Dans un contexte de changement climatique et de fragilisation des forêts, un collectif international de chercheurs piloté par l'Inra (1) vient d'identifier l'espèce la plus résistante du monde à la sécheresse. Ce résultat, publié dans le numéro de juin 2015 de la revue Plant Physiology, se fonde sur une analyse instrumentée du processus de cavitation et ouvre de nouvelles pistes pour l'adaptation des arbres aux changements climatiques futurs.
Individu de Callitris tuberculata d'une population échantillonnée à proximité de Lake Grace (Australie). En bas à droite: les cônes de l'arbre. Illustration: INRA
Le dysfonctionnement hydraulique provoqué par le stress hydrique représente une des causes principales de la mortalité des arbres lors de sécheresses sévères. Dans le contexte des prévisions climatiques futures, et avec des forêts qui montrent à travers le monde des signes de vulnérabilité aux épisodes de sécheresse intenses et prolongés, ce dysfonctionnement hydraulique est devenu un sujet de préoccupation majeur.
En enquêtant sur les conifères du genre Callitris adaptés aux sécheresses extrêmes, une équipe internationale menée par des chercheurs de l'Inra a démontré que l'espèce Callitris tuberculata, issue de régions extrêmement arides d'Australie occidentale, est la plus tolérante du monde à la sécheresse. Au sein de ces arbres, le transport de la sève (circulation de l'eau) est toujours possible, même à des pressions proches de la limite de l'équilibre instable de l'eau, ce qui suggère que l'appareil vasculaire qui transporte la sève a évolué sous l'effet de la contrainte hydrique pour atteindre sa limite absolue. Ces travaux ont donc permis d'identifier la limite de l'adaptation à la sécheresse chez les arbres. De plus, les chercheurs font l'hypothèse que cette espèce désertique Callitris tuberculata ne pourra pas s'adapter à un climat plus sec alors que les climatologues prévoient une aridification encore plus intense de son habitat.
Il est à noter que si d'autres stratégies de résistance à la sécheresse existent comme l'évitement (observé chez les éphémérophytes (2)) ou le fait de posséder des tissus plus ou moins épais et charnus (par exemple: les cactus), elles ne se rencontrent que très peu chez les arbres.
La cavitation, clé de compréhension de la résistance à la sécheresse
La cavitation correspond à la formation d'une bulle d'air dans les vaisseaux des arbres (xylème), qui rompt la colonne d'eau et rend ainsi impossible le transport de la sève dans l'appareil vasculaire. La cavitation se produit lors d'épisodes de sécheresse sévère et conduit à la mort de l'arbre lorsqu'elle atteint des taux importants. C'est grâce à un prototype d'instrument de mesure - le Cavitron - que les chercheurs sont parvenus à caractériser la tolérance à la sécheresse des arbres (notamment celle de Callitris tuberculata) via la mesure de la conductance hydraulique d'un rameau sous pression négative. Il permet d'obtenir une courbe de vulnérabilité à la cavitation qui nous renseigne sur la tolérance à la sécheresse des espèces, des populations ou des génotypes.
Des pistes d'adaptation au changement climatique
Ces résultats sur la tolérance à la sécheresse au sein du genre Callitris montrent que les espèces de nos régions tempérées (chêne, pin, épicéa, hêtre) ont une marge de progression extrêmement importante et ouvrent de nouvelles pistes quant à l'amélioration de la résistance à la sécheresse. La compréhension du déterminisme génétique de ces caractères et la localisation de QTLs (régions du génome associées à un caractère quantitatif) ou de gènes d'intérêt constituent les futurs enjeux dans cette thématique.
Le Cavitron
Le Cavitron prototype d'instrument de mesure. Illustration: INRA
Le Cavitron est un prototype d'instrument de mesure capable de caractériser la tolérance à la sécheresse des arbres via la mesure de la conductance hydraulique d'un rameau sous pression négative. Le principe de fonctionnement du Cavitron est basé sur l'utilisation de la force centrifuge pour générer à la fois une pression négative dans le xylème (qui simule une sécheresse) et un gradient de pression hydrostatique entre les deux extrémités. La branche est placée dans un rotor et chacune de ses extrémités est immergée dans une cuve d'eau de niveau différent, le niveau maximal de chaque cuve étant déterminé par un trou dans la cuve. Cette différence de niveau crée un gradient hydrostatique, qui génère un flux d'eau à travers le rameau, depuis le réservoir amont vers le réservoir aval. En effectuant des mesures à différents paliers (différentes vitesses induisant différentes pressions), on peut obtenir une courbe de vulnérabilité en quelques dizaines de minutes et ainsi comparer la résistance des espèces ou des génotypes à la sécheresse. Un rotor résistant à des vitesses extrêmes a dû être conçu spécialement pour la mesure de vulnérabilité à la cavitation du genre Callitris.
Notes: (1) Des chercheurs de l'unité Biodiversité, Gènes et Communautés (BIOGECO ; Inra, Université de Bordeaux) et de l'unité Physique et Physiologie Intégratives de l'Arbre Fruitier et Forestier (PIAF ; Inra, Université Blaise Pascal Clermont-Ferrand). (2) Plantes annuelles ayant un cycle de vie très court et entrant en dormance pendant la saison sèche (rencontrées dans les déserts secs).
Pour plus d'information voir: Larter M., Brodribb J., Pfautsch S., Burlett R., Cochard H., Delzon S., 2015, Extreme aridity pushes trees to their physical limits, Plant Physiology. doi:10.1104/pp.15.00223