Après avoir été reconnu comme l'architecte le plus important de France, puis mis en parallèle par les médias avec Le Corbusier à partir de la reconstruction, Auguste Perret va rapidement connaître une longue pérode d'oubli et de déconsidération. Publié en 1959, l'ouvrage de Peter Colins apparaît finalement comme un chant du cygne. Il ne suffira pas à instaurer sa renommée en France, bien qu'il ouvre déjà une perspective large sur l'importance de son œuvre à la fois dans son brutalisme précurseur (béton nu, absence d'ornement), dans son rôle historique au sein de l'architecture mondiale (ossature en béton armé, préfabrication) mais aussi dans l'émergence paradoxale d'un « ordre du béton armé » (modularité, néoclassicisme) qui tendait à inscrire ce premier maître de la modernité par-delà les crises que commençait à subir le Mouvement Moderne.
Il faut attendre une première étude de Joseph Abram en 1985 pour que son œuvre réapparaisse dans les travaux universitaires, réintroduisant au passage les principaux éléments qui la caractérise au sein de l'histoire des arts. Ces travaux seront suivis par un très beau livre illustré de Roberto Gargiani, dont les textes retracent subtilement la doctrine du maître. Pour autant, les ouvrages généralistes consacrés à l'architecture ou à l'urbanisme moderne depuis les années 1960 jusque dans les années 1990 le citent régulièrement en l'assimilant à un Classicisme jugé peu innovant voire désuet : les réalisations architecturales d'Auguste Perret furent longtemps décriées – paradoxalement jugées peu innovantes par les historiens du Mouvement Moderne ou trop moderne pour les habitants du Havre…
Le transfert du Fonds Perret du CNAM aux Archives nationales, suivi de son dépôt à l'IFA-Cité de l'architecture et du patrimoine en 1992 va permettre une étude détaillée et exhaustive, aboutissant au début des années 2000 à plusieurs travaux monographiques successivement dirigés par Maurice Culot et Jean-Louis Cohen. Ces ouvrages sont amplement diffusées et s'associent entre 2002 et 2004 à une exposition itinérante internationale, « Perret, la poétique du béton » : l'inauguration de l'exposition de l'IFA dans la ville du Havre marque un tournant décisif dans la réception de son œuvre.
Ainsi, la même année, Le Havre devient la première ville du XXe siècle a intégrer le réseau des Villes et pays d'art et d'histoire, un label qui prolongeait les importants travaux de l'Inventaire menés par Claire Étienne-Steiner pour élaborer une ZPPAUP (approuvée par le conseil municipal en 1995). Dès lors, le regard des habitants change, en même temps que celui des experts… Finalement l'UNESCO va estimer que la ville d'Auguste Perret constitue « un exemple exceptionnel de l'architecture et de l'urbanisme de l'après-guerre », décidant de l'inscrire le 15 juillet 2005 sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité. Chef-d'œuvre de l'architecte et de son équipe, ce centre-ville est aujourd'hui considéré comme l'un des plus importants projets architecturaux du XXe siècle, dont la cohérence et l'esprit de modernité peuvent être comparés à Tel Aviv, Chandigarh ou Brasilia, comme le suggérait une exposition présentée au Musée des beaux-arts André-Malraux en 2007.
Auguste Perret était, par son caractère, sûr de lui : « Ceux qui ont été ses élèves ne peuvent oublier ses corrections, ou plutôt ses conseils lucides qui correspondaient à la fois à sa certitude de sa vérité, et en même temps, à sa grande tolérance. [Il faut] apprécier sa philosophie dans ce qu'elle contient de permanent » dira Jacques Tournant, que l'on peut voir non seulement comme son élève mais aussi comme le premier historien de Perret. Cependant, si le ton du maître est catégorique, presque doctrinaire, ses propos sont complexes et tiennent moins de la doctrine proprement dite que de la contribution à une théorie qui prolonge plus qu'elle ne bouleverse les usages.
L'œuvre écrite ou construite d'Auguste Perret reste difficile d'accès, d'autant plus qu'elle ne peut pas être analysée suivant la grille de lecture ouverte par le Mouvement moderne ; celle-ci ne s'appliquant pas directement à sa démarche architecturale, y compris dans ce qu'il conviendrait d'appeler l'« urbanisme » (suivant la définition de la Charte d'Athènes). Il faut préférentiellement chercher du côté d'une pensée civilisationnelle et patrimoniale – voire monumentale - qui, à la lueur des avancée techniques contemporaines, tentait de prolonger un travail de recherche mené sur plusieurs millénaires, au sein de ce que l'on présente désormais comme l'École du classicisme structurel. Roberto Gargiani résume ainsi sa démarche : « Nature et classique se reflètent dans un jeu d'allusions, d'invention de métaphores, de fictions structurales qui animent toujours d'avantage son idée de l'architecture. La colonne en béton armé apparent, finement dessinée, bouchardée de façon à la faire presque ressembler à un monolithe de pierre, devient le modèle capable de résumer la signification complexe du classicisme tel que le conçoit Perret ». S'il reprend la colonne du temple classique, il n'hésite pas à en inverser les proportions en la rétrécissant non plus vers le sommet mais vers la base, suivant la logique du calcul structurel : ce n'est plus le poids qui détermine sa forme car la colonne en béton amé, faite d'une seule masse et fixée à sa base, subit des moments de flexion allant croissant vers le sommet. Métaphore de l'homme et de la technique, de son héritage et de ses mutations, la charpente de béton armé et la colonne sont des éléments essentiels pour comprendre l'œuvre d'Auguste Perret.
Jacques Tournant choisit assez justement le terme « permanent » pour décrire la philosophie d'Auguste Perret, lui-même affirmant se situer dans une quête de vérité, bien qu'il parle en termes de méthode plus que de forme. C'est là le cœur d'une pensée qui s'affirme comme un écho lointain de la Querelle des anciens et des modernes. « Nous devons construire comme le feraient nos grands ancêtres s'ils étaient à notre place », affirme-t-il, avant de reprendre : « Il y a deux mille ans Vitruve disait : il y a trois choses qui se doivent rencontrer dans tous les édifices, savoir la Solidité, la Commodité, la Beauté. Nous dirons plutôt : pour atteindre à la Beauté, il y a trois qualités qui se doivent rencontrer dans un édifice, savoir : le Style, le Caractère et la proportion. » (version inédite des aphorismes d'Auguste Perret, vers 1944-1945). Ainsi, le maître n'hésite pas à aller chercher ses arguments dans la trilogie de Vitruve du beau, de l'utile et du solide, tout en déplaçant la position du beau comme conséquence d'une « objectivité technique » (suivant des lois dites « naturelles ») et non comme vérité ad hoc ou héritage historique (ce qui lui vaut une opposition avec le classicisme ou l'historicisme au sens strict).
S'il respecte quelques règles semblant ressortir d'une sélection et d'une diversité ouvertes par l'histoire, il n'aura de cesse d'introduire de nouvelles mutations et de lutter contre le mimétisme des Anciens perpétué tant par l'institution académique que par la tradition régionaliste. On peut retenir quelques exemples caractéristiques de cette opposition :
À l'opposé, il ne défend pas les démarches extrêmes du Mouvement moderne, qu'il situe partiellement dans la « mode », retraçant de ce fait un instant de la pensée et ne pouvant pas aboutir sur une expression durable. Pour lui, ce type d'« esthétique » ne détermine pas l'essence de l'architecture, de la technique : elle en est une conséquence. C'est la construction et l'homme même, qui occupent cette place transcendantale, et il s'agace régulièrement de voir quelques expressions modernistes aller contre les règles « naturelles », à la fois durables et plus humaines. Ces exemples les plus cités sont :
À travers ces différentes positions sur l'architecture qui conduisent son auteur à des débats voire des affrontements assez violents avec les institutions (le toit terrasse contre la charpente) ou avec le Mouvement moderne et Le Corbusier (la fenêtre verticale contre le bandeau, ainsi que beaucoup d'autres points, même si Auguste Perret reste un fidèle ami de Le Corbusier), Auguste Perret développe surtout un idéalisme propre à l'architecte d'une logique implacable. En voulant rendre le béton « luxueux », le hisser au même rang que le marbre ou les autres métaux précieux, il cherche avant tout à contredire le préjugé qui tend à faire de la rareté une composante inévitable de la beauté or ce n'est pas le cas : en effet, il ne suffit pas qu'un matériau soit coûteux pour qu'il soit beau ( plusieurs exemple autour de nous le montrent très bien). Sa démarche devient rapidement plus globale, souhaitant montrer en dernière instance que le « banal » doit pleinement suffire à nos besoins les plus primaires, il combat le superflu et la futilité : « Celui qui, sans trahir les matériaux ni les programmes modernes, aurait produit une œuvre qui semblerait avoir toujours existé, qui, en un mot, serait banale, je dis que celui-là pourrait se tenir pour satisfait. Car le but de l'art n'est pas de nous étonner ni de nous émouvoir. L'étonnement, l'émotion sont des chocs sans durée, des sentiments contingents, anecdotiques. L'ultime but de l'art est de nous conduire dialectiquement de satisfaction en satisfaction, par delà l'admiration, jusqu'à la sereine délectation. ».
Partant de cette idée, son atelier va réaliser au Havre une architecture d'une totale simplicité, où la banalité rime avec l'économique : il s'agit de réduire les moyens (matières, énergie, main d'œuvre, finances…) pour arriver à une forme essentielle optimisant au passage la durabilité de l'ouvrage (matérielle, esthétique et fonctionnelle). Suivant cette relation entre économie et durée, on peut considérer l'efficacité du chantier du Havre comme exemplaire, les techniques que l'on y développe servant par ailleurs d'exemples pour l'édification des grands ensembles (Cité Rotterdam, Strasbourg) : l'angle droit et la trame unique (6,24 mètres), la standardisation et la préfabrication, le plan libre seront les outils de cette directive économique de la reconstruction.
Mais la comparaison avec les grands ensembles doit s'arrêter sur ce point car la reconstruction ne se limite pas à une mécanisation de la mise en œuvre : bien au contraire l'humanité se dévoile aussi à travers la banalité. Auguste Perret choisi un matériau économique mais c'est la main de l'homme qui va le rendre « précieux » (« je le travaille, je le cisèle »). Le souci d'une dimension proprement humaine se retrouve à toutes les échelles et, si l'Atelier Perret est contraint de réaliser quelques tours d'habitations, il ne les place pas au premier plan mais les cache dans des rues secondaires pour offrir aux piétons des perspectives classiques sur des bâtiments bas. Partout l'homme reste présent, soit dans la forme des fenêtres, soit dans les finitions « manuelles » dans les détails du béton… Si la ville du Havre reste encore difficile à percevoir sous cet angle, il faut étendre la réflexion à une interrogation philosophique prolongeant cet éloge de la banalité : comment placer librement un individus au sein de la multitude ? Comment dépasser la formule contradictoire d'un « luxe pour tous » ? Ici s'ouvre finalement une opposition de fond avec le Mouvement moderne revendiquant des formes fermées et utopiques (phalanstère), prolongeant implicitement l'idée d'exception et de rareté, alors qu'Auguste Perret cherchait une réponse à la fois ouverte et évolutive, dans le temps et dans l'espace.