Pour l'amour de la tourbe ! Est-ce qu'il commence à faire chaud ici ?

Publié par Isabelle le 26/03/2019 à 14:00
Source: Université de Montréal
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Carolina Voigt dans l'Arctique finlandais. Crédit: CAROLINA VOIGT
Les scientifiques constatent une source additionelle de gaz à effet de serre qui pourrait aggraver le réchauffement de la planète: le pergélisol de l'Arctique. En effet, le dégel d'anciennes tourbières du Grand Nord risque de libérer dans l'atmosphère le carbone qui se trouve actuellement dans le pergélisol.

Et le problème n'est pas circonscrit à l'Arctique. Des analyses scientifiques montrent qu'il existe plus de 1000 tourbières souterraines dans le monde qui, si elles sont perturbées de façon naturelle ou par l'activité humaine, pourraient relâcher encore plus de carbone.

Deux études menées par l'Université de l'est de la Finlande (UEF) et auxquelles participent des chercheurs de l'Université de Montréal soulignent l'importance de la matière végétale non décomposée ‒ la tourbe ‒ comme vecteur des changements climatiques.

Dans la première étude, publiée le 25 janvier dans Global Change Biology, la chercheuse postdoctorale en géographie de l'UdeM Carolina Voigt et ses collègues de l'UEF et de sept autres universités et organisations nordiques révèlent que dans l'Arctique, où les températures augmentent deux fois plus vite que dans le reste du monde, les tourbières du pergélisol dégèlent et rejettent du dioxyde de carbone dans l'atmosphère.

Dans la deuxième étude, parue le 12 mars dans Proceedings of the National Academy of Sciences, Julie Talbot, professeure agrégée de géographie à l'UdeM, et des chercheurs d'une vingtaine d'autres universités et organismes étrangers ont constitué une nouvelle base de données relatives à 1063 tourbières enfouies sous des champs, forêts et lacs qui, si elles sont découvertes, pourraient également émettre des gaz à effet de serre.


Le terrain d'étude de Carolina Voigt: les tourbières du nord de la Finlande. Crédit: Carolina Voigt

"Même si les tourbières ne représentent qu'environ trois pour cent de la surface du globe, elles stockent environ un tiers du carbone du sol, indique Julie Talbot. Elles ont par ailleurs tendance à se former pendant les périodes chaudes et, comme notre climat se réchauffe, la grande question est maintenant de savoir comment les tourbières vont évoluer."

Incendies de forêt, drainage et inondation


Des échantillons de pergélisol et de tourbe dans le laboratoire où travaille Carolina Voigt. Crédit: CAROLINA VOIGT
Tant qu'elles restent enfouies, les tourbières aident en fait à ralentir les émissions de gaz à effet de serre en accumulant le carbone sous la terre. Mais lorsque les tourbières sont exposées ‒ par des phénomènes comme les incendies de forêt, le drainage ou les inondations ‒, le carbone risque d'être libéré dans l'atmosphère, contribuant ainsi au réchauffement climatique.

Dans le Grand Nord, le dégel du pergélisol dans les tourbières pourrait aussi mettre à nu ces stocks de carbone immobiles depuis longtemps. C'est le constat qu'ont fait Carolina Voigt et son équipe dans la zone de permagel de la Laponie finlandaise. Après avoir extrait des échantillons de tourbe de 80 cm de long qui comprenaient les 15 cm supérieurs de pergélisol, les chercheurs ont pu simuler la fonte du pergélisol en laboratoire, reproduisant des conditions quasi naturelles.

Ce qu'ils ont découvert est préoccupant: lorsque le pergélisol a commencé à fondre, la tourbe a émis de plus grandes quantités de dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre qui accélère le réchauffement climatique. Ce qui reste inconnu, c'est l'ampleur et le temps que ce processus prendra dans la nature.

"C'est toujours délicat d'essayer d'établir un calendrier pour ce genre de chose et de projeter ce qui se passera à partir d'expériences en laboratoire, explique Carolina Voigt, postdoctorante au laboratoire d'Oliver Sonnentag, professeur adjoint de géographie à l'UdeM. Ce que nous pouvons dire à partir de nos résultats, c'est que ces types de tourbières peuvent libérer du CO2 si elles dégèlent. La couche de tourbe du pergélisol est épaisse et la fonte fournit un grand réservoir de carbone auparavant inaccessible, ce qui favorise la production de gaz à effet de serre."

Il y a plus de 130 000 ans


Julie Talbot surveille une tourbière dans les Laurentides, au Québec. Crédit: Julie Talbot
Dans les climats nordiques comme l'Arctique, certaines tourbières ont commencé à se former entre les deux dernières glaciations, il y a plus de 130 000 ans, puis ont été enfouies pendant la glaciation suivante. Dans les climats tropicaux comme ceux de l'Afrique subsaharienne et de l'Asie du Sud-Est, les marais côtiers étaient enfouis sous des mers montantes il y a à peine 1000 ans, emprisonnant la végétation en dessous.

Julie Talbot tempère toutefois les inquiétudes. "Bien qu'il soit possible que les tourbières, et en particulier les tourbières du pergélisol, libèrent beaucoup de carbone en raison des changements climatiques, comme le laisse penser la recherche de Carolina [Voigt], notre étude montre que les tourbières pourront aussi avoir le potentiel de stocker beaucoup de carbone à l'avenir, car les périodes chaudes ont tendance à favoriser le stockage du carbone."

"Ce qui est important, c'est que les deux scénarios soulignent l'importance de la conservation des tourbières", dit la professeure Talbot. D'autres recherches devront être entreprises, a ajouté Carolina Voigt: "Ce n'est qu'en étudiant les tourbières que nous pourrons comprendre le cycle du carbone de ces écosystèmes fragiles."

Du nord au sud


De multiples profils de tourbe enfouie ont été préservés dans le pergélisol du delta oriental du fleuve Lena, en Sibérie. Crédit: Guido Grosse (AWI)
Carolina Voigt, qui a vécu en Finlande pendant ses études de doctorat à l'UEF, concentre maintenant ses recherches sur les tourbières du pergélisol des Territoires du Nord-Ouest; cet été, elle y étudiera sur le terrain les flux de CO2 et de méthane.

Pour sa part, la professeure Talbot revient d'Amérique du Sud, où elle a travaillé sur les tourbières de la région subantarctique en Patagonie et en Terre de Feu, en Argentine et au Chili. "J'espère que nous pourrons apprendre des différences constatées entre ces tourbières et celles chez nous, a déclaré Julie Talbot, dont le laboratoire se spécialise dans l'étude de la stabilité à long terme des écosystèmes. Les plantes sont similaires aux deux endroits, nos tourbières se sont formées plus ou moins en même temps que les leurs, mais celles-ci sont dans un climat beaucoup plus sec. Nous verrons si c'est important."
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