Le produit vectoriel est une opération vectorielle effectuée dans les espaces euclidiens orientés de dimension trois[1]. Le formalisme utilisé actuellement est apparu en 1881 dans un manuel d'analyse vectorielle écrit par Josiah Willard Gibbs pour ses étudiants en physique. Les travaux de Hermann Günther Grassmann et William Rowan Hamilton sont à l'origine du produit vectoriel défini par Gibbs[2],[3].
En 1843, Hamilton inventa les quaternions qui permettent de définir le produit vectoriel. Indépendamment et à la même période (1844) Grassmann définissait dans Die lineale Ausdehnungslehre ein neuer Zweig der Mathematik un " produit géométrique " à partir de considérations géométriques ; mais il ne parvient pas à définir clairement un produit vectoriel. Puis Grassmann lit Hamilton et s'inspire de ses travaux pour publier en 1862 une deuxième version de son traité qui est nettement plus claire[4]. De même, Hamilton a lu les travaux de Grassmann et les a commentés et appréciés[5]. Plus tard Maxwell commença à utiliser la théorie des quaternions pour l'appliquer à la physique. Après Maxwell, Clifford modifia profondément le formalisme de ce qui devenait l'analyse vectorielle. Il s'intéressa aux travaux de Grassmann et Hamilton avec une nette préférence pour le premier[3]. En 1881, Gibbs publia Elements of Vector Analysis Arranged for the Use of Students of Physics s'inspirant des travaux déjà réalisés notamment ceux de Clifford et Maxwell. Si les physiciens se sont empressés d'utiliser le formalisme de Gibbs, celui-ci ne fut accepté en mathématiques que bien plus tard après plusieurs modifications.
Peter Guthrie Tait dans la préface de la troisième édition de son traité sur les quaternions qualifia le nouveau formalisme créé par Gibbs de " monstre hermaphrodite, composé des notations de Hamilton et Grassmann "[6].
Plusieurs notations sont en concurrence pour le produit vectoriel :
Dans cet article, on utilise la première convention.
Soit E un espace vectoriel euclidien orienté de dimension 3. Par le choix d'une base orthonormée, E peut être identifié avec l'espace R3, mais cette identification n'est pas obligatoire pour définir le produit vectoriel.
D'un point de vue géométrique, le produit vectoriel de deux vecteurs
La notion d'orientation peut ici être comprise de manière élémentaire en utilisant la règle de la main droite : le pouce, l'index et le majeur écartés en un triède indiquent respectivement le sens de u, de v et de w. Cette définition, utilisée dans l'enseignement secondaire, n'est pas totalement satisfaisante.
Une seconde définition utilise la théorie des déterminants et la notion de produit mixte comme point de départ. Le produit mixte de trois vecteurs u,v,w, noté [u,v,w], est le déterminant de ces trois vecteurs dans une base orthonormale directe quelconque. La formule de changement de base montre que ce déterminant est indépendant du choix de la base ; géométriquement il est égal au volume orienté du parallélépipède appuyé sur les vecteurs u, v, w. Le produit vectoriel de deux vecteurs u et v est l'unique vecteur u
L'existence et l'unicité d'un tel vecteur sont un cas particulier simple du théorème de Riesz. Le produit vectoriel s'interprète comme les variations du volume orienté d'un parallélépipède en fonction du troisième côté
Le choix d'une base orthonormée directe donne une identification de E et de R3. Notons les coordonnées u=(u1,u2,u3) et v=(v1,v2,v3). Leur produit vectoriel est donné par :
Cette identité pourrait être prise comme une troisième définition, à condition de prouver que le vecteur obtenu est indépendant de la base orthonormale directe choisie pour le calculer.
Introduisons un vecteur w= (w1,w2,w3) et utilisons la définition par le produit mixte. Ce dernier est donné par :
En développant le déterminant par rapport à la troisième colonne :
Ce qui donne les coefficients de
Le produit vectoriel est un produit distributif, anticommutatif, non associatif :
Ces propriétés découlent immédiatement de la définition du produit vectoriel par le produit mixte et des propriétés algébriques du déterminant.
Comme crochet de Lie, le produit vectoriel satisfait l'identité de Jacobi :
D'autre part, il satisfait aux identités de Lagrange :
En partant de l'identité algébrique :
on peut démontrer facilement l'égalité (aussi appelée identité de Lagrange) :
que l'on peut aussi écrire sous la forme :
ce qui équivaut à l'identité trigonométrique :
et qui n'est rien d'autre qu'une des façons d'écrire le théorème de Pythagore.
Le produit vectoriel est invariant par l'action des isométries vectorielles directes. Plus exactement, pour tous vecteurs u et v de E et pour toute rotation f de E, on a :
Cette identité peut être prouvée différemment suivant l'approche adoptée :
Définition géométrique : L'identité est immédiate avec la première définition, car f préserve l'orthogonalité, l'orientation et les longueurs.
Produit mixte : L'isomorphisme linéaire f laisse invariant le produit mixte de trois vecteurs. En effet, le produit mixte de f(u), f(v), f(w) peut être calculé dans l'image par f de la base orthonormée directe dans la quelle le produit mixte de u, v et w est calculé. De fait, l'identité précédente s'obtient immédiatement :
Toute isométrie directe de R3 est une rotation vectorielle. L'ensemble des isométries directes forme un groupe de Lie classique noté SO(3) (autrement dit, un sous-groupe fermé de GL3(R)). Son algèbre de Lie, notée so(3) est la sous-algèbre de Lie de gl3(R) définie comme l'espace tangent de SO(3) en l'identité. Un calcul direct montre qu'il est l'espace des matrices antisymétriques de taille 3. Cet espace est a fortiori stable par le crochet de Lie.
Toute matrice antisymétrique M de taille 3 s'écrit de manière unique :
En identifiant M et le vecteur (a,b,c), on définit un isomorphisme linéaire entre so(3) et R3. Le crochet de Lie se transporte via cet isomorphisme, et R3 hérite d'une structure d'algèbre de Lie. Le crochet [u,v] de deux vecteurs est précisément le produit vectoriel de u et de v.
En effet, si u1=(a1, b1, c1), et u2=(a2, b2, c2), leur crochet se calcule en introduisant les matrices antisymétriques correspondantes M1 et M2 :
Le vecteur correspondant, à savoir [u,v], a donc pour coordonnées (bc'-b'c,ca'-c'a,ab'-a'b). Cette approche redéfinit donc le produit vectoriel.
Si on suit cette approche, il est possible de prouver directement l'invariance du produit vectoriel par isométries
En tant qu'algèbres de Lie, so(3) a été identifié à R3. L'action (linéaire) de SO3(R) sur R3 s'identifie à l'action par conjugaison sur so(3). SO3(R) opère donc par automorphisme d'algèbres de Lie. Autrement dit, l'identité ci-dessus est vérifiée.
Il est possible de retrouver produit vectoriel et produit scalaire à partir du produit de deux quaternions purs. Pour rappel, le corps (non commutatif) des quaternions H est l'unique extension de R de dimension 4. Sa base canonique est (1,i,j,k) où le sous-espace engendré par i, j, k forme l'espace des quaternions purs, canoniquement identifié avec R3. Ces éléments vérifient :
Si q1=a1i+b1j+c1k et q2 = a2i+b2j+c2k, le produit q1q2 se calcule immédiatement :
La partie réelle est au signe près le produit scalaire de q1 et de q2, la partie imaginaire est un quaternion pur qui correspond au produit vectoriel, après identification avec R3.
Cette coïncidence trouve ses explications dans le paramétrage du groupe SO(3) par les quaternions unitaires.
L'application linéaire envoyant 1 sur 1, i sur -i, j sur -j et k sur -k est appelée la conjugaison. Le conjugué d'un quaternion q est noté
Cette action préserve la norme ; autrement dit, c'est une action par isométries. Elle définit donc un morphisme de groupes :
Ce morphisme est en réalité le revêtement universel du groupe SO(3). Il induit donc un isomorphisme entre les algèbres de Lie.
L'algèbre de Lie de S3 est justement l'espace des quaternions imaginaires munis du crochet de Lie obtenu comme la partie imaginaire du produit des quaternions. Cette algèbre de Lie est isomorphe à l'algèbre de Lie R3 (muni du produit vectoriel).
C'est la raison fondamentale pour laquelle la partie imaginaire de deux quaternions imaginaires s'identifie au produit vectoriel.
Il est de nouveau possible de justifier l'invariance par isométrie. Toute isométrie de l'espace des quaternions imaginaires s'écrit comme la conjugaison par un quaternion unitaire. Si q est un quaternion unitaire, et q1, q2 sont des quaternions imaginaires, il suffit de constater :
pour en déduire l'invariance par isométrie du produit vectoriel.
Soient deux vecteurs à trois composantes ui et vj. On peut définir le tenseur
qui, en notation tensorielle, s'écrit simplement :
Ce tenseur peut se décomposer en la demi-somme de deux tenseurs, l'un complètement symétrique :
qui a 6 composantes indépendantes, et l'autre complètement anti-symétrique :
qui a 3 composantes indépendantes. On peut alors " transformer " ce tenseur anti-symétrique en un vecteur à trois composantes en utilisant le symbole de Levi-Civita
(selon la convention de sommation d'Einstein, on somme sur i et sur j dans la formule ci-dessus). Le vecteur zk est le produit vectoriel de ui et vj.
On voit que si l'on échange les indices i et j, le signe change, ce qui illustre l'antisymétrie du produit vectoriel. En outre le résultat est un " pseudovecteur " puisqu'il est renversé si on change l'orientation de l'espace.
On définit l'opérateur rotationnel comme suit :
Le moment d'une force est défini comme le produit vectoriel de cette force