La naissance du calcul différentiel et infinitésimal au XVIIe siècle mena à l'introduction et à l'utilisation de quantités infiniment petites. Leibniz ou Euler en firent grand usage. Cependant, ils ne purent éclairer pleinement la nature même de ces infiniment petits. Leur usage disparut au XIXe siècle avec le développement de la rigueur en Analyse, depuis Cauchy jusqu'à Weierstrass ou Dedekind.
Il fallut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour qu'une introduction rigoureuse des infiniment petits soit proposée. En 1960, Abraham Robinson définit les infiniment petits par une ultra-puissance de
Ces 3 axiomes sont plus connus sous le nom IST.
Le sens du qualificatif standard donné par ces axiomes est celui d'objet appartenant à l'horizon perceptible, non standard comme étant au-delà de l'horizon perceptible. Un ensemble peut donc être standard ou non standard (on dit aussi charmé), il ne peut être les deux. Seront standard les objets usuels des mathématiques classiques (1, 2, π, ...). Les infiniments petits ou infiniments grands introduits seront non standard.
Il y a deux types d'applications :
Soit R(x,y) une relation classique (une relation classique est une relation ne faisant pas intervenir le nouveau prédicat " standard " dans son énoncé. Il s'agit donc d'une relation usuelle de nos mathématiques de tous les jours). L'axiome d'idéalisation affirme que les deux propositions suivantes sont équivalentes:
L'axiome signifie que, pour trouver un élément x qui vérifie une propriété relative à tous les éléments y standard, il faut et il suffit de trouver un tel x relatif aux éléments y de n'importe quel ensemble standard fini.
Nous voulons montrer que : il existe x entier, tel que, pour tout y standard entier, x > y. Soit donc R(x,y) défini par : x est entier et y est entier et x > y. La proposition 1 de l'axiome d'idéalisation est bien vérifié : si F est fini (standard ou non d'ailleurs), il existe bien un entier x supérieur aux entiers y éléments de F. Par conséquent, l'axiome d'idéalisation énonce que la proposition 2 est aussi vérifiée et celle-ci correspond à notre énoncé.
Il existe donc un entier x supérieur à tous les nombres entiers standard. Cet entier sera donc non standard, sinon, il serait supérieur à lui-même. Nous venons donc de montrer qu'il existe au moins un entier non standard. Les entiers supérieurs à x sont a fortiori non standard, sinon, x leur serait supérieur. Pour cette raison, dans l'ensemble
Considérons la relation x différent de y dans un ensemble E infini. Pour chaque partie finie standard F, nous trouvons un élément x noté xF appartenant à E tel que x soit différent de y pour tout y appartenant à F, puisque E est infini.
L'axiome d'idéalisation fournit alors l'existence d'un élément charmé (ou non standard) x appartenant à E et différent de tous les éléments standard y appartenant à E.
On en déduit la propriété suivante :
et par contraposition :
Ce théorème énonce que, si E est un ensemble, il existe une partie finie X de E contenant tous les éléments standard de E. Les éléments standard d'un ensemble sont donc en nombre fini. On définit pour cela la relation R(X,y) suivante : X est inclus dans E, X est fini et si y est élément de E, alors y est élément de X. La proposition 1 de l'axiome d'idéalisation est bien vérifée pour toute partie finie F (standard ou non d'ailleurs) en prenant X l'intersection de F et E. Par conséquent, la proposition 2 de l'axiome d'idéalisation permet de valider le théorème de Nelson.
On notera que la partie X donnée par l'axiome est une partie interne ou classique. Elle ne se limite pas nécessairement aux seuls éléments standard de E, car, a priori, la collection des éléments standard, définie à partir de la relation non classique " être standard " est un objet externe, c'est-à-dire étranger aux mathématiques usuelles. En effet, la relation "être standard" ne fait pas partie des relations auxquelles s'appliquent les axiomes de ZFC, ce qui veut dire qu'il n'existe pas d'ensemble ne contenant que les entiers standards. Ainsi, dans les entiers, un ensemble X contenant tous les entiers standard est de la forme {0, 1, 2, ..., n} avec n non standard, et cet ensemble contient aussi des entiers non standard.
Dès que tous les paramètres Ei d'une valeur classique F ont des valeurs standard :
Autrement dit, pour vérifier qu'une formule usuelle dépendant de paramètres standard est vraie pour tout x, il suffit de la vérifier pour tout x standard. Intuitivement, nous ne pouvons accéder qu'aux éléments standard, et ce sont eux qui nous permettront de vérifier une formule classique. Cet axiome peut aussi s'exprimer (par négation) :
Si une propriété classique est vraie pour un x, alors elle est vraie pour un x standard. En voici quelques conséquences. La plus importante est le fait que si un objet mathématique est défini de façon classique de manière unique à partir d'objets standard, il est nécessairement standard. C'est donc le cas de
Enfin, cet axiome permet de montrer que, pour voir que deux ensembles standard sont égaux, il suffit de vérifier qu'ils possèdent les mêmes éléments standard. Ainsi, la seule partie standard de
Soit E un ensemble standard, soit P une propriété quelconque, faisant ou non intervenir le postulat " standard ". Alors :
Cet axiome ne présente d'intérêt que si la propriété P est non classique (elle utilise le postulat " standard "). A n'est autre qu'un ensemble standard dont les éléments standard sont les éléments standard de E vérifiant la propriété P. Il se peut que A possède d'autres éléments, mais ils seront non standard. Par ailleurs, un ensemble standard étant défini de maniére unique par ces éléments standard, il en résulte que A est unique. On l'appelle le standardisé de la collection {x élément de E | P(x)} qui, a priori, n'est pas un ensemble au sens ZFC. L'interprétation intuitive qu'on peut donner à cet axiome est le suivant : la collection {x élément de E | P(x)} ne nous est pas directement accessible. Nous ne pouvons concevoir que son standardisé. Nous insistons sur le fait que, si la propriété P utilise le postulat " standard ", cette propriété est étrangère à l'axiomatique de Zermelo-Fraenkel (puisque le mot " standard " ne fait pas partie de cette axiomatique), et donc que la collection {x élément de E | P(x)} n'est pas un ensemble au sens de Zermelo-Fraenkel, c'est pourquoi nous la qualifions de collection. (plus techniquement, la propriété P n'est pas nécessairement collectivisante, et la notation {x élément de E | P(x)} est formellement aussi illégale que le serait, par exemple, {x | x=x} pour désigner l'ensemble de tous les ensembles).
Par exemple, considérons E =
Considérons maintenant E =
Rappelons que nous qualifions d'internes ou classiques les propriétés ou les ensembles n'utilisant pas le mot " standard ". Nous appelons externes ou non classiques les propriétés utilisant ce mot. Toutes les propriétés connues classiques restent valides en Analyse non standard. Ainsi,
En revanche, le prédicat standard étant non classique, l'axiome de récurrence ne s'y applique pas. Ainsi, 0 est standard ; si n est standard, n + 1 aussi. Cependant, il existe des entiers non standard supérieurs à tous les entiers standard. De tels entiers non standard sont appelés infiniment grand.
Tout entier standard est inférieur à tout entier non standard. Si n est non standard, il en de même des éléments supérieurs à n et de n – 1. On peut voir
On ne peut parler du plus petit entier non standard, pas plus que nous ne pouvons parler du plus grand entier standard, car ces ensembles ne sont pas classiques, et on ne peut donc pas leur appliquer les propriétés classiques de
Si P est une propriété quelconque, on montre que
On montre qu'on peut partitionner l'ensemble
Par exemple : 0,000...01 est infiniment petit si le nombre de 0 est un entier infiniment grand. Ce nombre est alors infiniment proche de 0.
Si n est un entier infiniment grand, alors 1/n est infiniment petit.
On montre également que, pour chaque réel limité x, il existe un unique réel °x standard tel que la différence x – °x soit infinitésimale. °x s'appelle partie standard de x.
Par exemple, 0,3333.....333 où le nombre de 3 est un entier infiniment grand est un réel limité non standard, dont la partie standard est 1/3.
Tout réel limité se décompose de manière unique sous la forme standard + infinitésimal.
Les réels infiniment proches d'un réel donné constituent le halo de ce réel.
Nous allons donner des propriétés non classiques des suites, qui, dans le cas des suites standard, coïncideront avec des propriétés usuelles.
Pour une suite standard (an), il y a équivalence entre :
En effet, si (an) est standard et converge vers l, sa limite est standard (par transfert) et vérifie :
Par transfert, on a alors :
Si on prend n infiniment grand, n est alors supérieur à N donc | an - l | < ε, et cette inégalité étant vérifiée pour tout ε standard, on a bien an ≈ l
Réciproquement, si, pour tout n infiniment grand, an ≈ l avec l standard, alors :
Il suffit en effet de prendre N infiniment grand.
et par transfert :
ce qui est la définition de la convergence.
On notera bien que l'équivalence énoncée n'est valide que pour les suites standard. Si on définit en effet an = ( − 1)nα avec α infiniment petit, alors an ≈ 0 pour tout n et pourtant la suite (an) ne converge pas (mais cette suite n'est pas une suite standard).
Pour une suite (an) standard, il y a équivalence entre :
En effet, si l est limite d'une sous-suite de (an), alors l est standard par transfert, et pour tout ε > 0, il existe une infinité de n tel que | an - l | < ε. Cette propriété est donc vraie pour ε infiniment petit, et comme elle est vérifiée par une infinité de n et qu'il n'existe qu'un nombre fini d'entiers standard, il existe donc n infiniment grand tel que | an - l | < ε. Mais comme ε est infiniment petit, cela signifie que (an) ≈ l.
Réciproquement, s'il existe n illimité tel que (an) ≈ l, alors :
er par transfert :
ce qui exprime que l est valeur d'adhérence de la suite (an) et dans ce cas, il existe bien une sous-suite de (an) qui converge.
On en déduit le théorème de Bolzano-Weierstrass, qui exprime, que, de toute suite réelle bornée, on peut extraire une sous-suite qui converge. Par transfert, il suffit de montrer ce théorème sur les suites standard. Soit donc (an) une suite standard bornée. Tous ses termes sont limités car, par transfert, on peut prendre un majorant et un minorant de (an) standard. On prend alors n illimité et l = °an partie standard de an. On applique alors l'équivalence montrée précédemment, la propriété 2 étant vérifiée.
Pour une suite (an) standard, il y a équivalence entre :
La démonstration suit une démarche comparable à celles des paragraphes précédents.
Montrons que, dans
La continuité d'une fonction dans
On montre le théorème des valeurs intermédiaires de la façon suivante. Soit f continue sur un segment [a,b] avec f(a) < 0 et f(b) > 0. Alors il existe c entre a et b tel que f(c) = 0. En effet, par transfert, il suffit de montrer ce théorème pour f, a et b standard. Soit N un entier illimité et
On montre d'une façon comparable que f admet un maximum et un minimum.
Pour une fonction standard, il y a équivalence entre
Par exemple, la fonction qui à x associe x2 est continue, puisque, si x est standard et y infiniment petit, on a :
Par contre, cette fonction n'est pas uniformément continue puisque, si x est infiniment grand et si y = 1/x, alors (x+y)2 = x2 + 2 + y2 qui n'est pas infiniment proche de x2.
Sur un segment [a,b], toute fonction continue f est uniformément continue. Par transfert, il suffit de montrer cette propriété pour f, a et b standard. Les éléments du segment sont alors tous limités, donc admettent tous une partie standard. Si x est élément de [a,b], °x sa partie standard et y infiniment petit, on a :
Pour une fonction standard définie sur un intervalle standard de
Pour une fonction standard f sur [a , b] = I standard , il y a équivalence entre
Nous donnons ci-dessous des exemples d'équivalent en analyse non standard de notions de l'analyse classique, lorsqu'elles sont appliquées à des objets standard. Celles-ci ont pour but de montrer l'ampleur des domaines à explorer.