Quand Huygens a atterri sur Titan, il a observé des canaux fluviaux, des plages, des îles et un brouillard tourbillonnant. Ainsi la plus grande lune de Saturne est très certainement humide: pas d'eau, juste du méthane liquide. Et si ce méthane peut tomber en pluie, il est également possible qu'il puisse y avoir des arcs-en-ciel, provoqués par la lumière du Soleil traversant des gouttelettes de méthane.
Un arc-en-ciel de méthane serait plus grand qu'un arc-en-ciel d'eau car il infléchit la lumière différemment. La lumière du Soleil a des difficultés pour traverser l'atmosphère brumeuse de Titan, mais muni du bon type d'appareil photo, on pourrait y observer un arc-en-ciel dans l'
infrarouge.
Christian Huygens très intuitif...
Quand la sonde Huygens de l'ESA a exploré Titan le mois de janvier dernier, elle a traversé des nuages humides. Elle a photographié des canaux, des plages et les structures qui ressemblent à des îles. Puis, descendant à travers un brouillard tournoyant, la sonde a finalement atterri dans une sorte de boue. Titan est humide.
Christian Huygens n'aurait pas été étonné. En 1698, trois cents ans avant que la sonde Huygens ne quitte la Terre, l'astronome hollandais a écrit ces mots:
"
Puisque il est certain que la Terre et Jupiter ont leur Eau et leurs Nuages, il n'est aucune raison pour laquelle les autres planètes devraient en être dépourvues. Je ne peux pas dire qu'elles aient exactement une Eau de la même nature que la notre; mais qu'elles devraient être liquides comme leur besoin l'exige, comme leur beauté veut qu'elles soient claires. Notre Eau, sur Jupiter ou sur Saturne, serait immédiatement gelée en raison de la vaste distance au Soleil. Chaque planète doit donc avoir ses propres Eaux d'un caractère tel qu'elles ne soient pas exposées au Gel."
Huygens a découvert Titan en 1655. A cette époque, ce n'était qu'une tête d'épingle lumineuse dans un télescope. Huygens ne pouvait pas voir les nuages de Titan, remplis de pluie, ou les flancs des collines, sculptés par les précipitations, mais il possédait une imagination et une intuition aiguisées.
D'intenses averses de méthane liquide
L'"eau" de Titans est du méthane liquide, CH4, connu sur terre sous le nom de gaz naturel. L'eau de la Terre, H2O, serait solide et congelée sur Titan où la température de surface est de 180°C en dessous de zéro. Le méthane, d'autre part, est très fluide, peu disposé à se solidifier.
Jonathan Lunine, professeur à l'Université d'Arizona, est un scientifique de la mission Huygens. Il pense que la sonde a atterri dans une région de Titan similaire à l'Arizona, une zone très sèche avec de brèves mais intenses périodes pluvieuses.
"Les canaux fluviaux proches de la sonde semblent asséchés maintenant", indique Lunine, "mais les liquides étaient présents récemment. Les roches répandues autour du site d'atterrissage en témoignent: elles sont lisses et rondes comme les rochers des fleuves sur Terre, et elles reposent dans de petites dépressions creusées, apparemment, par les précipitations".
La source de toute cette humidité pourrait être la pluie. L'atmosphère de Titan est "humide", c'est à dire riche en méthane. Personne ne sait combien de fois il pleut, "mais quand la pluie tombe" dit Lunine, "la quantité de vapeur dans l'atmosphère est beaucoup plus importante que dans l'atmosphère de la Terre, aussi les averses doivent être très soutenues".
Du Soleil, de la pluie...
Et peut-être également des arcs-en-ciel. "Les ingrédients nécessaires à la formation d'un arc-en-ciel sont la lumière du Soleil et les gouttes de pluie. Titan possède les deux", précise Les Cowley, expert en optique atmosphérique.
Sur terre, les arcs-en-ciel se forment quand la lumière du Soleil interagit avec des gouttelettes transparentes d'eau. Chaque gouttelette agit comme un prisme, étalant la lumière dans le spectre familier des couleurs. Sur Titan, les arcs-en-ciel se formeraient quand la lumière du Soleil traverserait des gouttelettes de méthane, qui, comme des gouttelettes d'eau, sont transparentes.
"Un arc-en-ciel de méthane serait plus grand qu'un arc-en-ciel d'eau", note Cowley, "avec un arc primaire d'au moins de 49° pour le méthane contre 42,5° pour l'eau. Ceci car l'indice de réfraction du méthane liquide (1,29) diffère de celui de l'eau (1,33)". L'ordre des couleurs, cependant, serait identique: bleu à l'intérieur et rouge à l'extérieur, avec une teinte globale orange provoqué par la couleur générale du ciel de Titan.
Un problème se pose toutefois: la lumière du Soleil directe est nécessaire aux arcs-en-ciel, mais les cieux de Titan sont très brumeux. "Des arcs-en-ciel visibles sur Titan pourraient être rares," indique Cowley. Par contre, des arcs-en-ciel infrarouges pourraient être très communs.
Le scientifique atmosphérique Bob West du JPL explique: "l'atmosphère de Titan est la plupart du temps transparente aux longueurs d'onde infrarouges. C'est pourquoi le vaisseau spatial Cassini utilise un appareil photo infrarouge pour observer cette lune". Le rayonnement infrarouge du Soleil n'aurait aucun mal à pénétrer les ténèbres et provoquer des arcs-en-ciel. La meilleure façon pour les voir serait de porter des lunettes infrarouges "de vision de nuit".
Mais le méthane, ce n'est pas de l'eau
Tout cela pourrait faire penser que le méthane liquide présente de grande similarité avec l'eau ordinaire. Mais il n'en est rien.
La densité du méthane liquide est la moitié de la densité de l'eau. Un constructeur de bateau sur Titan devrait en tenir compte. Les bateaux flottent quand ils sont moins denses que le liquide sur lequel ils naviguent. Un bateau dur Titan devrait être extrêmement léger pour flotter sur un océan de méthane liquide. (Ce n'est pas une vue de l'esprit: les futurs explorateurs qui voudront visiter Titan utiliseront peut-être des embarcations pour circuler plus facilement.)
Le méthane liquide a également une faible viscosité et une basse tension superficielle. La tension superficielle est ce qui donne à l'eau sa peau caoutchouteuse et, sur Terre, permet aux araignées d'eau de gambader à la surface des étangs. Cet animal sur Titan coulerait promptement dans une mare de méthane. D'un autre coté, la faible gravité de Titan, seulement un septième pesanteur terrestre, pourrait permettre à la créature de se maintenir tout de même à la surface.
Pour en revenir aux bateaux: Des propulseurs tournant au méthane devraient être énormes pour être capables de "capter" suffisamment de ce liquide très fluide nécessaire à la propulsion. Ils devraient également être faits de matériaux spéciaux résistants aux fissurations à des températures cryogéniques.
Et attention aux vagues ! Les scientifiques européens John Zarnecki et Nadeem Ghafoor ont calculé ce que pourraient être les vagues de méthane sur Titan: sept fois plus hautes que celles de nos océans terrestres (principalement en raison de la faible gravité sur Titan) et trois fois plus lentes.
Enfin, le méthane liquide est inflammable. Titan n'est pas un monde en feu car l'atmosphère contient infiniment peu d'oxygène, l'ingrédient principal d'une combustion. Si des exportateurs visitent un jour Titan, ils devront faire très attention à leurs réservoirs d'oxygène et résister à la tentation d'essayer d'éteindre les incendies avec de "l'eau".
Des arcs-en-ciel infrarouges, des vagues imposantes, des océans faisant de grands signes aux marins. Huygens n'a vu aucune de ces choses avant d'atterrir sur un sol flasque. Existent-elles vraiment ?
"
... il n'est aucune raison pour laquelle les autres planètes devraient en être dépourvues."
Notre dossier sur la mission Cassini-Huygens est à votre disposition:
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