Des structures magnétiques chirales aux parois de domaines ferroélectriques
(c) Iuliia Kanivets Une collaboration impliquant le CEA-Iramis montre que la perte locale de symétrie au niveau des parois de domaines ferroélectriques dans un
matériau antiferromagnétique est à l'origine d'ébauches de vortex de spin (skyrmions), topologiquement "chirales" (avec
enroulement droit ou gauche des spins). Une voie nouvelle pour produire de véritable skyrmions antiferromagnétiques ?
Les skyrmions sont des vortex ou tourbillons de spin qui peuvent être présents dans des supraconducteurs ou des cristaux liquides nématiques. Leur petite taille, leur faible coût et leur stabilité sont autant d'atouts pour leur utilisation dans des dispositifs de stockage de l'information de très haute
densité.
Il est maintenant possible de produire des skyrmions dans des multicouches ferromagnétiques où une brisure de symétrie autorise une
interaction asymétrique entre spins adjacents, favorisant un enroulement chiral de l'aimantation. Des "bulles" chirales peuvent ainsi être créées et déplacées sous l'action d'un
courant électrique. La
trajectoire de ces bulles est cependant déviée et ne suit pas les lignes de courant.
Par ailleurs, les matériaux antiferromagnétiques - dont l'aimantation globale est nulle, les spins adjacents étant antiparallèles - apparaissent prometteurs en spintronique: leur structure magnétique est intrinsèquement stable et leur
vitesse de commutation se situe dans le régime
térahertz (10
12 Hz).
L'idée des chercheurs consiste à réaliser des "skyrmions antiferromagnétiques" qui pourraient être guidés en ligne droite, à des vitesses très supérieures à celles observées dans les ferromagnétiques. Plusieurs problèmes doivent cependant être surmontés. Ces skyrmions sont très difficiles à stabiliser et la manipulation de l'ordre antiferromagnétique est très difficile. D'où le choix d'un matériau multiferroïque, à la fois antiferromagnétique et ferroélectrique, comme le ferrite de bismuth BiFeO
3, dans lequel un
champ électrique permet d'influencer l'ordre magnétique.
Les chercheurs ont donc étudié des couches de SrTiO
3/SrRuO
3/BiFeO
3 qui présentent une grande densité de parois ferroélectriques (séparant deux domaines de
polarisation électrique d'orientations différentes) obtenus pour des conditions particulières de croissance.
L'étude a été réalisée en partie au synchrotron Soleil en "
diffraction résonante en réflectivité". Cette technique sensible permet de mettre en évidence la
chiralité des structures magnétiques en analysant la différence d'intensité de diffraction entre du
rayonnement X de polarisation circulaire gauche et droite. Les mesures, confortées par la modélisation, révèlent un
réseau rectangulaire d'entités magnétiques chirales, au niveau des parois de domaines de la structure ferroélectrique. Ces entités ne sont que des ébauches de skyrmions mais elles doivent permettre de faire émerger de "vrais" skyrmions, avec leur
topologie caractéristique complète.
Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le synchrotron Soleil (St-Aubin), l'Unité mixte de physique CNRS-Thales (Palaiseau) et le Laboratoire Charles Coulomb (Université de Montpellier-CNRS).
Références:
Electric and antiferromagnetic chiral textures at multiferroic domain walls, Nature Materials