Le fer, allié de la pierre dès la conception des cathédrales gothiques

Publié par Isabelle le 25/12/2014 à 00:00
Source: CNRS-INSU
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En datant par carbone 14 les pièces métalliques retrouvées dans les cathédrales gothiques, une équipe interdisciplinaire vient de démontrer, pour la première fois, par une datation absolue, que le fer était introduit en renfort de la pierre dès l'étape de construction. Cette étude, fruit d'une collaboration entre le Laboratoire archéomatériaux et prévision de l'altération (CNRS/CEA), le Laboratoire de mesure du carbone 14 (CNRS/CEA/IRD/IRSN/ministère de la Culture et de la Communication) et l'équipe Histoire des pouvoirs, savoirs et sociétés de l'Université Paris 8, éclaire d'un jour nouveau la maîtrise technique et les intentions des bâtisseurs de cathédrales. Elle est publiée dans le numéro de janvier 2015 de la revue Journal of Archaeological Science. Cette méthode innovante pourrait renouveler la compréhension des bâtiments médiévaux, en Europe, comme la Sainte-Chapelle mais également en Asie, tels les temples d'Angkor.


Tirants en acier entre les arcs-boutants de la cathédrale de Beauvais.
© P. Dillmann

L'architecture gothique, qui a fleuri à partir du milieu du XIIe siècle autour de Paris, intègre des quantités importantes de renforts en fer ou en acier, mis en évidence par les recherches historiques et archéologiques. Mais les cathédrales sont des bâtiments vivants, qui ont vu se succéder au fil des siècles des chantiers à des fins de modification, de réparation et de conservation. Aussi, si certains indices architecturaux et technologiques ont pu laisser penser que le métal faisait partie de la conception initiale, la date de son intégration faisait toujours débat. Jusqu'à ce qu'une équipe interdisciplinaire de chercheurs français réussisse, pour la première fois, à dater de manière fiable par le radiocarbone, le fer des cathédrales. En croisant leurs compétences (en archéologie, histoire, sciences des matériaux, chimie...), ils viennent d'apporter la preuve que les renforts métalliques ont été pensés dès l'origine comme un complément à la pierre.

Les chercheurs sont parvenus à ce résultat en mesurant la quantité de carbone 143, présent à l'état de trace dans le métal. En effet, en Europe, jusqu'au Moyen Age, le minerai est réduit en métal dans des fourneaux utilisant du charbon de bois, dont une partie du carbone diffuse et se retrouve piégée dans le métal (sous forme de lamelles de carbures de fer). Ainsi, on peut extraire ce carbone du métal, dater l'arbre qui a servi à obtenir le charbon, et estimer l'âge du métal. La méthode paraît simple, mais elle n'avait encore jamais été mise en oeuvre de manière fiable, car les métaux ferreux archéologiques sont des matériaux très complexes, contenant du carbone de plusieurs sources. Il a été nécessaire de mettre au point avec le Laboratoire de mesure du carbone 14 une approche d'extraction du carbone qui soit adaptée au matériau. Ce qui a également fait le succès de cette étude, c'est l'expertise des métallographes du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l'altération, qui, en collaboration avec des collègues archéologues et historiens du CNRS, étudient depuis une dizaine d'années la structure, les procédés de fabrication et l'utilisation des métaux dans les cathédrales gothiques.


Analyse métallographique (sous microscope) d'un acier archéologique riche en carbures.
La zone gris foncé sur le pourtour correspond à de la rouille, le blanc à des carbures. Ils recouvrent une zone où fer et carbures sont mélangés (d'où l'effet irisé).
© S. Bauvais

En croisant la datation au carbone 14 avec des indices archéologiques, l'équipe de chercheurs a abouti à une chronologie fine (à quelques années près) de l'intégration des éléments métalliques dans les cathédrales de Beauvais et de Bourges. Ainsi, ces travaux montrent, pour la première fois de manière absolue, que des éléments métalliques ont été utilisés en cours de construction, comme à Bourges, ou même pensés dès la conception des édifices, comme à Beauvais.

A Beauvais, plusieurs des tirants métalliques qui soutiennent les arcs-boutants portent des graffitis du XVIIIe siècle, ce qui laissait penser que le métal pouvait être un ajout tardif. Mais certaines pièces se sont avérées dater du début de la construction, vers 1225-1240, suggérant que pour réussir à édifier le plus haut choeur gothique au monde (46,3 mètres), le fer a été pensé comme un allié de la pierre dès sa conception. Dans le choeur de la cathédrale de Bourges, plus ancien (1195-1214), un chaînage métallique entourant le choeur s'est révélé contemporain de la construction. Cependant, il contourne un groupe de colonnes alors qu'il passe sous certaines autres, ce qui montre qu'il n'a sans doute pas été pensé dès l'origine mais intégré en cours de chantier. Cette analyse confirme que les chantiers de cathédrales étaient de véritables laboratoires où les bâtisseurs, issus de plusieurs corps de métiers, testaient des techniques de construction pour réussir ces défis architecturaux.

Cette approche de datation absolue ouvre la voie à un renouvellement des connaissances autour des chantiers de construction médiévaux. L'équipe de chercheurs va prochainement réaliser des prélèvements sur la Sainte-Chapelle et s'intéresse aussi à la datation des temples et au commerce du fer dans l'Empire khmer.
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