Aurochs de Heck - Définition

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L'aurochs de Heck depuis la seconde guerre mondiale

Élevage

Dans l'après-guerre des petits groupes d'éleveurs ont maintenu quelques dizaines d'individus de la race dans le cadre d'un élevage assez confidentiel, l'animal ayant un très faible intérêt en termes de production laitière et un intérêt moyen en termes de production de viande. Quelques zoos le présentaient aussi au public, parfois même comme un aurochs à part entière.

L'élevage a pris une ampleur un peu plus grande à partir des années 1970 avec l'intérêt croissant pour l'utilisation de bovins rustiques dans l'entretien de zones sauvages. Non seulement des introductions dans des parcs naturels néerlandais ont été faites mais l'élevage en semi-liberté a été quelque peu développé, encore qu'à petite échelle.

L'animal « a fait son apparition en France en 1979 (première importation par le Zoorama Européen de Chizé en provenance de Suisse et d’Allemagne). D’abord considéré comme bovin de parc zoologique, cet animal s’est développé en référence à l’ancêtre disparu (Bos primigenius, Bojanus 1827). Ce n’est qu’à partir de 1989 que le premier éleveur français s’est lancé dans l’entretien d’une zone difficile (marais de la « Ferme de l’Aurochs » dans le Jura). Au cours des années 1990, au rythme d’un élevage nouveau par an, le cheptel s’est agrandi et des milieux différents ont été exploités (zone de moyenne montagne, sous-bois, causses, marais et friches, etc). Plus de dix ans après, un premier bilan technicoéconomique de ce nouveau type d’élevage hyper-extensif est permis en considérant que le revenu principal pour l’éleveur est la vente de la viande des animaux abattus (Guintard et al., 2000) même si la raison première de tous ces élevages est l’entretien de zones difficiles (ou en déprise agricole) dont la quantification en termes de coût est impossible avec les outils classiques ».

Un Syndicat International a été constitué en 1995 autour de l'élevage : le SIERDAH (Syndicat International pour l'Élevage, la Reconnaissance et le Développement de l'Aurochs de Heck), rebaptisé par la suite SIERDA (Syndicat International pour l'Élevage, la Reconnaissance et le Développement de l'Aurochs-reconstitué). Le syndicat gère le livre généalogique de l'aurochs-reconstitué et a comme adhérents des institutions, associations ou entreprises privées de différents pays. La « ferme de l'aurochs » française est ainsi membre du SIERDA.

En 1998, « Le syndicat fédère [...] six pays européens (Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie et Pays-Bas). Ses buts sont avant tout de promouvoir l'élevage de cet animal, de mettre sur pied une réflexion scientifique sur la sélection des animaux et de tenir le livre généalogique ». La race « présente par ailleurs des aptitudes de rusticité particulièrement intéressantes ce qui est un atout essentiel à la race et explique que de nombreux éleveurs commencent à s'y intéresser (notamment pour l'entretien des friches dans l'Union européenne) ». En 2006, le syndicat a toujours des adhérents dans six pays mais reste à dominante française.

Contrairement aux frères Heck, le syndicat ne prétend pas que l'aurochs-reconstitué est semblable au véritable aurochs. Selon une déclaration de son président, « l'aurochs-reconstitué n'est ni un aurochs (Bos primigenius), ni un reconstitué, pas plus qu'un rouge-gorge n'est un rouge ou une gorge ».

En Allemagne, l'association des éleveurs est le VFA (Verein zur Förderung der Auerochsenzucht), dont le président est également membre du SIERDA (en 2006). Le VFA publie son propre livre généalogique mais il est envisagé un livre généalogique unifié pour 2009, sur la base d'« un logiciel de saisie automatique des animaux » développé par le VFA. Les objectifs officiels de l'association sont assez similaires à ceux du SIERDA (livre généalogique, définition d'un standard) mais incluent aussi le progrès des connaissances sur l'aurochs sauvage ce qui confirme l'intérêt particulier des éleveurs allemands pour la reconstitution phénotypique de l'aurochs.

En 1997, l'aurochs de Heck a été accepté au catalogue des races bovines françaises sous le nom officiel d'aurochs-reconstitué.

En 2005, il y aurait environ 2 500 têtes en Europe dont 350 en France.

Introduction en milieu naturel

Un petit groupe dans la réserve de Oostvaardersplassen (Pays-Bas).
Un troupeau sur l'ile de Wörth, en hiver.

« Dans les années 1970, des agences de conservation de la nature en Europe ont commencé à employer des bétails domestiques, des chevaux et des moutons pour maintenir à bon marché certains types de paysage. A été ajoutée à cette tendance l'idée selon laquelle dans le passé de grands herbivores indigènes ont pu créer ou maintenir certaines végétations ». C'est dans ce cadre que des introductions dans la nature d'aurochs de Heck ont été tentées, la première ayant été réalisée en 1983 aux Pays-Bas.

L'idée était de préserver les espaces sauvages ouverts tout en limitant les interventions humaines. En l'absence d'entretien ou de grands brouteurs, dans la plupart des régions européennes, la forêt tend à s'étendre, empiétant sur prairies ou milieux herbeux dont on souhaite la conservation pour leur intérêt et leur diversité écologique. L'idée était donc de trouver des animaux rustiques pouvant vivre sans interventions humaines et aptes à empêcher la végétation boisée de s'étendre au détriment des espaces herbeux qui étaient privilégiés.

Ces expériences sont commencées en 1983 dans les réserves intégrales des Pays-Bas où les touristes eux-mêmes ne sont pas admis.

Le recours aux aurochs de Heck ne vient pas forcément d'une adhésion à l'idée selon laquelle l'aurochs de Heck est un homologue de l'aurochs sauvage, il vient plus pragmatiquement du besoin d'une espèce rustique, capable de vivre sans intervention humaine. Ainsi, le WWF indique : « Cette race mélangée montre des similarités avec les aurochs, mais aussi des différences. Néanmoins, pour l'instant, cette race semble être le meilleur substitut pour les aurochs dans des projets de développement de la nature ». Des expériences similaires ont été menées avec d'autres races de bétail domestique « rustique », comme le bœuf des Highlands et diverses races de chevaux, moutons et chèvres.

Les troupeaux relâchés dans la nature, avec des chevaux, ont prospéré, confirmant la bonne capacité de l'aurochs-reconstitué à vivre libre comme son ancêtre sauvage. Il y a ainsi en 2007 plus de 600 animaux vivant libres aux Pays-Bas, en particulier dans la réserve fermée de Oostvaardersplassen (6 000 hectares). Des introductions en liberté ou en semi-liberté se sont aussi multipliées dans d'autres pays. On compte par exemple quelques aurochs-reconstitués dans les prairies finistériennes du parc d’Armorique (en captivité) et d'autres animaux ont été introduits dans des parcs naturels hongrois. Le WWF a également relâché 25 aurochs de Heck en 2005 dans la réserve du lac Pape(60 km2) en Lettonie.

Ces introductions ont suscité trois débats techniques.

Aptitude à vivre en liberté : Le premier débat a porté sur l'aptitude de l'animal à vivre sans intervention humaine. Ce débat est aujourd'hui clos, des troupeaux d'aurochs de Heck vivant en liberté sans interventions depuis 1983. La résistance aux maladies semble bonne ainsi que la capacité à résister aux intempéries (jusqu'à -30 °C d'après le VFA).

Fidélité historique du rôle environnemental : Le second débat a porté sur la cohérence entre le rôle écologique qu'on faisait jouer à l'aurochs-reconstitué par rapport au rôle écologique que jouait l'aurochs sauvage dans le passé. Ce second débat a initié une série d'études sur les milieux occupés par l'aurochs originel, sur son mode de vie et sur une vision plus fine de son phénotype. C'est donc directement l'introduction de l'aurochs de Heck dans les milieux naturels des Pays-Bas qui a suscité l'amélioration de la connaissance actuelle de l'aurochs sauvage.

Ces études ont conclu que l'apparence de ce dernier était plus éloignée que son descendant « reconstitué » que les frères Heck ne le pensaient. Elles ont aussi conclu que les milieux de plaines herbeuses, de bois et de marécages où était introduit l'aurochs-reconstitué aux Pays-Bas avait certaines ressemblances avec les milieux de forêts et de marais où vivait l'aurochs sauvage en Europe récente. L'habitat de l'animal apparaît en tout état de cause diversifié puisqu'il a également colonisé des milieux plus ouverts en Europe du Sud-est, en Asie (steppes) ou en Afrique du Nord, voire en Europe occidentale ancienne. Les introductions récentes en milieux steppique hongrois sont donc conformes à l'habitat de l'aurochs dans cette région avant sa disparition.

Le comportement des aurochs de Heck vivant en liberté est identique à ce que l'on connaît du comportement social de l'aurochs sauvage : les femelles vivent en groupe avec leurs veaux, les mâles vivant à part en petits groupes. Certains mâles restent solitaires. À la saison des amours les mâles rejoignent les femelles, s'affrontant parfois violemment pour pouvoir se reproduire.

Maintien des espaces ouverts : Le troisième débat a porté sur la capacité de l'aurochs ou d'autres grands herbivores à lutter contre le développement naturel de la forêt. En s'appuyant sur les études portant sur des réserves intégrales ou des milieux naturels, T. van Vuure mais aussi d'autres biologistes indiquent qu'une efficacité à long terme d'une telle démarche ne semble pas correspondre aux données disponibles. Les grands herbivores de l'hémisphère Nord ne paraissent avoir qu'un impact assez marginal sur la forêt, dans la mesure où ils privilégient la consommation d'herbe sur celle des jeunes pousses d'arbres. D'autres biologistes restent persuadés de la capacité des grands herbivores (aurochs de Heck, bison d'Europe, chevaux, cervidés) à maintenir des milieux de prairie contre l'invasion de la forêt et soutiennent généralement l'utilisation de l'aurochs de Heck pour de tels projets. Le WWF a ainsi pris en 2001 des positions favorables à ces introductions, en soutenant que les espèces introduites (y compris l'aurochs de Heck) favorisent « des paysages richement structurés comportant une mosaïque d'habitats ouverts et de forêts et peuvent donc être vues comme des espèces [...] qui fournissent des habitats à d'autres ».

Dans cette optique, la ressemblance avec l'aurochs sauvage originel est considérée en elle-même comme un excellent indice d'une capacité à bien s'adapter au rôle recherché : « le principal problème pour trouver un substitut écologique aux aurochs est que nous n'en savons pas beaucoup sur la biologie de l'espèce. C'est essentiellement l'aspect de l'animal qui peut être reconstruit. Et la signification écologique des caractéristiques connues est au mieux vaguement comprise. Néanmoins, des animaux ressemblant étroitement aux aurochs pourraient mieux réussir dans des conditions sauvages ou semi-sauvages que d'autres races : après tout, les caractéristiques de l'aurochs se sont développées en tant qu'adaptation à ces habitats même si nous ne savons pas quelle caractéristique offre quel avantage pour la survie ». Le WWF considère que l'actuel aurochs de Heck est un candidat acceptable mais imparfait et s'intéresse aux nouveaux développements des élevages allemands. Mais le WWF n'affirme pas qu'un bovin proche au niveau phénotypique de l'aurochs serait un aurochs « ressuscité ». Il pense qu'il serait simplement plus apte à jouer le rôle écologique de l'aurochs.

Les études menées à Oostvaardersplassen où les aurochs de Heck vivent libres depuis 1983 indiquent qu'ils y favorisent les prairies herbeuses au détriment d'autres plantes ou arbustes comme Sambucus nigra (le sureau noir, une plante légèrement toxique et assez envahissante que les bovins sont parmi les seuls à manger). L'impact direct sur les jeunes arbres, afin de limiter l'emprise forestière, est par contre plutôt le fait des cerfs. Les études montrent donc que c'est l'ensemble des grands herbivores de la réserves (cerfs, aurochs et chevaux) qui maintiennent l'environnement désiré et non les seuls aurochs-reconstitués. Chaque animal occupe en effet une niche alimentaire qui lui est en partie spécifique.

Au-delà de sa dimension « utilitaire », l'introduction de l'aurochs de Heck dans la nature est aussi défendue par un certain nombre de biologistes ou d'environnementalistes comme une tentative de restaurer les groupes de grands bovins sauvages exterminés par l'homme.

Critiques du projet

Trois grands types de critiques ont été adressés au travail des frères Heck. Une quatrième a été faite à la volonté d'introduire l'aurochs-reconstitué dans la nature à compter des années 1970 et est donc directement liée aux débats techniques précédemment cités.

  • La première critique est de nature idéologique. Elle met en cause les sympathies nazies des frères Heck et considère que leur volonté de « re-créer » la forme sauvage disparue de l'aurochs témoigne d'une idéologie de la pureté germanique, faisant de l'ensemble du projet une forme de propagande nazie. À la fin des années 1990 a ainsi été fondé en France par Jean Aikhenbaum et Piotr Daszkiewicz l'association « Histoire, Sciences, Totalitarisme, Éthique et Société » (HSTES), « dans le but de mettre fin à la supercherie qui consiste à faire croire qu’un bovin domestique ordinaire est un aurochs. Elle s’est fixée comme objectif d’alerter l’opinion publique et les institutions internationales qui ont en charge l’éthique professionnelle et les fraudes scientifiques sur cette situation aberrante » (HSTES, courrier envoyé à Jean Glavany, Ministre de l'agriculture et de la pêche, le 16 août 2000). S'opposant au nom officiel français d'aurochs-reconstitué, l'association a proposé de renommer la race en « nouvelle race bovine domestique, créée par les nazis pour justifier les théories raciales » (HSTES, courrier envoyé au Chef de Bureau de la Génétique Animale, le 1° septembre 1999). L'association critique autant le terme vernaculaire d'aurochs de Heck, fréquent en France mais considéré comme honorant le souvenir de biologistes nazis, que celui d'aurochs-reconstitué, considéré comme introduisant l'idée que le véritable aurochs a été recréé.
  • La seconde critique est une critique de principe. Pour ses tenants, il est impossible de retrouver le génotype d'une espèce dont les formes sauvages ont disparu et qui ne survit plus que dans des formes domestiques. Compte tenu de la méconnaissance du génotype originel, il est extrêmement difficile, si ce n'est impossible, d'espérer effacer des millénaires de dérive génétique. Les mutations sélectionnées par les éleveurs sont impossibles à éliminer même par une sélection à rebours. Des allèles ont forcément définitivement disparus et ne peuvent être recréés. Enfin, les proportions originelles entre les allèles de la population sauvage ont été tellement modifiées par l'élevage qu'il est statistiquement très improbable d'arriver à les recréer. L'aurochs de Heck est souvent qualifié par ses détracteurs de « pseudo aurochs ». Ainsi, le « Conseil national de la protection de la nature de la république polonaise » a donné un avis défavorable sur le « projet d'élevage et croisement de bovins au nord-est de la Pologne sous la dénomination malhonnête de réintroduction d'aurochs ». Pour justifier les raisons de sa décision, la commission a souligné qu’au regard de nos connaissances actuelles en génétique, il est impossible de reconstituer une espèce disparue.
  • La troisième critique est technique. Elle porte moins sur les principes que sur les méthodes utilisées par les frères Heck. Tout d'abord, ceux-ci souffraient d'« un manque de connaissance de base au sujet des aurochs éteints » ce qui les faisaient travailler en partie en aveugle. Les connaissances des années 1920 en matière de morphologie de l'animal étaient en effet bien moins développées.
La vitesse avec laquelle l'expérience a été menée (douze ans pour Heintz Heck et onze ans pour Lutz Heck) est considérée comme peu sérieuse.
L'absence de toute méthodologie précise en matière de sélection génétique a favorisé « la riche imagination et l'autosatisfaction des deux frères ».
Enfin, certaines de leurs déclarations niant la présence de traits indésirables au sein de leurs troupeaux se sont révélées fausses.
Les écarts de phénotype entre les aurochs de Heck et les aurochs sauvages, sous-estimés voire niés par les deux frères, sont donc considérés comme validant la critique technique.
Il existe aujourd'hui un assez grand consensus sur la réalité de ces écarts. Certains critiques sont cependant plus modérés que d'autres. Pour les premiers, la ressemblance partielle entre l'aurochs de Heck et la forme sauvage implique peut-être une ressemblance génétique plus grande que celle existant avec les bétails domestiques classiques. Pour les seconds, l'aurochs de Heck n'est en termes de génotype pas plus proche de l'aurochs sauvage que n'importe quel autre bovin domestique.
  • La quatrième critique ne porte pas sur le phénotype ou le génotype de l'aurochs-reconstitué. Elle porte sur le rôle environnemental (maintien d'un paysage de prairie contre l'expansion forestière) qui lui est attribué par les projets d'introduction en milieu naturel au Pays-Bas. On a vu que ces projets d'intervention minimale, voire nulle, des hommes sur le paysage impliquaient en compensation des troupeaux de grands brouteurs (chevaux, bovidés) tels qu'ils existaient jusqu'au Néolithique. Pour ces critiques, le rôle environnemental de l'aurochs originel, plutôt orienté sur les forêts et les marais (du moins dans l'Europe récente), rend impropre, en tout cas non-conforme à l'histoire, l'utilisation de ses descendants (aurochs-reconstitués ou autres races « rustiques ») pour ce type d'entretien des espaces.

Reprise de la sélection

Des Watusi africains, autres descendants domestiqués de l'aurochs sauvage, aux cornes impressionnantes.

Compte tenu du consensus entre biologistes sur l'éloignement relatif du phénotype de l'aurochs-reconstitué par rapport à celui de l'aurochs sauvage, deux attitudes sont apparues.

Pour la première, l'aurochs de Heck n'offre pas plus d'intérêt que n'importe quelle autre race bovine. Le travail de reconstitution du phénotype originel n'a guère d'intérêt et celui de reconstitution du génotype originel est illusoire.

Pour la seconde, l'idée de retrouver un phénotype proche de l'original reste possible et un tel phénotype impliquerait sans doute une assez grande proximité génotypique. Mais le succès très partiel des frères Heck implique de reprendre leur travail.

Sélection au sein des troupeaux existants

La première démarche est de travailler au sein du troupeau existant, en sélectionnant les animaux les plus proches en apparence de l'aurochs originel. Le premier outil pour ce faire est de fixer un standard, fixant mieux la couleur des animaux, le dimorphisme sexuel recherché, la forme des cornes. Des résultats non négligeables ont été obtenus, en particulier en Allemagne. Ainsi, « la taille maximale d'un adulte aurochs de Heck que nous connaissons est de 1,60 mètre pour un mâle et presque autant pour une femelle, à l'exception des croisements entre des aurochs et d'autres races comme les Chianina ». Les cornes peuvent être également très proches de l'original. Quelques mâles atteignent ainsi désormais, à force de sélection, la taille des plus petits aurochs sauvages connus. On note aussi un dimorphisme sexuel inférieur à celui de l'aurochs sauvage, les plus grandes femelles faisant la taille des plus grands mâles. Ces animaux au phénotype fidèle restent encore peu nombreux, assez éloignés en taille, en couleur et en apparence des aurochs de Heck les plus courants qui ne subissent pas de sélection particulière.

Tableau comparatif des différentes formes d'aurochs de Heck, après et avant reprise de la sélection
Photos Commentaires
Un des plus grands mâles existant en 2007, obtenu par sélection en Allemagne, sans croisement avec d'autres races. La couleur sombre, la raie dorsale claire et les cornes sont proches du phénotype de l'aurochs sauvage. La taille de 1,60 m est conforme à la taille des plus petits aurochs mâles connus. La longueur des jambes par rapport au corps est un peu courte.
Une des plus grandes femelles existant en 2007, obtenue par sélection en Allemagne, sans croisement avec d'autres races. La couleur rousse et la longueur des jambes par rapport au corps sont proches du phénotype de l'aurochs sauvage. La taille de 1,60 m est plus grande que la taille des femelles d'aurochs sauvage (plutôt 1,50 m), et les cornes paraissent également un peu grandes. On voit derrière d'autres femelles d'environs 1,40 m, aux cornes également plus petites.
Un mâle de la réserve d'Oostvaardersplassen. Les animaux y vivent en liberté depuis 1983, et n'y subissent pas de sélection artificielle. Le phénotype est plus proche des premiers aurochs de Heck, et plus éloigné de celui des aurochs sauvages. La couleur est trop rousse par rapport à celle d'un aurochs sauvage mâle, et les cornes trop pointées vers le haut.
Un petit groupe dans une réserve, conforme aux formes d'aurochs de Heck les plus éloignées du phénotype sauvage, avant reprise de la sélection : petite taille, petites cornes, cornes orientées vers le haut. Un des animaux est même blanc.

Sélection par mélange avec de nouvelles races

Pendant longtemps, obtenir des tailles de corps ou de cornes proches du phénotype sauvage semblait hors d'atteinte par une simple sélection du cheptel existant. Des expériences isolées ont donc été menées dans l'après-guerre par différents éleveurs, les un accouplant des aurochs-reconstitués avec des Watusi, les autres avec des Jersiaises. Les croisements avec les Watusi, dont les cornes peuvent atteindre 250 centimètres (deux à quatre fois celles de l'aurochs mais avec une forme très différente), visaient non à obtenir des cornes de même forme ou de même taille mais plutôt un allongement modéré des cornes. Les résultats de ces croisements sont restés médiocres en termes de phénotype.

Depuis la fin des années 1990, un travail a été initié en Allemagne en croisant des aurochs de Heck avec de nouvelles races. Le but est d'aller encore plus loin que les résultats obtenus par les meilleurs sélectionneurs, en particulier en matière de taille. L'association la plus impliquée dans ce travail est l'Arbeitsgemeinschaft Biologischer Umweltschutz, ou Groupement d'entreprises pour la protection de l'environnement biologique (ABU).

Des Chianina italiens sont en particulier utilisés. C'est une race rustique résistante aux maladies d'une forme générale assez proche de celle de l'aurochs originel. Les jambes sont en effet proportionnellement plus longues (par rapport au corps) que chez les races bovines habituelles, la taille moyenne au garrot des taureaux approche les 170 centimètres, la taille moyenne probable des aurochs mâles et des extrêmes sont référencés à 190 centimètres. Il y a aussi des différences importantes : la robe est blanche et les cornes sont courtes. L'idée est donc ici d'introduire dans le patrimoine génétique des aurochs de Heck les allèles codant la grande taille et la proportion des membres puis de sélectionner les jeunes portants non seulement ces allèles mais aussi les allèles codant les couleurs ou les cornes « sauvages », hérités d'autres ancêtres que les chianina.

Des Sayaguesa (ou Zamorana) espagnols sont également utilisés. Cette race rustique et très menacée a une grande taille (cependant plus petite que celle des Chianina) et a des cornes ressemblant beaucoup plus à celles des aurochs (sans être identiques) que celles des Chianina tout en ayant une robe assez similaire à celle de l'aurochs : brun-noir avec une bande plus claire le long de la colonne vertébrale.

Des taureaux de combat espagnol sont également utilisés.

Dans son article sur le sujet, le WWF estime les premiers résultats de ces nouveaux croisements encourageants. Il indique : « Il y a une possibilité pour rapprocher phénotypiquement l'aurochs de Heck des aurochs en le croisant avec d'autres races, par exemple le Chianina italien ou le Sayaguesa espagnol. Un tel projet a démarré en Rhénanie-du-Nord-Westphalie », dans l'élevage de l'ABU (une centaine de têtes en 2003). Dans un article de mai 2003, la section allemande de Greenpeace décrit Lucio, un taureau de cet élevage, croisé d'aurochs de Heck et de Sayaguesa que l'association considère à l'époque être son meilleur résultat : « 1,70 mètre au garrot, trois mètres en longueur, une tonne de poids vif, une peau noire avec une ligne dorsale lumineuse, les cornes longues et épaisses comme les bras d'Arnold Schwarzenegger ». Ce qui correspond assez bien au phénotype sauvage recherché même si l'article indique que pour l'ABU Lucio n'est pas encore un homologue parfait de l'aurochs sauvage et conserve des différences avec le phénotype de celui-ci.

Il est trop tôt pour savoir si ces expériences parviendront à reconstituer un groupe reproducteur stable au phénotype fidèle. T. van Vuure, qui ne considère pas l'aurochs de Heck actuel comme un bon homologue de l'aurochs sauvage, indique cependant « la production d'un bovin similaire à l'apparence de l'aurochs, respectant les caractéristiques connues à ce jour, et plus ressemblant que l'aurochs de Heck ne l'est, doit certainement être possible ».

Même dans ce cas, la question de la ressemblance génotypique reste ouverte. Pour des raisons statistiques liées à la sélection, la diversité des allèles originaux a forcément été réduite. Une ressemblance forte pourrait cependant laisser penser que les allèles originaux les plus fréquents sont présents dans l'animal « reconstitué » mais la validation d'une telle hypothèse implique d'une part d'avoir un groupe reproductif stable respectant le phénotype originel, ce qui n'est pas le cas, et d'autre part d'avoir une bonne connaissance du génotype originel, ce qui n'est pas non plus le cas.

La réponse à ces deux conditions n'est dans le meilleur des cas pas envisageable avant de nombreuses années.

Fixation d'un standard de la race

Parallèlement à l'introduction de ces nouveaux reproducteurs dans certains élevages, l'association allemande des éleveurs, le VFA, a aussi publié les objectifs à atteindre au plan phénotypiques en se référant explicitement aux descriptions de l'aurochs données par les principaux scientifiques ayant travaillés sur ce sujet. En termes de taille, les objectifs restent le minimum constaté chez les aurochs sauvages : au moins 160 centimètres pour les mâles (160 à 180 centimètres pour les mâles aurochs sauvage). Il en va de même pour les cornes puisqu'une longueur moyenne de 63 centimètres pour les mâles est recherchée (avec étuis kératinisés), contre 74 centimètres en moyenne chez les aurochs. Les autres caractéristiques recherchées (couleur, comportement, forme des cornes, taille de mamelles, musculature, couleur des muqueuses, etc) sont conformes au phénotype connu de l'aurochs.

Le VFA a également défini une liste de caractéristiques devant amener l'exclusion de l'élevage : couleur rougeâtre chez les mâles (caractéristique des femelles), cornes dont l'angle avec le front dépasse 120° (pointées vers le haut et non vers l'avant), taille inférieure à 135 centimètres au garrot pour les mâles et 120 centimètres pour les femelles, etc. Les critères d'exclusions ne sont pas très stricts et sont assez loin du phénotype recherché. Ils confirment sans doute qu'une partie importante du troupeau allemand est encore loin de l'objectif même si certains élevages sont connus pour des phénotypes plus proches de l'aurochs (Frisch, ABU).

En France, le SIERDA a également pour projet la définition d'un standard de la race (le plus près possible de l'apparence de l'aurochs sauvage) et la mise en place d'un outil d'aide à la sélection. Ce projet n'est pas nouveau mais semble devoir aboutir en 2007. C. Guintard et S. Davrou de l'École nationale vétérinaire de Nantes écrivent ainsi : « les éleveurs doivent pouvoir réaliser un travail "d’orientation de leur patrimoine génétique" sérieux et basé sur des critères objectifs. Nous nous proposons, dans le cas de l’aurochs-reconstitué (code race 30) de présenter un index synthétique, spécifique à la race, basé sur un système de notation linéaire, qui permettra de pouvoir comparer la valeur génétique des animaux reproducteurs de la race à un instant donné. Vu le faible effectif de la race et le mode de gestion réalisé en aurochs-reconstitué, cet index n’est abordé que pour les taureaux, dans un premier temps ». Cet index doit être publié pour la fin 2007.

Synthèse

La « recréation » de l'aurochs sauvage au niveau phénotypique est peut-être envisageable mais n'est pas encore obtenue dans l'actuel aurochs de Heck. La reconstitution génotypique est encore plus hypothétique, la réussite du premier objectif ne garantissant pas celle du second.

Au-delà des questions techniques, les débats autour de l'aurochs de Heck et de son utilisation sont cependant révélateurs d'une partie des débats qui sont en cours dans le domaine de l'environnement depuis des décennies. La nature doit-elle être maintenue en l'état, doit-elle être restaurée, l'impact de l'homme doit-il être limité voire supprimé dans certaines zones ?

Là où le WWF prend des positions favorables à des (ré)-introductions, considérant que l'aurochs de Heck, les chevaux, les bisons favorisent « des paysages richement structurés comportant une mosaïque d'habitats ouverts et de forêts et peuvent donc être vus comme des espèces [...] qui fournissent des habitats à d'autres », d'autres dénoncent une nature « recrée », « artificialisée » ou « muséifiée ». « Il s'agit, dès maintenant, et sous couvert de l'urgence et de la sauvegarde, d'annoncer symboliquement, à grand renfort de campagnes d'explications, le "retour à la nature" par le retour d'espèces disparues. [...] Or, les opérations de réintroduction sont souvent réalisées avec des animaux récupérés dans des zoos ou des élevages [...]. Nous sommes bien entrés dans l'ère du Canada Dry. [...] Des animaux "sauvages" sont mis en "liberté" (Canada Dry) dans une "nature" (Canada Dry) ».

Ces débats sont toujours en cours, et renaissent lors des réintroductions d'animaux (loups, lynx) ou des créations de réserves naturelles. Les débats autour de l'aurochs-reconstitué ont leurs spécificités mais ils s'intègrent également à ces questions plus générales.

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