Biopunk - Définition

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Biopunk, littérature

  • Le « Biopunk » est avant tout un genre de science-fiction que l’on peut définir ainsi : courant dérivé du Cyberpunk, construit principalement non sur les technologies de l’information mais sur la biologie, l’autre champ scientifique dominant de la fin du vingtième siècle. La science du vivant, connaissant actuellement des progrès fulgurants, remplace dans la sphère du fantasme ou de la répulsion les sciences informatiques, dont les avancées sont moins spectaculaires que dans les années 1980. La cybernétique a fourni du carburant à la création littéraire et artistique, mais la concrétisation de ses plus belles promesses (implants neuronaux, immersion dans des univers virtuels) semble constamment repoussée, empêchée par les obstacles techniques. Les biotechnologies, elles, sont pour maintenant (ou presque). Avant d’augmenter nos capacités en nous greffant des accessoires, nous pourrons reprogrammer le code le plus vieux de l’univers, celui de l’ADN. Et qui dit code, dit hackers.

Le roman biopunk hérite des caractéristiques combinées de ses deux parents Cyber et Postcyber. Technologie étouffante, guerre des corporations, jungle urbaine, monstruosités humanoïdes, tout ceci est présent dans le futur biopunk ; l’idéalisme des premiers hackers, leur soif libertaire devenue auxiliaire de survie, s’est cependant estompé au profit d’un sens du compromis pragmatique. De même que certains pirates du software pouvaient vendre leurs services au plus offrant, le héros biopunk est souvent lié, bon gré mal gré, avec de riches et puissants acteurs économiques. La science n’ayant pas de vocation humaniste, le romantisme libertaire pèse peu devant la nécessité de survivre. Ce personnage-type est donc bien relativement solitaire, marginal, et scientifiquement surdoué, mais son côté sans foi ni loi l’amène généralement à ignorer l’odeur de l’argent, et à s’accommoder du monde qui est le sien, sans penser à le rendre meilleur.

  • Le roman de SF considéré comme « le » manifeste Biopunk est Féerie (roman) de Paul J. McAuley (1995, Trad. Fr. en J’ai Lu Millénaires, 1999). Il se déroule vers 2020, en Europe. Alex Sharkey, le héros, est pirateur de gènes ; il possède chez lui un petit labo avec ultracentrifugeuse, lyophiliseur, bio-réacteur, et appareil à « amplification en chaîne par polymérisation » ; il fabrique des rétrovirus, des virus à ARN psychoactif – hallucinogènes nouvelle génération. Contacté par la mafia locale, il est chargé d’un étrange travail : transformer les « poupées », ces humanoïdes artificiels sans conscience, entièrement fonctionnels, en êtres fertiles, par injection d’hormones de synthèse. Au fur et à mesure que vont changer les employeurs, Alex multipliera les interventions sur les poupées, au point de les rendre entièrement vivantes et pensantes. Ces nouveaux êtres, incontrôlables par les humains mais manipulés par une instance invisible (que recherche Alex), sont appelés « fées » ; chassées, elles trouvent refuge dans des lieux exotiques, que leur perception déformée par les psychovirus érige en décors édéniques. Le parc Eurodisney, déserté par les humains, devient ainsi une incarnation provisoire de Féerie.

Le récit est assez long, et l’intrigue se déploie, de façon inégalement passionnante, dans beaucoup de directions, mobilisant un nombre toujours plus grands de protagonistes et de communautés aux relations complexes et instables. L’essentiel est ailleurs, dans cette omniprésence de l’ingénierie génétique, de ses réalisations les plus visiblement réussies comme de ses conséquences les plus morbides. L’incessant lâcher dans la nature de nouveaux organismes au génotype trafiqué rend précaire tous les équilibres, et menace chaque humain d’une contagion virale plus ou moins mortelle, et plus ou moins psycho-active. La « Croisade » réunit ainsi les hommes et les femmes infectées par un « mémogène » religieux, les poussant tous à prendre la route à la recherche de Féerie. Dans ce monde déréglé, chaotique, où la piraterie génétique généralisée enfante un univers rarement rassurant, Alex le bio-hacker trace sa route, poursuivant la femme qui l’a envoûté, et cherchant un milieu sain entre des humains à la déroute et des fées irresponsables. Armé de ses seules compétences de génie des biotech, et d’un bon réseau de compagnons excentriques, il tente de tirer son épingle du jeu, et d’incarner l’outsider venu déjouer les plans des uns et des autres.

Féerie, pour certains, est au Biopunk ce que Neuromancien est au Cyberpunk : la description d’un univers de référence, avec son style, ses détails caractéristiques, et sa mythologie. La comparaison est peut-être excessive ; Féerie n’a pas la force du roman de Gibson, qui a placé la barre assez haut. Neuromancien reste une œuvre majeure pour trois raisons, qui manquent à Féerie : premièrement, l’effet de nouveauté, le caractère séminal de l’œuvre, la méthode inédite d’élaboration convaincante d’un univers, dont Féerie hérite mais qu’elle ne réinvente pas ; deuxièmement, la géniale anticipation du réseau informatique mondial, qui ne trouve aucun équivalent dans Féerie ; troisièmement, enfin, le fait que Gibson s’inscrive dans une tradition littéraire qui excède la science-fiction, privilégie la recherche formelle, et se pose en héritier de romanciers comme Thomas Pynchon ou Don DeLillo – démarche totalement étrangère à McAuley, dont le style reste celui d’une science-fiction « classique ». Reste que Féerie est un thriller futuriste des plus crédibles, un des premiers à mettre à ce point en avant les biotechnologies.

  • L’écrivain Paul Di Filippo, cyberpunk de la première heure (Cf. Mozart en verres de miroir, anthologie de Bruce Sterling), tente aussi à sa façon d’infléchir le roman de SF dans sens plus « bio » que son devancier « cyber ». Dans son manifeste (à moitié sérieux) « Ribofunk », il explique brièvement pourquoi la science-fiction doit tourner le dos à son récent passé robotisant pour embrasser le mouvement de biologisation qui semble gagner toutes les sphères techno-scientifiques. Arguant du fait que la cybernétique n’apporte plus rien, que les travaux de Wiener n’offrent plus de grille de lecture adaptée au monde contemporain, et que le mot « cyber » ne veut plus dire grand chose sauf pour les masses effrayées par Terminator et Robocop, il propose de remplacer le fameux préfixe par celui de « Ribo », diminutif du « ribosome » qui entre dans la composition de l’ARN (Acide Ribo-Nucléique). Avançant par ailleurs que le « punk » était une impasse, dont le seul horizon était l’autodestruction (les seuls prétendus punks encore vivants étant ceux qui n’ont pas encore reçu le message), il suggère de remplacer le non-moins fameux suffixe par celui de « funk », style plus chaleureux, plus sensuel, et plus organique. Le « Ribofunk », dont quelques-uns des slogans sont « Mendel est mort pour vos péchés », « Ecoutez vos mitochondries », est un genre de fiction spéculative qui « reconnaît et illustre l’opinion selon laquelle la prochaine révolution, la seule qui importe, aura lieu dans le domaine de la biologie. » Assez ironiquement, Di Filippo propose d’ « oublier la physique et la chimie ; ce ne sont que des outils pour explorer la matière vivante. Les ordinateurs ? De simples simulateurs et des modélisateurs de vie. La Cellule est Reine ! ».

À travers cette hiérarchisation des sciences, qui ne procède d’aucun parti pris méthodologique ou ontologique, mais esthétique, Di Filippo met en avant le « niveau de réalité » biologique, celui dans lequel s’exprime la puissance vitale, créatrice, de notre chaîne d’ADN, contre la mécanique froide des ordinateurs. Il célèbre le charnel, l’organique, l’impératif aveugle du corps, la faim, le sexe, contre le calcul, considérant que « l’intellectualité nous a mené aussi loin qu’elle le pouvait. » Le Ribofunk a ceci de « Postcyber » qu’il privilégie les ambiances chaudes, sensuelles, vitales, contre l’aspect glacial de la matière inerte robotisée.

Les nouvelles de Di Filippo participant de son projet « Ribofunk » ne sont pas disponibles en français. L’auteur reconnaît toutefois avoir eu des prédécesseurs, dont les textes nous sont accessibles, notamment La musique du sang de Greg Bear, et La Schismatrice de Bruce Sterling dont la dernière partie, « Evolution en clades », est un vrai hymne à la créativité génétique et à la spéciation.

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