Retrouver les équations d'un système environnemental exclusivement à partir de mesures ?

Publié par Adrien le 04/03/2019 à 08:00
Source: CNRS-INSU
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Qu'il s'agisse de comprendre le mouvement de corps célestes dans l'univers, l'écoulement de l'eau en amont de la source du Doubs, la croissance d'un champ de curcuma dans le Kerala ou encore la flambée d'une épidémie de peste noire au Moyen Âge en Europe, il est souvent nécessaire de recourir à une représentation mathématique pour mieux appréhender les évolutions que l'on observe. Cela requiert alors de formaliser sous la forme d'équations de la dynamique les interactions entre les grandeurs mises en jeu. Des chercheurs du Centre d'études spatiales de la biosphère (CESBIO/OMP, UPS / CNES / CNRS / IRD), ont démontré qu'il était possible, pour au moins 28 cas théoriques, de remonter aux équations originales de la dynamique directement à partir de séries temporelles.

Dans le passé, la démarche pour obtenir les équations qui décrivent des processus dynamiques se faisait par un va-et-vient entre observation et théorie, les observations servant de base pour construire notre représentation théorique du monde, puis d'élément de validation ou d'invalidation.

C'est dans les domaines de l'ingénierie électrique et des statistiques, autour des années 1980, qu'a émergé l'idée d'obtenir des équations directement à partir de séries temporelles d'observations. Les premiers développements étaient alors essentiellement linéaires et donc peu adaptés aux phénomènes réels. Ce n'est qu'au cours des années 1990 que les premiers modèles ont pu être obtenus pour des dynamiques non linéaires, et ce pour des cas théoriques et expérimentaux. Ces premiers modèles, reconstruits automatiquement à partir de séries temporelles, permettaient de reproduire la dynamique originale de façon très satisfaisante, mais pour des raisons d'équifinalité, les équations obtenues n'étaient pas nécessairement celles des systèmes originaux.

En 2015, un modèle à 3 équations a pu être obtenu pour décrire la dynamique de l'épidémie de peste qui a sévi à Bombay (aujourd'hui Mumbai) au début du XXe siècle. Ce modèle était inattendu, car permettant de formaliser mathématiquement, directement à partir d'observations, le couplage dynamique entre le nombre de décès humains et le nombre de cas d'infection de deux groupes de rongeurs (rats noirs et rats bruns), et dans une formulation très différente de celles des modèles communément utilisés en épidémiologie. De plus, une interprétation éco-épidémiologique de chacun des termes de ce modèle a pu être proposée, laissant entrevoir l'idée que les équations responsables de la dynamique d'un système peuvent être directement extraites de données observationnelles.

Deux chercheurs du CESBIO ont mis en place un ensemble d'expérimentations numériques pour tester la possibilité de remonter aux équations originales en partant de séries temporelles issues de l'intégration numérique d'équations aux dérivées ordinaires. L'algorithme GPoM (Generalized polynomial modelling) qui avait été utilisé pour obtenir le modèle éco-épidémiologique de peste évoqué ci-dessus a été réutilisé à cet effet en suivant la même procédure de recherche de modèle. Cet algorithme s'appuie sur la technique de modélisation globale initiée au cours des années 1990. Il vise à obtenir des équations aux dérivées ordinaires polynomiales directement à partir de séries observationnelles. Initialement, cette technique était destinée à être appliquée à une variable unique. L'algorithme GPoM utilisé dans cette étude s'appuie sur le même formalisme théorique, mais son fonctionnement a été modifié et généralisé pour travailler avec plusieurs variables.

Une première série d'expérimentations numériques a été conduite, visant à tester le potentiel de l'approche sur un système particulier, le système chaotique de Rössler-1976. Ce système dynamique a été choisi pour sa capacité à générer une certaine complexité dynamique à partir d'une formulation très simple (trois variables et une seule non-linéarité pouvant donner lieu à une trajectoire imprévisible à long terme). L'approche a également été testée en situations dégradées, en modifiant la longueur des séries temporelles, leur échantillonnage, les conditions initiales, le régime dynamique (notamment périodique ou chaotique), ou encore en bruitant les observations et en perturbant le système. Ces expérimentations ont prouvé la possibilité de retrouver les équations originales de ce système particulier.


Partant de l'observation du nombre x(t) de décès humain, du nombre y(t) de rats bruns capturés infectés et du nombre z(t) de rats noirs capturés infectés lors de l'épidémie de peste bubonique de Bombay (observations effectuées ici par quinzaine sur la période 1907-1912), un modèle de trois équations et 10 termes a pu être obtenu. Une interprétation complète du modèle a pu être proposée.

Une deuxième série d'expérimentations a alors été menée pour explorer la généralité du résultat en appliquant le même outil sur de nombreux systèmes dynamiques. Vingt-sept autres systèmes ont été testés, toujours de petite dimension (jusqu'à cinq variables), mais tous non triviaux et très diversifiés dans leurs propriétés dynamiques, géométriques, algébriques, statistiques et topologiques. Ces systèmes incluaient des modèles de convection, de climat, de particules dans une boîte, de croissance tumorale, de dynamo terrestre, d'oscillateurs couplés, de dynamique de population, ainsi que de nombreux cas purement mathématiques. L'algorithme de modélisation étant polynomial, quatre systèmes non polynomiaux ont également été inclus dans cet ensemble afin d'identifier les risques de mésinterprétation.

Les résultats de cette seconde série d'analyses ont permis de montrer la puissance de l'outil, la plupart des équations originales étant retrouvées, souvent complètes, parfois partielles, selon la concision des systèmes considérés (nombre de termes), et généralement sans détections erronées. Les résultats des tests appliqués aux systèmes non polynomiaux les plus complexes n'ont pas été faussement associés à des modèles polynomiaux (toutes les équations ayant été rejetées) tandis que les formulations obtenues pour les systèmes non polynomiaux moins complexes correspondaient elles à une approximation formelle en séries de Taylor. En outre, les résultats se sont avérés robustes au bruit, le niveau de tolérance pouvant toutefois varier fortement d'un système à l'autre.


Partant ici d'un jeu de trois séries temporelles x(t), y(t) et z(t) obtenues par intégration du modèle de Nosé-Hoover (1984), le jeu d'équation original est retrouvé parmi un ensemble de plus d'un milliard de formulations possibles, avec une erreur sur ses paramètres inférieure à 15%. Ce système est particulièrement frappant dans la mesure où les trois variables sont presque complètement décorrélées.

L'ensemble de ces résultats renforcent l'idée qu'il est possible de remonter aux équations originales d'un système lorsque celui-ci est polynomial et suffisamment concis (dans le meilleur des cas, jusqu'à 9 termes pour une reformulation complète), et qu'une formulation approchée peut également être obtenue lorsque les équations originales sont proches d'une formulation polynomiale. Pour cette raison, tout en gardant en tête le potentiel de l'approche à obtenir une formulation concise des équations, il apparaît envisageable de proposer une interprétation contextuelle (biologique, physique, chimique, épidémiologique, etc.) pour les termes des modèles obtenus avec cet outil.

Ce travail a été financé par le programme LEFE du CNRS-INSU dans le cadre des projets AMoGlo (Assimilation de données dans un modèle chaotique obtenu par modélisation globale), SpatioGloMo (Modélisation globale spatialisée) et MoMu (Modélisation globale multivariée) et par le programme Défi InFiNiTi du CNRS dans le cadre du projet Musc & SlowFast (Modélisation multiéchelle des systèmes lents-rapides).
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