Reptilien ou mammifère ? Un cerveau sur commande

Publié par Isabelle le 04/07/2018 à 12:00
Source: Université de Genève (UNIGE)
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Une équipe internationale de chercheurs, dont l'UNIGE fait partie, a découvert que la constitution d'un cerveau reptilien ou mammifère ne dépend que de l'expression de trois gènes.


Embryon de serpent des blés (Pantherophis guttatus) 10 jours après la ponte. Les expériences sur le développement du cerveau ont été effectuées à des stades plus précoces: entre 4 et 6 jours après la ponte. © Athanasia Tzika, UNIGE]

Le cerveau des mammifères est caractérisé par le développement d'un néocortex qui se superpose au cerveau plus ancien dit 'reptilien'. Des recherches antérieures ont démontré que cette distinction découle de la manière dont les neurones sont fabriqués: on parle de neurogénèse directe pour la partie ancienne du cerveau, et indirecte pour le néocortex. Mais comment le cerveau choisit l'une ou l'autre méthode ? Une équipe de chercheurs de Saint Joan d'Alacante en Espagne, en collaboration avec des scientifiques de l'Université de Genève (UNIGE), du SIB Institut Suisse de Bioinformatique, américains et allemands, ont découvert que le contrôle du processus direct ou indirect de fabrication des neurones ne dépend que de l'expression de trois gènes distincts. Les scientifiques ont par la suite été capables de contrôler ce processus, créant des tissus corticaux de mammifère chez le serpent et de tissus reptiliens chez la souris! Ces résultats, à lire dans la revue Cell, ouvrent un nouveau pan dans la compréhension du développement et de l'évolution du cerveau.

La fabrication des neurones découle de la division des cellules RGC (Radial Glia Cells), qui peut se faire de deux manières distinctes, la première entrainant la formation d'un cerveau de reptile (neurogénèse directe), la seconde un cerveau de mammifère (neurogénèse indirecte). Lors de la neurogénèse directe, les cellules RGC se divisent en deux et l'une des moitiés, rarement les deux, devient un neurone. Ce processus, typique du cerveau reptilien, est très rapide mais ne produit que peu de neurones. Au contraire, lors de la neurogénèse indirecte dans le néocortex, les cellules RGC se divisent soit en deux cellules RGC –qui elles-mêmes pourront continuer à se diviser–, soit en cellules IPC (Intermediate Progenitor Cells) qui donneront naissance à de nombreux neurones. Ce processus est plus lent mais produit un très grand nombre de neurones qui forment le cerveau beaucoup plus développé du mammifère.

Chez l'homme et les autres mammifères, les deux processus sont utilisés: la neurogénèse directe pour le cerveau dit reptilien (olfactif, contrôle de la température, fonctions vitales) et la neurogénèse indirecte pour le néocortex contrôlant les fonctions cognitives supérieures telles que le langage. Mais comment les cellules RGC choisissent-elles l'une ou l'autre méthode de fabrication des neurones ?

Trois gènes pour expliquer l'évolution et le développement

Pour répondre à cette question, des scientifiques espagnols dirigés par le professeur Victor Borrell se sont associés à Athanasia Tzika, chercheuse au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l'UNIGE et au SIB Institut Suisse de Bioinformatique, experte en modèles reptiliens. L'idée: comparer le cerveau des reptiles aux cerveaux reptiliens des souris, plus particulièrement la zone olfactive, afin de regarder si les mêmes gènes sont exprimés dans les deux cas lors de la fabrication des neurones. "Nous avons observé que deux gènes, Robo 1 et 2, sont très fortement exprimés lors de la neurogénèse directe, alors que le gène Dll1 est lui très peu exprimé, aussi bien chez le serpent que dans la partie reptilienne du cerveau de la souris", expose Athanasia Tzika. "Lors de la neurogénèse indirecte dans le néocortex de la souris, c'est l'inverse! Robo 1 et 2 sont très peu exprimés, alors que Dll1 l'est fortement." Ce premier résultat suggère que ce sont bien ces trois gènes qui contrôlent le choix des RGC et donc le type de processus qui est mis en place lors de la fabrication des neurones. Cette hypothèse est très surprenante car les spécialistes pensaient jusqu'à présent que l'évolution du néocortex chez les mammifères avait nécessité l'apparition de nombreux nouveaux gènes.

Fabriquer un cerveau mammifère sur commande ?

Les scientifiques ont alors été plus loin dans leur recherche afin de tester leur hypothèse. Si la construction d'un cortex reptilien ou mammifère ne dépend que de l'expression de ces trois gènes, il devrait être possible de contrôler le cerveau que l'on veut obtenir en manipulant ces gènes!

Grâce à des techniques de biologie moléculaire, les chercheurs ont augmenté l'expression de Robo 1 et 2 et réduit l'expression de Dll1 dans le néocortex de la souris, et effectivement, les RGC ont fabriqué des neurones par neurogénèse directe, comme chez les reptiles. Le tissu du mammifère s'est constitué aussi rapidement que celui du reptile, mais avec moins de neurones que lors de sa fabrication "standard". Encore plus surprenant: l'opération inverse a ensuite été effectuée sur un embryon de serpent et la neurogénèse indirecte a pu être provoquée, générant des tissus néocorticaux typiques d'un mammifère! "Le fait de pouvoir déclencher le développement d'un néocortex chez un reptile prouve que cette régulation existe depuis très longtemps et que les mammifères ont simplement acquis la capacité de contrôler ce processus", relève Athanasia Tzika.

Un changement minime aux conséquences spectaculaires

Cette recherche démontre que seuls trois gènes sont responsables de la manière dont le cortex se forme et qu'ils sont facilement manipulables. Or, certaines maladies du développement du cerveau découlent justement d'un problème lors de la neurogénèse. "Nous espérons que notre découverte des mécanismes responsables du développement et de l'évolution du néocortex chez les mammifères permettra de mieux comprendre certaines malformations cérébrales chez l'homme", conclut Athanasia Tzika.

Contact chercheur:
- Athanasia Tzika - Maître-assistante au Département de génétique et évolution, Faculté des sciences

Référence publication:
Cell - DOI: 10.1016/j.cell.2018.06.007
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