Le retour de la couche détachée de Titan

Publié par Adrien le 05/06/2018 à 00:00
Source: CNRS-INSU
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Parmi les diverses structures que l'on trouve dans les atmosphères planétaires, les "couches détachées" sont en général remarquables. On en trouve dans l'atmosphère terrestre, sur Titan, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne et enfin sur Pluton. Dans la plupart des cas, ce sont des structures temporaires issues d'un processus s'écartant d'une situation stationnaire établie. Il s'agit de couches nuageuses transitoires ou de panaches de poussières produits par une circulation particulière ou par une activité ondulatoire. Ces couches ont un temps de vie caractéristique de quelques heures ou quelques jours et, en tous les cas, assez court par rapport au cycle saisonnier. Pour Pluton, l'activité ondulatoire semble travailler la couche de brume et créer des petites structures détachées semblables aux structures secondaires qui strient la couche détachée de Titan. Pour autant, leurs modes de formation peuvent différer. Ces structures sont particulièrement intéressantes car elles révèlent les interactions entre la dynamique et les processus physiques.

La couche détachée de Titan est particulière et diffère de celles trouvées sur les autres corps car elle semble être quasi-permanente et globale. Il s'agit d'une "coquille" de brume continue à toutes les longitudes couvrant la couche principale du pôle sud à la région polaire nord, où elle fusionne avec la couche polaire d'hiver (Figure 1). Elle a été observée par l'instrument ISS des sondes Voyager en 1980 et 1981 puis de nouveau par ISS sur Cassini en 2004. Entre ces deux dates, la couche est montée d'une altitude de 350 km à 515 km ce qui paraîssait, au départ, mystérieux. Les modèles de climat montrent que cette couche est modelée par les vents et constitue un révélateur de la circulation atmosphérique. C'est aussi l'endroit où convergent et se mélangent les produits de la chimie (molécules organiques et prébiotiques, précurseurs d'aérosols) formés à très haute altitude et les aérosols déjà anciens de la couche principale. Cette théorie a cependant été contestée et mise en concurrence avec d'autres scénarii basés sur le rôle des processus microphysique uniquement.


Figure 1: Photos de Titan recomposées en couleur à partir des observations de l'imageur ISS à bord de Cassini. A gauche: Vue globale de la couche détachée, fin liseré bleuté recouvrant entièrement la couche principale de Titan. A droite: Détail de la couche où l'on voit les stries probablement produites par de l'activité ondulatoire au dessus de la couche détachée. Crédit: NASA/JPL-Caltech/SSI/B. Seignovert

Le suivi de la couche détachée grâce aux observations de Cassini sur la période 2004-2017 a permis de cerner une fraction importante du cycle saisonnier sur Titan. Cette période inclut la transition de l'équinoxe en 2009 qui voit la circulation basculer en quelques années, emportant ainsi la brume dans son mouvement. Alors qu'elle était stable depuis le début de la mission, à l'équinoxe, la couche détachée a commencé une descente rapide due à l'affaiblissement de la circulation verticale qui l'a amenée à 350 km en 2011, une année Titanienne après les visites de 1980 et 1981. On comprend alors que Voyager a, en réalité, observé un moment de transition plutôt qu'une situation stationnaire. En 2011-2012, la couche détachée disparaît complètement. Les modèles de climat prédisent alors sa réapparition autour du solstice suivant (avril 2017), directement à son altitude de départ, c'est à dire autour de 500 km10,11. Le retour de la couche détachée, dans les conditions prédites, constitue le test ultime pour valider l'origine dynamique de cette couche.

La réapparition, attendue au solstice, a eu lieu en réalité au début de 2016. Par une coincidence incroyable, Robert West était au GSMA pendant cette nouvelle phase du cycle saisonnier, invité pendant 4 mois grâce au programme "Expertise de chercheur invité" de la région Champagne-Ardenne. Nous avons donc pu analyser cette structure en train d'apparaître, en profitant d'un accès direct aux données et de son expertise sur ce type d'analyse. Une structure cohérente a pris forme à l'échelle de la planète et gagne en intensité au cours du temps. La surprise vient du fait que cette première couche tombe ensuite d'une centaine de kilomètres en une année et disparait, laissant place à une autre couche qui réapparait plus haut et semble plus stable (Figure 2). Mais, la fin de la mission Cassini, en septembre 2017, est venue interrompre ce suivi et nous ne saurons donc pas ce qu'il se passe ensuite. Seuls les modèles de climat pourront compléter l'histoire, avec l'aide de futures observations d'occultations stellaires, sensibles à la signature thermique de cette couche, et en attendant une nouvelle mission.


Figure 2: Carte de l'extinction de la brume à l'équateur en fonction du temps (niveau de couleur) et altitude de la couche détachée établie à partir des profils I/F de Cassini (disques rouges, losanges cyans, carrés jaunes), de Voyager (triangle bleu) et d'occultation stellaire (étoiles violette et verte). La taille des cercles rouges est proportionnelle à l'épaisseur verticale de la couche de brume détachée. Les lignes pointillées verticales indiquent les emplacements des images que nous avons utilisées pour établir la carte des contours.

Ce résultat valide complètement l'origine dynamique de la couche détachée de Titan et montre que son évolution est conforme aux principales prédictions des modèles. Cependant, des différences notables existent entre modèles et réalité: l'altitude de la couche détachée et le timing du changement dans les modèles ne sont pas exactement conformes à la réalité. De plus, la couche détachée apparaît comme un surplus d'aérosols au dessus de 500 km dans les modèles, ajouté à la brume principale, alors qu'en réalité la couche détachée est matérialisée par une zone entre les deux couches quasiment dépourvue d'aérosols. Le retour de la couche détachée se passe de façon inattendue, avec ce scénario en deux temps, et qui n'est peut-être pas terminé. Ces résultats vont donc donner des contraintes assez strictes aux modèles de climat pour mieux comprendre le cycle saisonnier des aérosols, mais aussi de la dynamique dans la mesosphère. Grâce au corpus de donnée produit par les différents instruments de la mission Cassini, les études multi-instrumentales devraient, dans le futur, permettre d'étudier plus en détail ces interactions et de mieux caractériser cette zone éminemment complexe.


Figure 0: Petite collection de couches détachées observées dans le système solaire. De haut en bas et de gauche à droite, sur terre, Mars, Vénus, Jupiter, Saturne et Pluton.
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