Couplage inattendu de plasmons à la surface d'une nanodague en argent

Publié par Redbran le 18/05/2018 à 12:00
Source: CNRS-INP
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La spectroscopie de perte d'énergie électronique dans un microscope électronique révèle la possibilité d'hybrider deux modes propres plasmoniques d'une même nanoparticule. Il s'agit d'un effet physique qui ne peut être observé dans le cadre de la physique classique (hermitienne).

En physique, l'approche habituelle pour étudier le comportement d'un système décrit par une équation linéaire consiste à définir des modes propres. Ces modes constituent une base permettant de décrire toutes les solutions de l'équation. Par exemple, les vibrations d'une corde de guitare peuvent être vues comme une superposition de modes propres: la vibration fondamentale et ses harmoniques, chacune vibrant différemment dans l'espace et produisant un son différent.

Il est donc tentant d'adapter ce concept à des systèmes, dits non hermitiens, pour lesquels les modes propres sont plus difficiles à définir. Ces systèmes couvrent un très large éventail de situations physiques, des ondes de gravité proches des trous noirs jusqu'aux cavités lasers. La dissipation d'énergie dans ces systèmes nécessite de définir des modes dits "quasi-normaux" (QNM) pour établir une base complète. Ils sont décrits par une base bi-orthogonale plutôt qu'orthogonale. Pour une corde de guitare, cela correspondrait à observer deux vibrations différentes pour chaque note. Or, la bi-orthogonalité a des conséquences intéressantes, comme l'existence de "points exceptionnels" où les énergies et les fonctions d'onde de deux modes peuvent fusionner. Il s'agit d'un effet contre-intuitif – dans le cas d'une corde de guitare, cela correspondrait par exemple à ce que le fondamental et la première harmonique produisent le même son et vibre de la même façon ! Ils sont généralement associés à l'apparition d'effets physiques non triviaux qui n'ont été étudiés que très récemment, car la manipulation de QNM nécessite une compensation exacte de la dissipation d'énergie, ce qui complique les protocoles expérimentaux.

Dans ce travail, les chercheurs ont redéfini une approche totalement différente où la non-hermiticité n'est pas liée à la dissipation d'énergie mais à des ruptures de symétries spatiales, évitant ainsi d'avoir à compenser la dissipation. Dans ce but, les chercheurs ont introduit les plasmons de surface localisés (LSP) comme nouvelle plate-forme pour étudier la physique nonhermitienne.

Les LSP correspondent à la mise en mouvement d'électrons qui forment des ondes de densité électroniques à la surface de nano-objets métalliques. Leur énergie et leurs variations spatiales dépendent fortement de la taille et de la forme des objets correspondants. Les LSP ont de nombreuses applications, depuis la détection des molécules jusqu'aux thérapies anticancéreuses, la plupart d'entre elles étant liées au fait que les LSP peuvent concentrer l'énergie électromagnétique dans des régions nanométriques appelées "points chauds". Les scientifiques ont démontré théoriquement et expérimentalement que la manifestation de la non-hermiticité est beaucoup plus simple à observer et à manipuler dans ces systèmes.

Pour cela, ils ont introduit le concept d'auto-hybridation. Il ne peut être observé dans les systèmes hermitiens habituels: imaginez une corde de guitare sur laquelle une vibration fondamentale et ses harmoniques se coupleraient, produisant deux notes de hauteurs légèrement différentes. C'est cependant ce que les chercheurs ont prédit et observé pour les modes de plasmons dans des nano-dagues d'argent. Ils ont utilisé la spectroscopie de perte d'énergie électronique dans un microscope électronique à transmission à balayage pour cartographier les variations spatiales et spectrales du signal plasmonique. Comme l'indique la figure ci-dessous, l'énergie du mode fondamental ne croise jamais celle du mode harmonique. Les chercheurs ont observé au contraire un changement drastique de la symétrie des modes avant et après le point où ils auraient dû se croiser. Cet anti-croisement est l'indication d'une auto-hybridation, ou couplage, des deux modes.

Ces travaux constituent une démonstration rare d'un effet physique piloté par une non-hermiticité n'impliquant pas la dissipation d'énergie. Puisque la difficulté d'avoir à traiter la compensation de la dissipation est levée, les objets nanométriques plasmoniques constituent un terrain de jeu beaucoup plus simple pour étudier expérimentalement la non-hermiticité. Enfin, l'un des principaux intérêts des plasmons sont leurs points chauds associés. L'auto-hybridation offre la possibilité de concevoir de nouveaux types de points chauds. Au-delà des physiciens, tout le champ transdisciplinaire des plasmons de surface pourrait être concerné par ces travaux.


Gauche: Variation de l'énergie de deux modes de nano-dagues d'argent en fonction de la longueur du bras vertical L. Lorsque la longueur L augmente, deux des modes de la nano-dague présentent un comportement d'anti-croisement typique. Droite: L'anti-croisement est une forte indication de l'hybridation des deux modes, mise en évidence par le changement drastique de la symétrie des modes avant (L=100 nm) et au point de croisement (L=250 nm). © LPS (CNRS/UPSud)


Références publication:
Self-hybridization within non-Hermitian localized plasmonic systems
H. Lourenço-Martins, P. Das, L. H. G. Tizei, R. Weil & M. Kociak
Nature Physics (2018), doi:10.1038/s41567-017-0023-6
Lire l'article sur la base d'archives ouvertes ArXiv

Contact chercheur:
Mathieu Kociak, directeur de recherche au CNRS

Informations complémentaires:
Laboratoire de physique des solides (LPS, CNRS/Univ. Paris-Sud/Univ. Paris-Saclay)
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