La dépression existe de tout temps: Homère en parlait dans le chant VI de l'Iliade à propos de Bellérophon qui subit la colère des dieux: Objet de haine pour les dieux, Il errait seul dans la plaine d'Alcion, le cœur dévoré de chagrin, évitant les traces des hommes. C'est aussi Homère qui le premier vante la puissance guérissante du pharmakon un mélange d'herbes aux vertus soulageantes. Hippocrate dans les Aphorismes écrit: Quand la crainte et la tristesse persistent longtemps, c'est un état mélancolique. Voici donc qu'apparaît la "bile noire" et la théorie des humeurs dont il est l'initiateur et qui restera en vigueur jusqu'à l'avènement de la médecine moderne. Galien au XVIIIe siècle par exemple maintiendra cette théorie qui promeut par ailleurs une série de traitements qui vont des traitements médicaux et pharmaceutiques, aux cures "philosophiques" (moraux), religieuses ou même musicales, etc. C'est avec Pinel et Esquirol principalement que le rôle présupposé du cerveau est mis en cause ainsi que des causes dites "morales" (aujourd'hui on dirait psychologiques). Un mal essentiellement psychique appelle ainsi des remèdes psychologiques, Esquirol (1772-1840) écrivait ainsi: La médecine morale (aujourd'hui on dirait psychothérapie), qui cherche dans le cœur les premières causes du mal, qui plaint, qui pleure, qui console, qui partage les souffrances et qui réveille l'espérance, est souvent préférable à toute autre. Les idées n'évoluent guère jusqu'en 1900 mais les cures proposées rivalisent d'imagination. Tout était bon pour distraire le déprimé de ses humeurs sombres !
Les psychanalystes, Sigmund Freud, Karl Abraham et Mélanie Klein ont permis l'émergence d'une vision processuelle de la dépression mais c'est les succès de la pharmacologie qui ont donné à la dépression sa dimension actuelle.
A défaut de savoir suffisamment comment l'expliquer on pensait maintenant pouvoir au moins la guérir. C'est le psychiatre suisse Roland Kuhn, proche des milieux psychanalytiques qui en 1956, découvre les effets antidépresseurs de l'imipramine. Le laboratoire pharmaceutique Geigy refuse d'abord d'en financer le développement, jugeant alors le marché de la dépression trop étroit mais les avis ont évolué sur ce sujet. Ces premiers antidépresseurs ont principalement été prescrits à l'hôpital par des psychiatres par crainte des effets secondaires. À partir de la fin des années 1980, de nouveaux antidépresseurs arrivent sur le marché avec moins de ces effets indésirables. Ils sont dès lors prescrits par tous les médecins et pas seulement les psychiatres et parfois en deçà des indications habituelles. On a pu croire que le moindre état de tristesse pouvait justifier une prescription en minimisant cependant des effets secondaires non négligeables comme la prise de poids et la baisse de libido. La question de la dépression - à vrai dire on devrait plutôt en parler au pluriel - est en grande partie devenue une affaire de marché des pharmas. Le psychiatre allemand Hubertus Tellenbach a théorisé les différents aspects du problème des dépressions de manière complète et aboutie du point de vue psychopathologique. Son ouvrage reste une référence au plan international. L'une de ses affirmations était qu'il n'était pas question de voir dans la mélancolie dans une soumission aux stricts modèles physico-chimiques. Pour lui les disciplines comme la philosophie (Heidegger notamment), la psychologie, les apports des psychanalystes comme Sigmund Freud et Karl Abraham, la psychiatrie à travers les apports de Kraepelin et Kretschmer sont complémentaires et indispensables pour comprendre en profondeur le phénomène. La pharmacologie ne résout pas tout, pas plus du temps des premiers antidépresseurs qu'à l'heure actuelle !