Interpréter les émotions, une affaire de confiance

Publié par Isabelle le 30/12/2018 à 14:00
Source: Université de Genève (UNIGE)
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Des chercheurs de l'UNIGE et des HUG ont mesuré le degré de confiance que l'on accorde à notre interprétation des émotions d'autrui, et comment cette confiance est biaisée par nos expériences.


© UNIGE

Nous sommes sans cesse confrontés aux expressions de visage de notre entourage, expressions qui reflètent leurs émotions. Mais est-ce que nous les interprétons correctement ? Et avons-nous confiance en notre propre jugement ? Cette confiance est primordiale pour éviter des quiproquos ou même des situations potentiellement dangereuses, c'est pourquoi des chercheurs de l'Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont testé le degré de confiance des personnes en leur jugement des émotions d'autrui, et les zones cérébrales qui lui sont liées. Ces résultats, à lire dans la revue Social, Cognitive and Affective Neuroscience, démontrent que la confiance en l'interprétation émotionnelle découle directement de nos expériences stockées dans notre mémoire. Notre parcours de vie influe ainsi sur nos interprétations et nous induit, parfois, en erreur.

Toutes nos décisions dépendent de la confiance que l'on accorde à notre propre interprétation. Pourtant, elles sont parfois incorrectes alors que notre confiance est totale, par exemple lors d'un mauvais placement boursier. Il en va de même lors de nos interactions sociales. Sans cesse, nous interprétons les expressions de visage d'autrui, et la confiance que nous accordons à notre interprétation est primordiale. "L'affaire américaine Trayvon Martin, du nom de ce jeune Afro-Américain de 17 ans tué d'un coup de feu par George Zimmerman alors qu'il n'était pas armé, en est la parfaite illustration", explique Indrit Bègue, chercheuse postdoctorale au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l'UNIGE et médecin au service de psychiatrie adulte au Département de psychiatrie et santé mentale aux HUG. "Suite à une mauvaise interprétation de George Zimmerman, considérant le comportement de Trayvon Martin comme suspect, voire dangereux, une altercation s'est produite avec l'issue mortelle que l'on connaît." Mais pourquoi George Zimmerman était convaincu que l'attitude de Trayon Martin était dangereuse, alors que celui-ci attendait devant la maison de son père ? C'est pour répondre à ce type d'interrogations que les chercheurs de l'UNIGE et des HUG ont voulu tester ce degré de confiance en nos interprétations du comportement émotionnel d'autrui, et quelles zones cérébrales s'activent lors de cette interprétation.

Une confiance émotionnelle démesurée

Afin de mesurer cette confiance, les scientifiques ont demandé à 34 participants de juger des visages dessinés représentant un mix entre une émotion de joie et une émotion de colère, encadrés de deux barres horizontales plus au moins épaisses. Les visages étaient parfois très clairement joyeux ou colériques, et parfois extrêmement ambigus. Dans un premier temps, les participants devaient définir quelle était l'émotion des 128 visages qui ont défilé. Puis ils devaient choisir laquelle des deux barres était la plus épaisse. Enfin, pour chacune de ces décisions, ils devaient indiquer leur degré de confiance en leur choix sur une échelle allant de 1 (pas du tout sûr) à 6 (certain). "Les barres sont utilisées pour évaluer la confiance de la perception visuelle, déjà très bien étudiée. Il nous sert ici de mécanisme de contrôle", relève Patrik Vuilleumier, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l'UNIGE.

Les résultats de ces tests ont pour le moins surpris les chercheurs. "Étonnamment, la confiance moyenne pour l'interprétation émotionnelle était plus élevée (5,88 points) que pour l'interprétation visuelle (4,95 points), alors même que les participants faisaient davantage d'erreurs dans la reconnaissance des émotions (79% de réponses correctes) que dans celle des lignes (82% de réponses correctes) !", s'exclame Indrit Bègue.

En effet, l'apprentissage de la reconnaissance émotionnelle n'est pas aussi évident que celui de la perception: une personne peut être ironique, mentir ou empêchée d'exprimer ses émotions faciales à cause de conventions sociales, comme par exemple en présence de son patron. Il est donc plus difficile de calibrer correctement sa confiance en sa reconnaissance des émotions d'autrui en absence de retour. De plus, nous devons très rapidement interpréter une expression, car celle-ci est fugace. Nous estimons alors que notre première impression est la bonne et faisons confiance à notre jugement sur un regard ou une bouche en colère. Au contraire, le jugement de perception peut être plus attentif et bénéficie d'un retour direct sur sa justesse. En cas d'hésitation, la confiance est donc moins élevée que pour une émotion, car l'on sait que l'on peut avoir tort facilement et être contredit.

Une confiance fondée sur la mémoire

Du point de vue cérébral, les chercheurs de l'UNIGE et des HUG ont observé les mécanismes activés lors de ce processus de confiance en ses interprétations émotionnelles, en munissant les participants d'une IRM fonctionnelle. "Lorsque les participants jugeaient les lignes, les zones de la perception (aires visuelles) et de l'attention (aires frontales) s'activaient. Mais lors de l'évaluation de la confiance liée à la reconnaissance des émotions, ce sont les zones liées à la mémoire autobiographique et contextuelle qui travaillaient, comme le gyrus parahippocampique et le cortex rétrosplénial/cingulaire postérieur", commente Patrik Vuilleumier. Ceci démontre que les mémoires personnelle et contextuelle sont directement impliquées dans la reconnaissance émotionnelle et déterminent la précision de l'interprétation des expressions de visage et la confiance qu'on leur accorde. "Que le parcours de vie ait tant d'importance peut poser problème au quotidien, car nos expériences peuvent biaiser notre jugement, comme lors de l'affaire Trayvon Martin, où George Zimmerman n'a pas vu un jeune homme impatient attendant devant chez lui, mais un homme de couleur en colère rôdant devant une maison, continue Indrit Bègue. C'est pourquoi il est capital de donner un retour sur nos émotions pour apprendre aux enfants à les interpréter correctement."

Contact chercheuse:
Indrit Bègue - Chercheuse postdoctorale au Département de psychiatrie Faculté de médecine, UNIGE - Médecin au Département de santé mentale et psychiatrie, HUG

Référence publication:
Cette recherche est publiée dansSocial, Cognitive and Affective Neuroscience
DOI: 10.1093/scan/nsy102
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