Temps - Définition

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Introduction

Chronos, dieu du temps de la mythologie grecque, par Ignaz Guenther.

Le temps est un concept développé par l'être humain pour appréhender le changement dans le monde.

Un questionnement profond s’est porté sur la « nature intime » du temps : est-ce une propriété fondamentale de notre Univers, ou plus simplement le produit de notre observation intellectuelle, de notre perception ? La somme des réponses de chacun ne suffit évidemment pas à dégager un concept satisfaisant et juste du temps, d’autant que ce questionnement est aporétique. Mais l’examen minutieux de chacune d’entre elles et de leurs relations apportera d’intéressantes réponses. Toutes ne sont pas théoriques, loin s’en faut : la « pratique » changeante du temps par les hommes est d’une importance capitale.

De fait, la mesure du temps a évolué et cela ne fut pas sans conséquence sur l’idée que les hommes en eurent au fil de l’histoire. De rudimentaire qu’elle était aux premiers âges, sa mesure a gagné aujourd’hui une précision reposant sur l’atome. Ses progrès irréguliers sont donc à relier directement aux transformations du concept « temps ». Ses retombées ont affecté bien plus que la simple estimation des durées : la vie quotidienne des hommes s’en est trouvée changée bien sûr, mais aussi et surtout la pensée, qu’elle fût de nature scientifique, philosophique ou encore religieuse. Pour établir une vue générale du temps aujourd’hui, il faut en premier lieu parcourir l’histoire de ce concept, qui fait lui-même notre Histoire. Quelques remarques générales permettent d’aborder ce problème du temps de façon pragmatique.

Étymologie

Le mot « temps » provient du latin tempus", de la même racine que grec temnein, couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. Il est à noter que temples (templum) dérive également de cette racine et en est la correspondance spatiale (le templum initial est la division de l’espace du ciel ou du sol en secteurs par les augures). Enfin, « atome » (insécable) dérive également de la même racine.

Perceptions culturelles du temps

Toutes les cultures ont apporté des réponses nombreuses au questionnement sur le temps, et la plupart d’entre elles tournent autour des mêmes thèmes, dictés par la condition humaine : l’immortalité des dieux ou l’éternité de Dieu, la permanence du cosmos et la vie fugace de l’homme, sont autant de dimensions temporelles partagées par la plupart des peuples de la Terre. Elles s’expriment dans le langage, dans les arts… Pourtant, toutes ne portent pas la même vision intime du temps.

Le partage le plus évident pour l’observateur des civilisations – avant d’envisager l’étude anthropomorphique du temps – est sans doute la séparation entre une vision linéaire du temps, prévalant en Occident, et une vision cyclique de l’ordre temporel, prévalant par exemple en Inde (cf. l’œuvre de Mircéa Eliade).

Représentation spatiale du temps

Le temps est souvent représenté de façon linéaire (frises chronologiques). Cependant, on retrouve des représentation en spirales, voir en cercles (le temps est un éternel recommencement) Marquant ici l'aspect cyclique et répétitif de l'histoire des hommes.

Dans la quasi totalité des cultures humaines le locuteur se présente avec le futur devant et le passé derrière lui, ce que l'on retrouve par exemple en français dans des expressions comme "se retourner sur son passé", "avoir l'avenir devant soi". Une exception est le peuple aymara qui a une conception du temps inversée: le passé, connu et visible se trouve devant le locuteur alors que le futur, inconnu et invisible, se trouve derrière lui.

On peut rencontrer deux conceptions du temps qui passe : soit l'individu est en mouvement par rapport à l'axe du temps ("se diriger vers la résolution d'un conflit..." ), soit ce sont les évènements qui se dirigent vers un individu statique ("les vacances s'approchent..."). La première est plus fréquente en français.

Éternité et échéance

Héritée du védisme, la croyance en une succession d’un même temps, ou plutôt d’une même durée cosmique, se retrouve dans le brahmanisme et l’hindouisme. Le cosmos et tout le monde sensible y est assujetti à un renouvellement cyclique et infini, où périodes de destruction et de reconstruction se succèdent pour redonner naissance au même Univers. C’est une renaissance et un retour éternel. Chaque cycle est une kalpa, schématiquement scindée en quatre âges au sein desquels l’Univers périclite graduellement. Cette vision cyclique sera reportée à l’Homme dans le bouddhisme, à travers la croyance en la réincarnation. La vie de l’Homme, aux yeux du bouddhiste, est telle une kalpa, lui conférant l’immortalité des premiers dieux occidentaux.

En Occident, précisément, le temps suit un ordre tout autre et témoigne d’une vision du monde bien différente. La tradition judéo-chrétienne hérite elle-même de vues mystiques plus anciennes, où le temps pur est celui des dieux et divinités. Les hommes connaissent une vie éphémère, limitée, un véritable « néant » au regard de l’immortalité. La Bible présente ainsi le temps comme une révélation, car c’est Dieu qui le crée et en offre l’« usage » aux hommes. Bien qu’en dehors du temps, Dieu se joue des temps historiques pour intervenir dans la destinée des hommes, au moins par ses actions de grâces. La volonté de Dieu s’exprime ainsi dans une dualité toute différente des croyances indiennes : le temps est complètement borné par la Création et l’Apocalypse, et il est en même temps considéré comme universel, car d’origine divine. Aussi comprend on que le temps chrétien, du point de vue de l’homme, est un temps d’espérance, de promesse, de délivrance attendue : sa fin même est un retour vers le divin. À l’inverse, le temps intime de la culture hindouiste est un temps de la permanence et de l’introspection, où l’homme à un autre rôle à jouer dans sa destinée : il y subit en quelque sorte moins les affres du temps.

À une moindre échelle, chaque individu s’appuie sur sa culture historique du temps pour se définir son propre temps psychologique. Nul doute que le pêcheur, l’artisan et le cadre supérieur ne partagent pas exactement la même notion de temps quotidien, car chaque perception est le fruit de ses exigences propres. Toutefois, les bases culturelles jouent un rôle très important dans la perception globale du temps, en tant que rythme de vie.

Une multitude de rapports au temps

Écrire un récit, prédire le retour d’une comète, lister une série de dates : chacune de ces actions est directement liée au temps. Pourtant, il y joue des rôles divers. Il peut être essentiellement un repère plus ou moins explicite, comme dans le récit ou la liste de dates. Mais il peut également être l’objet d’étude de la connaissance. Dans tous les cas, il est essentiel de le quantifier pour l’aborder dans le détail, que cette quantification soit figurée ou bien précise et effective (réalisée avec un instrument de mesure). Il semble que le temps s’offre à l’homme d’abord comme un objet ambigu, dont la mesure permet de créer des repères, mais pas de le définir complètement. Les cultures asiatiques ont cultivé le goût d’un temps mystique, à la fois fugace et perpétuel, illustré par exemple par le haïku japonais : la notion de flux y est prépondérante. Parallèlement, des peuples d’Amérique du Sud tels les Incas, ont privilégié une dimension rituelle du temps, où la discontinuité prévaut ; c’est également le cas dans la tradition musulmane. Pour autant, toutes ces approches reposent sur une même sensation intime : il est donc plus évident encore que ce que l’homme a connu du temps au fil de l’histoire n’a pas été le temps pour lui-même, mais quelque manifestation culturelle rendue possible par une singularité particulière du temps, qui se donne à nous par certains aspects seulement.

Toutes ces traditions « inconscientes » auront une influence non négligeable sur les développements du concept du temps, que ce soit en sciences ou en philosophie. Elles manifestent les croyances d’un peuple à une époque donnée, et la façon dont ces croyances traduisent par l’imaginaire le ressenti, l’expérience. Plus la confrontation au temps sera fine et consciente, plus la conceptualisation du temps sera complexe : en effet, une caractéristique forte du temps dans les premiers âges de réflexion était son lien direct et exclusif avec le divin. Au fil des siècles, ce lien deviendra plus distant et sera même rejeté par certains. (À développer.)

Les sociétés modernes et industrialisées modifient sensiblement le rapport culturel et traditionnel au temps. Même là où les mythes et la religion perdurent, le temps du quotidien subit les assauts de l’instantané : médias, nourriture, déplacement… l’ensemble des actes quotidiens s’accélère, de sorte que les contraintes du temps se font moins sentir – ou deviennent au contraire plus criantes quand les facilités s’estompent. Quels que soient les avantages ou les pertes occasionnés par cette mutation parfois brutale, le temps culturel n’a jamais été et n’est pas le temps de l’économie. La lenteur est une caractéristique fondamentale du rythme des sociétés humaines : il s’agit peut-être de la force d’inertie qui assure leur cohésion. Temps de la réflexion et temps de l’action entrent en concurrence et se distordent, jusqu’à parfois faire éclater les repères psychologiques. Ainsi constate-t-on que les zones urbanisées, où le temps personnel est très souvent sacrifié sur l’autel des contraintes (aller plus vite, à un autre rythme, et tout ce que cela présuppose et entraîne) sont les noyaux durs de la consommation de médicaments du type psychotropes. Dans son développement accéléré, l’humanité prend le risque d’altérer durablement son rapport au temps. Mais, au juste, quel rapport entretient-elle avec le temps ?

Richesses descriptives : ce que le temps n'est pas

Le temps est orienté : il coule du passé au futur. Grâce au profond sentiment de durée, l’Homme peut agir, se souvenir, imaginer, mettre en perspective… si bien que le temps lui est essentiel, et par-là… banal. Le niveau de complexité du rapport au temps est assez bien traduit par le langage, quoiqu’imparfaitement : certaines cultures primitives ont peu de mots porteurs d’un sens temporel, et se situent essentiellement dans le présent et le passé. Pour les peuples anciens de Mésopotamie, par exemple, le futur est « derrière » et le passé, connu, est placé « devant ». Dès lors qu’un peuple s’intéresse à l’avenir, toutefois, cet ordre intuitif s’inverse : on attend du temps qu’il nous apporte le moment suivant. Ce qui constitue une première confusion entre temps et mouvement. La simplicité de ce rapport s’estompe rapidement : bientôt, l’homme essaye de se jouer du temps. « Perdre son temps » ou « prendre son temps », ou toutes autres expressions de quelque langue que se soit, traduisent la volonté séculaire de gagner un contrôle sur ce temps subi. Somme toute, c’est encore d’une conception faussement spatiale qu’il s’agit : pouvoir agir sur notre flèche du temps intime, la tendre, la distordre, l’infléchir. Mais le temps reste fidèle à lui-même, et sa dimension rigide est également exploitée avec ténacité, par la quête de la juste et précise mesure. Quantifier, voilà une autre façon de décrire le temps qui fut engagée très tôt. Bien que privilégiée des sciences, elle n’en est pas moins source d’amalgames et de tromperie toujours renouvelées. Ainsi, compter le temps n’est pas le saisir en soi, car l’action de compter le temps, présuppose du temps. Quel est donc ce « vrai » temps qui mesure le temps, celui invoqué par la boutade « laisser le temps au temps » ? Cette question a laissé muettes des générations entières de penseurs ; les disciplines modernes tentent d’y répondre en exhibant un temps pluriel, physique, biologique, psychologique, mais le temps de la vérité évidente ne semble pas encore venu.

Pour réfléchir au concept du temps, l’homme s’appuie sur son langage ; mais les mots sont trompeurs et ne nous disent pas ce qu’est le temps – pire, ils viennent souvent nous dicter notre pensée et l’encombrer de préjugés sémantiques. La dimension paradoxale du langage temporel n’est pas très complexe : il suffit de s’attarder sur une simple expression courante comme « le temps qui passe trop vite » pour s’en rendre compte. Cette expression désigne un temps qui s’accélérerait. Mais l’accélération, c’est bien encore une position (spatiale) dérivée (deux fois) par rapport au temps : voilà que ressurgit le « temps-cadre » immuable ! Le temps n’est ni la durée, ni le mouvement : en clair, il n’est pas le phénomène temporel. Ce n’est pas parce que des évènements se répètent que le temps est nécessairement cyclique. Cette prise de recul, distinction entre temps et phénomène, sera relativement effective au cours de l’histoire en sciences et peut-être moins en philosophie, parfois victime des apparences sémantiques.

Toutefois, en distinguant ainsi le temps et les évènements portés par lui surgit une dualité embarrassante : dans quelle réalité placer ces phénomènes qui surviennent, si ce n’est dans le temps lui-même ? Le sage dira, dans le « cours du temps ». Cette scène animée des phénomènes est séduisante et juste, mais il faut prendre garde au piège sémantique. Le cours du temps, c’est ce que beaucoup ont figuré dans leurs cahiers d’écolier par la droite fléchée : au-delà de l’amalgame trompeur avec le mouvement, il y a l’idée de la causalité, et aussi de la contrainte. Le cours du temps illustre la sensation de chronologie imposée, qui est une propriété du temps pour lui-même. Rien ici n’indique encore l’idée de changement ou de variation. Il s’agit véritablement d’un cadre, du Chronos – du devenir rendu possible par Kronos. L’homme, pour sa part, devient, et les phénomènes, eux, surviennent. C’est là l’affaire de la flèche du temps, qui modélise les transformations au cours du temps, ou plutôt, « au cours du cours du temps ». Elle est une propriété des phénomènes.

Ces deux notions sont importantes et non intuitives – elles sont mélangées et brouillées par le langage en un seul et même tout, une fausse idée première du temps. La science, notamment, s’est appuyée sur elles pour édifier plusieurs visions successives du temps au fil de ses progrès.

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