Le calcul des propositions ou calcul propositionnel, dont le fondateur fut le logicien allemand Frege, version moderne de la logique stoïcienne, est une théorie logique qui définit les lois formelles du raisonnement. La notion de proposition est assez complexe à définir en général et a fait l'objet de nombreux débats au cours de l'histoire de la logique ; l'idée de base est qu'une proposition est un énoncé pour lequel il fait sens de parler de vérité.
En logique mathématique, le calcul des propositions définit les règles de raisonnement concernant les énoncés clos, c’est-à-dire ne dépendant d'aucun paramètre : par exemple, l'énoncé 3 est un nombre premier est un énoncé clos (une proposition atomique), alors que l'énoncé p est un nombre premier, qui dépend du paramètre p, n'en est pas un. Le calcul des propositions est une première étape dans la construction du calcul des prédicats, une formalisation complète du raisonnement mathématique.
D'un point de vue plus algébrique, le calcul de propositions (pour la logique classique) peut se voir comme un système de notations pour calculer dans les algèbres de Boole.
Il est difficile de donner une définition consensuelle du concept de " proposition ". Une première approche (négative) consiste à dire ce qu'une proposition n'est pas. Ce n'est pas un énoncé assumé par un locuteur qui s'adresse à un autre locuteur précis dans un contexte particulier. Par exemple, un énoncé comme " je pense que… " étant une affirmation du locuteur n'est donc pas une proposition. Ou bien comme une proposition fait abstraction du contexte, les actes de langage accompagnant l'énoncé ou les indications renvoyant aux circonstances d'énonciation (tels les déictiques " ici " ou " maintenant ") ne sont pas pris en considération.
Ce qu'est une proposition: d'une part elle donne une information sur un état de chose: " 2 + 2 = 4 " ou " le livre est ouvert " pour prendre deux exemples très simples sont deux propositions en ce sens. De façon générale un état de chose peut être une vérité scientifique, un fait empiriquement observable, une formule mathématique. D'autre part une proposition peut être vraie ou fausse. C'est pourquoi une phrase optative (qui exprime un souhait comme par exemple " Que Dieu nous protège !") ou une phrase impérative (" viens !", " tais-toi !") ou une interrogation ne sont pas des propositions. " Que Dieu nous protège !" par exemple ne peut être ni vraie ni fausse: elle ne fait qu'exprimer un souhait du locuteur.
Un calcul en logique est un ensemble d'algorithmes c'est-à-dire de règles permettant en un nombre fini d'étapes, selon des règles explicites et selon des procédés mécanisables de déterminer si une proposition complexe (c'est-à-dire formée d'au moins deux propositions atomiques) est vraie ou fausse.
Le fait que la logique moderne grâce à Frege ait réussi à faire du traitement traditionnel des propositions depuis les stoïciens un calcul est sans doute ce qui constitue la nouveauté la plus importante de la logique moderne.
Comme la plupart des théories logico-mathématiques, il est possible de considérer le calcul des propositions des points de vue syntaxique et sémantique :
La correspondance parfaite entre la déduction et la sémantique s'appelle la complétude.
Le système exposé ci-dessous se situe dans le cadre de la logique classique. On trouvera plus loin une présentation de logiques non classiques. L'adjectif " classique " ne doit pas être pris dans un sens de " normalité ", mais comme un attribut que lui a donné l'histoire de la logique, elle aurait tout aussi bien pu s'appeler " booléenne ".
La syntaxe du calcul des propositions comporte un alphabet associé à des règles de formation des formules et à des règles d'inférence. Nous présenterons dans la suite ces trois composantes : les deux composantes syntaxiques (formules et déductions) et la composante sémantique.
Le langage du calcul des propositions est un langage formel et symbolique. Langage formel et symbolique dans la mesure où pour désigner les propositions on fait abstraction de la signification particulière des propositions (c'est l'étape de la formalisation) pour travailler uniquement avec des symboles comme les lettres p ou q appelées variables propositionnelles ou formules atomiques, notées p, q, etc., dans un ensemble infini, mais dénombrable, de symboles. À côté de ces lettres on utilise des parenthèses, éléments de ponctuation visant à lever les ambiguïtés dans les formules. À noter qu'on peut se passer des parenthèses en notation polonaise, inventée par le logicien polonais Jan ?ukasiewicz. Cependant à la suite, par exemple, de Christopher Strachey, les logiciens accordent de moins en moins d'attention à la syntaxe choisie pour se consacrer au fond des choses: la déduction et la sémantique.
Le deuxième élément fondamental du langage du calcul des propositions sont les opérateurs. Ce sont les symboles qui permettent de lier les propositions atomiques entre elles. Leur valeur est fonction de la valeur des propositions atomiques les composant. On dit pour cette raison que les opérateurs sont " vérifonctionnels ". Exemples de connecteurs logiques : et
Un ensemble de connecteurs propositionnels est complet si tout connecteur peut se définir au moyen des connecteurs de l'ensemble. Par exemple l'ensemble est complet et typiquement la disjonction se définit au moyen de la négation et de l'implication par : .
Il existe des présentations du calcul des propositions travaillant avec un nombre réduit de connecteurs: notamment l'ensemble constitué du seul connecteur d'incompatibilité de Sheffer, noté par une barre |. Il n'y a qu'un seul axiome :
Les connecteurs dérivés de la barre de Sheffer sont définis comme suit :
Veroff et McCune ont démontré en 2000 en utilisant leur système de démonstration automatique de théorèmes Otter que l'on peut formaliser le calcul propositionnel par la seule équation
donc sans besoin de règle.
Le calcul des propositions repose de plus sur des règles de formation indiquant comment construire des propositions complexes. Par exemple une proposition complexe comme " p q ? " n'est pas une proposition bien formée ou formule bien formée (" FBF " ou " well-formed formulae " en anglais) alors que " p ? q " est une " FBF ". De la même façon, à titre de comparaison, une phrase comme " je maison viens " n'est pas en français une phrase correctement construite.
Une formule ou énoncé bien formé est définie itérativement comme suit :
EXEMPLES :
Une expression est en forme normale conjonctive si elle est composée de conjonction de disjonction. Une expression est en forme normale disjonctive si elle est composée de disjonction de conjonction.
Exemple :
L'élément le plus important de la syntaxe du calcul des propositions est cependant les règles de transformation des FBF. C'est l'élément le plus important dans la mesure où le calcul des propositions veut déterminer les règles de déduction d'une proposition à partir d'une autre. Or, le fait de déduire une proposition à partir d'une autre est assimilé par la logique à la transformation d'une proposition " A " en une proposition " B ". La syntaxe comme ensemble des règles de transformation peut donc être aussi dite théorie de la preuve. Ces règles de transformation sont composées de règles d'inférence voire d'axiomes dans le cas de la présentation axiomatique du calcul des propositions.
Une proposition déduite à partir d'une autre au moyen des règles d'inférence s'appelle un théorème. Dit autrement: Une formule qui admet une preuve est un théorème du calcul des propositions. Si f est un théorème, on note cela par
En logique classique une certaine tradition considère les deux connecteurs
où f, g, h peuvent être remplacés par des formules quelconques. La troisième formule est à la base du raisonnement par l'absurde.
On se donne également une règle d'inférence, le modus ponens, qui énonce que si f et
Dans l'écriture de Sheffer, le modus ponens est remplacé par la règle d'inférence suivante :
Soit f une formule. Une preuve de f est une liste finie et ordonnée de formules
Les trois axiomes et le modus ponens sont donc les règles de base du raisonnement logique, desquelles on peut déduire toutes les autres règles de raisonnement.
Nous indiquons ci-dessous une liste de théorèmes qu'on peut démontrer à l'aide des règles précédentes, ainsi que le nom usuel qui leur est attribué par la tradition.
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identité |
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tiers exclu |
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double négation |
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loi de Peirce |
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loi de non-contradiction |
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lois de De Morgan |
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contraposition |
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modus ponens |
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modus tollens |
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modus barbara |
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distributivité |
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Donnons un exemple de preuve du théorème de double négation (ou du moins d'une des deux implications), en supposant prouvé le théorème d'identité et le modus barbara :
Donc
Voir déduction naturelle pour d'autres exemples de preuves.
La sémantique est seconde par rapport à la syntaxe car les seules propositions bien formées peuvent être douées de sens. La sémantique ou théorie des modèles détermine les règles d'interprétations des formules. Attribuer des valeurs de vérité à chacune des propositions élémentaires intervenant dans la formule A revient à choisir un modèle de cette formule
De façon plus précise, l'interprétation d'une formule est le fait d'attribuer une valeur aux propositions simples et aux connecteurs (en fonction de la valeur des propositions simples). Il existe alors trois cas d'interprétation:
Les tables de vérités développées originellement par Wittgenstein sont un exemple d'une interprétation d'une formule mathématique.
Exemples d'interprétation des connecteurs:
Exemple 1 :
En effet, si on attribue à A la valeur 0, alors
Exemple 2 :
En effet, si on attribue à A la valeur 1, alors
Le calcul propositionnel dispose donc de deux moyens différents pour valider les formules : la méthode axiomatique qui définit les formules prouvées, et la méthode des valeurs de vérité qui définit les tautologies.
Le fait que toute formule est prouvable si et seulement si elle est une tautologie exprime le fait que le calcul propositionnel est complet. La présentation déductive du calcul propositionnel est donc équivalent à la présentation sémantique. En effet :
Voir le théorème de complétude du calcul des propositions pour une autre démonstration, plus détaillée.
Il résulte de la complétude du calcul des propositions que :
Nous avons vu que, pour décider si une formule est prouvable, il suffit de vérifier si c'est une tautologie, c'est-à-dire de vérifier si elle prend la valeur de vérité 1 quelles que soient les valeurs de vérité de ses atomes.
Cette approche théorique se heurte cependant au temps de calcul que demande une telle démarche. En effet, si la formule possède n variables propositionnelles atomiques, il faudra calculer 2n valeurs possibles de la formule complète, ce qui devient rapidement difficile pour n trop grand. Ainsi, si n = 30, il faudra vérifier plus d'un milliard de valeurs. Si n = 100, le temps de calcul nécessaire pour effectuer toutes les vérifications dépasse de loin l'âge de l'Univers.
Il existe certes des améliorations possibles. Par exemple, si on attribue la valeur de vérité 0 à une variable propositionnelle A, on peut attribuer directement la valeur 0 à
On peut également chercher à voir s'il est possible d'invalider les implications. Considérons par exemple la formule :
Étant constituée d'une implication, pour la rendre invalide, il suffit que la conclusion
Mais les améliorations précédentes ne changent pas fondamentalement la difficulté du problème. On est donc devant la situation suivante. Étant donnée une formule f, on se demande si f est une tautologie ou non et pour cela, on se demande s'il existe des valeurs de vérité attribuables aux atomes de f qui rendraient f invalide.
On dit alors que la question de l'insatisfiabilité de f est du type NP (pour polynomial non déterministe). Le problème dual est celui de la satisfiabilité d'une formule, à savoir trouver une configuration qui donne 1 comme valeur de vérité de la formule. Cette question, appelée problème SAT joue un rôle fondamental en théorie de la complexité, puisqu'on peut montrer que la découverte d'un algorithme déterministe en temps polynomial pour ce problème permettrait d'en déduire des algorithmes déterministes en temps polynomial pour tous les problèmes de type NP. On dit que SAT (et donc également le problème de la prouvabilité d'une formule) est un problème NP-complet.
La compacité du calcul propositionnel réside dans la propriété suivante. Supposons donné un nombre infini de formules. On se pose la question de savoir si ces formules sont simultanément satisfiables, c'est-à-dire s'il existe des valeurs de vérité de leurs atomes qui donne 1 comme valeur de vérité à toutes les formules. On montre que, si tel est le cas pour tout sous-ensemble fini de ces formules, alors il en est de même pour toutes les formules. On renvoie à l'article théorème de compacité pour plus d'information.
Soit donné un ensemble de variables propositionnelles atomiques. Soit E l'ensemble des formules ayant pour atomes ces variables propositionnelles. Soit
Il existe plusieurs familles de systèmes de démonstration formelle, notamment:
Il existe plusieurs procédés pour décider si une formule est antilogique (fausse pour toute interprétation), consistante (vraie pour au moins une interprétation) ou bien une tautologie.
Les axiomes du calcul propositionnel que nous avons présentés sont ceux de la logique classique. Ils permettent de prouver la formule
Pour Hilbert, il suffit de prouver qu'une propriété P n'entraîne aucune contradiction pour justifier la validité de P. En effet, P n'entraîne aucune contradiction peut être représenté en calcul propositionnel sous la forme suivante (en désignant par
ce qui, en logique classique, est équivalent à :
et donc à :
Compte tenu que
et puisque
Si P formule par exemple l'existence d'un objet mathématique, on voit que, pour Hilbert, il suffit que cette existence n'entraîne aucune contradiction pour pouvoir être validée, quand bien même on ne disposerait d'aucun procédé pour mettre en évidence l'objet ainsi introduit. En d'autres termes, l'implication classique se réduit à l'implication matérielle
Les mathématiciens intuitionnistes ou constructivistes ne peuvent que rejeter la démarche évoquée ci-dessus, et en particulier la dernière étape
Nous présentons deux variantes très proches de logique non classique, la logique minimale de Johansson
Avant d'introduire la négation, on énonce les axiomes relatifs à
et ceux relatifs à
On introduit enfin deux axiomes relatifs à la négation. Le premier exprime que, si f prouve sa propre négation, alors f est invalide.
Le second définit le comportement de chaque logique vis-à-vis d'une contradiction, et la seule différence entre la logique minimale et la logique intuitionniste porte sur cet axiome.
En présence d'une formule et de sa négation, les trois logiques, classique, intuitionniste et minimale, concluent toutes trois à une contradiction
Logique minimale et logique intuitionniste acceptent le théorème
De même, elles permettent de prouver
Glivenko a démontré en 1929 que f est un théorème du calcul propositionnel classique si et seulement si