Naissance : | 24 octobre 1932 Paris, France |
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Décès : | 18 mai 2007 (à 74 ans) Orsay, France |
Nationalité : |
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Profession : | Physicien |
Distinctions : | Prix Nobel de physique 1991 Médaille d'or du CNRS 1980 Prix Wolf 1990 |
Pierre-Gilles de Gennes (né le 24 octobre 1932 à Paris et mort le 18 mai 2007 à Orsay[1]) est un physicien français.
L'Académie royale des sciences de Suède lui a décerné le prix Nobel de physique en 1991 pour l'ensemble de ses travaux sur la matière condensée. Ses contributions ont généré de très nombreuses études relevant tant de la physique et de la physico-chimie fondamentales que des sciences appliquées.
Il naît à Paris d'un père médecin et d'une mère infirmière, perd son père à l'âge de 9 ans et passe son enfance à Barcelonnette dans les Alpes-de-Haute-Provence suite à des problèmes pulmonaires. Sa mère assure son éducation à la maison jusqu'à l'âge de onze ans[1].
À treize ans, Pierre-Gilles de Gennes part pour Bristol[2] pour apprendre l'anglais. C'est là-bas qu'il s'initie à la science en rencontrant le physicien des particules Giuseppe Occhialini. À propos de cette rencontre, il raconte :
" Un ami de ma mère m'avait recommandé à un professeur. Je me souviens d'être monté dans une grande tour en faux gothique. J'ai trouvé un monsieur qui regardait, dans l'obscurité, des photos de dix mètres de long. C'était un physicien italien du nom d'Occhialini. Il m'a expliqué que les photos représentaient des trajectoires de particules. Je l'ai revu beaucoup plus tard. Il avait complètement oublié ce marmouset qu'il avait initié à la physique des hautes énergies.[3] "
Pierre-Gilles de Gennes a bénéficié d'une formation de haut niveau. Il entre au lycée Saint-Louis pour préparer le concours d'entrée aux grandes écoles. Il suit les cours d'une classe préparatoire aujourd'hui disparue où l'en enseigne, outre les mathématiques et la physique, la biologie[4]. En 1951[5], il intègre l'École normale supérieure où il rencontre trois physiciens de renom[6] : Yves Rocard, Alfred Kastler et Pierre Aigrain. En 1953, il participe à l'École d'été de physique théorique des Houches, dont il se souviendra[7] :
" Le soir, devant la cheminée, nous retrouvions Shockley, l'un des inventeurs du transistor, qui venait raconter des histoires [...] Elles nous faisaient tous bien rire [...] Les jeunes étudiants que nous étions alors se trouvaient ainsi confrontés, subitement, aux grands fondateurs de la science contemporaine [...] sans organisation règlementaire comme c'est le cas actuellement. "
Il obtient son agrégation de physique en 1955.
Pierre-Gilles de Gennes sort de l'École normale supérieure de Paris en 1955. Il travaille alors comme ingénieur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) où il obtient en 1957 son doctorat ès sciences grâce à une thèse intitulée " Contribution à l'étude de la diffusion magnétique des neutrons ". Entre 1959 et 1961, il est ingénieur détaché du CEA, ce qui lui permet de faire un séjour à l'université de Californie (Berkeley) dans le groupe de Charles Kittel[5]. De 1961 à 1971, Pierre-Gilles de Gennes est professeur à l'université Paris XI, sur le campus universitaire d'Orsay, puis il est nommé professeur au Collège de France où il occupe la chaire de Physique de la matière condensée. C'est à cette période qu'il s'oriente vers la chimie (notamment pour l'entreprise américain Exxon) et que naît véritablement la " matière molle "[8]. En 1976, il est accepte la charge supplémentaire de directeur de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris, qu'il occupera jusqu'en 2002.
Il poursuit des travaux remarquables sur les phénomènes d'ordre dans des milieux complexes. L'importance de ces travaux lui vaudra d'être nommé Membre de l'Académie des sciences en 1979 et d'être reconnu comme l'un des pionniers de ce que lui-même désigne souvent comme la physico-chimie de la matière molle. En 1980, il reçoit la médaille d'or du CNRS. Ses contributions marquantes dans des domaines très variés (magnétisme, supraconductivité, cristaux liquides, polymères, mouillage etc.) lui ont valu le prix Nobel de physique en 1991, certains membres de l'Académie royale des sciences de Suède le qualifiant même " d'Isaac Newton de notre temps "[9], compliment qu'il décline[10] en arguant que Newton avait une stature au-dessus de celle des physiciens de son temps. Ce scientifique d'exception a été le premier à s'attaquer à des problèmes de transition ordre-désordre dans des matériaux aussi complexes que les polymères, les gels, les cristaux liquides et plus récemment la matière granulaire.
Pierre-Gilles de Gennes détestait les barrières qui entravent la quête de la connaissance. Partisan de l'interdisciplinarité, sensible aux applications industrielles (sans doute à la suite d'un échec cuisant dans les années 1980 où l'équipe qu'il dirigeait, en avance dans la science des cristaux liquides mais sans brevets et contacts avec l'industrie, se fit dépasser par les japonais dans le domaine des écrans à cristaux liquides[8]), il passait d'un sujet à l'autre avec un égal bonheur. En tant que directeur de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris, il a pu concrètement œuvrer dans ces directions et a été un précurseur dans de nombreux domaines de la recherche et de l'enseignement, avec notamment l'ouverture de l'école à la biologie, puis plus récemment à la physico-chimie.
Dernièrement, il avait rejoint l'Institut Curie pour aborder le domaine des systèmes du vivant et la compréhension des mécanismes cellulaires, en particulier ceux intervenant dans la mémoire.
Pierre-Gilles de Gennes passe pour avoir été un scientifique " visuel ", travaillant sur des objets visualisables directement, de taille macroscopique. Il était prompt à faire des schémas et des figures, et consacrait une partie de son temps libre à la peinture et au dessin. Par une analogie avec la peinture, il expliquait aussi qu'il avait essayé de " prendre du recul et faire une description impressionniste du monde, qui ignore beaucoup de ces détails [de la science classique] mais qui garde les grands traits "[8].
Ceux qui l'ont connu[11] reconnaissent la qualité de son expression, de sa calligraphie et son choix du mot juste. Il a marqué également par son utilisation exemplaire des immenses tableaux noirs qui occupaient des murs entiers de son bureau — se refusant également en conférence à utiliser un projecteur et des transparents préparés à l'avance.
Ses articles scientifiques se distinguent par leur concision, puisque ses articles étaient destinés à être examinés et publiés dans les délais les plus brefs. Il avait en effet pour habitude de lancer des propositions nouvelles assez peu détaillées, rapidement mises en forme (format de publication dit " Rapid Notes " ou " Letters "), dont il attendait que ses pairs les développent théoriquement et les testent expérimentalement. Il était reconnu par ses collaborateurs pour son aptitude " à saisir l'essentiel d'un phénomène et à en isoler les effets importants "[12]. Une étude serrée de ses écrits[12] montre qu'il utilise toutes les ressources du langage pour rester limpide, en français comme en anglais (ses concepts de " reptation " ou de " brosse " ont fait florès). Les figures sont au centre de l'article et du texte ; le sens de certains symboles utilisés ne peut même être saisi qu'à travers un subtil jeu de renvoi entre le texte et la figure. Dans la conclusion, il fait souvent appel non seulement aux connaissances partagées avec ses pairs mais aussi aux jugements et évaluations implicites des théories en jeu.
À côté de cette activité de recherche du plus haut niveau, Pierre-Gilles de Gennes consacre une part importante de son temps à l'enseignement et à partager avec les jeunes de très nombreuses écoles et lycées, son enthousiasme pour la recherche scientifique. Après son prix Nobel, entre 1992 et 1996[5], il visitera ainsi plus de 200 lycées en France[13]. Il était un grand pourfendeur de la langue de bois ou du langage académique, refusant de répondre aux " questions de taupins " (c'est-à-dire les questions abstraites ou purement mathématiques) dans ses conférences au public[8]. Il n'hésitait pas à critiquer les écoles ou les institutions portées uniquement sur la théorie, recommandant ainsi aux professeurs de l'Éducation nationale de faire des stages en entreprises ou ne trouvant pas l'enseignement de l'École polytechnique assez pragmatique[13].
Il était un pourfendeur du gaspillage des fonds publics. En 2006, il dénonce la décision de construire le programme nucléaire ITER soulignant les inconnues car " avant de construire un réacteur chimique de 5 tonnes, on doit avoir entièrement compris le fonctionnement d'un réacteur de 500 litres et avoir évalué tous les risques qu'il recèle " et ajoute : " Un réacteur de fusion, c'est à la fois Superphénix et La Hague au même endroit " car il faut traiter " sur site les matières fissibles extrêmement chaudes "[14].
Humaniste, il a notamment signé, avec d'autres lauréats du prix Nobel, un appel demandant qu'une délégation du Comité des Droits de l'Enfant de l'ONU rende visite à un enfant tibétain en résidence surveillée depuis 1995 en Chine, Gendhun Choekyi Nyima, reconnu comme 11e Panchen Lama par le 14e Dalaï Lama, Tenzin Gyatso.
Il a montré son humour en acceptant en 1997 avec Georges Charpak un rôle de livreur de pechblende dans le film "Les Palmes de Monsieur Schultz" de Claude Pinoteau.
Il a reçu le 24 janvier 2007 la Mention Spéciale Enseignement Supérieur du prix Roberval pour le livre Gouttes, bulles, perles et ondes co-écrit avec David Quéré et Françoise Brochard-Wyart.
Le lycée technologique de Digne-les-Bains porte ainsi son nom depuis 1998 et Pierre-Gilles de Gennes a aussi inauguré une place ainsi qu'un terrain de jeux à son nom, à Orsay, sa ville d'adoption, le 9 décembre 2006.
" C'est l'inconnu qui m'attire. Quand je vois un écheveau bien enchevêtré, je me dis qu'il serait bien de trouver un fil conducteur. "
Le Monde, 23 octobre 1991
" Je suis un théoricien naïf, pas du tout un "preneur" de brevets. "
" Globalement, ce que je déteste le plus dans les Écoles, c'est l'autosatisfaction — des maîtres, des élèves et des anciens élèves. D'elle vient le conservatisme ; et cette notion absurde du "droit à vie". "
Les Objets fragiles, Plon, 1994, pp. 235–241
" Comme dans l'Ancien Testament, les prophètes aigris sont, en science, un mal nécessaire. "
Petit Point, Le Pommier, 2002