Phytoplancton et virus: "Une coexistence quasi-pacifique" ?

Publié par Isabelle le 16/04/2020 à 14:00
Source: CNRS INSB
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Les efflorescences de phytoplancton à la surface de l'océan sont éphémères et les scientifiques tiennent les virus pour responsables de la disparition de ces "bloom". C'est la prévalence de cette dynamique d'explosion/extinction, conséquence de la division des microalgues du phytoplancton d'une part, suivie de la lyse des microalgues en conséquence de l'infection virale, qui est remise en question par la découverte de l'infection chronique d'une migroalgue par un virus, c'est à dire la multiplication conjointe de la microalgue et du virus. Une étude publiée dans la revue Science Advances propose une explication à cette coexistence inédite dans sa dynamique.

Les virus des algues microscopiques du phytoplancton que nous connaissons éliminent leurs hôtes à l'issue de l'infection, et libèrent ainsi de nouveaux virus dans l'environnement. Les virus sont extrêmement abondants dans les océans et sont une cause majeure de mortalité des efflorescences de phytoplancton. C'est pourquoi les chercheurs ont été extrêmement surpris de découvrir la présence d'un virus dans la culture de la nouvelle espèce d'algue, Ostreococcus mediterraneus, et ce d'autant plus que l'augmentation du nombre de microalgues semblait aller de pair avec l'augmentation du nombre de virus dans la culture.

Pour comprendre cette coexistence les scientifiques ont examiné le devenir de chaque cellule et sa réponse au contact du virus: sensibilité ou résistance. Sheree Yau, la jeune chercheuse qui a réalisé les expériences au laboratoire Arago à Banyuls sur mer, a pu démontrer que certaines cellules changeaient de propriétés (phénotype) à une fréquence très basse, ce qui explique comment ce mécanisme était jusqu'à présent passé inaperçu. Ainsi les algues résistantes aux virus produisent quelques cellules sensibles, qui maintiennent la prolifération du virus en situation de croissance des microalgues.

Quand les microalgues évoluent de la résistance à la sensibilité, un chromosome de la microalgue change de structure et perd une partie de son ADN qui pourrait donc contenir les gènes susceptibles d'être responsables de la résistance au virus. Cependant, le passage réciproque, de la sensibilité vers la résistance au virus, n'est pas associé à un changement de taille de ce chromosome de "l'immunité antivirale", ce qui laisse entier le mystère du mécanisme de l'acquisition de la résistance.


© Gwenaël Piganeau
Figure: Dynamique du phytoplancton en absence (à gauche) et en présence de virus (à droite). En absence de virus, les microalgues sensibles sont majoritaires dans la population, car elles se divisent un peu plus vite que les microalgues résistantes. En présence de virus la coexistence est la conséquence de la production de particules virales par les microalgues sensibles, qui sont générées à chaque génération par les microalgues résistantes.

Il est important de noter que, bien que les cellules sensibles soient éliminées par le virus, elles se divisent plus rapidement que les microalgues résistantes en absence de virus. Cela permet de comprendre comment la "stratégie" des algues résistantes qui font le pari de perdre occasionnellement leurs défenses et de croître plus vite, est gagnante dans le cas où un changement environnemental serait associé à l'absence de virus. Réciproquement, la stratégie des algues sensibles consistant à produire quelques cellules résistantes, assure la survie de la lignée lors de la rencontre d'un virus. Un modèle mathématique a permis de mettre en équation les stratégies de la microalgue à chaque division cellulaire - tantôt sensible, tantôt résistante aux virus - et montrer qu'elles permettaient de reproduire les observations de l'évolution du nombre de microalgues et de virus en présence et en absence de virus réalisées au laboratoire.

Ainsi, dans un environnement qui change constamment - comme dans les océans - être le deuxième en toute circonstance peut se révéler gagnant sur le long terme. Ces résultats interrogent sur la prévalence de ce type de stratégie dans l'environnement. Ce type de coexistence entre les algues du phytoplancton et leurs virus est peut-être courant, mais c'est pourtant la première fois qu'il a été mis en évidence et modélisé.

Pour en savoir plus:
Virus-host coexistence in phytoplankton through the genomic lens.
Yau S, Krasovec M, Benites LF, Rombauts S, Groussin M, Vancaester E, Aury JM, Derelle E, Desdevises Y, Escande ML, Grimsley N, Guy J, Moreau H, Sanchez-Brosseau S, van de Peer Y, Vandepoele K, Gourbiere S, Piganeau G.
Sci Adv. 2020 Apr 1;6(14):eaay2587. doi: 10.1126/sciadv.aay2587. eCollection 2020 Apr.

Laboratoire
Biologie intégrative des Organismes Marins (BIOM) - (CNRS/ Sorbonne université)
Avenue Pierre Fabre, 66650 Banyuls sur mer.

Contact:
Gwenael Piganeau
Chercheuse CNRS au laboratoire Biologie intégrative des Organismes Marins (BIOM)
gwenael.piganeau at obs-banyuls.fr
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