Rayons gammas: une chambre à fission pour cible active

Publié par Adrien le 25/05/2020 à 09:00
Source: CEA IRFU
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Le DPhN en collaboration avec le DEDIP, la DAM Ile de France (DAM/DIF) et JRC-Geel a développé une chambre à fission compacte servant de cible active au centre du calorimètre gamma de la Collaboration n_TOF. Ce dispositif permet d'étudier les rayons gammas spécifiquement issus des réactions de capture radiative (n,γ), souvent noyés dans un flot d'événements de fission également générateurs de gamma.

La section efficace de capture radiative (n,γ) des actinides joue un rôle important dans le bilan neutronique (La neutronique est l'étude du cheminement des neutrons dans la matière et des...) d'un réacteur nucléaire (Un réacteur nucléaire est un dispositif dans lequel une réaction en chaîne est...). À tel point que l'amélioration de notre connaissance de la section efficace de capture de l'uranium-233 est préconisée par l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire (Le terme d'énergie nucléaire recouvre deux sens selon le contexte :) (AEN) dans le cadre des études de réacteurs innovants utilisant le cycle thorium-uranium. Et pourtant, les difficultés expérimentales sont telles que les rares mesures disponibles sont contradictoires entre-elles.

En effet, pour mesurer la section efficace de capture neutronique (n,γ) d'un noyau fissile radioactif avec un détecteur gamma, il faut pouvoir distinguer les rayons gammas issus des réactions de capture de ceux provenant des réactions de fission et du bruit de fond (Dans son sens courant, le mot de bruit se rapproche de la signification principale du mot son....) radioactif (Figure 1). On place pour cela, au centre du détecteur de rayon gammas, une cible dite "active", c'est-à-dire une cible participant activement à la mesure. Elle prend la forme d'un détecteur compact à l'intérieur duquel se trouvent les noyaux d'intérêt qui vont interagir avec le faisceau de neutron incident. Ce détecteur permet d'identifier à la fois les fragments issus des réactions de fission et les particules alphas issues des décroissances radioactives. L'utilisation de cette cible active au centre du détecteur gamma permet d'identifier tous les gammas associés à ces événements parasites et de ne retenir que ceux de la réaction de capture.


Figure 1: Représentation schématique des réactions de capture radiative (à gauche) et de fission (à droite) avec émission de rayons gamma dans les deux cas.

Cette technique complexe a été mise en oeuvre dans le cadre de la mesure des sections efficaces de capture et de fission de l'uranium-233 dont le ratio est de l'ordre de 1 pour 10. Pour cela, le Calorimètre gamma à Absorption ( En optique, l'absorption se réfère au processus par lequel l'énergie d'un photon est prise par...) Totale (TAC) de la Collaboration n_TOF a été équipé d'une cible active développée (En géométrie, la développée d'une courbe plane est le lieu de ses centres de...) par le DPhN en collaboration avec le DEDIP, DAM/DIF et JRC-Geel.

Le développement du détecteur a été guidé par les contraintes suivantes, partiellement contradictoires:
- Détecteur compact pour tenir dans un cylindre de 10 cm de diamètre à l'intérieur du TAC;
- Quantité suffisante d'uranium-233 pour obtenir une précision statistique acceptable;
- Détecteur rapide pour limiter les empilements de signaux à haut taux de comptage;
- Excellente résolution en temps pour une mesure en coïncidence avec le détecteur gamma;
- Bonne résolution en énergie pour différencier les particules alpha des fragments de fission;
- Faible quantité de matériaux pour minimiser le bruit de fond dû à la diffusion des neutrons.


Figure 2: Dessins de la chambre à fission (dont une vue en coupe montrant les deux empilements (stacks) de cellules d'ionisation dans lesquelles se trouvent les dépôts fissiles). Les blocs verts autour de la chambre représentent les préamplificateurs.


Figure 3: Réponse de la chambre à fission lors de la détection d'un fragment de fission. Le signal possède un temps de montée (10%-90%) de 16 ns et une largeur à mi-hauteur (FWHM) de 34 ns seulement.

La solution adoptée consiste en une chambre à fission multi-plateaux fonctionnant sur le même principe que celle développée par la DAM Ile de France [1]. La nouvelle chambre, plus compacte, contient deux empilements de cellules d'ionisation renfermant de minces couches d'uranium (Figure 2). Au total, ~46 mg d'uranium-233 ont été répartis sur chacune des 14 cathodes par électrodéposition à JRC-Geel en Belgique. La rapidité du détecteur est assurée par l'utilisation de tétrafluorométhane (CF4) comme gaz ionisant et un espacement entre les électrodes de 3 mm seulement1. Ce choix est un compromis entre rapidité de réponse et résolution en énergie du détecteur, et permet une discrimination suffisante entre les particules alphas et les fragments de fission. Le gaz circule dans le détecteur à la pression atmosphérique (La pression atmosphérique est la pression qu'exerce le mélange gazeux constituant...) pour limiter les contraintes mécaniques et ainsi minimiser l'épaisseur du corps de chambre et des fenêtres. Ceci permet de réduire le bruit de fond généré par les neutrons diffusés. Les signaux des anodes sont pré-amplifiés et mis en forme par des circuits électroniques rapides spécialement développés par la DAM Ile de France. A titre d'illustration, le signal typique généré par un fragment de fission est caractérisé par un temps de montée (10%-90%) de 16 ns et une largeur à mi-hauteur (FWHM) de 34 ns seulement (Figure 3).


Figure 4: Chambre à fission complète, câblée et prête à l'emploi, montée au centre du calorimètre gamma (TAC) dans l'absorbeur de neutron (sphère blanche de 20 cm de diamètre).


Figure 5: Nombre normalisé d'événements (gamma) vus par le TAC en fonction de l'énergie totale déposée Esum pour des neutrons incidents de 1 eV à 10 eV et une multiplicité de 3 à 7. La combinaison du TAC et de la chambre à fission permet de distinguer les gammas de capture (en rouge) des gammas de fission (en bleu) et des décroissances radioactives alpha de l'uranium-233 (en gris). Les autres contributions sont déduites de mesures auxiliaires.

La mesure simultanée des sections efficaces de capture et de fission de l'uranium-233 a été réalisée auprès de la source de neutrons n_TOF du CERN, où la chambre à fission a été placée au coeur du TAC (Figures 4). La rapidité et l'efficacité du détecteur ont permis de distinguer les gammas de capture de ceux dix fois plus nombreux de fission dans un environnement radioactif très important (Figure 5). Ce résultat spectaculaire, associé à une excellente maitrise de la précision de cette identification, a permis d'extraire la section efficace de capture dans les meilleures conditions. Les données finales seront présentées dans une autre publication. In fine, ce travail contribuera à mieux simuler le comportement des réacteurs innovants utilisant le cycle thorium-uranium.

Ce travail permet également d'améliorer la connaissance des mécanismes de réactions des actinides, notamment grâce à la multiplicité et aux spectres des gammas de fission et de capture qui donnent accès à des informations de structure nucléaire.

Suite à ce premier succès, d'autres mesures utilisant une technique similaire sont maintenant prévues pour distinguer les réactions de fission des réactions (n,γ) et (n,xn) pour les isotopes fissiles du plutonium.

Ces développements ont été réalisés dans le cadre de la thèse de doctorat de Michael Bacak [2] effectuée au CERN au sein de la Collaboration n_TOF, en cotutelle entre l'Université Paris-Saclay (Irfu/DPhN) et le TU Wien.

Plus d'informations techniques sur la chambre à fission et son utilisation comme cible active pour une mesure de capture sont publiées dans la référence [3].

Notes:
1 Le parcours typique d'un fragment de fission dans le gaz étant de l'ordre de 2 cm l'espace inter-électrodes de 3 mm seulement ne permet pas au fragment de déposer toute son énergie ce qui détériore la résolution.

Références
[1] J. Taieb, et al., A new fission chamber dedicated to Prompt Fission Neutron Spectra measurements, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A 833 (2016) 1 ; https://doi.org/10.1016/j.nima.2016.06.137.
[2] M. Bacak, Development of a detector for the simultaneous measurement and for the study of uranium-233 capture and fission yields at the CERN n_TOF neutron source, Thèse de Doctorat en cotutelle Université Paris-Saclay (France) - Technische Universität Wien (Autriche), 25 octobre 2019.
[3] M. Bacak, et al., A compact fission detector for fission-tagging neutron capture experiments with radioactive fissile isotopes, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A 969 (2020) 163981 ; https://doi.org/10.1016/j.nima.2020.163981.

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Eric Berthoumieux, Emmeric Dupont, Frank Gunsing
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