tout le monde connoit les propriétés, et dont la recette se trouve dans presque toutes les Pharmacopées, quoique certaines personnes prétendent que sa composition est un secret ; 0n se contentera de dire, qu'après avoir comparé différentes formules, les Pharmaciens de Paris ont adopté, comme la meilleure, celle qui fut recueillie en l'année 1715, par un Religieux Carme, du ci-devant grand Couvent de la place Maubert appelle le frère Joachim de Saint-Jacques, et qui fut communiquée par celui-ci, au frère Gabriel de Saint-Jacques, carme déchaux, avec la permission de son supérieur; formule, dont l'original en parchemin, signé de son auteur, a été déposé par le citoyen, Housez, dernier Procureur dudit grand Couvent des Carmes de la place Maubert, entre les mains du directeur de l'Ecole de Pharmacie, pour être préparée publiquement. L'Eau de Mélisse a été composée par la Société des pharmaciens de Paris, suivant cette formule, conformément aux règles de l'Art, et avec toute l'attention qu'exigeoient le choix et les doses des diverses substance qui entrent dans sa composition, les préparations et distillations préliminaires de chacune d'elles, et enfin le mélange, d'ausdes proportions convenables, des différentes liqueurs précédemment distillées, et combinées d'une manière intime par une dernière distillation.

Le Bureau, pour la distribution de la Thériaque et de l'eau de mélisse, sera ouvert tous les jours, à compter du 15 Messidor, an 7 de la République française, à l'Ecole publique et gratuite de Pharmacie, rue de l' Arbalète, Division de l'Observatoire. Prix de la Thériaque, en boîte d'élain, 10 francs la livre, y compris la boîte.

Prix de l'Eau de Mélisse, 10 francs 80 centimes la caisse de douze fioles.

Les boîtes et les caisses porteront le cachet de l'Ecole de Pharmacie.

III.e Année. N.° III  »

— Journal de la Société des Pharmaciens de Paris , 1797


Le secret passa quelques années plus tard aux mains de M. Amédée Boyer :

Le XIXe siècle

Sous la Restauration, vers 1820-1830 on fit de très beaux flacons à eau de mélisse, devenu un « secret des Grands Mères », flacons en opaline, ou en cristal, avec soc de marbre et cathédrale de bronze type Duchesse de Berry.

Le « château des Aygues »

En mars 1824, un acte de société fut passé entre les carmes survivants, au nom de Paradis, Magnin et Cie. En 1830, le frère Paradis, dernier des Carmes, s’associe avec Royer, ainsi fut fondée, la maison « Royer et Raffy ». En 1840, Amédée Boyer épousa la veuve Royer et devint l’unique propriétaire de la société et le seul et unique détenteur du secret du dernier frère des Carmes Déchaussés de la rue de Vaugirard, fondant ainsi la « société de l’Eau de mélisse des Carmes Boyer », qui eut un stand à l'Exposition universelle de 1889. Depuis cette époque, une suite d'actes notariés et authentiques ont ainsi transmis la propriété et le secret de l'eau des Carmes à Amédée Boyer, qui se trouva seul successeur des Carmes déchaussés et seul possesseur de leur secret, qu'il exploita dans le même local où ils s'établirent en 1789, rue Taranne, en défendant son monopole exclusif face aux contrefaçons. Amédée Boyer, riche de son monopole, fit fortune et construire près d'Etretat, le « château des Aygues »villa-château en 1866 par l'architecte havrais Théodore Huchon.

Chromolithographie, Cordial de Mélisse des Carmes XIXe siècle, 1840
Chromolithographie : le revers, réclame

Monsieur Boyer écrivit une Monographie historique et médicale de l'Eau des Carmes et ajouta bientôt à l’étiquette des flacons de ce remède populaire, et sa signature et ses empreintes digitales, afin de prévenir les contrefaçons : en effet seule sa formule garantissait les merveilleux effets thérapeutiques vantés par le fabriquant :

Réclame: « Eau des Frères Carmes de Saint-Médard »
«  LE PHARMACIEN PEUT-IL FABRIQUER ET VENDRE L'EAU DE MELISSE :

Dite Des Carmes? (Résolu affirmativement.)

M. Amédée Boyer prétend posséder seul le secret de cette eau merveilleuse; il l'a acheté 80.000 fr. de M. Roger, qui l'avait eu en société de M. Raffy, lesquels le tenaient de six anciens religieux, seuls restes de l'ancienne congrégation des carmes déchaussés de la rue de Vaugirard. Lors de l'abolition des communautés religieuses, les carmes avaient racheté du gouvernement qui avait confisqué leurs biens le secret de leur eau moyennant 60.000 livres; quarante-sept d'entre eux avaient formé une société pour l'exploitation de leur industrie; le secret était confié aux trois plus anciens, il était renfermé dans une caisse à trois serrures : et cet état de choses dura jusqu'en l'année 1824, date du traité de MM. Roger et Raffy.

Or M. Boyer, concessionnaire de ces derniers, a déjà fait condamner par des jugements et arrêts de 1820 et 1835, des usurpateurs du nom de l'eau des Carmes, il poursuit aujourd'hui un concurrent plus redoutable, M. Richard Desruez, pharmacien, qui a établi son officine rue Taranne, 16, à côté de son magasin, 14, les deux boutiques sont contiguës, elles sont peintes de la même couleur, les boites de l'eau de mélisse ont la même dimension, elles sont placées de la même manière sur les rayons, et à la devanture, les étiquettes se ressemblent, les flacons ont la même forme et M. Richard Desruez a donné à son eau de mélisse le nom de l'eau des carmes, de telle sorte qu'il est impossible de ne pas faire confusion, que les paralytiques, apoplectiques, etc., qui se trompent de porte courent grand risque, au dire de MM. Roger et Raffy, de rentrer chez eux sans être guéri ou de ne pas rentrer du tout.

M. Amédée Boyer a donc formé devant le tribunal de commerce, contre M. Desruez une demande de 12 000 francs de dommages-intérêts. Sa demande a été soutenue par M. Tiliault son agréé.

M. Deschamps, agréé de M. Desruez a plaidé que l'eau de mélisse était depuis longtemps tombée dans le domaine public, et qu'elle était connue sous le nom des carmes, il a représenté le Codex obligatoire pour tous les pharmaciens qui en donne cette définition: Alcoolatum de melissa compositum, quod vulgo dixere carmelitarum aquam.''

Le tribunal a adopté le système plaidé par Me Deschamps il a déclaré M. Roger non recevable en sa demande, il a seulement ordonné que M. Desruez ferait disparaître de ses étiquettes le mat dépôt qui pourrait faire croire qu'il tient un de dépôt des produits dés anciens religieux.  »

— Journal de chimie médicale, 1842

XXe et XXIe siècles

Au début du XXe siècle elle bénéficie encore d'une grande publicité et riche iconographie : une série de bon points pour écoliers et de chromos sur ce thème fut éditée. La société Boyer est installée au 14, rue de l'Abbaye à Paris. Au XXIe siècle la société existe toujours s'installée à Courbevoie en 1990 puis à Carrières-sur-Seine en 2006 et devient « Renouard Larivière & Cie ».

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