Les Biopirates « indépendants » se positionnent contre ceux qu’ils accusent d’être des Biopirates « légaux », autorisés, des pilleurs de travaux en génétique qui s’approprient le vivant : les multinationales des biotechnologies. De la récupération de nombreuses études menées par des étudiants, privés de leur découverte, à la privatisation de certaines ressources biologiques prélevées dans les forêts d’Amérique du Sud, en passant par la course au brevetage des découvertes génétiques, les sociétés de biotechnologie aux États-Unis multiplient les pratiques d’appropriation du monde vivant, soulevant des protestations toujours plus vives, et endossant à merveille le costume d’Antéchrist pour les activistes Biopunk.
Car la revendication principale des manifestes « Cyber » – liberté de circulation de l’information – est toujours d’actualité ; mais l’information est devenue génétique. Dans un texte circulant sur le web, et pouvant faire office de manifeste, Annallee Newitz clame : « les biopunks croient en la libération des données génétiques. […] Découvrir un gène ou une protéine signifie que vous pouvez les breveter, c’est-à-dire les posséder. Les biopunks nous invitent à penser combien tout cela est flippant. » L’époque change, pas le combat : nul ne peut prétendre posséder ce qui est à tout le monde ; le décryptage du génome doit être connu et vu de tous, non être une base de données privée et payante ; les gènes d’un individu, à l’inverse, sont privés et ne peuvent appartenir à aucune instance économique, politique ou scientifique. L’intervention sur son propre génotype est une décision libre dont nul ne doit avoir à rendre compte, ni à l’État ni à aucun laboratoire pharmaceutique.
Eric lâchera donc dans la nature des organismes génétiquement modifiés, à l’encontre de toute légalité. En bon partisan du partage de l’information, il diffuse gratuitement sur Internet ses résultats ainsi que le détail de ses travaux – remonté qu’il est, lui aussi, contre « l’esprit de mercantilisme et de concurrence acharnée qui règne dans les entreprises de biotechnologie américaines », « contre la propagande qu’on nous assène à longueur de journée sur le caractère sacro-saint de la propriété intellectuelle ». Même refrain que dix ans plus tôt, seul le couplet change : "Un gène humain n'est pas une invention, il est le produit de trois milliards d'années d'évolution, et il réside dans chaque cellule de chacun d'entre nous : comment une société privée peut-elle prétendre en devenir propriétaire ?"
Les pratiques d’Eric, qualifiables de « biopunks », participent d’un engouement dans la région de San Francisco pour la « génétique libre », qui a séduit de nombreux artistes et intellectuels. Plasticiens, sculpteurs, vidéastes, mais aussi philosophes ou avocats multiplient les conférences et les expositions, promouvant le génie génétique, combattant les morales religieuses ou laïques réfractaires au changement, en même temps que la propriété industrielle. Leur icône ? Le lapin fluorescent d’Eduardo Kac, œuvre d’art vivante. « Déjà, ils militent pour la légalisation de toutes les formes de manipulations génétiques "consensuelles", c'est-à-dire pratiquées sur un adulte consentant ou sur soi-même. »
Le linguiste américain Michael Quinion note d’ailleurs que cette appellation n’a pas connu la même réussite que celle de Cyberpunk, et doute qu’elle y parvienne jamais. Le terme reste encore largement inconnu, et ses représentants trop peu nombreux pour faire parler d’eux de façon significative.