L'éruption du Piton de la Fournaise ou comment surveiller un volcan en restant confinés !

Publié par Redbran le 09/04/2020 à 14:00
Source: CNRS INSU
Restez toujours informé: suivez-nous sur Google Actualités (icone ☆)

Le Piton de la Fournaise s'est réveillé le 2 avril dernier, pour la deuxième fois de l'année. Une activité assez classique pour ce volcan, qui est l'un des plus actifs au monde... mais dont la surveillance s'est avérée assez particulière en cette période de confinement ! Aline Peltier, directrice de l'Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise (OVPF-IPGP) fait le point sur cette éruption et sur la surveillance effectuée par l'observatoire.


Piton de la Fournaise fig OVPF

Quel est le contexte géologique et sismique de l'île de La Réunion ?

L'Ile de la réunion forme avec l'Ile Maurice, les îles Maldives, Laquedives et Chagos un ensemble volcanique dit de "point -chaud". Il est lié à une "surchauffe" du manteau au coeur de la Terre même ; la surchauffe fait fondre la matière et forme du magma, qui remonte vers la surface, où il va s'épancher sous forme d'éruptions effusives.

L'île de La Réunion est constituée de deux édifices principaux: le Piton des Neiges d'une part, un volcan endormi qui représente en volume environ 97% de l'île, et le Piton de la Fournaise d'autre part, qui en constitue une protubérance sur son flanc est. Ce dernier est l'un des volcans les plus actifs de la Terre puisqu'il s'y produit en moyenne une éruption tous les 8 mois. Cependant 97% des éruptions restent cantonnées dans une caldeira naturelle, appelée Enclos Fouqué: c'est une zone inhabitée, mais extrêmement visitée à La Réunion (jusqu'à 2000 visiteurs par jours). Or des fissures peuvent s'ouvrir sur les sentiers de randonnée (comme se fut le cas par exemple à 3 reprises ces deux dernières années) ou menacer la route nationale qui relie le sud au nord de l'île et qui traverse la partie basse de l'Enclos Fouqué. Dans environ 3% des cas, la lave sort de la caldeira, et peut présenter une menace pour les villages alentours. Une telle sortie "hors-Enclos" n'est pas arrivée depuis 1998.

Au cours des dernières décennies, il y a eu quelques éruptions mémorables dont celle de 1977 qui a enseveli une trentaine de maisons, et celle de 2007, qui située à l'extrême limite sud de la caldeira, a provoqué des pluies acides à proximité, incommodant notamment le village du Tremblet, localisé à 2,7 km. Au cours de cette éruption, le cratère s'est effondré sur une hauteur de plus de 300 m et sur une largeur de 1 km.

Quelle surveillance est effectuée sur place ?

L'Observatoire est le premier maillon du plan Orsec "Volcan Piton de la Fournaise" de la Préfecture de la Réunion puisqu'il est chargé de prévenir cette dernière en cas de changement d'activité du volcan, notamment lors de l'imminence d'une éruption. Le système d'alerte est basé sur un réseau d'observation composé d'une centaine de capteurs de surveillance installés sur l'ensemble du massif volcanique.

Quand le magma remonte vers la surface, il est à l'origine de trois précurseurs qui sont détectés par les stations de mesures de l'OVPF-IPGP. 1) un dégagement de CO2 dans le sol (en remontant le CO2 piégé dans le magma va s'échapper et remonter en surface), 2) une sismicité, il (sur l'île la sismicité est très majoritairement liée à l'activité volcanique) et 3) un gonflement du volcan. Aussi, pour détecter les trois types de précurseurs, les scientifiques utilisent des sismomètres, des capteurs de déformation (par exemple des récepteurs/antenne GPS et des inclinomètres...), et enfin des instruments qui mesurent les flux de gaz dans le sol et dans l'air.

Ces précurseurs ont lieu sur deux échelles de temps.

1) D'abord à long terme, lorsque le magma remonte des profondeurs vers le réservoir le plus superficiel (environ 2 km sous la surface). Le nombre de séismes (la majorité de <1) s'intensifie progressivement et peut passer à une cinquantaine par jour. En parallèle le volcan se déforme du fait de l'accumulation du magma dans le réservoir et de sa mise en pression. Actuellement la durée de cette phase est de l'ordre de 2-3 semaines mais elle peut également être beaucoup plus courte, de quelques jours, comme dans le cas présent, ce qui rend la prévision difficile. A ce stade, le plan ORSEC prévoit une phase de Vigilance, éruption possible à moyen terme.

2) Ensuite à court terme, lorsque le toit du réservoir se rompt suite à une accumulation de la pression trop importante. Le magma s'en échappe et se propage vers la surface. Cette phase dure entre une vingtaine de minutes et quelques heures. Le niveau de la sismicité augmente encore: on passe à un millier de séismes par heure ! La déformation du sol devient importante (elle peut aller jusqu'à 1 mètre en quelques heures). Avec le suivi en temps réel des données, il est possible de localiser la position du magma en profondeur et suivre son cheminement avant qu'il n'arrive en surface et ainsi anticiper le lieu du futur site éruptif et d'en informer la préfecture.

C'est à ce moment-là que la Préfecture (suite aux alertes de l'OVPF-IPGP) passe le niveau d'alerte à Alerte 1: éruption imminente. L'accès à l'Enclos est alors interdit et les personnes présentes évacuées.

Même sans retour visuel direct, il est possible de savoir lorsque l'éruption débute. En effet lorsque le magma arrive à proximité de la surface les sismomètres de l'OVPF-IPGP enregistrent un trémor volcanique, un signal sismologique généré par les.

Vous êtes également confinés sur l'île de la Réunion, comment se passe la surveillance dans de telles conditions ?

Conformément aux préconisations du gouvernement et de la direction du CNRS, les locaux de l'observatoire sont fermés et l'ensemble de l'équipe de l'OVPF-IPGP (16 personnes) télétravaille depuis son domicile. Un plan de continuité des activités avait été rédigé dès le 16 mars afin de clarifier et décrire le mode de fonctionnement de l'observatoire en "mode dégradé" pendant la crise coronavirus COVID-19.

Comme présenté précédemment, l'observatoire présente l'avantage de disposer d'un large et dense réseau permanent de surveillance installé sur le volcan, dont les données arrivent en temps réel sur les serveurs et l'intranet de l'observatoire. Il est possible ainsi de suivre les moindres soubresauts du volcan à distance. Les personnels ont l'habitude de travailler à distance, puisque c'est un mode de fonctionnement déjà adopté pour les week-ends, nuits et jours fériés (le volcan étant surveillé H24/365J).

Lors de la gestion de crise du 2 avril nous avons mis en place un système de tchat entre les différents membres de l'observatoire afin de partager et échanger de manière efficace et rapide nos interprétations, données etc. Le 3 avril, une réunion exceptionnelle de crise en visioconférence nous a permis de faire le point sur la situation et statuer sur la nécessité absolue ou non de se rendre sur le terrain. Notre dense réseau de stations permet d'anticiper les éruptions et de voir lorsque l'éruption débute. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec le Laboratoire Magmas et Volcans, à Clermont-Ferrand pour tout ce qui est données satellites, ce qui apporte des données supplémentaires.

La première mission que nous réalisons au début d'une éruption, et qui est de première importance, est un retour visuel sur la localisation exacte du site éruptif et sur les débits éruptifs. Même si nos instruments sur le terrai permettent de nous renseigner sur le secteur impacté par l'éruption, une localisation précise est nécessaire notamment pour la modélisation des écoulements de coulées (réalisées en collaboration avec le LMV, Université Clermont Auvergne), qui nous renseigne sur les trajectoires les plus probables des coulées et ainsi évaluer si des biens ou des stations de surveillance de l'observatoire sont menacés.

Cette mission se fait généralement par voie héliportée en association avec la Section Aérienne de Gendarmerie(SAG) et le Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne (PGHM). Pour l'éruption du 2 au 6 avril, cette reconnaissance s'est faite sans personnel de l'OVPF/IPGP à bord, mais les agents de la SAG et du PGHM ont pu nous fournir des premiers retours visuels (photographies/vidéos) et une localisation précise du site éruptif.

Les missions de terrain durant cette période de confinement ne se feront qu'en cas de panne sur le réseau mettant en péril la qualité de la surveillance du Piton de la Fournaise, en cas de menace d'ensevelissement d'une station de surveillance par une coulée de lave qui nécessiterait son démantèlement, en cas d'activité volcanique majeure présentant une menace pour les biens ou les personnes et nécessitant des mesures complémentaires sur le terrain.

Ces interventions seront effectuées, en concertation avec la Préfecture de la Réunion, dans le respect des règles d'hygiène et sécurité.

Quel est l'intérêt scientifique du Piton de la Fournaise ?

On dit souvent que le Piton de la Fournaise est un "volcan laboratoire" car il y a beaucoup d'éruptions et c'est le volcan le plus densément instrumenté au monde ! Une densité qui nous permet de voir des choses finement, et la fréquence des éruptions permet de tester de nouveaux capteurs ou encore de vérifier la fiabilité des techniques de mesure.

Le Piton de la Fournaise est un volcan du même type que l'Etna en Sicile et le Kīlauea à Hawaï et les chercheurs de ces trois volcans travaillent en étroite collaboration pour comprendre l'ensemble des mécanismes qui régissent ce type de volcans.

On cherche toujours à mieux comprendre comment fonctionne un volcan. Il y a en effet des choses encore mal connues comme par exemple ce qui génère et déclenche les déstabilisations de flanc. C'est un risque important à La Réunion, car en contexte insulaire une arrivée massive de matériel en mer peut générer un tsunami. Il faut savoir que l'on observe un glissement continue du flanc est du Piton de la Fournaise par gravité et que d'une manière systématique ce déplacement s'accélère lors des éruptions. Les glissements sur ce flanc pourrait d'ailleurs favoriser la propagation du magma plus loin sur ce flanc, à moins que ce soit l'inverse la propagation du magma qui génère ce glissement... la question fait encore grand débat dans la communauté scientifique. Là encore, ce seront les capteurs qui pourront nous apporter des éléments de réponses lors du prochain glissement majeur (comme ce fut le cas en 2007) et peut-être nous permettre un jour d'anticiper ces glissements.
Page générée en 0.264 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise