La pensée de Russell a beaucoup évolué tout au long de sa vie, tant en ce qui concerne ses vues politiques que pour tout ce qui touche aux questions de philosophie, comme la théorie de la connaissance ou encore l'analyse de l'esprit. Le présent article ne présente que quelques thèses de Russell, thèses qu'il conviendra de développer et de replacer dans le devenir de sa pensée.
En philosophie, Russell apporta de nombreuses nouveautés en métaphysique, en épistémologie, en éthique et en Histoire de la philosophie. Il utilisa la logique pour tenter de clarifier les problèmes philosophiques, ce qui en fait l'un des fondateurs de la philosophie analytique. Mais son problème fondamental fut surtout de découvrir si l'Homme est capable de connaître quelque chose : « Existe-t-il au monde une connaissance dont la certitude soit telle qu'aucun Homme raisonnable ne puisse la mettre en doute ? » (Problèmes de philosophie, §1)
La théorie des descriptions est sans doute la contribution la plus importante de Russell à la philosophie du langage. Elle peut être abordée en posant la question de la valeur de vérité des phrases dont le sujet n'aurait pas de référent, comme : le roi de France est chauve. Le problème de cette dernière proposition est d'en identifier l'objet, étant donné qu'il n'y a pas de roi de France actuellement. Alexius Meinong a proposé la thèse d'une réalité d'entités non-existantes auxquelles nous nous référons dans le cas des propositions du type ci-dessus. Mais c'est une théorie pour le moins étrange.
Ce problème des descriptions définies inclut des pronoms personnels ou des noms propres. Russell a estimé qu'un nom propre devait être une description définie déguisée. Par exemple, quand on dit 'George Bush est gentil', on doit vouloir dire quelque chose comme, 'le 43ème président des Etats-Unis est gentil'.
Mais quelle est la forme logique d'une description définie comme le précédent ? Comment les paraphraser pour faire apparaître que la vérité de l'ensemble de la proposition dépend de la vérité de ses parties ? Les descriptions définies se présentent comme des noms ne dénotant par nature qu'une seule et unique chose. Mais que dire alors de la proposition générale si l'une de ses parties semble ne pas être correcte ?
La solution de Russell est d'analyser tout d'abord non pas les termes seuls, mais la proposition entière contenant une description définie. « Le roi de France est chauve » peut être selon lui reformulé sous la forme d'une description indéfinie : « il y a un x tel que cet x est le roi de France, et il n'y a rien à part x qui soit roi de France, et x est chauve. » Alors, s'il n'y a pas de roi de France, la phrase devient faux et non pas privé de sens.
Russell soutient que cette description définie contient une affirmation d'existence ('il y a un x tel que cet x est le roi de France') et une affirmation d'unicité ('et il n'y a rien à part x qui soit roi de France'), et que l'on peut les considérer séparément de la prédication qui est le contenu manifeste de la proposition générale ('et x est chauve'). La proposition dit donc trois choses sur un sujet : la description définie en contient deux, et le reste de la proposition contient la dernière (la prédication). Si l'objet n'existe pas, ou s'il n'est pas seul en son genre, alors l'ensemble de la proposition est faux et non pas dénué de sens.
De plus en plus intéressé par l'épistémologie, qui enveloppe une dimension psychologique et empirique, Russell, en 1940, à la suite de Tarski, et pour éviter certains paradoxes logiques, introduit une cascade de langages, le langage de base constituant un langage-objet. Chaque langage parle du langage précédent, sauf le langage de base qui est un langage-objet (il pleut et je dis dans ce langage "il pleut".) Il démontre que ce langage ne peut pas renfermer les notions de vérité et de fausseté. Il pense ainsi avoir mis en évidence les propositions atomiques dont toute proposition complexe est composée, et qui ne dépendraient pas, par définition, d'une syntaxe. Ces propositions consistent en jugements de perception. Dans ce cas, la proposition enveloppe l'expression d'une croyance, et pas seulement une référence. Si quelqu'un me dit "il pleut", je considère qu'il croit qu'il pleut, et je vérifie cela. Ainsi, la vérification suppose la médiation, psychologique, d'une croyance, qui ressemble fort à une signification distincte de la vérité (du référent). Aussi, Philippe Devaux note que dans cette période, s'introduit une distance nouvelle entre "signification" et "référent". La signification tend à se confondre avec la croyance contenue dans l'assertion. Tout en essayant de réduire les déictiques égocentrés (comme ceci, je, maintenant) à des énoncés objectifs, il montre également que les connecteurs logiques ont une expression psychologique chez l'homme, et même chez l'animal. "Non" ne renvoie pas à l'expérience immédiate, il n'appartient pas au langage-objet de base, mais suppose un jugement sur une proposition de ce langage de base. C'est un chien. Non, ce n'est pas un chien. De même pour "oui, c'est bien un chien."(Signification et Vérité, Flammarion, 1969). Il note (p. 233) qu'il a observé qu'un pigeon, qui avait confondu une pigeonne avec sa compagne habituelle, sembla aussi embarrassé de sa méprise qu'un humain dans une situation analogue!
Pour autant, il démontre qu'il y a un sens à supposer qu'existent en dehors de notre perception et de notre conscience, des choses en soi, que les propositions indiquent, et non pas expriment. Sa démonstration est proche de la conception du symbolisme chez Wolff. Il est possible de poser que mon bureau existe quand personne ne le voit, même si je ne peux pas me représenter ce que c'est que cette existence en mon absence; il en va de même des sensations que je n'éprouve pourtant pas, quand je dis "tu as chaud".
Russell a introduit les notions de knowledge by acquaintance et knowledge by description en philosophie pour désigner deux types fondamentaux de connaissance.
Pour être pleinement justifié dans une croyance en la vérité d'une proposition, nous ne devons pas seulement connaître tel fait ou réalité qui donne sa vérité à la proposition, nous devons également avoir une connaissance directe avec la relation de correspondance qui existe entre cette proposition et le fait désigné. Cela veut dire que la justification d'une croyance dépend simplement d'un fait : par exemple, « la neige est blanche ». Cette connaissance est directe et immédiate, elle n'est pas le fruit d'une inférence mais découle simplement d'une sensation.
En revanche, quand il n'y a pas une telle relation de connaissance, comme par exemple la connaissance de l'assassinat de César - que nous ne connaissons pas directement, Russell parle de connaissance par description. Dans ce cas, nous ne sommes pas entièrement justifiés dans notre croyance en la vérité d'une proposition.
Russell, à la suite de Hume, souligne que la connaissance par induction ne peut être certaine : les lois que nous admettons comme générales n'ont été vérifiées que pour un certain nombre, fût-il grand, de cas particuliers ; cet à peu près ne saurait satisfaire le mathématicien, pour qui cette croyance à l'induction découle de l'association et de l'habitude (cf. Hume). Il admet ne pas voir d'élément pour résoudre logiquement ce problème, et juste constater que la démarche inductive fonctionne, sans qu'on puisse expliquer pourquoi dans le cadre de la logique déductive, car toute explication du principe d'induction est une pétition de principe.