Bioéthique - Définition

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La morale dans la science

La question philosophique du respect de l'Etre vivant

On ne peut aborder la question philosophique du respect de l’être vivant sans invoquer l’impératif catégorique kantien : « agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autres, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen »¹ .

Cette maxime constituerait pour certains le fondement même de la bioéthique : le principe de respect de la dignité humaine comme « principe matriciel » de la bioéthique ².

Kant développe le principe de dignité comme « valeur intérieure absolue ³» qui exprime une exigence de non-instrumentalisation de l’être humain (en matière d’expérimentation biomédicale ou de transplantation d’organes par exemple). On peut néanmoins douter de la pertinence de l’application quasi-systèmatique de cette référence à l’ensemble des questions que traite la bioéthique. D’une part le principe de dignité de la personne humaine occulte la question philosophique relative aux autres êtres vivants. D’autre part, ce principe érigé en valeur absolue risque d’entrer en conflit avec d’autres principes telle que la liberté par exemple.

Les êtres vivants représentent, dans le langage courant, à la fois les êtres humains, les animaux et les végétaux. Les excès de la « société industrielle » ont conduit dans la seconde moitié du XXème siècle à une prise de conscience de l’intérêt d’une vision moins anthropocentrique du monde, prenant en compte l’ensemble du monde vivant.

« La charte de l’environnement ⁴» insérée depuis 2005 dans le préambule de la Constitution française, ainsi que la « déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme ⁵» , adoptée la même année par l’UNESCO, sont des exemples pertinents de ce « recentrage » de la bioéthique et des textes dans lesquels elle s’exprime.

Pour ce qui est des conflits de valeur que peut entraîner la promotion unilatérale du principe de dignité de la personne humaine, on peut citer, par exemple, le débat actuel sur l’euthanasie entre ceux qui revendiquent sa légalisation au nom du droit de mourir dans la dignité et ceux qui militent contre cette pratique au nom de ce même principe interprété différemment. D’un côté, la dignité de la personne humaine est comprise comme le devoir de respecter le droit de la personne à choisir sa mort et à ne pas « perdre » sa dignité dans la maladie ; de l’autre, cette dignité est une valeur absolue sur laquelle l’homme individuel n’a aucun pouvoir puisqu’elle appartient à l’humanité dans son ensemble et le respect de cette dignité est compris comme l’accompagnement du malade jusqu’à sa mort sans autre forme d’assistance portant directement atteinte à la vie.

Si la référence à la philosophie kantienne est très utilisée à l’appui des réflexions de bioéthique, on peut néanmoins remarquer qu’avec la révolution biotechnologique, la philosophie morale traditionnelle n’apparaît plus suffisante pour répondre à toutes les nouvelles questions éthiques posées. Depuis le siècle des Lumières, la réflexion philosophique s’était plutôt concentrée sur l’humain en tant que citoyen, individu libre, raisonné et raisonnable. Cette réflexion s’est traduite concrètement par la promotion des Droits de l’Homme au moment de la Révolution Française.

Or le défi que posent les progrès actuels des sciences et des techniques à la philosophie contemporaine est de réfléchir aux valeurs propres à l’humain et à son rapport au corps, voire au vivant en général (animaux, environnement). Pour certains, le débat bioéthique ferait naître une nouvelle génération de Droits de l’Homme (après les droits civils et politiques, économiques et sociaux, collectifs) voire serait en rupture avec la conception traditionnelle des Droits de l’Homme. « Les droits de l’homme ainsi revisités ne perdent-ils pas en effet leur essence politique libérale pour asseoir des valeurs morales et contraindre la science? ⁶ ».

Le débat entre la primauté de la dignité humaine versus la liberté individuelle est de nouveau mis en exergue au sein même des textes fondateurs de la bioéthique.

En effet, la plupart de ces conventions ⁷ font référence à un nouveau système de valeur. La promotion du principe de « dignité de la personne humaine » diffère considérablement de celui de liberté et d’autonomie proclamé par la philosophie des Droits de l’Homme.

Le choix moral, juridique ou politique d’accorder la primauté à la dignité au détriment de la liberté dans certains contextes (comme en matière de fin de vie ou de procréation assistée, par exemple) est révélateur d’une conception renouvelée de la société. Ce changement de valeurs de référence fait suite à la prise de conscience du pouvoir démesuré que la science offre aujourd’hui à l’homme sur son propre destin.

Finalement, les réflexions philosophiques contemporaines concernant cette révolution biotechnologique se situent principalement entre deux extrêmes : la « technophobie » représentée par Hans Jonas et son heuristique de la peur et la « technophilie » représentée par Engelhardt ¹.

Mais la plupart des philosophes proposent un juste milieu entre ces deux extrêmes qui vise à ne pas rejeter les progrès scientifiques en se laissant aller au catastrophisme ambiant tout en régulant les pratiques et définissant des valeurs pour la société. La primauté de la dignité humaine dans certains cas ne serait alors pas contraire à la liberté mais en fixerait les limites afin d’assurer la nécessaire cohésion sociale et la survie de l’espèce humaine.

¹ Kant, La métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994

² Noëlle Lenoir et Bertrand Mathieu, Les normes internationales de la bioéthique, Paris, PUF, 2004

³ Kant, ibid.

⁴ charte promulguée le 1er mars 2005 (lien sur le site du ministère de l’écologie)

⁵ Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, UNESCO, 2005

⁶ C. Byk : « Progrès scientifique et droits de l’homme : la rupture? »

⁷ notamment la CEDH et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco adoptée en octobre 2005

⁸ H. Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1999

⁹ H.T Engelhardt, The Foundations of Bioethics, Oxford University Press, USA, 1996

¹⁰ Gilbert Hottois, La technoscience : entre technophobie et technophilie, où l’auteur insiste sur l’importance de la première approche chez les philosophes contemporains

L'enjeu moral et politique

La bioéthique, née des interrogations éthiques posées par l’usage des « nouvelles » technologies médicales et aux enjeux de pouvoir qu’elles mettent en avant, est, sous cet angle, un domaine de réflexion relativement récent qui se trouve au carrefour de trois disciplines anciennes et ancrées dans la société que sont la morale (philosophique ou religieuse), la science et le politique.

Néanmoins, si le politique, la morale et la science entre autres se réunissent pour dialoguer au sein des institutions de bioéthique nationales et internationales, leurs différences majeures de point de vue constituent souvent un frein à la prise de décision. Le monde de la bioéthique est essentiellement un monde discursif, de débats alors que la politique et la science se situent plutôt au niveau de l’action. Mais cet accent mis sur le dialogue n’est-il pas aussi révélateur d’un nouveau mode de gouvernement qui cherche à dialoguer, faire participer plutôt qu’à surveiller et punir ?¹

D’ailleurs, à la différence de la morale considérée comme plutôt statique et dogmatique, l’éthique est plus dynamique, réflexive et souple et donc s’accorde mieux aux exigences du politique et de la science. En effet, les progrès de la science exigent une réactivité, une réflexion flexible et même anticipatoire. N’est ce pas le rôle essentiel du politique également que de réagir rapidement et d’anticiper les changements de société pour éviter la crise et maintenir la cohésion sociale ?

Il n’est pas anodin que ces dernières années, les néologisme « biopolitique » et « biopouvoir » inventés par Michel Foucault, pour décrire cette nouvelle forme de pouvoir qui s’intéresse aux rapports intimes des sujets à leur corps, se soient formés sur la même base que celui de « bioéthique ». Quel est donc ce « bio » qui est au cœur de nos sociétés contemporaines ? Est ce le vivant saisi par la science avec les révolutions en matière de procréation, de fin de vie, de génétique, etc ? Est ce les sciences humaines et sociales qui cherchent à comprendre la vie ? Est ce le politique voulant avoir une emprise sur les corps ?

L’évolution actuelle de la bioéthique et la place de plus en plus importante que prend cette réflexion au sein du monde politique, des médias et de la société témoigne que l’enjeu est de taille et que les questions auxquelles la bioéthique cherche à répondre sont essentielles pour l’avenir de nos sociétés. Ces réponses faites par les acteurs publics constituent des choix de société fondateurs au sens où ils portent sur les valeurs que la société se donne pour fonctionner et vise à la création de normes sociales. « Dès lors que les politiques en matière de recherche et de santé publique deviennent un des points clés du lien social, nous sommes inévitablement conduits à nous interroger sur la capacité de nos institutions politiques à nous permettre d’en conserver la maîtrise et de dresser des perspectives à leur développement. »²

On assiste ainsi à une multiplication des instances de bioéthique. En France, le Comité consultatif national d'éthique a été créé en 1983. Il a pour mission de rendre des avis sur les problèmes éthiques que pose le progrès des sciences et des techniques³(3) . Pour la première fois, une instance pluridisciplinaire se voyait confier le rôle d’animer un débat public sur les problèmes soulevés par l’évolution des sciences et des techniques. Mais cette instance, comme son nom l’indique, n’est que consultative, et laisse le soin aux autorités compétentes de fixer les règles. Est-ce cette difficulté à conjuguer de concert l’éthique et le droit qui conduit, après 25 ans de fonctionnement, à une réflexion, voire une volonté politique, de modifier l’organisation du comité ? Il est vrai qu’existe désormais dans le paysage normatif de la bioéthique une Agence de la biomédecine dont les attributions normatives s’étendent également à la réflexion éthique. Au niveau international, le Comité directeur pour la bioéthique (CDBI) du Conseil de l’Europe ou les comités international et intergouvernemental de bioéthique de l’Unesco ont une activité importante et une influence certaine sur les grandes thématiques de la réflexion bioéthique. Parallèlement, le « biodroit » se développe et l’activité législative se veut dynamique avec l’adoption en France depuis 1994 de lois dites de bioéthique (révisées une première fois en 2004, une deuxième révision devant être mise en œuvre à partir de 2009). Finalement, la volonté exprimée du Président de la République laisse penser que les principes et valeurs issus des réflexions bioéthiques pourraient bientôt être inscrits au préambule de la Constitution de la Vème République, preuve que la bioéthique, déjà présente dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, est bien un enjeu politique.

¹ D. Memmi et D. Fassin (dir), Le gouvernement des corps, ed EHESS, 2004

² Article Christian Byk, « Bioéthique » in Dictionnaire Permanent Bioéthique et biotechnologies, Ed législatives, Montroge, mise à jour 2005

³ voir site internet du CCNE dont les missions ont été révisées dans la loi du 6 août 2004

Conflit d'intérêts

Selon Trudo Lemmens, bioéthicien au Centre conjoint de bioéthique de l'Université de Toronto, un conflit d'intérêts se produit lorsque le jugement professionnel quant à un intérêt premier, comme une recherche ou les soins aux patients, peut être indûment influencé par un intérêt secondaire, comme un gain financier ou le prestige personnel. Les stratégies pour faire face à ces situations incluent la divulgation du conflit, l'établissement d'un système d'examen et d'autorisation, et l'interdiction des activités qui conduisent au conflit.

Cette question du conflit d’intérêts rappelle que la bioéthique est avant tout une branche de l’éthique. Deux affaires récentes témoignent du fait qu’il n’en va pas forcément ainsi, du moins dans l’esprit des dirigeants politiques:

Au cours de la célèbre affaire Hwang Woo-suk, une responsable coréenne pour la bioéthique était co-signataire d’un des articles dont les données avaient été falsifiées. Elle expliqua à la revue Nature qu’elle n’avait pas contribué expérimentalement au travail et que son rôle s’était borné à donner un avis de bioéthique. Tout en acceptant l’idée qu’elle ne pouvait soupçonner la fraude, il est évident que la notion de conflit d’intérêts comme problème d’éthique lui avait échappé.

On peut citer également Axel Kahn (qui fut membre du Comité consultatif national d'éthique) : en tant que Président de la Commission du génie biomoléculaire, il avait émis un avis favorable à la culture des organismes génétiquement modifiés en France (et ce contre l’avis de treize des ministres de l’environnement de la Communauté européenne). N'ayant obtenu en 1997 que l'autorisation d'importer des OGM mais pas de les cultiver, il était parti de la Commission. Quelques mois plus tard, cependant, il fut employé par Rhône-Poulenc, alors même que cette société était intéressée par son avis favorable aux OGM, puisqu'elle était impliquée dans la création d’OGM depuis dix ans (elle a été par la suite condamnée aux États-Unis à retirer de la vente son maïs transgénique pour pollution aux herbicides).

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