Méditerranée: Sociétés du passé et changements climatiques

Publié par Isabelle le 26/10/2020 à 13:00
Source: CNRS INSU
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Les nombreuses recherches sur le rôle du changement climatique dans les transformations des sociétés du passé ont été stimulées par les changements contemporains. On sait que l'Holocène a connu des oscillations climatiques secondaires, dont certaines ont duré plusieurs siècles, s'expliquant par des changements régionaux relativement complexes en réponse à des changements d'échelle planétaire. Par ailleurs, les brillantes civilisations qui se sont succédées dans l'espace méditerranéen ont connu des fins souvent difficiles à expliquer. La tentation est donc de lier changement climatique et vulnérabilité des sociétés méditerranéennes passées.


Le site archéologique du Néolithique et de l'âge du Bronze de Dikili Tash en Grèce du nord (butte boisée au centre de la photographie) situé sur les marges du grand marais de Philippes aujourd'hui drainé mais riche d'archives sédimentaires cruciales pour comprendre l'environnement de la Méditerranée orientale, 2015. © L. Lespez

C'est dans l'objectif d'examiner cette hypothèse que les participants du projet PALEOMEX-MISTRALS ont cherché, d'une part, à détecter les conséquences environnementales des changements climatiques à l'échelle des lieux de vie des populations du passé et, d'autre part, à déterminer comment un changement climatique rapide, à l'échelle géologique, peut produire un changement social comme une transformation du peuplement ou la fin d'une civilisation. A partir des archives sédimentaires disponibles (sédiments des plaines alluviales et littorales, des lacs, des tourbières) et en particulier les bioindicateurs qu'elles contiennent (grains de pollen, algues, champignons, microparticules charbonneuses, etc.), ils ont pu effectuer des recherches géoarchéologiques1et paléoenvironnementale à la fois au plus près des sites archéologiques et à l'échelle régionale.

Deux exemples permettent de mettre en exergue les résultats obtenus. Au 4e millénaire ANE, le changement climatique intervient alors qu'une grande partie de l'Egée connait une baisse spectaculaire du nombre de sites archéologiques, à tel point que l'on parle de "millénaire perdu". Pourtant au nord de l'Egée, la continuité de l'activité agricole et pastorale n'est pas remise en question par des changements hydrologiques importants. La période semble plutôt marquée par une transformation de l'organisation du peuplement qui accompagne des mutations de la production matérielle (céramique, bijoux, etc.). Si le changement climatique a eu des conséquences environnementales, il n'a donc pas profondément modifié les ressources exploitées par les sociétés de la fin du Néolithique et du début de l'âge du Bronze. Une observation du même ordre peut être faite un peu plus tard en Anatolie. Une nette aridification du climat est contemporaine de la fin silencieuse de l'Empire Hittite vers 1200 ANE. Pourtant le système agraire complexe et performant qui associe des ressources variées (fruits, céréales, olives, vigne, élevage,...) va perdurer bien au-delà de la fin de l'âge du Bronze. Le changement politique est bien contemporain du changement climatique mais le mode de production agricole est résilient. Il faut donc chercher ailleurs les explications sur la fin de l'Empire Hittite.

Nos recherches montrent donc la complexité des liens entre changements climatiques et socio-économiques et invitent à quitter le paradigme de l'effondrement. Pour envisager la complexité des interactions entre société et climat, le concept de transformations socio-environnementales permettrait de décrire avec précision, de l'échelle locale à l'échelle régionale, les liens qui se nouent entre les sociétés et leur environnement à une époque donnée. Il permettrait également de mieux analyser la capacité des sociétés à se transformer face au changement climatique. Ce concept nous semble primordial pour comprendre l'impact du climat sur les sociétés, aujourd'hui comme hier.

Auteur:
Laurent Lespez, Professeur, Directeur Adjoint du LGP, Université de Paris Est Créteil (UPEC) et Laboratoire Géographie Physique (LGP) UMR CNRS 8591.

Notes:
1 - qui ont pour but de restituer et de comprendre les changements de l'environnement autour des sites archéologiques
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